SAINT JOHN CHRYSOSTOM

Tuesday 11 January 2011

EXPLICATION DU LECTIONNAIRE DU 4 TOUBA

EXPLICATION DU LECTIONNAIRE DU 4 TOUBA
PAR SAINT JEAN CHRYSOSTOME

EXTRAIT DE HOMÉLIE LXXVI.
JE SUIS LA VRAIE VIGNE, VOUS ÊTES LES BRANCHES, ET MON PÈRE EST LE VIGNERON. (CHAP. XV, VERS. 1, JUSQU'AU VERS. 10).

ANALYSE.

1. Combien les disciples ont été timides et craintifs avant la mort de Jésus-Christ. — Parabole de la vigne et du vigneron, laquelle démontre, encore une fois de plus, la parfaite égalité du Père et du Fils.
2. Le Sauveur dit beaucoup de choses en se plaçant au point de vue de ses auditeurs.
3. L'amour est quelque chose de grand ; il est invincible ; ses avantages. — Ce que Jésus-Christ a fait pour nous : excellents témoignages de son amour. — Contre la rapine et l'avarice. — Maux que produisent les richesses et l'avarice. — Jésus-Christ nous a rachetés et nous servons les richesses. — Qui sont ceux qui rient des pauvres : les brutes, les insensés. — Comment ou atteint à la perfection de la vertu. — Eloge de la pauvreté.

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2. Vous le remarquez sans doute, mes frères, tout est commun, émonder comme jouir de la vertu de la racine. C'est sûrement une grande perte et un grand malheur de ne pouvoir rien faire, de ne pouvoir porter aucun fruit; mais la peine ne se termine point ici, elle va plus loin. « Il sera », dit-il, « jeté dehors », il ne sera plus cultivé , « et il séchera (6) », c'est-à-dire, s'il a tiré quelque fruit de la racine, il le perd; s'il en a reçu quelque grâce, quelques biens, il en est dépouillé, et par là il est privé de, tout secours et de la vie. Et quelle sera la fin de tout cela? « Il sera jeté au feu ». Mais il n'en est pas de même de celui qui demeure étroitement attaché au cep de la vigne.
Le Sauveur nous apprend ensuite ce que c'est que demeurer, et dit : « Si mes paroles demeurent en vous (1) ». Vous le voyez bien maintenant, mes chers frères; que j'ai eu raison de dire que Jésus-Christ demande le témoignage des oeuvres. Car, ayant dit : Tout ce que vous demanderez; je le ferai, il a ajouté : « Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, vous demanderez tout ce que vous voudrez, et il vous sera accordé ». (Jean, XIV, 13, 14,15.) Jésus-Christ disait ces choses pour apprendre à ses disciples que ceux qui lui dressaient dés embûches seraient jetés au feu, et qu'eux au contraire porteraient du fruit. Ainsi, ayant fait passer dans les autres la crainte qui était en eux, et leur ayant fait connaître qu'ils seraient invincibles, il dit : « C'est la gloire de mon Père que vous rapportiez beaucoup de fruits, et que vous deveniez mes disciples (8) ». Par là ce que dit le Sauveur se montre visiblement digne de foi; si porter du fruit c'est une chose qui tourne à la gloire du Père, le Père ne négligera point sa gloire, « et vous deviendrez mes « disciples ». Remarquez bien, mes frères, que celui qui porte du fruit est disciple de Jésus-Christ. Que signifie cela : « C'est la gloire de mon Père ? » Le voici : Mon Père a de la joie lorsque vous demeurez en moi, lorsque vous portez du fruit.
« Comme mon Père m'a aimé, je vous ai « aussi aimés (9) ». Ici enfin Jésus-Christ parle d'une manière plus humaine. Comme cette parole est adressée à des hommes, elle a une vertu et une force toute particulière. Celui qui a bien voulu mourir pour ses serviteurs et pour ses ennemis et ses persécuteurs, qui leur a fait la grâce de les élever à de si grands honneurs, à une si haute dignité, qui les a menés au ciel, quel excès-d'amour n'a-t-il pas montré en faisant toutes ces choses? