12 Abib
epitre de saint Paul aux Hebreux 12:3-14
explication par saint Jean Chrysostome
« Pensez donc en vous-mêmes à celui qui a souffert une si grande contradiction des pécheurs qui se sont élevés contre lui; afin que vous ne vous découragiez pas et que vous ne tombiez point dans l'abattement (3) ». Saint Paul a bien droit de tenir ce langage. Car si les souffrances du prochain nous animent, combien plus d'ardeur et d'amour doit réveiller en nous la passion de Notre-Seigneur? Quel merveilleux effet doit-elle produire? — Et remarquez comment saint Paul, en négligeant le détail des peines du Sauveur, les résume toutes en ce mot: « Contradiction »; soufflets sur les joues, moqueries, insultes, reproches, railleries; l'apôtre ne fait qu'indiquer ces horreurs par ce mot contradiction ; et pourtant en dehors de celles-là, il y a toutes celles encore qui ont accompagné son enseignement évangélique.
Pensons, mes frères, pensons toujours à cette vie et à cette passion du Sauveur; occupons-en nos coeurs et le jour et la nuit, sachant que nous en recueillerons des fruits immenses, et des avantages inappréciables. Oh oui ! c'est une grande, c'est une ineffable consolation que les souffrances de Jésus-Christ, que celles encore de ses apôtres. Notre-Seigneur savait si bien que cette voie est la meilleure pour la vertu, que sans être obligé, lui, d'embrasser cette route, il y est entré tout d'abord; tant il regardait l'affliction comme une grâce, comme la mère d'un plus grand repos et d'une douce paix dans le monde à venir. Au reste, entendez-le : « Si quelqu'un ne porte pas sa croix et ne marche pas derrière moi, il n'est pas digne de moi ». (Matth. X, 38.) Comme s'il disait . Si tu es mon disciple, prouve que tu l'es en effet imite ton maître. Que s'il est venu par la route de l'application, tandis que tu prétends marcher par celle du repos et des loisirs, non, ce n'est plus sa voie que tu veux suivre, mais un tout autre chemin. Comment le suivre saris être sur ses traces.? Comment es-tu un disciple sans marcher derrière ton maître? Paul t'a condamné dans les mêmes termes : « Nous sommes les faibles; et vous, les forts ; nous sommes les gens méprisés ; vous, les honorés ! » ( I Cor. IV, 10.) Comment est-il raisonnable que nous suivions des directions si opposées quand vous êtes nos disciples, et que nous sommes vos maîtres? Donc la souffrance, mes frères, est une grande puissance : car elle produit ces deux grands effets, qu'elle efface nos péchés et qu'elle nous donne force et vigueur.
4. Mais n'arrive-t-il pas, direz-vous, qu'elle renverse et qu'elle ruine ? — Non, la souffrance ne (572) produit point ces malheurs; n'en accusons que notre lâcheté. Si nous sommes sobres et vigilants, si nous prions Dieu de ne pas permettre que nous soyons tentés au-delà de nos forces; si nous nous tenons toujours étroitement attachés à liai, nous serons toujours debout, nous ferons face à l'ennemi. Tant que nous aurons Dieu pour auxiliaire, en vain les tentations souffleront plus impétueuses que tous les vents à la fois, elles ne seront pour nous que pailles et feuilles légères, qu'un rien dissipe au hasard. Ecoutez la parole de Paul : « En tous ces combats nous sommes vainqueurs ». Et ailleurs : « J'estime que toutes les souffrances de ce siècle ne sont point dignes d'être comparées avec la gloire à venir qui sera manifestée en nous ». (Rom. VIII, 37 et 18.) Et ailleurs « Notre tribulation présente, légère en elle-même, et purement momentanée, nous produira un excès incroyable, un poids ineffable de gloire éternelle ». (II Cor. IV, 16.) Remarquez quels périls affreux, quels naufrages, quelles afflictions sans nombre il qualifie de maux légers. Soyez l'émule de ce coeur de diamant enveloppé d'un corps fragile et souffreteux.
Vous êtes dans la pauvreté, peut-être ! Mais non toutefois dans une misère comme celle de Paul, qui luttait avec la faim, la soif et la nudité. Car il ne souffrit point tous ces maux seulement un jour par rencontre, mais continuellement il les endura. Et la preuve? Vous la trouverez dans sa parole
« Jusqu'à ce jour nous ne cessons de subir la « faim, la soif, la nudité ». (I Cor. IV, 11.) Et cependant quelle gloire il avait déjà acquise dans la prédication, lorsqu'il était encore réduit à toujours ainsi souffrir ! car il avait dépensé vingt années déjà dans l'enseignement de l'Evangile, quand il écrivait ces mots : « Je connais », en effet, dit-il, « un homme qui fût ravi au paradis il y a quatorze ans, est-ce avec ou sans son corps, je ne sais ». (II Cor. XII, 2.) Et ailleurs : « Trois ans après je montai à Jérusalem » (Gal. I,18) ; et dans un autre passage : « Il me serait plus avantageux de mourir, que de permettre à personne d'atténuer ma gloire ». Et ce texte se lie à celui-ci : « Nous sommes devenus comme les balayures de ce monde ». (I Cor. IX, 15; IV, 13.)
Quoi de plus pénible que la faim, que le froid, que les complots imaginés même par des frères, qu'il appelle de faux frères ? N'osait-on pas l'appeler la peste du monde, un imposteur, un démolisseur ? N'était-il pas déchiré par les fouets cruels? Appliquons à ces exemples, mes frères, nos méditations, nos pensées, nos souvenirs, et jamais nous n'éprouverons de découragement, d'abattement, quand même l'injustice nous opprimerait, quand tous nos biens nous seraient volés et qu'on nous ferait subir des maux à l'infini. Qu'il nous soit donné seulement de trouver au ciel une moisson d'estime et d'honneur, et tout devient supportable. Puissions-nous faire dignement nos affaires d'outre-tombe, et celles d'ici -bas nous paraîtront sans valeur; quelles qu'elles soient, elles ne sont que des ombres et des rêves.
Car ce qu'on peut attendre ou redouter sur la terre n'a rien de sérieux ni en soi, ni dans la durée. Que voulez-vous comparer, en effet, avec ces terreurs si légitimes et si effrayantes de l'avenir; avec ce feu qui ne peut s'éteindre; avec ce ver qui ne peut mourir? Est-il un mal du siècle qui égale le grincement des dents, les chaînes, les ténèbres extérieures, les fureurs, la désolation, les angoisses de ces supplices? Mais vous comparez la durée, peut-être? — Eh ! que font dix mille ans auprès des siècles infinis et interminables ? Ce qu'est une petite goutte d'eau, n'est-ce pas, en présence du grand abîme.
Préférez-vous comparer bonheur avec bonheur? Celui du ciel est infiniment supérieur. « L'oeil de l'homme n'a point vu », dit l'Ecriture, « son oreille n'a point entendu, son coeur ne pourra jamais comprendre cette félicité souveraine ». (I Cor. II, 9.) Et sa durée se prolongera dans l'infinité des siècles. Pour elle, par conséquent, ne serait-il pas avantageux d'être mille fois déchirés vivants, tués, brûlés, de subir mille morts enfin, de supporter en paroles et en faits tout ce qu'il y a de plus rude et de plus affreux? Devrions-nous passer, si c'était possible, toute la vie présente dans les flammes dévorantes, qu'il faudrait ainsi fout accepter pour gagner les biens que Dieu nous garde.
Mais que parlé-je ainsi à des hommes qui loin de consentir à mépriser l'argent, le poursuivent et s'y attachent comme à la seule richesse immortelle, à des hommes qui, pour avoir donné quelque petite chose sur une fortune immense, croient avoir tout fait? Non, ce n'est pas là l'aumône. L'aumône vraie, c'est le fait de cette veuve qui verse tout généreusement, jusqu'à sa dernière obole. Si vous n'avez pas le coeur de donner autant qu'une pauvre veuve, donnez du moins votre superflu, gardez le nécessaire, et rien au delà : mais personne ne sait faire le sacrifice même du superflu. J'appelle superfluité ce nombreux personnel qui vous sert, ces vêtements de soie qui vous couvrent. Rien n'est moins nécessaire, rien moins utile même que ce dont nous pouvons nous passer pour vivre; voilà, oui, des superfluités, et pour le dire une fois, de véritables excès.
Voyons toutefois, s'il vous plaît, quel est l'indispensable nécessaire de la vie. Avec deux serviteurs seulement, nous pouvons vivre. Car puisque plusieurs personnes, à nos côtés, vivent sans serviteur aucun , quelle excuse avons-nous, si deux domestiques ne peuvent nous suffire? Nous pouvons très-bien nous loger dans une maison de briques, pourvu qu'elle ait trois appartements voilà le suffisant assurément. Car n'y a-t-il pas des pères de famille, ayant femme et enfants, qui se contentent d'une seule habitation ? Or, si vous le voulez absolument, on vous accorde des domestiques.
Mais, dira une grande dame, n'est-il pas honteux pour une personne d'un certain rang, de paraître en public avec deux domestiques seulement? — Arrière cette honte. Non, une femme de haut rang n'a pas à rougir de paraître avec deux domestiques seulement; mais elle devrait rougir de se montrer avec plus nombreuse escorte. Vous riez peut-être en m'écoutant ici; eh bien ! je (573) répète, sa honte devrait être de parader avec toute une escorte. Quoi! pareils à des marchands de moutons, ou à ces cabaretiers qui vendent des esclaves, vous vous feriez une espèce de gloire à paraître avec un nombreux cortège de serviteurs! Faste et vaine gloire, en vérité; lorsque la modestie, en cela, est une preuve de sagesse et d'honorabilité. Non, il ne faut pas que voire dignité se prouve par la multitude de vos suivants : où est la vertu, à posséder toute cette valetaille ? Ce n'est certes point une vertu de l'âme; et ce qui ne prouve point une âme vertueuse, ne démontre pas non plus une âme bien née. Quand une dame est contente de peu, elle prouve mieux sa dignité native; quand elle a besoin de tant d'accessoires, elle n'est qu'une servante, plus abaissée même qu'une esclave.
5. Répondez-moi? Les anges ne parcourent-ils pas notre terre habitée, seuls et sans avoir besoin de quelqu'un qui les suive ? Et, parce que nous avons ce besoin nous-mêmes, estimerons-nous inférieurs ceux qui peuvent s'en passer? S'il est donc dans la nature de l'ange de n'avoir ainsi besoin ni de laquais, ni de suivant, quelle est, parmi les femmes, celle qui se rapproche le plus de cette nature,angélique? Est-ce celle à qui tant de serviteurs sont indispensables, ou celle qui se contente d'en avoir bien peu? Et mieux que cette dernière encore, celle qui n'en a pas du tout, n'a-t-elle pas le bonheur de se montrer sans être remarquée? Etre remarquée, en effet, ne voyez-vous pas que, pour une femme, c'est une honte ? Or quelle est celle qui attire les regards de toute une place publique ? Est-ce celle qui porte une toilette brillante, ou celle qui est vêtue simplement, sans parure, sans luxe ni apprêt? Laquelle encore fait tourner de son côté tous les yeux de la foule stationnant au forum ? Est-ce celle qui se fait traîner par des mules aux housses dorées, ou bien celle qui marche sans appareil, naturellement, mais avec bienséance et distinction? Celle-ci ne passe-t-elle pas inaperçue de tous nos regards, tandis qu'on se presse pour voir l'autre, et que même on se demande : Qui est-elle ? D'où sort-elle? Ne parlons pas des jalousies qu'elle excite. Mais, dites-moi seulement : Où est la honte? Est-ce de se faire remarquer ou de passer sans être vue? Quand est-ce qu'il faut rougir davantage quand tous les yeux sont sur elle , ou quand nul ne l'aperçoit? Quand tout le monde s'informe de ce qu'elle est, ou bien quand on ne s'occupe même pas de sa personne ?
Voyez-vous comme nous faisons tout, non pour une sainte honte, mais pour la vaine gloire ? Mais, comme il est impossible de nous soustraire entièrement à ces préjugés, qu'il me suffise de vous rappeler que la honte véritable n'est pas là. Le péché ! voilà vraiment la chose honteuse , bien que personne ne l'estime ainsi, et qu'on attache plus volontiers l'idée de honte à n'importe quoi plutôt qu'au péché! Quant aux vêtements, femmes chrétiennes, ayez-en pour l'usage et non pour le superflu. Et pour ne pas vous gêner ici la conscience trop étroitement, mon avis et ma déclaration se bornent à proscrire, comme dépassant vos besoins, les parures d'or et les tissus trop fins. Et cet arrêt n'est pas de moi. Pour vous prouver qu'ici vous n'entendez pas mes paroles, écoutez saint Paul qui lui-même prononce, qui défend aux femmes de se parer avec des cheveux frisés, avec de l'or, avec des perles, avec vos vêtements précieux et magnifiques. (I Tim. II, 9.) Dites-nous alors, apôtre de Jésus-Christ, comment elles doivent se parer? Car elles sont capables de dire que les parures d'or sont seules des objets de luxe et de prix; mais que les soieries ne sont ni de prix ni de luxe. Dites-nous donc, comment voulez-vous qu'elles soient parées? — «Quand nous avons le vêtement et la nourriture, sachons-nous en contenter ». (I Tim. VI, 8.) Donc, que le vêtement soit suffisant pour nous couvrir; Dieu ne nous les a donnés que pour protéger notre nudité. Or, un vêtement peut remplir ce but, quand même il serait de nulle valeur.
Vous riez peut-être, vous qui portez des vêtements de soie : en vérité, le sujet prête à rire ! Que commande saint Paul et que faisons-nous? Car je ne m'adresse plus seulement aux femmes, mais aussi aux hommes. Tout ce que nous avons au-delà de la règle apostolique, est superflu. Les pauvres seuls ne possèdent pas de superflu ; hélas ! peut-être parce qu'ils sont forcés de s'en passer; car s'ils pouvaient s'en procurer, ils ne s'en feraient pas faute plus que les autres. Mais enfin, soit en réalité, soit en apparence et par le sort, ils n'ont pas de superflu.
Portons donc des vêtements qui remplissent simplement leur but. A quoi bon, en effet, y prodiguer l'or? Ces oripeaux conviennent aux acteurs; laissez-leur ce costume; c'est celui aussi des femmes perdues à qui tout; convient pour attirer les yeux. Qu'elle se pare, l'actrice qui va paraître sur la scène , celle encore qui est danseuse de profession; tout leur va, pour entraîner les hommes. Mais que la femme qui professe une vraie piété s'éloigne de telles parures, et qu'elle s'en réserve une autre bien plus noble et plus riche.
Oui, femme chrétienne, tu as un théâtre aussi ; pour ce théâtre , sache te parer; pour lui, revêts tout un monde d'ornements. Quel est ton théâtre ? Le ciel, avec le peuple des anges pour spectateurs, et ce peuple comprend aussi et les vierges, et les femmes du monde ou du siècle. Toute femme qui croit en Jésus-Christ paraît de droit sur ce théâtre. Parlons-y un langage digne de charmer de tels spectateurs. Revêts-toi d'ornements capables de les transporter de joie. Car, dis-moi; si une de ces actrices éhontées, renonçant à ses parures d'or, à ses vêtements somptueux, à son rire effronté , à ses paroles séduisantes et obscènes , prenait tout à coup une robe sans valeur; si elle paraissait sur les planches sans aucun éclat d'emprunt, et qu'on l'entendît parler un langage pieux, religieux , et faire une exhortation à la tempérance et à la pudeur, sans plus un mot qui fasse rougir, est-ce que toute l'assistance ne se lèverait pas d'indignation ? Un théâtre comme celui-là ne serait-il pas déserté ? ou plutôt ne chasserait-on pas cette convertie , parce qu'elle (574) ne parlerait plus la langue de ce théâtre satanique?
Eh bien ! à votre tour, si vous entrez au théâtre du ciel avec les ornements de la femme perdue, tout le céleste auditoire vous chassera. Il ne faut point là de vêtements d'or, mais d'autres, et bien différents. De quel genre, alors? De ceux dont parle le Prophète : « Elle est entourée de franges d'or, de splendides broderies » (Ps. XLIV, 14) ; il ne s'agit point de faire ressortir la blancheur et l'éclat de votre teint, mais d'orner votre âme ; car elle seule, au ciel, dispute le prix. « Toute la gloire de la fille du roi est au dedans d'elle-même », ajoute-t-il. Prenez ces vêtements glorieux, qui doivent vous affranchir d'autres peines sans nombre , mais qui en particulier délivrent un mari d'inquiétude, et vous-même de souci.
6. Une femme est d'autant plus respectable aux yeux de son mari, qu'elle sait davantage restreindre ses besoins. Car l'homme , en général , garde toujours un secret et profond mépris pour ceux qui ont besoin de lui ; s'il voit au contraire qu'il ne soit pas indispensable, il rabaisse son orgueil, et bientôt vous traite et vous honore comme un égal. Que votre mari vous voie donc, femmes chrétiennes, n'avoir pas besoin de lui et mépriser même ce qu'il offre ; aussitôt , malgré ses hautes prétentions et l'ambition dédaigneuse de son caractère, il vous respectera plus que si vous portiez des ornements d'or, et désormais vous ne serez plus sa servante , comme on l'est nécessairement, comme il faut bien être l'humble sujet de ceux dont on a trop besoin ; tandis que si l'on sait se refuser noblement le superflu, on recouvre désormais son indépendance. Qu'il sache donc, votre époux, que lorsque vous lui accordez une certaine obéissance , c'est le motif de la crainte de Dieu qui vous détermine, et non pas les dons qui partent de la main d'un mari. En effet, tant qu'il vous donne beaucoup, en vain lui rendez-vous aussi grand honneur: il croit toujours en mériter davantage ; si , au contraire, vous savez vous suffire, il vous est reconnaissant du peu même que vous lui accordez : il n'a rien à vous reprocher. D'ailleurs vous ne le forcez point à voler le bien du prochain pour la triste nécessité de vous suffire.
