SAINT JOHN CHRYSOSTOM

Saturday, 17 July 2010

texte homelie XIII, XIV Heb. st Chrys.

HOMÉLIE XIII. SI LE SACERDOCE DE LÉVI, SOUS LEQUEL LE PEUPLE A REÇU LA LOI, AVAIT PU RENDRE LES HOMMES PARFAITS, EUT-IL ÉTÉ BESOIN QU'IL PARUT UN AUTRE PRÊTRE, APPELÉ PRÊTRE SELON L'ORDRE DE MELCHISÉDECH, ET NON PAS SELON L'ORDRE D'AARON ? (VII, 11, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.)




Analyse.



1-3 Le sacerdoce lévitique n'a rien perfectionné : aussi l'Ancien Testament lui-même annonçait un sacerdoce nouveau et éternel. — La tribu de Juda est appelée au sacerdoce dans la personne de Jésus-Christ; elle se trouve désormais tribu royale et sacerdotale ; mais le pontificat n'a plus de succession charnelle. — La loi de crainte est abrogée et fait place à une loi de meilleure espérance. — Nous n'avons qu'un pontife désormais; il est donc immortel et toujours prie pour nous. — Nous n'avons qu'un seul sacrifice ; encore Jésus ne l'a-t-il pas offert pour lui-même, puisqu'il était impeccable.

4 et 5. Beaucoup différaient de recevoir le baptême, et le retardaient jusqu'à leur mort : conduite dangereuse, vrai mépris de la vertu en elle-même. — En se sauvant à la dernière heure, on n'arrive qu'à la dernière place au ciel : quelle honte ! — Pourquoi tarder d'accomplir des commandements si doux, que souvent les vices contraires sont plus pénibles même à la nature ?



1. « Si donc la perfection était l'oeuvre du sacerdoce lévitique », dit l'apôtre, etc. Après avoir parlé de Melchisédech, et avoir montré qu'elle était sa prééminence sur Abraham, après avoir ainsi établi une grande différence, il continue à prouver la distance qui sépare les deux Testaments, dont l'un était imparfait, tandis que l'autre est la perfection même. Toutefois, il ne va pas au coeur même de son sujet; il ne raisonne et ne combat d'abord. que par la comparaison du sacerdoce et dé l'alliance; car pour les incrédules d'alois ces preuves étaient plus saisissables, puisque la démonstration allait porter sur le dépôt même qu'ils avaient reçu.

Il a donc montré que Lévi et Abraham restent bien en arrière de Melchisédech, lequel, même de leur aveu, a eu rang parmi les prêtres. Il part maintenant d'une autre preuve; et d'où? Du sacerdoce chrétien comparé à celui des juifs. Et voyez; je vous prie, son incomparable habileté! La raison même qui, selon toute vraisemblance, devait exclure du sacerdoce Melchisédech qui n'était pas de la race d'Aaron, lui sert au contraire à l'y maintenir et à détrôner les autres. Et pour arriver à cette conclusion, il se pose à lui-même un doute : Pourquoi n'est-il pas dit (prêtre) selon l'ordre d'Aaron? Et voici la solution qu'il donne: Et moi aussi, je me demande pourquoi il n'a pas été selon l'ordre d'Aaron; car c'est ainsi qu'il faut entendre ce qu'il dit : « Si donc la perfection eût été l'oeuvre du sacerdoce lévitique, etc. », et cette parole encore: «Pourquoi dès lors a-t-il été nécessaire», etc., phrase extrêmement significative. En effet, si Jésus-Christ était venu d'abord selon la chair pour être prêtre selon l'ordre de Melchisédech, et qu'après lui fût survenue la loi avec le sacerdoce d'Aaron, on aurait eu raison de conclure que le second (509) fait était un perfectionnement qui anéantissait le premier, puisqu'il lui succédait. Mais si Jésus

Christ, au contraire, est postérieur à la loi, s'il a adopté un autre type sacerdotal, il est évident que tout le lévitisme est imparfait; car supposons un instant, dit l'apôtre, que le sacerdoce antérieur à Jésus-Christ, celui d'Aaron, était parfait et ne laissait rien à désirer ; pourquoi donc dès lors l'Ecriture nous parle-t-elle d'un prêtre selon l'ordre de Melchisédech et non selon l'ordre d'Aaron? Pourquoi laisser Aaron et introduire un autre sacerdoce, à savoir, celui de Melchisédech, si la perfection se trouvait dans le sacerdoce lévitique, c'està-dire, si ce sacerdoce lévitique avait, au complet, toute la doctrine et de la foi et des moeurs? Et remarquez, comme sans dévier d'un pas, l'apôtre avance

Il avait dit «selon l'ordre de Melchisédech » et avait montré que ce sacerdoce était le plus grand, parce que Melchisédech était plus grand qu'Abraham. Puis, il prouve encore la même chose par la considération du temps, en disant que, puisque le sacerdoce selon l’ordre de Melchisédech a paru après celui d'Aaron, c'est qu'il est plus grand.

Mais que signifient ces paroles qui suivent immédiatement : « Sous lequel [sacerdoce] le peuple a reçu la loi? » Que veut dire « sous lui ? » C'est que par lui le peuple marche, le peuple fait tout par lui : on ne peut dire qu'il ait été donné à d'autres qu'à lui. C'est sous lui que le peuple a reçu la loi, c'est-à-dire, grâce à son ministère. Et l'on ne peut dire que la loi était parfaite, mais non imposée au peuple. Le peuple , dit l'apôtre , a reçu la loi sous lui, c'est-à-dire par son organe et intermédiaire. Qu'était-il donc besoin d'un autre sacerdoce, si celui-là était parfait? « Car le sacerdoce étant transféré, il faut aussi que la loi le soit ». Si donc un autre prêtre, ou plutôt un autre sacerdoce est devenu nécessaire, il faut aussi nécessairement une autre loi. Ceci est à l'adresse de ceux qui disent : Qu'était-il besoin d'un Nouveau Testament? Il aurait pu prouver ce besoin par les prophètes eux-mêmes : « Voici », disent-ils, «le testament, l'alliance que j'ai faite avec vos « pères». Pour le moment, il n'argue que d'après le sacerdoce. Et voyez comme il brillait d'arriver à cette conclusion. Il a dit: Selon l'ordre de Melchisédech : c'était rejeter déjà le sacerdoce d'Aaron. Car si un autre sacerdoce a été introduit depuis lors, il a bien fallu aussi qu'il vint un autre testament. Car il est impossible qu'un prêtre soit sans testament, ni lois, ni préceptes; ou qu'en recevant son sacerdoce, ii se serve de l'antique alliance.

On pourrait lui objecter : Comment fut donc prêtre celui qui n'était pas lévite? Mais comme il a établi plus haut comme vérité fondamentale la maxime contraire, il ne veut pas même résoudre une telle objection, et ne lui jette qu'en passant cette réponse : Je vous ai dit que le sacerdoce a été transféré; donc aussi le testament; et Dieu ne l'a pas seulement changé dans son mode et dans ses règles, mais même dans la tribu. Comment? C'est que le sacerdoce est transféré d'une tribu à me autre, de la tribu sacerdotale à la tribu royale, de sorte qu'à l'avenir elle réunit sacerdoce et royauté. Or, voyez le mystère. De royale qu'elle était d'abord, elle est maintenant devenue sacerdotale. Ainsi s'est-il fait en Jésus-Christ. Lui qui fut toujours roi, a été fait prêtre quand il prit notre chair, quand il offrit le sacrifice. Voyez-vous le changement? Ce qu'on lui présentait comme une objection, l'apôtre l'établit précisément et par la seule logique des faits. « En effet, celui dont ces choses ont été prédites », nous dit-il, « est d'une autre tribu dont personne n'a jamais servi à l'autel; puisqu'il est manifeste que Notre-Seigneur est sorti de Juda, tribu à laquelle Moïse n'a jamais attribué le sacerdoce (13, 14) ». L'apôtre dit donc équivalemment : Et moi aussi je sais qu'il n'a eu aucune part à votre sacerdoce; que nul de cette tribu ne l'a exercé, comme le montre évidemment cette affirmation : « Nul n'a jamais servi à l'autel ». Tout est donc transféré. Ainsi était-il nécessaire que la loi ancienne et l'Ancien Testament fussent transférés, puisque la tribu [sacerdotale] elle-même a été changée.

2. Or, voyez comme il va dévoiler une autre différence que celle que lui fournit déjà ce changement de tribu. Il ne lui suffit pas de montrer la différence immense qui résulte de la tribu, de la personne, de la manière, du testament, mais il va la prouver par le personnage figuratif. « Lequel [Melchisédech] n'est point établi selon la disposition d'une loi charnelle, mais par la puissance de sa vie immortelle (16) ». — Il a été fait prêtre, dit-il, non pas selon la disposition d'une loi charnelle; car cette loi, dans sa plus grande partie, n'était point légitime ; et l'apôtre a raison de l'appeler une loi charnelle; car tous ses règlements étaient charnels. Car voici ce qu'elle commandait Coupez votre chair, oignez votre chair, lavez votre chair, purifiez votre chair, tondez votre chair, liez votre chair, nourrissez votre chair, donnez le repos à votre chair; ne sont-ce pas, je vous prie, autant de lois charnelles? Que si vous voulez savoir quels biens elle promettait, écoutez : Longue vie à votre chair, était-il dit, à votre chair lait et miel, paix à votre chair, plaisir à votre chair. C'est d'une telle loi qu'Aaron reçut le sacerdoce, mais non pas certes Melchisédech.

« Et ceci parait encore plus clairement, en ce qu'il se lève un autre prêtre selon l'ordre de Melchisédech (15) ». Qu'est-ce qui parait clairement? La différence qui est très-grande entre les deux sacerdoces, et l'incontestable prééminence du personnage qui n'a pas été fait prêtre par la disposition d'une loi charnelle. Et qui est celui-ci? Est-ce Melchisédech ? Non, mais Jésus-Christ, qui l'est par la vertu de sa vie immortelle; ainsi que l'Écriture le déclare par ces mots : «Vous êtes le Prêtre éternel selon l'ordre de Melchisédech (17)», c'est-à-dire, non pour un temps, non pour finir, mais selon la vertu d'une vie immortelle. Par ces paroles, il nous montre que Jésus a été fait prêtre par sa vertu et par celle de son Père, par sa vie qui n'a point de fin. Toutefois, ceci ne s'ensuit pas logiquement de ce qui a été dit plus haut : « il n'a pas été fait prêtre par la disposition d'une loi charnelle »; le raisonnement exigeait : Il l'a été par une loi spirituelle. Mais, par « charnel » l'apôtre entend plutôt temporel, comme quand il dit (510) ailleurs: Ces lois ne devaient durer que jusqu'à un temps meilleur, elles n'étaient que des justifications charnelles, en attendant la vertu de la vie; c'est-à-dire, en attendant celui qui vit par sa propre vertu. Après avoir dit que la loi subit un changement, et montré la nature de ce changement , il en cherche la cause, satisfaisant ainsi l'esprit humain, qui aime à savoir la cause de tout, et gagnant d'ailleurs ainsi notre confiance, puisqu'il nous apprend la cause et la raison de cette mutation.

« Car la première loi est réprouvée comme étant impuissante et inutile (18) ». Ici les hérétiques s'élèvent contre nous et nous disent : Voilà Paul qui déclare la loi mauvaise! Mais soyez attentifs et remarquez qu'il ne dit pas : Elle est rejetée comme vicieuse et dépravée, mais comme impuissante et inutile. Il a déjà montré ailleurs cette impuissance, quand il disait par exemple : « Dans cette loi on était infirme par la chair »; nous étions donc infirmes, et non pas la loi.

« Car la loi n'a rien conduit à la perfection (19) ». Qu'est-ce à dire, elle n'a rien conduit à la perfection ? Elle n'a rendu parfait aucun homme, parce qu'aucun ne lui obéit; et quand bien même on l'eut écoutée, elle n'aurait pu produire la perfection, la vraie vertu. Pour le moment, il n'affirme pas même cela, et se contente de dire qu'elle n'a pas eu de force. Et c'est' vrai ; c'était la condition des lettres sacrées mêmes : Faites ceci, ne faites pas cela; elles ne pouvaient que proposer, sans apporter en même temps la force et le pouvoir d'accomplir le précepte. Telle n'est pas la véritable espérance. Pourquoi dit-il «réprouvée? » Comprenez : Rejetée. Et sur quoi porte ce rejet, il l'indique : « Sur la loi précédente », désignant ainsi la loi [mosaïque] qui a été rejetée à cause de son impuissance. La réprobation, c'est l'abrogation, la destruction de règles qui jusque-là avaient force et vigueur. C'est assez dire que la loi eut dans un temps vigueur et force, mais que plus tard elle fut vouée au mépris, pour n'avoir rien produit. La loi n'a donc servi de rien? Au contraire, elle eut son utilité, sa grande utilité même, mais elle ne servit aucunement à créer des hommes parfaits; car elle-même n'a rien perfectionné. L'apôtre dit que la loi n'a rien parfait, parce que sous son règne tout était figure, tout était vaine ombre, circoncision, sacrifice, sabbat. Ces institutions n'ont pu arriver jusqu'aux âmes, et partout elles cèdent et se retirent.

« Mais voici que s'introduit une espérance meilleure par laquelle nous nous approchons de Dieu. Et de plus, ce sacerdoce n'est pas établi sans serment». Vous voyez qu'ici encore le serment a été nécessaire, et ceci vous explique pourquoi, précédemment, il a discuté avec tant de sagesse cette question du serment de Dieu, et la raison qui le détermine à jurer pour que notre conviction soit plus certaine et plus pleine. — Voici « l'introduction d'une meilleure espérance » qu'est-ce à dire? La loi aussi avait une espérance, mais non telle que celle-ci,-ses observateurs espéraient posséder la terre et ne pas trop souffrir. Et nous, nous espérons qu'en faisant la volonté de Dieu, nous posséderons non pas la terre, mais le ciel; que dis-je? nous espérons bien mieux encore : c'est que nous serons auprès de Dieu, que nous arriverons. jusqu'à ce trône de notre Père, et que nous le servirons avec les anges. Car Paul disait plus haut : « Nous entrons jusqu'au-delà du voile » ; mais ici : « Par elle nous approchons jusqu’à Dieu».

« Et de plus, ce n'est pas sans un serment de sa part ». Qu'est-ce à dire : « Et de plus, ce n'est pas sans un serment ? » C'est cela même : non sans un serment; et voilà une autre différence; car nos promesses ne sont pas sans raison, dit-il, « Car au lieu que les autres prêtres ont été établis sans serment, celui-ci l'a été avec serment, Dieu lui ayant dit : Le Seigneur a juré, et son serment demeurera immuable : Vous êtes le Prêtre éternel selon l'ordre de Melchisédech; tant il est vrai que l'alliance dont Jésus est le médiateur est plus parfaite que la première; aussi y a-t-il eu autrefois successivement plusieurs prêtres, parce que la .mort les empêchait de l'être toujours; mais comme celui-ci demeure éternellement, il possède un sacerdoce qui est éternel (21-24) ».

L'apôtre établit deux différences le sacerdoce nouveau, contrairement au sacerdoce légal, n'a pas de fin et s'appuie sur,un serment. Il le prouve par Jésus-Christ qui le reçoit et en remplit les fonctions, en effet, selon la vertu d'une vie immortelle. Il démontre le second point par le serment qu'il cite et par la nature même du pontificat; le précédent a été rejeté pour cause d'impuissance; celui-ci reste et demeure parce qu'il est puissant et fort; le prêtre nouveau lui fournit aussi une preuve, et comment? C'est qu'il est seul et unique; et il ne serait pas seul, s'il n'était immortel. Car comme les prêtres ne sont nombreux que parce qu'ils sont sujets à la mort, ainsi dans le cas pré. sent, le prêtre est unique parce qu'il est immortel. Et Jésus est devenu le garant d'une alliance d'autant meilleure, que Dieu lui a juré de le maintenir prêtre à jamais, serment qu'il n'est point fait, si Jésus n'était vivant.

3. « C'est pourquoi il est toujours en état de sauver ceux qui s'approchent de Dieu par son entremise, .étant toujours vivant afin d'intercéder pour nous (25) ». Vous voyez qu'en parlant; ainsi, Paul considère Jésus dans son humanité. En le montrant comme prêtre, il le déclaré aussi, tôt notre intercesseur. Nous affirmer qu'il intercède pour nous, c'est sous-entendre qu'alors il agit comme prêtre. Car de celui qui, à son gré, ressuscite les morts et qui donne la vie comme le Père, comment dit-on qu'il intercède, lorsqu'il devrait sauver? Comment intercède Celui à qui appartient tout jugement ? Comment intercède Celui qui envoie les anges pour jeter ceux-ci dans la fournaise et sauver ceux-là? Aussi l'apôtre dit: « Il peut sauver», et il sauve, parce que lui-même: ne meurt point. Et parce qu'il ne meurt pas et qu'il vit à jamais, il n'a pas, selon l'apôtre, de successeur. Et s'il n'a pas de successeur, c'est qu'il, peut défendre tous les hommes. Car, en Israël, le pontife, bien qu'admirable, ne durait qu'autant que sa vie même; ainsi Samuel, ainsi tous ceux qui revêtirent cette dignité ; ensuite, ils n'étaient (511) plus rien, puisqu'ils mouraient. Pour le nôtre, c'est l'opposé, il sauve à tout jamais. Qu'est-ce à dire: « A tout jamais? » Ceci donne à entendre' quelque grand mystère. Ce n'est pas ici-bas seulement, nous répond saint Paul, c'est dans l'autre vie aussi qu'il sauve tous ceux qui par lui s'approchent de Dieu. Comment les sauve-t-il? C'est qu'il est toujours vivant afin d'intercéder pour eux. Remarquez-vous l'humilité de sa très-sainte humanité? Car il ne dit pas. qu'une fois par hasard il remplira ce rôle; mais toujours, mais tant qu'il sera besoin, il prie pour eux à tout jamais. Que signifie encore « à tout jamais? » Non-seulement dans le temps présent, mais jusque dans la vie future. Il a donc toujours besoin de prier? Et par quelle convenance s'y soumet-il? Souvent des justes, par une seule prière, ont tout obtenu : et lui doit toujours prier? Pourquoi donc est-il assis sur. un trône? Voyez-vous que c'est par condescendance que l'apôtre tient ce langage humble? Voici ce que saint Paul veut nous faire comprendre: Ne craignez pas, dit-il; et ne dites pas : Certainement il nous aime, et il a toute liberté de parler à son Père, mais il De peut pas toujours vivre. Au contraire, il vit toujours.

« Car il était convenable que nous eussions un «pontife comme celui-ci, saint, innocent, sans tache, séparé, des pécheurs (26) ». Vous voyez que tout cela est dit de son humanité. Mais quand je dis l'humanité, je parle d'une humanité qui possède la divinité ; ne partageant pas Jésus, mais vous donnant facilité de mieux comprendre ce qui convient. Avez-vous vu la différence de pontifes? . Il résume ce qu'il a dit plus haut. « Il a été éprouvé de toutes manières, sauf par le péché, pour nous ressembler ». Tel convenait-il que fût notre pontife, saint, innocent. Qu'est-ce à dire, «innocent? » Ni méchant, ni trompeur; ce qu'un . autre Prophète exprime ainsi : « Le mensonge n'a pas été trouvé sur ses lèvres ». Qui parlerait ainsi de Dieu, et ne rougirait de dire qu'un Dieu n'est ni menteur ni fourbe? Mais de Jésus selon la chair il convient de déclarer qu'il est saint. « Sans tache » : vous ne direz rien de pareil de Dieu, parce. que sa nature est telle quelle ne peut être souillée. « Séparé des pécheurs », Ceci n'indique-t-il qu'une différence, et ne rappelle-t-il pas son sacrifice? Oui, son sacrifice aussi, et comment?

« Qui ne fût point obligé, comme les autres prêtres, d'offrir tous les jours des victimes, premièrement pour ses péchés, et ensuite. pour ceux du peuple; ce qu'il a fait une fois en s'offrant lui-même (27) ». Ces paroles sont comme l'introduction à ce qu'il dira touchant l'excellence du sacrifice spirituel. Déjà il u marqué la différence de prêtre et la différence de testament. Il ne l'a pas traitée entièrement : mais il l'a indiquée déjà cependant. Ici, il donne en quelque sorte le prélude du sacrifice même. N'allez pas croire, quand vous entendez parler de Jésus comme prêtre,'qu'il remplisse toujours la fonction du sacerdoce. Il a rempli cette charge dé sacrificateur une fois, et maintenant il s'est assis pour toujours. Ne pensez pas que parmi les habitants de la cour céleste, .il soit debout, agissant comme ministre. C'est là l'oeuvre de l'incarnation. En devenant esclave, il devint aussi prêtre et ministre. Mais de même que devenu esclave, il n'est pas demeuré esclave ; de même s'il s'est fait ministre, il n'est pas resté ministre : la marque du serviteur, eu effet, ce n'est pas d'être assis, mais debout. Ces paroles marquent donc la grandeur de son sacrifice qui, bien qu'unique, a suffi cependant; et bien qu'offert une seule fois, eut une valeur que n'ont pas eue tous les sacrifices du monde. Mais nous n'avons pas encore à traiter ce sujet.

« Il l'a donc fait une fois », ce sacrifice, dit saint Paul. Lequel? Le sacrifice « nécessaire », nous répond-il encore; il lui a fallu trouver une offrande aussi ; « non pas pour lui-même » : comment offrirait-il pour lui, étant impeccable? Mais « pour le peuple ». Que dites-vous, ô Paul ! Il n'a pas besoin d'offrir pour lui-même, et telle est sa puissance ? Certainement, nous répond-il. Car pour vous empêcher de croire que cette affirmation : « Il l’a fait une fois », s'applique aussi à lui, écoutez ce que l'apôtre ajoute : « Car la loi établit pour pontifes des hommes faibles », c'est pourquoi ils offrent toujours pour eux-mêmes; mais celui-là, qui est si puissant, qui n'a pas même de péché, pourquoi offrirait-il pour lui-même? Donc ce ne fut pas pour lui-même, mais pour le peuple qu'il offrit, et qu'il n'offrit qu'une fois.

« Mais la parole de Dieu, confirmée par le serment qu'il a fait depuis là loi, établit pour pontife le Fils qui est parfait à jamais ». Parfait, qu'est-ce à dire? Paul n'établit pas d'antithèses rigoureuses. Il disait des autres prêtres qu'ils sont faibles, il ne dit pas que le Fils est puissant, mais « parfait », ce qui comprend la puissance ; et vous pourriez ajouter : Voyez-vous que le nom de Fils est ici rappelé par opposition à esclave? Par faiblesse, ici, il entend ou le péché ou la mort. — Mais que veut dire : « A jamais parfait? » Inaccessible à tout péché, non-seulement maintenant, mais toujours. Si donc il est parfait, s'il ne pèche jamais, s'il est toujours vivant, pourquoi offrirait-il pour nous plusieurs sacrifices? Mais il n'insiste pas sur ce point; il s'appesantit seulement sur cette vérité : qu'il n'offre pas pour lui-même.

Puis donc que nous avons un tel pontife, imitons-le, marchons sur ses traces. Plus d'autre sacrifice que le sien : un seul nous a purifiés ; au delà, il n'y a plus que l'enfer et le feu. C'est pour cela que Paul remue ciel et terre pour nous répéter que nous n'avons qu'un prêtre, qu'un sacrifice; de peur que s'imaginant qu'il y en a plusieurs, quelqu'un ne pèche avec assurance.

4. Nous tous donc qui avons été admis à la dignité de chrétiens, et qui avons reçu le caractère baptismal, nous tous qui avons eu part au sacrifice, nous tous qui avons participé à la table immortelle; conservons intacte notre noblesse et notre honneur : car une chute ne serait pas sans u' immense danger. Quant à ceux qui n'ont pas été ennoblis par de semblables honneurs, qu'ils n'aient pas pour cela une triste confiance. Quand un homme pèche, en effet, avec l'idée de recevoir le baptême au dernier soupir, souvent il ne reçoit (512) pas cette grâce. Croyez-moi : ce n'est pas pour vous épouvanter que je poursuis ce que j'ai à dire. J'en connais plusieurs à qui ce malheur est arrivé; dans l'espoir et l'attente de ce sacrement de l'illumination, ils péchaient beaucoup; et au terme de leurs jours, ils sont partis vides et nus. Car c'est pour briser les chaînes du péché et non pour les multiplier, que Dieu a donné le baptême. S'en servir pour pécher plus à l'aise, c'est se créer des raisons de lâcheté et de négligence. Si le bain sacré n'existait pas, tel vivrait avec plus de précaution, parce qu'il n'aurait pas de pardon à espérer. Vous connaissez le détestable principe : Faisons le mal pour que le bien s'ensuive; c'est nous qui pratiquons ce principe et voulons qu'on le répète ! Aussi, je vous en prie , vous qui n'avez pas encore été initiés aux saints mystères, réveillez-vous. Que nul n'aborde la pratique de la vertu en vrai mercenaire, en véritable ingrat; que personne n'y entre comme dans une entreprise pénible et ennuyeuse. Non ! mais approchons avec un coeur allègre, une âme joyeuse ! Quand bien même, en effet, on ne nous proposerait aucune récompense, ne faudrait-il pas être vertueux? Soyons-le donc encore avec l'espoir d'une récompense. N'est-ce pas ici une honte et le comble du déshonneur? Si vous ne me donnez point de salaire, dites-vous, je ne veux être ni modeste ni tempérant. Eh bien ! moi, j'ose vous dire que vous ne serez jamais tempérants ni modestes, si vous voulez l'être pour un salaire. Vous n'estimez point la vertu , si vous ne l'aimez pas. Et toutefois Dieu, à cause de notre infirmité, a bien voulu y attacher une récompense; et nous, même à ce prix, nous n'en essayons point.

Or, supposons, si vous le voulez, qu'un homme meure, après avoir commis des péchés sans nombre, et cependant après avoir reçu le baptême, ce qui, à mon sens, n'arrivera pas de sitôt. Comment cet homme partira-t-il pour le ciel? S'il n'est plus accusé du mal qu'il aura commis; il est certain cependant qu'il ne jouira pas d'une grande confiance. Car après avoir vécu un siècle, il ne montre dans sa conduite qu'un bien, c'est qu'il n'a plus de péchés; je me trompe, il ne peut même montrer si peu; il est sauvé uniquement par la grâce : or, quand il verra les autres élus couronnés, glorieux, environnés d'honneur et d'estime, quoiqu'il ne tombe pas en enfer, supportera-t-il, dites-moi, l'angoisse et la honte qui tourmenteront son âme?

Un exemple éclaircira ma pensée. Voici deux soldats; l'un est voleur, habitué à l'injustice, ravisseur du bien d'autrui; l'autre, au contraire, se conduit en brave, s'illustre par des hauts faits, se couvre de trophées en trempant ses mains dans le sang des ennemis. Plus tard, quand le moment est venu, on vient le prendre dans le rang où était avec lui le soldat voleur, on le conduit soudain au trône impérial, on le revêt de pourpre; tandis que l'autre est maintenu à sa place vulgaire, et ne doit qu'à la clémence du souverain de n'être pas puni de ses crimes; mais il reste au dernier plan, mais on lui assigne sa place loin de l'empereur : supportera-t-il, dites-moi, le poids de son chagrin et de ses remords, quand il verra ainsi son compagnon d'armes élevé au faite des dignités, parvenu au comble de la gloire, dictant des lois au monde entier, lorsque lui-même reste au plus bas degré, et ne peut même s'honorer d'avoir échappé au supplice, cet honneur appartenant tout entier à la clémence et au pardon de son prince ! Ah ! quand bien même le souverain l'aurait relâché et lui aurait pardonné ses crimes, il ne vivra que couvert de honte et d'ignominie; il ne sera pas, certes, admiré des autres, car dans le cas d'une grâce semblable, on n'admire pas celui qui la reçoit, mais celui qui l'accorde; plus est grand le don octroyé, plus est affreuse la honte de celui qui en est l'objet, puisqu'il suppose de grands crimes commis.

De quels yeux donc un tel chrétien pourra-t-il voir ceux qui sont dans la cour céleste, et qui montrent et leurs blessures et leurs travaux innombrables, lorsque lui-même ne pourra rien montrer, lorsqu'il ne devra qu'à la bonté et à la clémence de Dieu d'être relâché sain et sauf ? Tel qu'un homicide, un voleur, un adultère prêt à marcher au dernier supplice, et qu'un haut personnage s'est fait donner à discrétion, et qu'il fait tenir à la porte de son palais : le misérable n'osera, d'ailleurs, regarder personne en face, bien qu'après tout il ait échappé au coup fatal : tel sera ce chrétien.

5. Car de ce qu'on appelle ce séjour la cour céleste, n'allez pas croire que tous y occupent le même rang. Dans les cours de nos princes, vous voyez des premiers officiers, et tous ceux qui font cortège au souverain, et toutes sortes de bas officiers, et jusqu'à ces licteurs qui occupent l'emploi appelé de Décan ; tous s'y rencontrent, bien, qu'entre le licteur et le grand officier, la distance soit immense. Bien plus grandes encore seront les différences dans la cour céleste. Et je ne dis pas cela de moi-même, car saint Paul établit une autre différence bien autrement considérable que . toutes celles-là. Les différences qui se remarquent entre les astres, depuis le soleil jusqu'à la lune, jusqu'aux étoiles, jusqu'à la moins brillante de celles-ci, ne sont pas en plus grand nombre ni plus grandes que celles qui existent entre les habitants de la cour divine. Or, qu'entre le grand officier et le licteur il y ait une distance bien moindre qu'entre le soleil et la moindre étoile, c'est chose évidente à tous les yeux; car le soleil éclaire à la fois et réjouit la terre tout entière, et , sa lumière éclipse la lune et les étoiles; et telle petite étoile ne parait peut-être même jamais et reste perdue dans les ténèbres, car il est bien des étoiles que nous n'apercevons même pas.

Quand donc nous verrons les autres devenir des soleils, tandis que nous irons prendre la place des moindres étoiles, de celles qui ne se devinent même pas, quelle consolation nous restera-t-il ? Ah ! je vous en prie, ne soyons pas ainsi tardifs; lourds et lâches ; ne traitons pas l'affaire du salut dont Dieu est l'enjeu, de façon à la changer en oeuvre de loisir; exerçons sur elle un saint négoce, sachons la faire valoir et la multiplier. Car enfin chacun ici, fût-ce un catéchumène, chacun connaît cependant Jésus-Christ, chacun apprécie la foi, entend la divine parole, approche plus ou moins de la connaissance de Dieu, et sait la volonté de son maître.