Sous un autre point de vue, est-il rien de plus déraisonnable que d'acheter des parures d'or, pour les souiller bientôt dans les bains et les places publiques? Encore ces folies dorées s'expliquent-elles pour ces lieux profanes des thermes ou de l'agora; mais elles sont ridicules et insensées, quand on s'en décore pour poser jusque dans l'église. Que vient-elle faire ici avec ces ornements d'or, cette femme qui doit y entrer précisément pour entendre que ni l'or, ni l'argent, ni les habits précieux n'embellissent une vraie chrétienne? Oui, femme chrétienne, pourquoi entrer ici ? Serait-ce comme pour combattre saint Paul et pour montrer que quand même il te ferait mille fois la leçon, tu refuses de te convertir? Serait-ce pour nous convaincre que, nous aussi, prédicateurs de l'assemblée sainte , nous perdons notre temps à redire ses avis?
Car, réponds-moi. Qu'un gentil ou qu'un infidèle entende lire ce passage de saint Paul qui interdit aux femmes dé se parer avec l'or, l'argent, les perles, les tissus précieux; que cet homme soit d'ailleurs marié à une femme chrétienne, et qu'il l'aperçoive ensuite heureuse de se parer de cette manière , fière de s'entourer d'or pour venir à l'église; ne dira-t-il pas en lui-même, en voyant cette femme qui se pare et se prépare dans son cabinet de toilette : Pourquoi donc fait-elle dans ce cabinet une si longue séance? Pourquoi ces longs apprêts? Pourquoi prend-elle aujourd'hui ses bijoux d'or? Où veut-elle aller enfin? A l'église? Mais qu'y faire? Pour entendre que tout ce luxe est condamné? A cette idée, à ce spectacle, l'infidèle ne va-t-il pas rire, et rire aux éclats? Ne va-t-il pas croire que toute notre religion n'est qu'un jeu et une duperie?
Ecoutez donc, et mes avis et ma prière: laissons aux pompes mondaines ces ornements d'or ; laissons-les aux théâtres et aux décors exposés dans les boutiques des marchands ; gardons-nous de vouloir ainsi embellir l'image de Dieu; et plutôt rehaussons-la de grâce vraie et de dignité, de cette dignité qui ne s'allie jamais avec le faste et les ornements malséants.
Voulez-vous même gagner l'honneur et l'estime des hommes? Voilà le moyen d'y parvenir. On admirera toujours moins la femme d'un opulent du siècle quand elle portera ces soieries et ce luxe, qu'on rencontre partout, que quand elle se présentera sous une mise simple et commune, avec la simple robe de laine. Ce genre, tout le monde l'admire; cette mise, chacun y applaudit. Car dans cette toilette qui prodigue les broderies d'or et les tissus précieux, la femme riche a bien des rivales ; elle surpasse l'une , mais l'autre la surpasse; et dût-elle les vaincre toutes, l'impératrice au moins aura sur elle la victoire. Avec la simplicité , au contraire , elle triomphe de toutes les autres femmes, même de l'épouse d'un roi ou d'un empereur : seule, et jusque dans l'opulence, elle a choisi l'extérieur des pauvres.
Ainsi, supposé que nous aimions la gloire, la voici plus grande et plus pure. Mais je ne parle pas seulement aux veuves et aux riches : les veuves n'auraient l'air d'être modestes qu'à cause de la gêne qu'apporte le veuvage ; je m'adresse aussi aux femmes mariées. — Je ne plairai donc plus à mon mari, dira l'une d'elles? — Ah ! tu ne désires pas plaire à ton époux, mais à une foule de misérables femmelettes ; ou plutôt loin de vouloir leur plaire, tu cherches à les faire sécher de dépit, à faire ressortir leur pauvreté. Que de blasphèmes se prononcent à cause de toi !... Malheur à la pauvreté, s'écrieront-elles; Dieu déteste les indigents; Dieu n'aime pas les pauvres! Une preuve, d'ailleurs, une preuve évidente que tu ne cherches pas à plaire à ton mari, que ce n'est pas là le motif de ta toilette, c'est la propre conduite en ceci. A peine rentrée dans ton appartement, tu dépouilles aussitôt toutes tes parures, robes, bijoux, perles; tu ne les portes pas chez toi.
Si vraiment vous voulez plaire à vos maris, vous en avez les moyens, je veux dire la douceur, (575) les prévenances, la sagesse. Croyez-moi bien, femmes chrétiennes, lors même que votre mari montrerait les penchants les plus malheureux et les plus abjects, voici les moyens qui le regagneront: douceur, bonté, modestie, sagesse, mépris d'un vain luxe et d'une dépense exagérée, humilité et soumission. En vain imagineriez-vous mille inventions de toilette , vous ne maintiendrez pas un mari impudique et débauché. Elles le savent, celles qui sont partagées d'époux semblables. En vain voudrez-vous employer la parure ; s'il est incontinent, il est vite adultère. et s'il est sage et pudique, ce n'est pas votre toilette qui le captive; c'est au contraire votre modestie. Votre luxe même l'ennuie et .l'inquiète, parce qu'il lui donne l'idée que vous êtes esclave de ces vaines parures et d'un monde insensé. J'accorde qu'un mari, doux et modéré, vous respectera et ne vous exprimera point cette pensée ; mais dans son coeur il vous condamne , mais il n'est pas maître d'étouffer un sentiment de jalousie. De jalousie ! ô femme, de jalousie contre vous, et parce que vous l'éveillez vous-même. N'est-ce pas assez pour vous faire repousser à l'avenir tout vain plaisir de luxe ?
7. Peut-être ne m'entendez-vous ici qu'avec chagrin ; peut-être la colère vous fait dire : Voilà qu'il irrite les maris contre leurs femmes ! Non, je neveux pas irriter les maris; mais je désire, épouses chrétiennes, que vous-mêmes de bon coeur, vous fassiez ce sacrifice, non pour eux, mais pour vous; non pour les délivrer de préoccupations jalouses, mais pour vous délivrer vous-mêmes de ces fantômes de la vie mondaine. Vous voulez être belle; je demande aussi pour vous la beauté, oui, la beauté que Dieu cherche, la beauté qui charme le souverain Roi. Quel ami voulez-vous, Dieu ou les hommes? Si vous êtes ainsi vraiment belle, Dieu sera épris de vos attraits; si vous avez l'autre beauté sans celle-ci, il vous prendra en horreur, et vous ne serez aimée que par des hommes criminels. Car il ne peut être honnête, celui qui aime une femme enchaînée par le mariage : et c'est le triste effet d'une parure tout extérieure. Autant l'une, celle de votre âme, veux-je dire, gagne le coeur de Dieu, autant l'autre éprend des hommes criminels.
Voyez-vous que votre seul intérêt m'inspire, que je suis dévoué à votre bien, à votre véritable beauté? Ah oui! vous serez vraiment, d'après moi, et belles et glorieuses; car la vraie gloire d'une noble femme, c'est que vous ayez pour vous aimer, non pas les hommes du crime, mais Dieu, mais le Seigneur du monde entier. Ayant si haut votre ami principal, à qui ressemblerez-vous ? aux anges mêmes dont vous conduirez les choeurs. Car si la personne aimée du roi est, plus qu'aucune autre, proclamée bienheureuse, quelle sera la dignité de celle que Dieu même aimera d'un amour tendre ? Nommez, si vous le voulez, nommez et comparez l'univers avec cette beauté : l'univers n'en sera jamais digne !
Cultivons donc cette beauté; ornons-nous de cette parure, pour arriver au ciel, aux banquets de l'Esprit, jusqu'au lit nuptial de cet époux sur lequel aucune mort n'a plus d'empire. La beauté charnelle est attaquée par toute sorte d'ennemis; gardât-elle son éclat; fût-elle, par impossible, à l'abri de la maladie et des chagrins, elle ne dure pas vingt ans. Sa céleste rivale, au contraire, garde toujours et sa force et sa fleur. Ici, point de tristes changements à redouter : la vieillesse ne se hâte point de lui apporter les rides; la mort ne tombe pas sur elle pour la flétrir; les amertumes de l'âme ne peuvent la corrompre: elle triomphe de tous ses ennemis. La beauté du corps s'est évanouie avant même de paraître ; et pendant qu'elle parait, elle a peu d'admirateurs. Ne la cultivons pas, mais plutôt aimons et embrassons celle qui doit un jour mettre en nos mains les lampes allumées, et nous conduire jusqu'en la chambre de l'Époux. Ce bonheur est promis, non pas à la virginité proprement dite seulement, mais aux âmes virginales surtout; car si les vierges seules y avaient droit, cinq sur dix n'en auraient pas été exclues. C'est donc la récompense de tous ceux qui ont l'âme virginale, de tous ceux qui savent s'affranchir des pensées du siècle , puisque ces idées sont les corruptrices des âmes.
Oui, si nous savons conserver l'intégrité et la pureté de nos coeurs, nous irons là-haut, et là-haut on nous recevra. « Je vous ai fiancés, disait saint Paul, comme on ferait d'une seule vierge à un seul mari, comme une chaste épouse pour Jésus ». (II Cor. XI, 2.) Ces paroles s'adressaient non pas aux vierges seulement, mais à toute l'Eglise, à tous ses fidèles enfants. Gardez-vous une âme sans tâche? vous êtes vierge, bien que vous ayez un époux ; oui, vous l'êtes, et de cette virginité que je proclame vraie et admirable. La virginité du corps n'est que la compagne, que l'ombre de cette virginité seule véritable.
Cultivons-la, et par elle nous pourrons joyeusement partir au-devant de l'Époux, et entrer avec nos lampes brillantes de lumière , pourvu que l'huile n'y manque pas, pourvu que faisant fondre et sacrifiant tout vain ornement d'or, nous sachions les convertir en cette huile précieuse qui nourrit la flamme d'une lampe étincelante. Cette huile, c'est la charité envers le prochain. Si nous savons faire part aux autres de tous nos biens, si nous en faisons de l'huile ainsi, nous trouverons alors protection et défense ; nous n'aurons pas à crier au grand jour: « Donnez- nous de votre huile, parce que nos lampes s'éteignent ». (Matth. XXV, 8.) Nous n'aurons pas à faire appel aux autres, à courir chez ceux qui en vendent, à nous voir exclus, à frapper à la porte, à entendre cette parole qui donne la terreur et le frisson : « Je ne vous connais pas! » car il nous reconnaîtra; car nous entrerons avec cet Epoux, et après avoir pénétré jusque dans la chambre nuptiale de notre Epoux spirituel, nous jouirons de biens ineffables.
En effet, si l'appartement de l'Époux, ici-bas, est si magnifique; si les salles de ses banquets sont tellement splendides, que la vue n'en fatigue jamais, combien plus au ciel ! Le ciel, oui, est un lit nuptial; mais le lit nuptial de l'Époux est plus beau que le ciel. Et c'est là que nous entrerons ! Et si le lit nuptial de l'Époux a tant de beauté, quel sera l'Epoux lui-même? Mais pourquoi vous ai-je dit de déposer ces ornements d'or pour les donner aux pauvres? Fallut-il, ô femmes, vous vendre vous-mêmes, fallut-il descendre avec vos enfants jusqu'à la servitude, afin de pouvoir être avec cet Epoux, pour jouir de toute sa beauté, pour contempler à jamais ses traits, ne devriez-vous pas gaiement et de grand cœur tout accepter? Pour voir un roi de la terre, souvent nous laissons échapper de nos mains un objet même nécessaire; mais pour contempler ce Roi, votre Epoux, combien plus volontiers il faudrait tout subir! Les biens de ce monde, en effet, ne sont que des ombres: là seulement est la vérité ! Oui, pour voir dans les cieux ce Roi, cet Epoux ; et surtout pour le bonheur de marcher devant lui, lampe en main, d'habiter près de lui, de résider à tout jamais avec lui, que ne faut-il pas faire; que ne faut-il pas produire; que ne faut-il pas supporter?
Ah ! concevons, je vous en supplie, quelque désir vrai de ces biens célestes: désirons cet Epoux immortel. Soyons vierges de la virginité véritable : car Dieu exige la virginité de l'âme. Avec elle entrons aux cieux; mais sans avoir ni tache, ni ride, ni défaut d'aucune sorte, qui nous empêcherait de gagner les biens promis. Puissions-nous y arriver tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ!
HOMÉLIE XXIX. VOUS N'AVEZ PAS ENCORE RÉSISTÉ JUSQU'AU SANG, EN COMBATTANT CONTRE LE PÉCHÉ. (CHAP. XII, DU VERSET 4 AU VERSET 11 .)
Analyse.
1 et 2. Deux consolations, contradictoires en apparence, et qui se complètent l'une par l'autre. — Les épreuves et les adversités ne sont point une marque d'abandon de Dieu : bien au contraire, elles nous apprennent qu'il est notre vrai Père, et que nous sommes ses véritables enfants. — Dieu nous aime mieux que nos pères mêmes, quand il nous châtie. — Il n'agit point par caprice ni pour son intérêt, mais uniquement pour notre bien.
3 et 4. Tous les saints de l'Ancien et du Nouveau Testament ont accepté de bon cœur les souffrances de la vie; tous les pécheurs ont passé par les délices, qui ont causé leur perte dans le temps et dans l'éternité. — Les moeurs de nos jours sont, malheureusement, celles de Babylone et de Sodome. — Les hommes s'efféminent par le luxe des vêtements et par la bonne chère; les femmes y perdent leur force et leur beauté, l’âme se pourrit dans ce corps qui s'énerve.
1. Deux manières de consoler, bien contradictoires en apparence, donnent au cœur une force merveilleuse, quand on les présente ensemble aussi saint Paul les emploie-t-il l'une et l'autre. L'une a lieu, quand nous disons à une âme navrée, que plusieurs avant elle ont beaucoup plus souffert; à cette pensée, l'âme attristée se calme, parce qu'elle aperçoit de nombreux témoins de ses combats ; c'est ce moyen qu'employait précédemment saint Paul, lorsqu'il rappelait aux Hébreux leurs propres exemples: « Souvenez-vous, disait-il, de ces anciens jours, où récemment appelés à la lumière, vous avez soutenu de grands combats au milieu de diverses souffrances ». (Hébr. X, 32.) L'autre consolation parle un langage tout opposé; vous n'avez pas, dit-elle, souffert un mal bien grand ! Une observation pareille change le cours de vos idées, vous réveille, vous rend plus empressés à souffrir encore. Le premier genre de consolation était un calmant, un topique sur votre âme blessée; le second est un excitant qui ranime une âme affaiblie, relâchée , qui remue un cœur engourdi et terrassé déjà, et le tire d'une première et fâcheuse indécision. Et comme, d'ailleurs, le premier témoignage qu'il leur a rendu pourrait leur donner quelque orgueil, il croit à propos de leur dire cette seconde parole : « Vous n'avez pas encore résisté jusqu'au sang, en combattant contre le péché, et vous avez oublié la consolation... » Et, sans poursuivre alors le fil de son discours, il leur a montré d'abord tous ces héros qui ont résisté jusqu'à l'effusion de leur sang; il a ensuite ajouté que les souffrances de Jésus-Christ font notre gloire et la sienne; et après ces préliminaires, il a pu librement continuer sa course et son exhortation entraînante.
C'est dans le même sens qu'il écrivait aux Corinthiens : « Puissiez-vous n'être attaqués que par une tentation humaine » (I Cor. X, 13), c’est-à-dire petite et supportable. Car pour relever, pour redresser une âme, il suffit de lui inspirer la pensée qu'elle n'a pas encore gravi les plus hauts sommets de la vertu, et de l'en convaincre par les épreuves mêmes qu'elle a traversées déjà. Et voici bien, en effet, ce que dit l'apôtre: Vous n'avez pas encore subi la mort; vous n'avez souffert que jusque dans vos biens et dans votre gloire, que jusqu'à l'exil. Jésus-Christ a pour nous répandu son sang; vous ne l'avez pas même versé pour votre propre compte. Il a combattu, lui, jusqu'à la mort, pour la vérité, et dans votre seul intérêt; et vous n'avez pas encore affronté, vous, des périls où la vie soit en jeu.
« Et vous avez oublié la consolation »...;c’est-à-dire, vous avez laissé tomber vos bras découragés, vous avez été brisés, bien que vous n'eussiez pas encore, ajoute-t-il, résisté jusqu'au sang dans ces combats contre le péché. Cette parole nous montre (577) que le péché souffle comme l'orage, et qu'il est contre nous armé de toutes pièces. Car l'expression : « Vous avez résisté » s'adresse à des soldats fermes et debout.
« La consolation que Dieu vous adresse comme à ses fils, en vous disant : Mon fils, ne négligez pas le châtiment dont le Seigneur vous corrige, et ne vous laissez pas abattre lorsqu'il vous reprend ». Non content de les avoir consolés par les faits, il les encourage surabondamment par les paroles, et leur apporte ce témoignage de 1'Ecriture : « Ne vous laissez pas abattre », dit-il, « lorsqu'il vous reprend ». Ces paroles sont donc de Dieu lui-même. Et ce n'est pas une mince consolation pour nous, sans doute, que de reconnaître ainsi dans les événements les plus fâcheux l'œuvre de Dieu, qui les permet, comme saint Paul l'atteste lui-même : « C'est pourquoi j'ai prié trois fois le Seigneur, et il m'a répondu : Ma grâce vous suffit: car ma force éclate davantage dans la faiblesse ». ( II Cor. XII, 8.) il est donc bien vrai que Dieu permet les épreuves. « Car le Seigneur châtie celui qu'il aime, et il frappe de verges celui qu'il reçoit au nombre de ses enfants (6) ». On ne peut pas prétendre qu'un seul juste soit sans affliction ; car bien qu'au dehors rien ne paraisse, nous ne savons pas les autres tribulations intimes qu'il subit. Il faut de toute nécessité que le juste passe par ce chemin. C'est la maxime de Jésus-Christ : que la route large et spacieuse conduit à la perdition; tandis que la voie étroite et resserrée mène à la vie. (Matth. VII, 13.) Si donc, par là seulement, on peut arriver à la vie, tandis qu'il est impossible d'y parvenir autrement, concluez que tous ceux qui sont parvenus à la vie, y sont arrivés par la voie étroite.