Pourquoi ces délais, ces hésitations, ces retards ? Rien n'est- meilleur qu'une vie vertueuse polar ce monde comme pour l'autre, pour les fidèles baptisés et pour les catéchumènes. Car, je vous le demande, quel est le commandement qui soit pour nous lourd et intolérable ? Ayez, Dieu le dit, ayez une épouse et soyez modéré et continent : est-ce donc difficile ? Comment le prétendre, lorsque tant de personnes même sans épouse savent être chastes, non-seulement parmi les chrétiens, mais parmi les gentils ? Une passion que le gentil domine par vanité, ne sauriez-vous l'éviter, vous, par crainte de Dieu? — «Donnez », Dieu le dit, « donnez aux pauvres suivant vos moyens » : est-ce un devoir lourd et intolérable ? Maïs ici encore les gentils nous accusent, eux qui, par vaine gloire, jettent parfois leur fortune entière à pleines. mains. — Ne tenez point de discours obscènes. Est-ce difficile ? Ne devrions-nous pas nous conduire assez honnêtement pour y voir notre propre déshonneur? C'est le contraire, c'est; veux-je dire, tenir des discours dés honnêtes qui est une difficulté, et vous le voyez avec évidence, par ce fait qu'on a la honte au coeur et la rougeur au front, lorsqu'on a laissé échapper des paroles de ce genre, qu'on ne prononcera pas, à moins d'être ivre. Pourquoi, en effet, une fois assis sur la place publique, n'y faites-vous plus ce que vous vous permettez peut-être à la maison ? N'êtes-vous pas retenu par les témoins qui sont là ? Pourquoi ne le feriez-vous pas même en présence de votre femme ? N'est-ce as de peur de la couvrir de honte ? Or, ce que vous ne faites pas par respect pour votre épouse, comment ne rougissez-vous pas de le faire en outrageant Dieu ? car il est présent partout, il entend tout. — Gardez-vous de vous enivrer c'est simple et beau. L'ivresse par elle-même n'est-elle pas un supplice? Dieu ne vous dit pas : Disloquez votre corps; mais quoi ? Ne vous enivrez pas, c'est-à-dire ne le dégradez pas au point de faire perdre à l'âme sa royauté. Quoi donc ? Faut-il refuser tous les soins à son corps? Arrière cette doctrine; je ne la prêche pas; Paul a formulé ainsi le précepte : « N'ayez aucun souci de la « chair dans ses mauvais désirs » (Rom. XIII, 14); ne vous prêtez jamais à sa concupiscence. — Ne ravissez pas ce qui n'est point à vous; gardez-vous d'envahir par avarice le bien d'autrui ; ne commettez point de parjure. Faut-il, pour accomplir ces devoirs, beaucoup travailler, beaucoup suer? N'accusez pas, est-il dit, ne calomniez pas : est-ce donc pénible ? C'est le contraire qui est pénible. Car lorsque vous prononcez une parole de détraction, vous êtes en danger; vous tremblez d'avoir été entendu par la personne, considérable ou chétive, dont vous avez ainsi parlé. Si c'est un grand de ce monde, vous êtes de fait en danger; si c'est un petit selon le siècle; il vous rendra la pareille, il vous paiera même avec usure, il vous attaquera par des discours plus malveillants. — Non, sachons vouloir, et aucun précepte ne sera pour nous lourd ni difficile. Mais si nous n'avons pas de volonté, tout ce qui est le plus facile nous paraîtra malaisé. — Quoi de plus facile que de manger ? Mais telle est la mollesse de quelques gens, qu'ils trouvent même cette fonction pénible. Et j'entends plusieurs personnes dire que manger est un travail. Aucune fonction n'est laborieuse, si vous le voulez, car avec la grâce céleste tout repose sur votre volonté. Veuillons donc le bien, afin de gagner aussi les biens éternels, par la grâce et la bonté etc.

HOMELIE XIV. TOUT CE QUE NOUS VENONS DE DIRE SE RÉDUIT A CECI : LE PONTIFE QUE NOUS AVONS EST SI GRAND, QU'IL EST ASSIS DANS LE CIEL A LA DROITE DU TRONE DE LA SOUVERAINE MAJESTÉ. CHAPITRE VIII EN ENTIER.


Analyse.



1-3. Grandeurs et humiliations dans Jésus-Christ, ministre d'un nouveau tabernacle qui est le ciel. — Celui-ci n'est pas sphérique ni mobile : courte excursion dans' l'astronomie. — Le sacerdoce de la loi nouvelle est tout céleste : admirable idée des sacrements et de la liturgie chrétienne, dont les rites juifs n'avaient que l'ombre et t'ébauche. — L'alliance nouvelle a été pr¢dite.; .l'ancienne a été réprouvée d'avance en toutes lettres. — Caractère de la loi de grâce. — Elle n'est pas écrite ; les apôtres n'ont reçu du ciel aucun livre : témoignage écrasant contre le protestantisme. — L'alliance est nouvelle bien que contenant les débris de l'ancienne.

4. La pénitence, l'oubli de mal faire et la réparation des méfaits, rend à l’âme sa première beauté. — La nuit est le temps favorable à la contrition et à la prière. — La prière du matin et du soir est nécessaire, mais surtout le ban emploi de la nuit.



1. Saint Paul mêle dans son discours les humiliations et les grandeurs; il imite en cela son divin Maître. Les choses humbles et basses préparent la voie aux choses sublimes et divines. La vue de celles-ci nous apprend que celles-là étaient un effet de la bonté de Dieu qui voulait (514) condescendre à notre faiblesse. C'est ce plan général qu'il suit en particulier dans ce passage. Il a commencé par dire que Jésus s'est offert, et puis, nous l'ayant montré comme Pontife, il ajoute . « Voici maintenant le comble et le couronnement de tout ce qui a été dit jusqu'ici ; nous avons un Pontife si grand qu'il s'est assis dans le ciel à la droite du trône de la Majesté souveraine ». Or, être assis n'est pas le propre d'un pontife, mais de celui à qui le sacrifice est offert par le pontife. — « Etant le ministre du « sanctuaire » ; non pas simplement « ministre », mais ministre du sanctuaire; « et du vrai tabernacle que Dieu a fixé et non pas un homme ». Voyez-vous ici l'abaissement volontaire ? Car l'apôtre n'a-t-il pas établi, au début de son épître, cette différence en faveur du Fils de Dieu, que les anges « sont tous des esprits ministres », et que pour cette raison la parole : « Asseyez-vous à ma droite », ne leur sera jamais adressée ? Il affirme donc que celui qui s'assied n'est pas un ministre, un simple serviteur. Comment donc ici est-il appelé ministre, et ministre du sanctuaire ? C'est donc comme homme que cette affirmation lui convient.

Quant au « tabernacle », ici, c'est le ciel. Et pour montrer la différence entre ce tabernacle et celui des juifs, il dit que c'est non pas un homme mais Dieu qui l'a fixé. Remarquez comment il élève les âmes des juifs qui ont cru en Jésus-Christ. Vraisemblablement, ils s'imaginaient que nous n'avions point de tabernacle. Voici, leur dit-il, le prêtre, le prêtre vraiment grand, bien plus grand que les pontifes d'Israël, et qui a offert un sacrifice plus admirable. Mais ire va-t-on pas voir ici un vain étalage de mots pour séduire les esprits ? Non, car il leur rend ses affirmations dignes de foi, en les prouvant et par le serment divin, et par le tabernacle nouveau. Sur ce dernier point la différence était déjà éclatante; il leur en fait encore considérer une toute particulière : « Il a été fixé », dit-il, « non de main d'homme, mais par Dieu même ». Où sont maintenant ceux qui affirment le mouvement du ciel ? Où sont ceux qui disent que sa forme est sphérique ? L'une et l'autre idée sont détruites par ce seul texte : « Or voici le comble de tout ce qui a été dit ». Le comble, la tête, c'est tout ce qu'il y a de plus élevé. Mais il va rabaisser son langage, et après avoir parlé des grandeurs du Christ, il peut sans crainte parler des abaissements. Pour que vous sachiez donc que ce mot : « ministre », qu'il écrit ensuite, se rapporte à l'humanité de Notre-Seigneur, écoutez comme de nouveau il va le déclarer.

« Car tout pontife », dit-il, « est établi pour offrir à Dieu des dons et des victimes; c'est pourquoi il est nécessaire que celui-ci ait aussi quelque chose qu'il puisse offrir (3) ». En m'entendant dire qu'il est assis, n'allez pas croire qu'il n'ait pas été appelé sérieusement pontife. On dit qu'il est assis .pour marquer sa divinité; on dit qu'il est pontife pour montrer sa miséricorde envers nous. L'apôtre .insiste avec complaisance sur ce dernier point, il s'y étend davantage. Il craignait que l'idée de la divinité de Jésus-Christ n'empêchât de croire à ses miséricordieux abaissements. Il y revient donc, et comme quelques-uns demandaient : Pourquoi est-il mort? Parce qu'il était prêtre, répond-il; pas de prêtre sans sacrifice; il lui faut donc un sacrifice, à lui aussi. Saint Paul, qui a déclaré d'ailleurs que Jésus est dans le ciel, dit donc et montre de toute manière qu'il est prêtre, rappelant et Melchisédech, et le tabernacle, et le sacrifice offert par Notre-Seigneur. Et, toujours dans le but de prouver le sacerdoce de Jésus-Christ, il construit un nouveau raisonnement

« S'il avait été prêtre sur la terre », dit-il, « il ne serait pas prêtre, puisqu'il y avait déjà des prêtres pour offrir des dons selon la loi (4) ». Si donc il est prêtre, et il l'est certainement, il faut qu'il le soit ailleurs qu'ici-bas. Car s'il était prêtre sur la terre, il ne serait pas prêtre, et pourquoi? parce qu'il n'a jamais offert de sacrifice, et qu'il n'a pas rempli de fonction sacerdotale; et cela se comprend, puisqu'il y avait des prêtres chargés de ces sacrifices. L'apôtre prouve qu'il était même impossible à Jésus-Christ d'être prêtre sur la terre: comment, en effet, dit-il, l'aurait-il pu avant la résurrection ?

Maintenant, mes frères, il vous faut élever vos âmes, et contempler la science apostolique de Paul; car voici une nouvelle différence de sacerdoce qu'il nous dévoile. — « Dont le ministère a pour objet la figure et l'ombre des choses du ciel». Que sont ici les choses du ciel? Les choses spirituelles. Car bien que les saints mystères s'accomplissent en ce bas monde, ils sont néanmoins dignes du ciel. En effet, quand on nous met devant les yeux Jésus-Christ tué et immolé; quand l'Esprit-Saint descend; quand ici se rend présent Celui qui est assis à la droite du Père; quand le bain sacré engendre des enfants de Dieu; quand ceux ci deviennent concitoyens des habitants du ciel, puisque nous avons là-haut droit de patrie, de cité , puisque désormais ici-bas nous sommes étrangers et voyageurs, comment tous ces mystères ne sont-ils point célestes? Et quoi encore? Nos hymnes ne sont-elles point célestes? Les mêmes chants que font entendre au ciel les choeurs des puissances incorporelles, n'en avons-nous pas l'écho, nous qui sommes sur cette humble terre? Et notre autel n'est-il pas céleste aussi? Comment? C'est qu'il n'a rien de charnel; toutes les offrandes qui s'y font, sont spirituelles. Notre sacrifice ne s'évanouit pas en cendre, en graisse, en fumée; mais il ennoblit et glorifie les dons qu'on y présente. N'est-il pas céleste le sacrement qui s'accomplit en vertu de ces paroles adressées aux ministres de tous les temps: « Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez? » (Jean, XX, 23.) N'exercent-ils pas un pouvoir céleste, ceux qui possèdent même les clefs du royaume des cieux?

2. «Leur ministère a pour objet »,dit-il, «la figure et l'ombre des choses du ciel, comme il fut répondu à Moïse lorsqu'il construisait le tabernacle. Voyez» , disait le Seigneur, «et faites tout selon le modèle qui vous a été montré sur la montagne (5)»; c'est qu'en effet, l'ouïe est un (515) moyen plus lent que la vue pour apprendre une chose; ce que nous entendons ne se grave pas dans notre esprit comme ce que nous voyons. « Dieu lui montre toutes choses» ; peut-être ne les lui montre-t-il qu'en modèle et en ombre, peut-être veut-il ici parler du temple. Car il a dit d'abord : « Voyez et faites tout selon le modèle qui vous a été montré sur la montagne». N'a-t-il vu que ce qui avait trait à la construction du temple, ou aussi ce qui se rapportait aux sacrifices et à tout en général? Ce second sentiment peut être soutenu sans erreur. Car l'Église est céleste, elle n'est rien moins qu'un ciel.