« Si vous supportez cette rude discipline », continue-t-il, «Dieu vous regardera comme ses enfants. Car, qui est l'enfant que son père ne corrige point? » S'il le forme et l'élève, assurément c'est pour le redresser, et non pour le punir, pour se venger de lui, pour le maltraiter. Saisissez cette idée de l'apôtre. Les événements mêmes qui leur auraient fait croire à l'abandon de Dieu, doivent, selon lui, les convaincre qu'ils ne sont point abandonnés de Dieu. C'est comme s'il leur disait : Parce que vous avez subi de si rudes épreuves,. vous croyez que Dieu vous a délaissés et qu'il vous hait. Au contraire, si vous n'aviez pas ainsi souffert, vous devriez avoir ce soupçon décourageant. Car si Dieu frappe de verges celui qu'il reçoit au nombre de ses enfants, il se peut qu'on ne soit pas de ce nombre; si l'on n'est pas ainsi frappé. — Mais quoi? direz-vous : les méchants ne sont-ils donc jamais atteints? — Ils éprouvent aussi des maux, vous répondrai-je : car pourquoi seraient-ils épargnés? Aussi ne vous dit-on pas : Quiconque est frappé est son enfant; mais seulement : Tout enfant est frappé. Vous ne pouvez donc faire cette objection. Car si les coups tombent sur un grand nombre de méchants mêmes, comme sont les homicides, les brigands, les escrocs, les profanateurs de sépultures, ces misérables sont punis pour leurs crimes; et loin d'être flagellés comme . devrais fils, ils sont châtiés comme scélérats. Vous l'êtes, vous, à titre d'enfants. Voyez-vous comme l'apôtre emprunte partout ses arguments consolants? Il en trouve dans les faits de la sainte Ecriture, dans les textes sacrés, dans leurs propres idées, dans les exemples ordinaires de la vie, dans la coutume universelle.
2. « Et si vous êtes en dehors du châtiment disciplinaire,dont tous les autres ont eu leur part,vous n'êtes donc pas du nombre des enfants, mais des bâtards (8) .». Voyez-vous comme l'apôtre confirme ce que j'ai dit précédemment: qu'il n'est point possible d'être enfant sans être châtié? Le cas présent suit cette loi générale de la famille, où nous voyons, en effet, qu'un père n'a point souci des bâtards, lors même ;qu'ils n'apprennent rien et qu'ils n'acquièrent aucune illustration, tandis que, pour ses fils légitimes, il craint de les voir se livrer à la paresse et au marasme. Si donc cette privation d'éducation vigoureuse est une note d'illégitimité, il faut se réjouir de subir la discipline, puisqu'on l'applique seulement aux enfants de légitime naissance. Dieu à votre égard se montre comme à ses véritables fils. C'est pour appuyer ce raisonnement que saint Paul ajoute : « Que si nous avons eu du respect pour les pères de notre corps, lorsqu'ils nous ont châtiés, combien plus devons-nous être soumis à celui qui est le Père des esprits, afin de jouir de la vie (9)?» Nouvel et consolant appel aux souffrances que les Hébreux ont subies personnellement. il avait dit plus haut : «Souvenez-vous de vos anciens jours »; il redit ici dans le même sens : Dieu agit envers nous comme envers des fils. Il n'y a pas à répondre : nous ne pouvons suffire à la peine ! Il nous traite comme ses fils, et comme ses fils bien-aimés. Et puisque ceux-ci vénèrent toujours leurs pères selon la chair, comment n'auraient-ils pas la même vénération pour le Père céleste? — Et cette circonstance de dignité ne fait pas la seule différence; il n'y a pas seulement non plus, une différence de personnes; vous en trouvez aussi dans la cause et dans la nature même de la discipline. Non, Dieu ne vous redresse pas pour le même motif que l'ont fait vos pères. Car, ajoute l'apôtre :
« Nos pères nous châtiaient comme il leur plat« sait et pour quelques jours (10) » ; c'est-à-dire que souvent ils se donnaient à eux-mêmes cette satisfaction, sans envisager toujours notre véritable intérêt. Mais, ici, on ne peut faire ce reproche. Dieu n'agit point, en frappant, pour son avantage personnel, mais pour vous, et uniquement pour votre bien. Vos parents out voulu, avant tout, vous forcer à leur être utiles; souvent même ils ont sévi sans motif. Mais, ici, rien de semblable. Voyez-vous encore comme l'apôtre les console? En effet, notre amitié se donne bien plus volontiers aux personnes qui nous commandent ou nous conseillent sans aucune idée d'intérêt égoïste, et surtout avec un zèle tout dévoué à notre bonheur. Nous reconnaissons l'affection sincère, la seule réelle affection à nous voir ainsi aimés, lorsque, nous sommes hors d'état d'être utiles à la personne qui nous aime, qui nous chérit non pour recevoir, mais. pour donner. Dieu nous forme, Dieu fait tout, Dieu veut tout au monde, pour nous (578) rendre capables de recevoir ses biens infinis. « Nos pères nous ont châtiés pour cette vie éphémère seulement et pour leur bon plaisir : mais Dieu nous châtie autant qu'il est utile, pour nous rendre capables de participer à sa sainteté». Qu'est-ce que cette sainteté? C'est la pureté de coeur; qui selon nos forces nous rendra dignes de Lui. Lui-même désire vous la faire accepter, et fait tout pour vous la donner : et vous n'auriez, vous, aucun zèle pour la recevoir? «J'ai dit au Seigneur», chantait le Prophète, « vous êtes mon Dieu, parce que vous n'avez aucun besoin de mes biens ». (Ps. XV, 2.)
Puis, dit l'apôtre, nous avons eu dans nos pères selon la chair des maîtres sages et fermes, et nous les avons respectés : combien plus devons-nous, pour trouver la vie, obéir au Père des esprits, c'est-à-dire au Père des grâces, de la prière, des puissances immatérielles! Si nous mourons sous cet empire de l'obéissance, alors nous vivrons. Et saint Paul remarque avec raison que nos parents ne nous ont formés que pour une vie éphémère et selon leur bon plaisir. Ici, le bon plaisir et l'utile ne se rencontrent pas toujours : tandis que l'utile est nécessairement dans la pensée de Dieu.
3. Ainsi l'éducation par la souffrance est dans notre intérêt; ainsi nous fait-elle entrer en participation de la sainteté. C'est le grand moyen par excellence. En effet, quand la souffrance exclut toute lâcheté, toute convoitise mauvaise, tout amour de ces choses qui nous enchaînent à la vie présente; quand elle nous change le coeur, jusqu'à nous donner la force de réprouver toutes les vanités de ce monde, et tel est l'effet des souffrances, n'est-il pas vrai que la douleur alors est sainte, et qu'elle arrache au ciel toutes ses grâces? Rappelons-nous plutôt et toujours l'exemple des saints et le côté par lequel tous ont brillé. Au premier rang, Abel, Noé n'ont-ils pas été illustres par la douleur? Comment celui-ci n'aurait-il pas souffert en se voyant seul au milieu de cette innombrable multitude de pécheurs? Car, l'Ecriture le dit : « Noé étant seul parfait dans son siècle, plut à Dieu». (Gen. VI, 9.) Réfléchissez, en effet, je vous prie, et dites: Si, trouvant aujourd'hui par milliers et des pères et des maîtres, dont la vertu nous sert d'exhortation et d'exemple, nous sommes toutefois désolés à ce point, combien a dû être affligé ce juste isolé dans cette masse immense de perdition? — Mais comme j'ai parlé déjà de ce déluge étrange et incroyable, ne dois-je pas plutôt vous raconter Abraham et ses fréquents pèlerinages, et le rapt de son épouse, et ses dangers, et ses guerres, et ses tentations? Ou bien encore Jacob, et tous les maux terribles qu'il a soufferts, banni de tout pays, travaillant en vain, et dépensant pour d'autres tous ses labeurs? Non, il n'est pas besoin de dénombrer toutes ses épreuves; mais son témoignage s'offre de lui-même à l'appui de nos raisonnements; puisqu'il disait à Pharaon : « Mes jours sont courts et mauvais; ils n'ont pas atteint en nombre ceux de mes pères ». (Gen. XLVII, 9.) — Faut-il plutôt vous citer Joseph, ou Moïse, ou Josué, ou David, ou Samuel, Elie, Daniel, tous les prophètes? Vous les verrez tous s'illustrant par les souffrances : et vous, dites-moi, voulez-vous chercher la gloire dans le loisir, le repos, les plaisirs? C'est chercher l'impossible.
Maintenant, vous parlerai-je des apôtres? Mais eux aussi ont surpassé par les souffrances tous leurs devanciers. Pourquoi traiterais-je ce sujet, déjà traité par Jésus-Christ? « Vous aurez », leur disait-il, « l'affliction en ce monde». Et ailleurs « Vous pleurerez et vous gémirez, tandis que le monde se réjouira ». (Jean, XVI, 33 ; Matth. VII, 74.) La voie qui conduit à la vie est étroite et rude, c'est le Maître de la voie lui-même qui le déclare; et toi, chrétien, tu cherches la voie large? N'est-ce pas absurde? Aussi, par cette route différente tu trouveras non la vie, mais la mort! Toi-même as fait choix du chemin qui doit y conduire.
Mais préférez-vous que je vous cite, que j'énumère devant vous tant de pécheurs qui ont passé leur vie dans les délices? Remontons des plus rapprochés de nous, jusqu'aux plus anciens. Expliquez-moi la perte du mauvais riche plongé dans son abîme de feu; la perte des juifs qui vécurent pour le ventre dont ils faisaient leur Dieu, ne cherchant au désert même que loisir et repos; la perte des hommes encore de l'époque de Noé. N'ont-ils, pas péri pour avoir choisi une vie de bonne chère et de dissolution? Ceux de, Sodome ne furent-ils pas victimes de leur gourmandise? «Ils se jouaient», dit l'Ecriture, « dans l'abondance de leur pain ». (Ezéch. XVI, 49.) Que si l'abondance du pain amena une telle catastrophe, que dirons-nous de tant d'autres inventions de la friandise et de la bonne chère? — Esaü ne vivait-il pas dans le loisir et la fainéantise? N'était-ce pas le crime aussi de ces enfants de Dieu qui admirèrent la beauté des femmes et coururent ainsi aux précipices de l'enfer? N'était-ce pas la vie de ceux qui se livrèrent à des passions folles et furieuses contre nature? Et tous ces rois païens de Babylone ou d Egypte n'ont-ils pas tristement fini? Ne sont-ils pas dans les supplices?
Or, dites-moi, nos moeurs d'aujourd'hui sont-elles donc différentes? Ecoutez la parole de Jésus-Christ: « Ceux qui se couvrent de vêtements somptueux, sont dans les palais des rois » (Matth. XI,8); et ceux qui ne s'habillent point ainsi, sont dans les cieux. Un vêtement de mollesse amollit, brise, corrompt un coeur même austère; quand bien même il couvrirait un corps rude et sauvage, il l'aurait bientôt énervé et affaibli sous son tissu voluptueux. Quelle autre cause que celle-là, dites-moi, amollit ainsi les femmes? Serait-ce leur sexe seulement? Non, mais bien leur manière de vivre et leur éducation. Cette façon de les élever à l'ombre, ces loisirs, ces bains, ces onctions, ces parfums de tout genre, ces lits mollets et délicats, font une femme ce que vous voyez! Et pour vous en convaincre, écoutez une comparaison
Dans quelque oasis du désert, parmi les arbres battus des vents, prenez-moi un rejeton quelconque, et transplantez-le dans un lieu humide et ombragé, vous le verrez bientôt indigne du lieu où il a pris naissance. Que ce fait se vérifie chez nous, les femmes des champs en sont la preuve : plus vigoureuses même que les hommes des villes, on (579) en a vu qui en terrassaient plusieurs dans la lutte. Or, quand le corps s'est ainsi amolli, il faut bien que l’âme en partage la ruine; les forces de l'un sont, en grande partie, attaquées de la même manière que les facultés de l'autre. C'est ainsi que dans les maladies nous sommes tout changés, parce que nous sommes affaiblis ; et quand la santé revient, il se fait en nous une nouvelle révolution. Quand les cordes d'une lyre se détendent et ne rendent plus qu'un son faible et faux, tout le talent de l'artiste est paralysé, parce qu'il est comme asservi et lié à cet instrument désaccordé : ainsi l'âme souffre maints dommages, subit maintes nécessités sous l'empire de son enveloppe corporelle. Celle-ci a tant besoin de soins absorbants, que l'âme en doit souffrir un rude esclavage. Je vous en supplie donc : créons-nous un corps vigoureux et robuste, et gardons-nous de le rendre faible et maladif.
Ici je ne parle pas seulement aux hommes, mais aux femmes aussi. Pourquoi, ô femmes, énerver vos membres par les délices, et les rendre ainsi chétifs et misérables ? Pourquoi, par l'embonpoint excessif, leur ôter toute vigueur? Cet excès n'est point une force, vous le savez, mais une cause d'affaiblissement. Au contraire, laissez toutes délices, conduisez-vous tout différemment, et la beauté physique s'ensuivra au gré de vos désirs, dès que le corps se retrouvera solide et fort. Que si vous aimez mieux l'assiéger de maladies sans nombre, il y perdra sa fleur, il y compromettra tout son tempérament : car alors, vous serez dans un perpétuel chagrin. Or, vous savez que, comme une maison déjà belle, s'embellit encore au souffle riant du zéphyr, ainsi un beau visage doit gagner en beauté, lorsque votre âme lui prête un reflet de sa joie ; tandis que, livrée à la tristesse et au chagrin, elle devra l'enlaidir. Les maladies et les souffrances engendrent la tristesse ; et les maladies viennent de ce qu'on délicate trop le corps. Pour cette raison au moins, croyez-moi, fuyez les délices.
4. Mais, direz-vous, on éprouve du plaisir à s'y livrer. — Oui, mais on y trouve encore plus de peines. Le plaisir ne va pas au-delà de votre langue, de votre palais. Une fois la table enlevée et les mets engloutis, vous n'êtes pas plus heureux que si vous n'aviez pas eu part au banquet ; vous êtes même beaucoup plus mal, puisque vous emportez de ces excès, la pesanteur, l'embarras, une tète alourdie, un sommeil semblable à la. mort, souvent même l'insomnie, triste fruit de la satiété, la suffocation , les éructations. Mille fois sans doute, vous avez maudit votre estomac, lorsque vous ne deviez maudire que l'intempérance.
N'engraissons donc point notre corps, et plutôt écoutons la parole de saint Paul : « N'ayez point de souci de votre chair dans ses mauvais désirs ». (Rom. XIII, 14.) C'est avec raison qu'il signale ainsi les mauvais désirs : car l'aliment de ces convoitises se trouve précisément dans les délices. L'homme qui se livre à leur attrait, fùt-il le plus fervent adepte de la sagesse, doit nécessairement subir cette influence du vin et des mets exquis; nécessairement il s'y énerve, nécessairement il allume en son coeur une flamme maudite; de là, les prostitutions, de là les adultères. L'amour coupable ne s'engendre pus dans un estomac maté par la faim, pas même dans celui qui sait se borner à une nourriture simplement suffisante, tandis que les penchants obscènes naissent et se forment dans celui qui se livre à la bonne chère. Les vers pullulent dans un sol profondément humide, dans un fumier largement mouillé et arrosé : au contraire, purgée de cette humidité, débarrassée de cet excès, la terre se couvre de fruits; sans culture même, elle se revêt d'herbages ; cultivée, elle donne toutes sortes de productions : c'est là notre image. Gardons-nous donc de rendre notre chair inutile ou même nuisible; plantons-y des semences utiles et productives, des arbres qui portent leurs fruits un jour, et gardons-nous de la stériliser par les délices, dont la triste pourriture, au lieu d'une moisson, n'enfanterait que des vers. Telle est, en effet, notre concupiscence native, que si nous l'inondons de délices, elle produit de honteuses, d'infâmes délectations. Peste véritable, que nous arracherons de toute manière, afin de pouvoir gagner lesbiens qui nous sont promis, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, etc.
HOMÉLIE XXX. TOUTE DURE DISCIPLINE, QUAND ON LA SUBIT, SEMBLE ÊTRE UN SUJET DE TRISTESSE ET NON DE JOIE, MAIS ENSUITE ELLE FAIT RECUEILLIR LES FRUITS PACIFIQUES DE LA JUSTICE A CEUX QUI ONT ÉTÉ AINSI EXERCÉS. (CHAP. XII, 11-13.)
Analyse.
1. Il y a, dans la vertu comme dans le vice, succession de peine et de joie : mais la vertu et les épreuves se couronnent par une joie éternelle. — Racine amère et dure écorce, elles recèlent et produisent des fruits pleins de douceur. — Que cette gymnastique de l'épreuve nous console et nous encourage. — La paix avec tous, la sainteté et surtout la chasteté, sont nos armes principales dans les épreuves.
2 et 3. L'apostolat est un devoir qui incombe à tous les chrétiens. — On peut (exercer dans la famille, dans le voisinage. — C'est un talent précieux qu'il n'est pas permis d'enfouir. — La correction fraternelle est toujours praticable. —Elle ne requiert point l'éloquence, mais seulement la prudence et la charité, dont elle est la plus belle manifestation.
1. Tous ceux qui boivent une potion amère, n'en ressentent d'abord que l'impression désagréable, et n'en éprouvent que plus tard le bienfait. La vertu et le vice vous font expérimenter aussi cette alternative. L'un vous apporte le. plaisir suivi de l'amertume; l'autre vous étreint d'abord le coeur, et bientôt vous comble de joie. Ce n'est pas que-je trouve cette comparaison bien juste. Autre chose est, en effet, dé passer d'abord par la peine pour arriver au plaisir, ou bien, au contraire, de traverser le plaisir pour finir par la peine. Où est la différence? C'est que, dans un cas, l'attente d'un chagrin qui viendra trop sûrement, diminue le bonheur ; tandis que dans l'autre cas, l'expectative d'une allégresse certaine, enlève beaucoup à la tristesse première de votre âme; à tel point que souvent, au cas du vice, la joie n'arrive jamais; tandis qu'au cas de la vertu, la tristesse jamais ne survient. Cette raison de différence n'est point la seule, il en est une autre encore, et bien grande. Comment? C'est que les durées ne sont point égales dans les deux cas, mais qu'en faveur de la vertu, elles sont bien plus larges et bien plus longues. Oui, les choses spirituelles ont ici un avantage évident.