« Au lieu que Jésus a reçu une sacrificature d'autant plus excellente, qu'il est le médiateur d'une meilleure alliance (6) ».Voyez combien, dit l'apôtre, le second sacerdoce l'emporte sur le premier, puisque l'ancien n'est que copies et figures, et que le nouveau est la vérité même. Mais cette assertion était peu consolante pour les Hébreux, et ne pouvait leur causer du plaisir; l'apôtre s'empresse donc d'ajouter quelque chose qui devait les combler de joie : « L'alliance nouvelle est établie sur de meilleures promesses ». Après l'avoir déjà montrée plus grande par le lieu, le prêtre et le sacrifice, il établit maintenant la différence d'alliance. Il avait déclaré plus haut que l'ancienne était faible et inutile, et toutefois remarquez les précautions qu'il prend avant d'en venir à lui faire son procès. Plus haut (VII) avant de prononcer la réprobation du sacerdoce antique, il avait eu soin de parler de l'immortalité du nouveau pontife, à qui ensuite il attribuait cette haute prérogative que « par lui « nous approchons de Dieu». Ici, ce n'est qu'après nous avoir élevés jusqu'aux cieux, après nous avoir montré que le ciel remplace pour nous le temple, et que le lévitisme ne possédait que les figures de nos saintes réalités; c'est après avoir ainsi relevé le culte nouveau qu'à bon droit dès lors il relève aussi le sacerdoce. — Mais, je l’ai dit, il établit spécialement ce qui doit causer aux Hébreux une joie incomparable, à savoir : « Que notre alliance repose sur des promesses meilleures». Et qui le prouve? Ce fait même que l'antique alliance est rejetée, et qu'une autre est introduite à sa place. Si désormais celle-ci a l'empire, c'est parce qu'elle est meilleure; car de même qu'il disait : Si par le sacerdoce lévitique la perfection était atteinte, pourquoi y a-t-il eu besoin qu'un autre prêtre se levât selon l'ordre de Melchisédech; ainsi employant ici le même argument, il dit

« Car s'il n'y avait rien de défectueux dans la première alliance, il n'y aurait pas lieu d'en « substituer une seconde. Et cependant Dieu leur adresse une parole de blâme (7, 8) », c'est-à-dire, si l'alliance n'avait pas eu quelque défaut, si elle avait délivré les hommes de tout péché. Car pour vous convaincre que tel est le sens de ces paroles, écoutez la suite : « Leur adressant un blâme », aux juifs, non à l'alliance, le Seigneur dit : « Il viendra un temps où je ferai une nouvelle alliance avec la maison d'Israël et la maison de Juda. Non selon l'alliance que j'ai faite avec leurs pères au jour où je les ai pris par la main pour les faire sortir d'Égypte; car ils ne sont point demeurés dans cette alliance que j'avais faite avec eux, et c'est pourquoi je les ai méprisés, dit le Seigneur ». Soit, dira-t-on ; et où est la preuve que cette alliance soit finie? Il l'a déjà fait voir par le prêtre; ruais maintenant, il démontre plus clairement et en termes exprès, qu'elle est rejetée. Comment? «Par des promesses meilleures». Où est, en effet, je vous prie, l'égalité entre le ciel et la terre? Considérez ce terme : Meilleures promesses; il est mis pour calmer les susceptibilités. Il a dit plus haut dans la même intention : «Par cette espérance nous approchons de Dieu, espérance meilleure», dit-il. (Héb. VII, 19.) En effet, dire meilleures promesses, meilleure espérance, c'est donner à entendre que l'ancienne alliance avait déjà ses promesses et son espérance. Mais ce peuple l'accusant toujours : « Voici », ajoute-t-il , « voici que des jours viendront, dit le Seigneur, où je consommerai une alliance nouvelle avec la maison d'Israël et la maison de Juda ». Il ne s'agit pas d'une ancienne alliance quelconque; car, pour qu'on ne pût s'y tromper, il a marqué la date même. Il ne dit pas absolument : Non pas selon l'alliance que j'ai faite avec leurs pères, parce que vous auriez pu répondre qu'il s'agit de celle que Dieu fit avec Abraham ou même avec Noé. Laquelle désigne-t-il donc? Écoutez : « Non pas selon l'alliance que j'ai faite avec leurs pères qui assistaient à la sortie »; et Dieu même ajoute : « En ce jour où je les pris par la main pour les tirer de la terre d'Égypte; car ils ne sont point demeurés dans cette alliance que j'ai faite avec eux, et c'est pourquoi je les ai méprisés, dit le Seigneur ». Voyez-vous que le mal commence par nous? Ce sont eux qui n'ont point persévéré, dit-il; ainsi la négligence est notre fait. Le bien, je veux dire tous les bienfaits, viennent de Dieu. Ici, il semble lui-même faire son apologie, et il dit pour quelle raison il les abandonne.

8. «Mais voici l'alliance que je ferai avec la maison d'Israël, après que ce temps-là sera venu, dit le Seigneur; j'imprimerai mes lois dans leur esprit et je les écrirai dans leur coeur, et je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple (10) ». Dieu parle évidemment de la nouvelle alliance, puisqu'il a dit : Ce n'est plus selon l'alliance que j'ai faite jadis. Telle est la grande différence des deux alliances; la dernière est écrite dans les coeurs. La différence n'est pas tant dans les commandements que dans la manière de les donner et de les graver. « Mon alliance ne sera plus écrite en lettres», dit-il, « mais dans les coeurs ». Que le juif nous montre la réalisation de cette prophétie à une époque quelconque; mais non, il ne la trouvera pas, car ]aloi fut de nouveau reproduite en caractères écrits après le retour de la captivité de Babylone. Moi, au contraire, je leur montre que les apôtres n'ont rien reçu par écrit, mais que l'Esprit-Saint a gravé tout dans leur coeur. Aussi Jésus-Christ disait-il : « Quand il sera venu, il vous remettra toutes choses en mémoire et vous enseignera ».

« Et chacun d'eux n'aura plus besoin d'enseigner son prochain et son frère, en disant : Connaissez le Seigneur; parce que tous me connaîtront, depuis le plus petit jusqu'au plus grand; (516) car je leur pardonnerai leurs iniquités, et je ne me souviendrai plus de leurs péchés ( 11, 12) ». Voici un autre signe : Du petit au grand, dit-il, on me connaîtra; on ne dira plus : Connaissez le Seigneur. Quand donc s'est réalisée cette prédiction, sinon maintenant? car notre grande révélation chrétienne a éclaté partout; et la leur, loin d'être ainsi manifeste, est enfermée dans un étroit recoin. On dit qu'une chose est nouvelle, quand elle est tout autre, ou quand elle montre ce que n'avait pas celle qui l'a précédée. Une chose encore devient nouvelle quand on en retranche une forte partie sans toucher au reste. Par exemple, que quelqu'un répare une maison qui menace ruine, et que sans touchera l'ensemble de la construction, il en refasse les fondations, nous dirons aussitôt Il a fait une maison neuve, parce qu'il a enlevé certaines parties qu'il a remplacées par d'autres. Nous disons aussi que le ciel est nouveau, quand, cessant d'être d'airain, il nous verse la pluie; ainsi encore parlons-nous d'une terre qui cesse d'être stérile, sans avoir été changée autrement; ainsi appelons-nous édifice rieur celui dont on retire certaines parties en respectant les autres. Saint Paul a donc eu raison d'appeler nouvelle notre alliance, pour montrer que la précédente a vieilli, étant devenue absolument inféconde. Pour vous en convaincre, lisez les reproches d'Aggée, de Zacharie, de l'ange; lisez spécialement les griefs d'Esdras contre le peuple, comment il fut reçu, lorsqu'ils étaient transgresseurs, et qu'ils ne s'en doutaient même pas. — Voyez-vous comment votre alliance a été violée et supprimée, comment l'a mienne mérite à bon droit le titre de nouvelle?

Je n'admets pas d'ailleurs que ce texte : «Il y aura un ciel nouveau » (Isaïe, LXV, 17), ait été dit dans le sens indiqué tout à l'heure. En effet, lorsque Dieu, dans le Deutéronome, annonce que le ciel serait d'airain, il n'a pas ajouté cette antithèse : Si au contraire vous obéissez, le ciel sera nouveau; mais il déclare que c'est parce que les juifs n'ont point gardé la première alliance qu'il en donnera une nouvelle. Je la prouve par ces paroles de l'apôtre lui-même : « Car ce qui était impossible à la loi, qui était affaiblie parla chair»; et ailleurs : « Pourquoi tentez-vous Dieu, en imposant sur le cou des disciples un joug que ni nos pères, ni nous-mêmes n'avons pu porter?» (Rom. VIII, 3; Act. XV, 10 ) Puisqu'ils n'ont pas persévéré, dit-il. Ceci montre que nous sommes honorés de faveurs plus grandes et plus spirituelles. « Car », dit-il, « leur voix a retenti par toute la terre, et leurs paroles jusqu'aux extrémités du monde ». C'est l'explication du texte : « Chacun ne dira plus à soit prochain : Connaissez le Seigneur», et ailleurs: «La terre sera remplie de la connaissance du Seigneur, comme la mer jadis l'a couverte de ses flots» : (Habac. II, 14.)

« Or, en appelant cette alliance une alliance nouvelle, il a mis la première au rang des choses « vieillies et passées. Or, ce qui passe et vieillit, est proche de sa fin (13) » . Voyez comme il a dévoilé ce qu'il a de plus caché, la pensée même du Prophète. Il a honoré la loi, et n'a pas voulu t'appeler vieille en toutes lettres; mais il a dit qu'elle l'était cependant. Car si elle était nouvelle, il ne donnerait pas cette qualification de nouvelle à la nôtre. Ainsi Dieu donnant davantage, dit-il, par là même a mis la précédente alliance au rang des choses antiques. Donc elle se dissout et s'éteint, elle n'est déjà plus. Encouragé par le Prophète, il poursuit utilement ce thème, montrant que notre religion est florissante, par cela seul que l'autre alliance est usée. Prenant ensuite ce terme de chose antique, il en ajoute un autre encore, celui de chose vieillie, et le coup de grâce se déduit aussitôt des qualifications susdites : « Elle est », dit-il, « proche de sa fin ». Ce n'est donc pas, à proprement parler, la nouvelle alliance qui a détruit l'ancienne; c'est que celle-ci vieillit, c'est qu'elle est devenue inutile. Voilà pourquoi il disait: A raison de son impuissance et de son inutilité; et encore : La loi n'a rien mené à la perfection; et : Si la première alliance avait été sans défaut, on ne chercherait pas la place d'une seconde. Qu'est-ce qu'être sans défaut? C'est être utile, puissant. Il parle ainsi , non que la loi doive être accusée positivement; mais, la voyant insuffisante, il s'exprime plus simple; ment, comme si l'on disait : Votre maison n'est pas sans défaut; c'est-à-dire, elle a quelque vice de construction; elle n'est c'est-à-dire, ferme ni solide; votre vêtement n'est pas sans défaut; c'est-à-dire il s'en va. Il ne dit donc pas que l'alliance antique fut mauvaise, mais qu'elle laissait prise au blâme, aux accusations.

4. Ainsi nous sommes nouveaux,ou plutôt,nous l'avons été, car maintenant nous avons vieilli, et partant nous sommes près de la mort. Toutefois,, si nous le voulons, nous pouvons conjurer, réparer cette caducité honteuse. Nous ne le pouvons plus par le baptême, mais nous le pouvons par la pénitence. Si nous avons quelque symptôme de vieillesse , rejetons-le ; si déjà nous comptons quelque ride, quelque tache, quelque souillure, sachons tout effacer et recouvrons notre beauté première, afin que le Roi nous aime dans cette beauté renouvelée. Bien, que tombés peut-être dans une laideur extrême, il nous est permis de retrouver ce charmé et cette grâce dont parle ainsi David : « Ecoutez, ô ma fille, voyez, prêtez l'oreille, oubliez votre peuple et la maison de votre père, et le roi sera épris dé votre beauté». Ce n'est pas l'oubli qui fait la beauté de l'âme. Quel oubli est donc ici désigné? L'oubli des péchés. Car le Prophète s'adresse à l'Eglise appelée du milieu des nations païennes, et lui conseille de ne pas se souvenir de ses pères, de ceux sans doute qui sacrifiaient aux idoles; c'est parmi eux, en effet, qu'elle a été choisie. Et il ne lui dit pas: N'en approchez point; mais ce qui est bien autrement fort : N'en concevez plus même la pensée! Ce qui s'accorde avec cet autre passage : « Je ne me souviendrai plus même de leurs noms sur mes lèvres »; et ailleurs . « Puisse ma bouche ne pas parler des rouvres de ces hommes ! » (Ps. XV, 4 et XVI, 4.) Ceci n'est pas, encore d'une grande vertu, ou plutôt c'est une vertu déjà grande, mais non parfaite. Car que dit-il ici? Il ne s'arrête pas à cet avis : Ne parlez pas le langage de vos pères; il (517) poursuit : Ne leur gardez pas même un souvenir, n'en conservez pas même l'idée. Vous voyez à quelle distance il veut nous éloigner du Vice, En effet, qui ne se souvient plus d'une chose, n'y pense pas; qui n'y pense pas, n'en parle pas; qui n'en parle pas, est bien loin de la commettre. Comprenez-vous combien d'étapes il jette entre nous et le péché, combien de haltes, d'intervalles, doivent nous en éloigner ?

Ecoutons donc, nous aussi; oublions nos maux, et non pourtant les péchés que nous avons commis. Car, souvenez-vous-en le premier, dit le Seigneur, et moi, je ne m'en souviendrai plus. Prenons un exemple : Loin d'avoir un souvenir de vol, rendons le bien volé. C'est oublier le vice que de chasser ainsi toute pensée de rapacité sans jamais plus l'accueillir, ayant même souci d'effacer la trace de nos péchés.

Mais comment ainsi oublier le mal? Par le souvenir des bienfaits de Dieu. Si nous avions constamment mémoire de ce grand Dieu, nous pourrions aussi nous rappeler ses bontés. « Heureux », dit le Prophète, « si je me suis souvenu de vous sur ma couche même, si je méditais alors sur vous dès le matin ! » (Ps. LXII, 7.) Car toujours sans doute il faut se souvenir de Dieu, mais plus que jamais il le faut à l'heure où notre pensée est dans le silence et le calme, à l'heure où par ce souvenir elle peut se condamner, à l'heure où la mémoire est plus fidèle. Quand ce souvenir nous revient pendant le jour, bientôt d'autres soucis tumultueux chassent la bonne pensée. Durant la nuit, au contraire, nous pouvons nous souvenir toujours, dès que notre âme jouit de la tranquillité, du repos, qu'elle est au port et dans une atmosphère sereine. « Ce que vous dites dans vos coeurs », ajoute le Prophète, « repassez-le avec amertume dans votre lit ». (Ps. IV, 5.) Il faudrait sans doute, même durant le jour; conserver ces souvenirs; mais parce qu'alors vous êtes sans cesse inquiets et distraits par les affaires de la vie présente, au moins alors et dans votre lit, souvenez-vous de Dieu et méditez sur lui dès les heures matinales. Si telle est, dès le matin, notre Cation, nous irons ensuite à nos affaires avec une sécurité heureuse; si par la prière tout d'abord nous gagnons l'amitié de Dieu, nous marcherons dès lors sans rencontrer d'ennemi, ou, s'il s'en présente, nous en rirons, ayant Dieu pour nous. La guerre est sur la place publique, les embarras de chaque jour sont autant de combats, de vagues, de tempêtes. Nous avons besoin d'armes; les prières sont des armes puissantes. C'est quand les vents sont favorables qu'il faut tout étudier, pour que la longue journée s'achève sans naufrage ni blessure; car chaque jour voit surgir de nombreux écueils, et trop souvent contre eux la barque se brise et s'engloutit.

Voilà pourquoi nous avons besoin de prière , surtout le matin et le soir. Plusieurs d'entre vous souvent ont vu les jeux Olympiques; et non contents d'en être témoins, se sont portés fauteurs et admirateurs de ceux qui concourent, prenant parti l'un pour celui-ci, l'autre pour celui-là. Vous savez que pendant ces jours et ces nuits de combats, le héraut n'a toute la nuit même qu'une pensée, qu'un souci, c'est qu'aucun des combattants ne se conduise d'une manière indigne. Ceux qui patronnent un joueur de trompette, lui conseillent de ne dire mot à qui que ce soit, de peur d'épuiser son haleine et de prêter à rire. Si donc celui qui va lutter en face des hommes y met un soin pareil, bien plus convient-il que nous soyons constamment sur nos gardes et toujours réfléchis, nous dont la vie entière est nu combat. Que la nuit donc tout entière soit pour nous une longue veille, une continuelle précaution, de peur que nos démarches de la journée ne prêtent au ridicule; et plut à Dieu que nous ne fussions jamais que ridicules !

Or sachons qu'à la droite du Père siège le Juge du combat; il écoute attentivement s'il nous échappera quelque accent discordant et qui blesse l'harmonie, car il n'est pas seulement juge des faits, mais aussi dés paroles. Veillons toute la nuit, ô bien-aimés frères, et nous aussi, si nous voulons, nous aurons des partisans. Près de chacun de nous siége un ange, tandis que nous dormons profondément toute la nuit. Et encore si nous ne faisions que dormir; mais plusieurs alors commettent des turpitudes; les uns courent aux mauvais lieux; les autres prostituent leurs maisons mêmes, en y admettant des courtisanes. Je me tais : car ceux-là n'ont aucun souci de bien combattre. D'autres s'abandonnent à l'ivresse et aux grossières conversations; d'autres aiment le bruit et le trouble; d'autres passent toute la nuit dans une veille criminelle et méditent contre ceux qui dorment des complots détestables; d'autres comptent leurs profits usuraires; d'autres sont rongés de soucis et font tout excepté ce qui convient au bon combat. Aussi je vous prie d'abandonner toute pensée semblable et de d'avoir qu'un but, c'est de recevoir la récompense, d'ambitionner pour nos fronts la couronne, de tout faire enfin pour pouvoir atteindre les biens promis. Puisse-t-il nous être donné d'en jouir par la grâce et bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ!

HOMÉLIE XV. CETTE PREMIÈRE ALLIANCE A EU DES LOIS ET DES RÈGLEMENTS TOUCHANT LE CULTE DE DIEU, ET UN SANCTUAIRE TERRESTRE. (IX, JUSQU'A 15.)


Analyse.



1 et 2. Rappel, en quelques mots, des rites anciens : le tabernacle, l'arche et toua les objets qu'on y gardait, accusaient les Juifs. — Sacrifice unique et sanglant par le seul grand prêtre, et son entrée alors, une fois par an, dans le Saint des Saints image du sacrifice unique et sanglant de Jésus-Christ, et de son entrée définitive au ciel.

3 et 4. Mal du péché en général ; il le compare au cadavre empesté. —Mal de l'avarice, qui se place au-dessous de la prostitution même : détails navrants. — Mal du rire insensé, qui va se moquer de cette doctrine. — Jésus-Christ n'a jamais ri. — Mal spécial du rire dans l'église. — Objurgation spéciale aux femmes.



1. Il a montré par le prêtre, par le sacerdoce, par l'alliance même la fin certaine de celle-ci; il va la prouver enfin par la figure du tabernacle lui-même. Comment? en y distinguant le Saint, et le Saint des Saints. Le Saint contenait les symboles et les signes de la période précédente, puisque tout s'y faisait par divers sacrifices. Le Saint des Saints, au contraire, appartient à notre époque. D'après saint Paul, le Saint des Saints marque à la fois le ciel, le voile du ciel, la chair du Christ qui entre par-delà ce voile, du Christ qui pénètre là par le voile de sa chair. Mais il est à propos de reprendre ce sujet de plus haut. Que dit-il donc?

« La première eut aussi... » Qu'est-ce à dire , la première? La première alliance. « Ses règlements « de culte ». Règlements, qu'est-ce? Des symboles ou des rites; comme s'il disait : Elle les a eus autrefois, elle ne les a plus. Il montre que déjà une alliance a supplanté l'autre : elle eut alors, dit-il. Aussi maintenant, quoique debout encore, elle n’est plus; elle eut aussi « un sanctuaire du siècle », c'est-à-dire, séculier, mondain, parce que tous les hommes pouvaient y pénétrer; il y avait un lieu ouvert et commun à tous dans le temple où se voyaient prêtres et simples juifs, prosélytes mêmes, gentils et nazaréens. Et parce que l'entrée en était libre même aux nations étrangères, il l'appelle « mondain », car les juifs n'étaient pas le monde.

« Car dans le tabernacle qui fut dressé, il y avait une première partie où étaient le chandelier, la table et les pains de proposition, et cette partie s'appelait le Saint ».Voilà les symboles d u monde. « Après le second voile... » Il y avait donc plus d'un voile; du côté du dehors, en effet, il y en avait un premier... Après le second voile était « le tabernacle qu'on appelle le Saint des Saints ». Vous voyez qu'il l'appelle un tabernacle, une tente, parce qu'on ne fait qu'y passer comme dans une tente; « où il y avait», dit-il, « un encensoir d'or, et l'arche de l'alliance toute couverte d'or, dans laquelle était une urne pleine de manne, la verge d'Aaron qui avait fleuri et les tables de la loi (4) ». Autant de témoignages éclatants de l'ingratitude des juifs. Ainsi les « tables de la loi » rappelaient que Moïse les avait brisées; « la manne » déposée dans une urne d'or, qu'ils avaient murmuré; « la verge d'Aaron », qu'ils s'étaient révoltés. Les juifs , ingrats et oublieux de si nombreux bienfaits, durent placer ces objets dans l'arche par ordre du législateur , et transmettre ainsi à la postérité le souvenir dé leurs méfaits. « Au-dessus de l'arche, des chérubins de gloire couvraient le propitiatoire (5) ». Qu'est-ce à dire, chérubins de gloire? Comprenez : glorieux , ou bien qui sous Dieu même couvrent le propitiatoire. Saint Paul devait ainsi faire ressortir et exalter ces détails, pour montrer que ce qui va suivre est plus grand encore. « Mais ce n'est pas ici le lieu d'étudier une à une toutes ces choses ». Ceci nous fait comprendre qu'il y avait là non-seulement ce qu'on voyait, mais encore du mystère. De toutes ces choses, dit-il, nous ne devons pas parler en détail, peut-être parce qu'elles exigeraient un long discours.