Saint Paul exploite cette considération pour consoler ses chers disciples. Il fait appel ici au sens commun, auquel personne ne peut résister, à la croyance générale que nul ne peut combattre, puisque dès qu'on énonce un fait universellement avoué, tout le monde s'y range, personne, ne le contredit. Vous êtes affligés, leur dit-il; la raison explique ce fait; l'épreuve doit avoir cet effet; elle doit produire ce premier résultat. Et c'est dans ce sens que l'apôtre déclare que « toute éducation sévère paraît, pour l'heure présente, un sujet de tristesse et non pas de joie ». — «Paraît », c'est l'expression justement choisie par l'apôtre ; en effet, l'épreuve n'est pas un sujet de chagrin, seulement elle parait l'être. Et « toute » épreuve en est là; ce n'est pas l'une qui aurait cette apparence, et l'autre qui ne l'aurait point. Non ! mais toute épreuve, qu'elle soit purement naturelle ou qu'elle soit spirituelle, semble faite pour votre affliction et non pas pour votre bonheur. Vous voyez que saint Paul raisonne d'après l'opinion commune. C'est un semblant de peine : donc ce n'est pas une peine vraie. Quelle peine, en effet; pourrait vous réjouir? Aucune, pas plus qu'il plaisir véritable ne produira jamais dans un tueur amertume et tristesse : « C'est plus tard, au contraire, que l'épreuve fait recueillir en paix les fruits de la justice, à ceux qui auront été ainsi exercés ». Les fruits, et non pas seulement le fruit, nous dit-il, pour mieux en montrer la multitude et la moisson. Pour ceux, ajoute-t-il, qui auront été exercés par elle. Qu'est-ce à dire, « exercés? » C'est-à-dire, qui l'auront longtemps subie et supportée avec courage. Comprenez-vous bien la justesse de l'expression? Ainsi l'épreuve et comme une gymnastique qui fortifie l'athlète, (580) le rend invincible dans les luttes, irrésistible dans les guerres. Si tel est l'effet de toute éducation sévère, tel sera le résultat de celle-ci en particulier. On devra donc en attendre bien des avantages, un heureux terme, une paix profonde. Et ne vous étonnez pas, que toute rude qu'elle est, les fruitsen soient pleins de douceur ; c'est ainsi que dans les arbres, l'écorce est à peu près toujours sans qualité, et pleine de rudesse,lors même que les fruits en sont doux. L'apôtre peut invoquer ici les notions les plus communes. Si donc vous êtes en droit d'espérer une telle récolte, pourquoi gémir ? Après avoir supporté les ennuis, pourquoi vous décourager au sein des avantages les plus assurés? Oui, les misères qu'il a fallu souffrir, vous les avez subies; gardez-vous donc d'être ainsi abattus à l'approche de la récompense !
« Relevez donc vos mains languissantes; redressez vos genoux affaiblis ; conduisez vos pas par des voies droites, de peur que quelqu'un chancelant, ne vienne à s'égarer, mais que plutôt il a soit guéri (12, 13) ».
Il les harangue comme les héros d'une course, d'une lutte, d'une bataille. Voyez-vous comme il se plait à les armer, à les réveiller? Marchez droit, leur dit-il ; il parle ici de leurs pensées intimes. Marchez droit, cela veut dire : sans douter jamais de Dieu. Car si l'épreuve vient de son amour, si elle ne commence que dans votre intérêt, si elle s'achève par une fin heureuse, si cette conviction vous est prouvée clairement et par les faits et par les oracles -sacrés, pourquoi seriez-vous découragés? Laissez cet abaissement du coeur à ceux qui désespèrent, à ceux que ne peut fortifier l'espérance même des biens à venir. Marchez droit et ferme, sans plus chanceler, en retrouvant même votre premier aplomb. Courir en chancelant, c'est chercher l'accident et le mal. Voyez-vous comme il est en notre pouvoir d'être guéris?
« Tâchez d'avoir la paix avec tout le monde, et « de vivre dans la sainteté sans laquelle nul ne « verra Dieu (14) ». L'avis qu'il donnait précédemment: « N'abandonnez pas notre assemblée, notre «-réunion » (Hébr. X, 25) ; il l'insinue ici encore. Car dans les épreuves, rien ne facilite notre défaite, notre déroute, comme de nous éparpiller imprudemment. Vous comprenez le pourquoi : ainsi à la guerre, rompez les rangs, et vos ennemis n'auront besoin d'aucun effort; ils vous auront bientôt pris et enchaînés, s'ils vous trouvent séparés les uns des autres, et par là même affaiblis. « Tâchez », dit-il donc; « d'avoir la paix avec tout le monde ». Quoi ? même avec ceux qui se conduisent mal? Oui, et il le répète ailleurs : S'il est possible, autant qu'il est en vous, ayez la paix avec tous les hommes.
De votre côté donc, dit l'apôtre, entretenez la paix, ne blessant jamais la piété fraternelle, mais acceptant de grand coeur et généreusement tous les mauvais traitements. L'arme la plus puissante dans les tentations, c'est la patience. C'est ainsi (581) que Jésus-Christ communiquait la force à ses disciples : « Je vous envoie » , disait-il, « comme des brebis au milieu des loups; soyez donc prudents comme des serpents, et simples comme des colombes ». Eh ! que dites-vous, Seigneur? Nous sommes au milieu des loups, et vous nous commandez d'être comme des brebis, comme des colombes? Bien certainement, répond-il; car le plus star moyen de couvrir de honte celui qui nous fait du mal, c'est de supporter courageusement ses injustes attaques, sans aucune vengeance ou d'action ou de parole. Cette conduite nous rend plus vraiment philosophes et nous gagne une plus grande récompense , en même temps qu'elle édifié nos ennemis. — Mais tel ou tel vous a chargé d'outrages! — Vous, chargez-le de bienfaits. Voyez combien vous y aurez gagné. Vous aurez éteint et étouffé le mal, gagné pour vous une récompense, couvert de honte votre adversaire, sans éprouver vous-même aucun dommage sérieux.
Tâchez d'avoir avec tout le monde la paix « et la sainteté ». La sainteté., qu'est-ce à dire? Il désigne ici la continence, l'honneur des mariages. S'il en est qui ne soit pas marié, dit-il, qu'il reste chaste ou qu'il prenne une épouse; si tel autre est lié par le mariage, qu'il n'aille pas s'oublier, qu'il use de sa femme seulement : car, ici encore est la sainteté. Comment? Le mariage n'est pas la sainteté elle-même; mais le mariage conserve la sainteté qu'engendre la fidélité même, laquelle ne permet pas qu'on se profane avec les femmes perdues. « Le mariage est honorable » (Héb. XIII, 14), et non pas saint absolument. Le mariage est pur, mais il ne communique pas la sainteté, sauf toutefois qu'il empêche de profaner la sanctification qui vient de la foi. « Sainteté sans laquelle nul ne verra Dieu ». C'est ce qu'il dit. aux Corinthiens: « Ne vous y trompez pas : ni les fornicateurs, ni les adultères, ni les idolâtres, ni les impudiques, ni les pécheurs contre nature , ni les avares , ni les voleurs, ni les ivrognes, ni les détracteurs, ni les ravisseurs, n'hériteront du royaume de Dieu ». (I Cor. VI, 9.) Car comment celui qui a fait de son corps la chair d'une prostituée , pourra-t-il être le corps de Jésus-Christ? (Ibid. VI, 15.)
« Prenant garde que quelqu'un ne manque à la grâce de Dieu, et poussant en haut une racine d'amertume, n'empêche la bonne semence, et ne souille l'âme de plusieurs; qu'il ne se trouve quelque fornicateur ou quelque profane (15, 16 ) ». Voyez-vous comme partout l'apôtre confie à chacun de nous le salut de tous? « Exhortez-vous l'un l'autre tous les jours », avait-il déjà dit, « pendant que dure ce temps que l'Ecriture appelle aujourd'hui ». (Ibid. III, 13.)
2. Ne jetez donc pas tout le fardeau sur vos maîtres spirituels, ni tous vos devoirs sur vos prélats vous pouvez, vous aussi, selon l'apôtre, vous édifier les uns les autres. C'est ce qu'il disait aux Thessaloniciens : « Edifiez-vous toujours les uns les autres, comme déjà vous le faites » ; et ailleurs : « Consolez-vous mutuellement par les paroles que je vous adresse ». (I Thess. V, 11.) Tel est aussi le conseil que nous vous donnons en ce moment. Vous pouvez, mieux que nous-même, vous faire réciproquement un grand bien, si vous le voulez. En effet, c'est entre vous que vous vivez et conversez plus souvent; mieux que nous, vous connaissez mutuellement vos affaires; vous n'ignorez pas vos fautes réciproques; vous avez à un plus haut degré l'un pour l'autre la franchise, l'amitié, la familiarité. Toutes ces circonstances son loin d'être indifférentes dans le rôle d'un maître; elles sont autant d'entrées larges et d'occasions favorables pour instruire; et vous pouvez, plus que nous, reprendre ou encourager. Vous n'avez pas, d'ailleurs, cet avantage seulement : je suis seul, moi, et vous êtes plusieurs; tous et chacun vous pouvez donc être des maîtres spirituels.
C'est pourquoi, je vous en supplie, ne négligez pas d'exploiter cette grâce précieuse. Chacun de vous a une épouse, un ami, un serviteur, un voisin ; qu'il sache lui adresser un reproche, lui ménager un avis. Car n'est-il pas déraisonnable que le plaisir ou le besoin puisse faire organiser des banquets et des festins, et fixer certains jours où l'on devra se réunir et compléter par la mutualité ce qui vous manque individuellement; soit, par exemple, qu'on ait à rendre les honneurs funèbres, soit qu'on doive prendre un repas, soit qu'il faille porter secours au prochain, tandis qu'au contraire on ne fait aucune démarche semblable pour enseigner la vertu? Oui , je le répète et je vous en prie : que personne ne néglige ce devoir, à l'accomplissement duquel Dieu attache une grande récompense.