«Or, ces choses étant ainsi disposées,les prêtres entraient à toute heure dans le premier tabernacle, pour y remplir les fonctions du sacrifice (6) ». Comprenez : tout cela existait, mais les simples juifs n'en jouissaient pas, ils ne pouvaient même y plonger la vue. Aussi, ces choses n'étaient pas tant à eux qu'à nous, pour qui ces objets étaient des figures prophétiques.

« Mais dans le second tabernacle, seul, une seule fois dans l'année le pontife entrait, non sans y porter du sang qu'il devait offrir pour lui-même et pour les ignorances du peuple (7) ». Voyez-vous comment les figures ont été comme des pierres d'attente posées d'avance pour l'avenir? L'Apôtre prévient cette objection : Pourquoi un sacrifice unique? pourquoi le grand Pontife n'a-t-il offert qu'une seule fois? Il montre que cet usage datait de loin, et que le sacrifice le plus saint, le plus redoutable était unique. C'était l'antique usage que le grand prêtre n'offrit qu'une fois. Et il ajoute avec raison : « Non sans porter du sang »; il y avait du sang, à la vérité, mais ce n'était pas, celui-là, le sang divin. Le sacrifice d'alors n'avait pas cette importance. Ceci figure le sacrifice à venir que le feu ne doit pas constituer, mais qui s'accomplit surtout par le sang. Car ayant appelé sacrifice le crucifiement, où l'on ne vit ni flamme, ni bûcher, mais seulement une immolation sanglante, il montre que cet antique sacrifice avait un (519) semblable caractère: il se réduisait à cette oblation sanglante et unique... — « Qu'il devait offrir pour lui-même et pour les ignorances du peuple ». Il ne dit pas, remarquez-le, pour les péchés, mais pour les ignorances, afin d'abaisser leur orgueil. En effet, il se peut que vous n'ayez pas péché de plein gré; mais, malgré vous, l'ignorance vous a entraînés; personne n'est pur à ce titre. Et partout il fait ressortir qu'il offre « pour lui », pour montrer ainsi que Jésus-Christ est tout autrement saint et grand que le pontife dont se glorifiaient les juifs. Si celui-ci avait été séparé des pécheurs et du péché, comment -aurait-il offert pour lui-même? Où tend alors, bienheureux Paul, votre réflexion? à faire entendre que d'être exempt de péché devait être le privilège d'un pontife plus grand, de celui que je veux maintenant vous faire contempler.

« Le Saint-Esprit nous montrant par là que la voie du sanctuaire n'était pas encore découverte, pendant que le premier tabernacle existait (8) ». La raison de tout cet arrangement, nous dit-il , était de nous instruire que l'entrée du Saint des Saints, c'est-à-dire du ciel , n'était pas encore ouverte. Voici ce que cela voulait dire : De ce que vous ne pénétrez pas encore dans le ciel, n'allez pas en nier l'existence; car avez-vous même l'entrée du sanctuaire terrestre?

2. « Et cela même n'était qu'une figure pour un temps d'un instant (9) ». Qu'appelle-t-il temps d'un instant? Celui qui précède l'avènement de Jésus-Christ; car après l'arrivée du Sauveur, il n'y a plus temps d'un instant. Comment y en aurait-il, puisqu'il est la consommation et la fin des temps? « C'est donc une image » ; autrement dit, « c'est une figure pour un temps d'un instant, pendant lequel on offrait des dons et des victimes qui ne pouvaient rendre parfaits selon la conscience, les serviteurs de Dieu ». Vous voyez ici la claire explication des paroles qu'il a précédemment écrites: « La loi n'a rien mené à perfection » ; et encore : « Si la première alliance avait été sans reproche ». — « Selon la conscience », qu'est-ce à dire? C'est que les sacrifices d'alors ne détruisaient pas les souillures de l'âme, mais ils n'atteignaient que le corps: « Selon la loi d'un précepte charnel ». (Hébr. VII, 16.) Ils ne pouvaient remettre l'adultère, le meurtre, le sacrilège. Lisez plutôt ces règlements : Mangez ou ne mangez pas telles ou telles choses; autant d'objets indifférents. « Ce culte ne consistait qu'en des viandes et des breuvages et en diverses ablutions (10) ». Buvez ceci, dit-il , bien qu'il n'y eût dans la loi aucune prescription sur le boire ; mais son but est de montrer la grossièreté de ces prescriptions. — « En diverses prescriptions charnelles, imposées jusqu'à une époque d'amendement ». En effet, c'était une justice purement charnelle. L'Apôtre renverse ces sacrifices, qu'il montre avoir été sans vertu aucune, et imposés jusqu'à une époque d'amendement, c'est-à-dire, pour attendre le temps qui devait amender et corriger toutes choses.

« Mais Jésus-Christ s'étant présenté comme pontife des biens futurs, est entré par un tabernacle plus grand et plus parfait, qui n'a point été fait de main d'homme (11) ». Il désigne sa chair; et il a raison d'appeler ce tabernacle plus grand et plus parfait, puisque le Dieu Verbe, ainsi que toute la vertu de l'Esprit, habite en lui : « Car Dieu ne lui donne pas son Esprit avec épargne et mesure »; ou bien encore; il est plus parfait, en ce sens que le blâme ne tomba jamais sur cette sainte humanité, et qu'elle accomplit largement les plus hautes vertus. « Tabernacle qui n'est point de cette création », et c'est en ce sens qu'il est plus grand que l'ancien. Il n'aurait pas été conçu de l'Esprit, si un homme l'avait construit. Il n'est pas non plus de cette création, en ce sens qu'il n'est pas composé die ces éléments créés que nous voyons, mais tout spirituel; en effet, c'est l'Esprit-Saint même qui l'a construit. Voyez-vous comme ce corps sacré est appelé par l'apôtre, tabernacle,voilé, ciel? « Par un tabernacle plus grand et plus parfait » ; et plus bas : « Par le voile, c'est-à-dire par sa chair » ; et encore : « Jusqu'au dedans du voile »; et ailleurs : « Entrant dans le Saint des Saints, pour paraître devant la face de Dieu ». (Hébr. VI19.) Pourquoi ce langage de l'Apôtre ? Pour nous apprendre qu'une même expression peut avoir deux sens, un sens littéral et un sens allégorique. Ainsi le ciel est un voile, parce qu'il cache le Saint; il en est de même de la chair de Jésus que nous dérobe sa divinité, et. cette chair qui possède la divinité est en même temps un tabernacle; le ciel est encore un tabernacle, puisque le pontife y réside. — «Or, Jésus-Christ», dit-il ,« s'étant présenté comme le pontife ». — Il ne dit pas : Etant devenu, mais s'étant présenté , c'est-à-dire étant venu de lui-même pour cette fonction, sans succéder à personne. Et quand il s'est présenté, il n'a pas été fait pontife; il est venu avec le pontificat. Et il ne dit pas qu'il soit venu comme pontife des sacrifices, mais comme pontife des biens futurs; son discours, ici, semble impuissant à tout dire.

« Et il est entré non avec le sang des boucs et des veaux ». Tout est changé; « mais c'est avec son propre sang qu'il â pénétré une fois dans le sanctuaire », c'est le ciel qu'il nomme ainsi ; « ayant trouvé ainsi pour nous une rédemption « éternelle (12)». Ce mot « trouvé » exprime un de ces mystères profonds, inattendus; on demande comment par une seule entrée, il a trouvé une rédemption éternelle. L'Apôtre poursuit et nous donne les motifs de croire, à ce mystère. « Car si le sang des boucs et des taureaux et l'aspersion de l'eau mêlée avec la cendre d'une génisse sanctifie ceux qui ont été souillés, en leur donnant une pureté extérieure et charnelle, combien plus le sang de Jésus-Christ, qui par le Saint-Esprit s'est offert lui-même à Dieu comme une victime sans tache, purifiera-t-il notre conscience des oeuvres mortes pour nous faire rendre un vrai culte au Dieu vivant (13, 14)? » Car, dit-il, si le sang du taureau peut purifier la chair, bien plus le sang de Jésus-Christ purifiera-t-il les souillures de l'âme. Et quand vous entendez dire : « Sanctifie», n'allez pas croire à un effet merveilleux. L'apôtre prévient votre erreur, en remarquant et démontrant quelle différence existe entre les deux (520) sanctifications, et comment l'une est sublime, l’autre grossière; et il est bien juste, selon lui, qu'il en soit ainsi, puisque, d'un côté est le sang du taureau, et de l'autre le sang de Jésus-Christ. Et il ne se contente pas d'une différence de nom ; il établit aussi la manière d'offrir : « Lui», dit-il, « s'est offert à Dieu, par le Saint-Esprit, comme une victime sans tache » . Victime sans tache signifie pure de tout péché. Et l'expression « par le Saint-Esprit », veut dire : Non par le feu, ni par tout autre intermédiaire. Ce sang, dit-il, « purifiera notre conscience des oeuvres mortes ». — « Oeuvres mortes », est une locution très-juste; car, chez les juifs, si quelqu'un touchait un mort, il devenait impur; et chez nous toucher une oeuvre morte, c'est souiller sa conscience. « Pour nous faire rendre un vrai culte au Dieu vivant et véritable », ajoute-t-il. Il montre ici qu'il est impossible que celui qui a des oeuvres mortes, serve un Dieu vivant et véritable. Réflexion très-vraie, et qui nous montre le caractère des offrandes que nous devons faire à Dieu : oui, celles que nous présentons, sont vivantes et véritables; celles qui viennent des juifs, sont mortes et fausses: tout cela est conséquent.