Pour vous en convaincre, apprenez que le Maître spirituel est bien celui qui a reçu les cinq talents de l'Evangile; mais que le disciple, lui, a reçu un talent aussi. Que le disciple se dise : Je ne suis qu'un disciple, moi; je ne cours aucun danger ; et qu'ayant reçu de Dieu cette mission générale d'instruire le prochain, il la laisse improductive et l'enfouisse; qu'il n'avertisse jamais, qu'il n'use jamais du droit de parler librement, ne reprenant point, ne conseillant point lorsqu'il le pourrait, mais cachant son talent dans la terre ; car un cour qui cache ainsi la grâce de Dieu n'est que terre et cendres viles ; oui, s'il l'enfouit de la sorte ou par paresse, ou par malice, il ne pourra se défendre ni s'excuser devant Dieu en disant : Je n'ai reçu qu'un talent. Tu n'avais qu'un talent, il est vrai ; mais tu devais en rapporter un second, et doubler le premier. Quand bien même tu n'en aurais ainsi gagné qu'un seul , tu étais à couvert de reproche. Ait serviteur qui rapporte deux talents gagnés, le Maître ne demande pas pourquoi il n'en offrait; pas cinq; au contraire, il le déclara digne du même prix que celui qui en avait gagné cinq autres. Pourquoi ? c'est qu'il fit valoir dans la proportion de ce qu'il avait entre les mains, et ne laissa point son dépôt stérile; bien qu'ayant moins reçu que le dépositaire des cinq talents, il ne voulut pas, pour cela, être négligent, et profiter de la différence en moins pour se livrer à l'oisiveté. Ainsi ne devais-tu pas non plus regarder le serviteur qui avait reçu deux talents; ou plutôt, oui, tu devais avoir l'œil sur lui; et comme il (582) imita lui-même, n'ayant que deux talents, le serviteur qui en avait cinq à faire valoir, ainsi devais-tu copier la conduite de ce dépositaire des deux talents. Que si l'on condamne au supplice celui qui posséda de l'argent et ne sut point le répandre en aumônes; comment ne serait-il frappé du dernier supplice, celui qui pouvant à l'occasion donner quelque avis utile, s'abstient de le faire ? La première aumône sustente le corps ; l'autre nourrit l’âme ; l'une empêche la mort temporelle, l'autre prévient la mort éternelle.
3. Mais, objecterez-vous, je n'ai pas le talent de la parole. — Il n'est besoin, ici, ni du talent de la parole, ni d'éloquence. Si vous voyez un ami peu chaste, dites-lui : Ce que vous faites est bien coupable; n'en êtes-vous pas honteux? N'en savez-vous rougir? Oui, c'est bien mal ! — Mais ignore-t-il, répliquez-vous, que son action soit coupable ? — Non, sans doute, il le sait; mais son penchant l'entraîne. Les malades aussi savent que l'eau froide est pour eux une boisson dangereuse mais ils ont besoin qu'une main charitable les retienne. Celui qui est sous l'empire d'une souffrance, ne peut pas sitôt se suffire dans sa maladie. Pour le soigner, il est besoin de ta santé même; et si ta parole ne peut le contenir, veille sur ses démarches, arrête-le, peut-être retournera-t-il sur ses pas! - Mais que gagnera-t-il à n'agir ainsi qu'à cause de moi, et seulement parce que je l'aurai retenu?- Ne sois point si subtil. En attendant mieux et de toute manière , détourne-le d'une action coupable; qu'il s'habitue à ne point courir au précipice, qu'il soit contenu par tes bons offices ou par tout autre moyen, c'est toujours un gain immense ! Quand tu l'auras habitué, en effet, à ne pas prendre cette route fatale, quand il commencera dès lors à respirer un peu sagement, tu pourras ensuite lui apprendre qu'il faut agir ainsi en vue de Dieu, et non pas en vue de l'homme.
Ne prétends pas corriger tout ensemble et d'un seul coup, ce serait tenter l'impossible; mais procède doucement, petit à petit. Si tu le vois fréquenter les lieux où l'on boit avec excès, les banquets où l'on s'adonne à l'ivresse, ne crains pas de l'y suivre; et, à ton tour, prie-le de te rendre le service d'une salutaire réprimande, en cas qu'il aperçoive en toi-même quelque faiblesse. Car ainsi s'adressera-t-il à lui-même un reproche, en voyant que tu as besoin ainsi d'être repris, et que tu aimes à le secourir non pas comme un redresseur universel de ses torts, non pas comme un docteur infaillible, mais comme un frère et un ami. Dis-lui donc : Je t'ai servi en te rappelant tes propres intérêts; en retour, si tu aperçois en moi quelque défaut, retiens-moi, redresse-moi; si tu me vois colère, si tu me reconnais avare, arrête-moi, tu me comprends, par un avis !
Et voilà l'amitié; et c'est ainsi qu'un frère aidé par son frère, ressemble à une place fortifiée. (Prov. XVIII, 19.) Manger et boire ensemble ne fait pas l'amitié, sinon celle des brigands et des assassins. Mais si nous sommes de vrais amis, si vraiment nous nous portons un mutuel intérêt, rendons-nous réciproquement de tels services, qui nous amèneront à une amitié sérieusement utile, et nous empêcheront de dériver vers l'enfer. Que l'ami réprimandé ne s'affecte point : nous sommes des hommes et nous avons des défauts. Que le moniteur non plus n'avertisse jamais avec une idée d'ironie ou de triomphe, mais en secret, avec douceur et bonté. C'est lui surtout qui a besoin d'une grande douceur, pour bien convaincre qu'il fait une opération charitable. Ne voyez-vous pas avec quelle douceur infinie les médecins procèdent quand il faut brûler et trancher au vif ? Bien plus doit-il agir ainsi, celui qui reprend son prochain : la réprimande fait bondir plus vivement encore que le fer et que le feu. Les médecins s'étudient par-dessus tout à ne pratiquer une incision que le plus doucement possible; ils s'arrêtent quelque peu, ils laissent au malade le temps de respirer. Ainsi doit-on pratiquer la réprimande, pour ne pas révolter ceux qui la reçoivent. Dussions-nous d'ailleurs y gagner des outrages, y recevoir même quelque blessure, ne refusons point de la faire. Les malades qu'on travaille par le fer crient beaucoup et bien fort contre le chirurgien, lequel n'a point souci de leurs clameurs, et ne pense qu'à les sauver. Ainsi devons-nous, pour donner un avis utile, faire tout au monde et tout supporter, en vue de la récompense qui nous est proposée. « Portez », est-il dit, « portez les fardeaux les uns des autres, et ainsi vous accomplirez la loi de Jésus-Christ ». (Galat. VI, 2.) Et c'est ainsi, en effet, que nous réprimandant ou nous supportant les uns les autres, nous pourrons édifier complètement le corps de Jésus-Christ. C'est ainsi que vous allégerez notre labeur pastoral, et que vous nous seconderez en toutes choses et nous donnerez la main; ainsi formerons-nous une vaste association oh tous travailleront pour le salut commun, et chacun toutefois pour son propre salut. Soyons donc fermes et constants à porter le fardeau du prochain, à nous donner de mutuels avis, afin de gagner les biens promis en Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire soit au Père, etc.
HOMÉLIE XXXI. EFFORCEZ-VOUS D'AVOIR LA PAIX AVEC TOUT LE MONDE, COMME AUSSI LA SAINTETÉ, SANS LAQUELLE PERSONNE NE VERRA DIEU. (CHAP. XII, 14-17.)
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Analyse.
1-3. L'amour du prochain, vrai caractère du christianisme. — Jésus-Christ est mort pour tous et polir chacun de nous. — Le péché est une véritable amertume, sans compensation ni douceur. — La gourmandise d'Esaü lui fait sacrifier son droit d'aînesse : tout esclave du ventre- l'imite et s'avilit. — L'inutile pénitence d'Esaü doit faire trembler les justes, mais ne doit pas décourager les pécheurs. — Double langage de l'apôtre à ce sujet.
3 et 4. Vraie et fausse pénitence, prouvée par la conduite subséquente de saint Pierre et de David, d'une part ; et de Judas, d'Esaü, de Cam, d'autre part. — La vraie pénitence se reconnaît aussi dans le souvenir continuel du péché qu'on a une fois commis - La pénitence se prouve par la confession à Dieu et au juge. — Par le souvenir et l'aveu de nos péchés, nous obtenons l'oubli et l'amnistie de Dieu, qui, autrement, manifestera publiquement nos fautes. — Tableau saisissant de cette manifestation solennelle du jugement dernier.
1. Le vrai christianisme se reconnaît à plusieurs caractères; mais plus que tout autre, mieux qu'aucun, la paix entre nous, l'amour réciproque le révèle évidemment. Aussi Jésus-Christ a-t-il dit : « Je vous donne ma paix » ; et encore : «Tout le monde reconnaîtra que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres ». (Jean, XIV, 27 ; XIII, 35.) C'est là ce qui fait dire à saint Paul : « Efforcez-vous d'avoir la paix avec tout le monde, et la sainteté », c'est-à-dire l'honnêteté, « sans laquelle personne ne verra Dieu ».
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