3. Que nul donc n'entre au saint lieu avec des œuvres mortes. Si l'entrée en était interdite à celui qui touchait un cadavre, bien plus l'est-elle à celui qui a des oeuvres mortes; car c'est la souillure la plus honteuse. Or, j'appelle oeuvres mortes, toutes celles qui n'ont point la vie, qui déjà exhalent une odeur infecte. De même en effet qu'un cadavre, loin de flatter nos sens, incommode quiconque s'en approche; ainsi le péché frappe et atteint notre intelligence même, enlève à notre âme tout son repos, y jette le trouble et le bouleversement. On dit que la peste a la malheureuse vertu de corrompre les corps : tel est aussi le péché. Peste affreuse et trop vraie, il ne corrompt pas l'air d'abord, et les corps ensuite, mais il attaque aussitôt l'âme elle-même. Ne voyez-vous pas comme les victimes de la peste souffrent, s'agitent, se roulent, sont brûlées vives,exhalent une odeur repoussante, offrent un aspect révoltant, sont immondes enfin dans tout leur être? Telles sont, sans le savoir, les victimes du péché.

Car, dites-moi, n'est-il pas plus misérable qu'un fiévreux, celui qui est épris d'amour pour l'argent ou pour la chair? n'est-il pas plus immonde que les pestiférés, celui qui commet ou qui subit toutes les bontés? Se peut-il un être plus hideux que l'homme captif de l'avarice? Les courtisanes, les comédiennes ne tiennent pas une conduite plus abjecte que lui. Je crois même qu'il va plus loin qu'elles dans la honte. Il subit des traitements d'esclave, tantôt. s'abaissant à des flatteries sans nom, et tantôt audacieux et fier à l'excès; mais toujours inégal. Souvent des scélérats, des escrocs, corrompus et abjects , incomparablement plus pauvres, d'une moindre condition que lui, le voient cependant assis à leurs côtés, comme un vil courtisan, tandis que les gens d'honneur et de vertu n'auront que ses insultés, ses outrages; ses insolences. Vous le voyez, du reste, dans les deux cas, impudent et insolent, tour à tour bas à l'excès et arrogant outre mesure. La femme perdue, elle, se tient enfermée; son crime est de trafiquer de son corps à prix d'argent. Mais elle a une certaine excuse dans la pauvreté et la faim; bien que cette excuse soit insuffisante, puisqu'elle pourrait se nourrir en travaillant. L'avare, au contraire, ne reste point chez lui; il se montre au milieu de la cité, prostituant non pas son corps, mais son âme au démon qui en abuse comme d'une prostituée, et ne la laisse qu'après en avoir joui ; et cela non en présence de deux ou de trois témoins, mais de tout une ville.

La prostituée s'abandonne à qui la paye; esclave, homme libre, gladiateur, quiconque vient avec de l'argent est bien reçu; mais sans cet or maudit, l'homme le plus riche et le plus noble n'est point admis. Ainsi fait l'avare : les meilleures pensées, quand l'or n'est pas au bout, sont rejetées; mais il embrasse pour de l'argent les plus criminelles et les plus impies, il leur sacrifie la beauté de son âme. La fille de joie est par nature laide, noire, grossière, épaisse, sans grâce ni beauté, hideuse : ainsi devient l'âme cupide, dont la laideur ne pourrait se cacher, même sous une couche et un enduit de fard. Une fois parvenue à cette laideur extrême, quelque moyen qu'il imagine, il ne peut la couvrir.

Que l'impudence fait la prostituée, le Prophète même le déclare : « Vous êtes devenue impudente à la face de tous; vous avez un front de prostituée ». (Jérém. III, 3.) Pareille apostrophe pourrait s'adresser aux avares : vous êtes devenu impudent à la face de tous; non de tels ou de tels, mais de tous.. Comment ? C'est que père, fils, épouse, ami, frère, bienfaiteur, personne n'est respecté par un être ainsi déchu. Et que parlé-je d'ami, de frère ou de père ? Il ne respecte plus Dieu lui-même; tout ce qu'on en dit lui semble des fables; affolé par son ivresse, il rit de tout, et ses oreilles se refusent à admettre une parole utile, Au contraire, ô absurdité ! Quel est le langage de l'avare : Malheur à vous, argent, et à ceux qui ne vous possèdent pas ! Oh ! plutôt malheur à ceux qui parlent ainsi, quand même ils parleraient en riant ! Car, dites-moi; est-ce que Dieu n'a pas fait la terrible menace que vous savez : « Vous ne pouvez servir deux maîtres à la fois?» (Matth. vi, 24.) Vous croyez réduire cette menace à néant, en prononçant ces blasphèmes, mais malheur à vous ! Paul n'a-t-il pas déclaré que l'avarice est une idolâtrie et l'avare un idolâtre?

4. Mais vous, par ce rire hardi, vous imitez les femmes insensées et mondaines, et comme celles mêmes qui paraissent sur les planches des théâtres, vous essayez de faire rire les autres. Voilà le renversement, voilà la destruction de tout bien. Nos affaires sérieuses deviennent des sujets de rire, de plaisanteries et de jeux de mots. Rien de ferme, rien de grave dans notre conduite. Je ne parle pas ici seulement aux séculiers; je sais ceux que j'ai encore en vue; car l'Eglise même s'est remplie de rires insensés. Que quelqu'un prononce un mot plaisant, le rire aussitôt parait sur les lèvres des assistants ; (521) et chose étonnante, plusieurs continuent de rire même jusque pendant le temps des prières publiques. Le démon partout dirige ce triste concert, il pénètre dans tout, il exerce sur tous son empire. Jésus-Christ est méprisé, il est chassé; l'église est regardée comme un lieu profane. N'entendez-vous pas saint Paul s'écrier : « Que toute honte, toute sottise de langage, toute bouffonnerie soit bannie du milieu de vous ». Il place ainsi la bouffonnerie au même rang que les turpitudes. Et vous riez toutefois ! Qu'est-ce que la sottise de langage? C'est dire ce qui n'a rien d'utile. Mais vous riez quand même; le rire sans cesse épanouit votre visage, et vous êtes moine ?Vous faites profession d'être crucifié au monde, et vous riez ! Votre état est de pleurer, et vous riez!

Vous qui riez, dites-moi : où avez-vous vu que Jésus-Christ vous ait donné l'exemple ? Nulle part; mais souvent vous l'avez vu affligé ! En effet, à la vue de Jérusalem, il pleura; à la pensée du traître, il se troubla; sur le point de ressusciter Lazare, il versa des larmes. Et vous riez.!

Si ceux qui ne savent pas gémir sur les péchés d'autrui sont dignes de blâme, quel pardon mérite celui qui loin d'être affligé de ses fautes personnelles, ne sait que rire ?Voici le temps du deuil et. de l'affliction, le moment de châtier votre corps et de le réduire en servitude, l'heure des sueurs et des combats. Et vous riez ! Et vous ne remarquez pas comme Sara fut reprise pour ce fait ! Et vous n'entendez pas cet anathème de Jésus-Christ.: « Malheur à ceux qui rient, parce qu'ils pleureront ! » (Luc, V, 25.) Voilà pourtant ce que chaque jour vous répétez dans les saints cantiques. Car enfin, quelles paroles exprimez-vous alors, dites-moi ? Dites-vous avec le Prophète : J'ai ri ? Non ; mais que dites-vous ? « Je me suis fatigué à gémir ».

Mais peut-être il en est ici de tellement dissipés, tellement efféminés, que nos reproches les font rire encore, par cela seul que nous parlons de rire. Car le caractère de ce défaut, c'est la folie et l'hébétement d'esprit; il ne comprend pas, il ne sent pas le reproche. Le prêtre de Dieu est debout, offrant la prière universelle; et vous riez, sans pudeur aucune ! Lui tout tremblant, offre pour vous des prières; vous, vous n'avez que du mépris. N'entendez-vous donc pas celte parole de l'Ecriture : Malheur aux moqueurs ! Vous ne tremblez pas : Vous ne rentrez pas en vous-même ! Quand vous entrez dans un palais, votre allure, votre regard, voir démarche, tout votre extérieur enfin sait s'ennoblir et se composer mais ici où est le palais véritable, où tout est l'image du .ciel, vous riez ! Et pourtant, il est une assistance invisible à vos yeux, je le sais, mais réelle, entendez-le ; c'est celle des anges partout présents, mais qui surtout dans la maison de Dieu font cortége au souverain roi; tout est rempli de ces puissances spirituelles.

Mon discours s'adresse aussi aux femmes. En présence de leurs maris, elles n'osent pas sitôt se permettre un tel excès; quand elles rient alors, ce n'est pas constamment, mais à l'heure d'une honnête et nécessaire récréation : mais ici, c'est toujours ! Quoi donc, ô femme, vous mettez un voile sur votre tête, dès que vous prenez place à l'église, et vous riez ! Vous y êtes entrée avec la résolution de confesser vos péchés, de vous prosterner devant Dieu, de prier et de supplier pour les fautes que vous avez eu le malheur de commettre, et dans l'accomplissement de ces devoirs, vous riez ! Comment donc pourrez-vous apaiser votre Juge ? — Mais, dites-vous, le rire est-il donc un péché ? — Non, le rire n'est pas un péché; mais ce qui est un péché, c'est l'excès, c'est de prendre mal son temps. Le rire nous est naturel, quand par exemple nous revoyons un ami après un long temps d'absence ; ou quand, rencontrant des personnes frappées de vaines terreurs, nous voulons les rassurer et les récréer; rions alors, mais jamais jusqu'aux éclats, mais point constamment. Notre coeur a besoin de cet épanouissement pour se détendre quelquefois, mais non pour se dissiper. Les désirs de la chair sont naturels aussi; et toutefois il n'est pas nécessaire absolument d'y obéir, et moins encore d'en user avec excès; nous devons les dominer, loin de dire : c'est naturel, jouissons !

Servez Dieu avec larmes, pour pouvoir laver vos péchés. Je sais que plusieurs se moquent de nous et répètent : Les larmes ! c'est leur premier mot. C'est toujours le temps des larmes. Je sais quelles sont les maximes des hommes sensuels

Mangeons et buvons; car demain nous mourrons ». (I Cor. XV, 32.) Mais rappelez-vous cet oracle : « Vanité des vanités, et tout est vanité ». (Ecclés. I, 2.) Ce n'est pas moi qui parle ici, c'est celui-là même qui goûta de tout plaisir, c'est lui qui dit : « Je me suis bâti des maisons royales; j'ai planté pour moi des vignes. Je me suis créé des viviers et des bains; j'ai eu des serviteurs et des servantes pour me verser à boire ». (Ecclés, II, 4, 5.) Et après cette énumération, que dit-il ? « Vanité des vanités, et tout est vanité », Pleurons donc, ô mes bien-aimés, pleurons, pour que nous ayons un jour le rire vrai, la joie véritable au jour de la sainte allégresse, Car l'allégresse d'ici-bas est nécessairement mêlée de tristesse, et, l'on ne peut la trouver franche et pure. Mais l'autre sera sincère, exempte de mensonge et de déception, à l'abri de tout piège, sans mélange enfin. Il n'est, au reste, qu'un moyeu de l'acquérir ; c'est de choisir, dès cette vie, non pas ce qui nous plait, mais ce qui nous est utile; c'est de nous attrister bien peu de notre plein gré, mais de supporter avec action de grâces tout ce qui nous arrive. Ainsi pourrons-nous gagner le royaume des cieux, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ainsi soit-il.





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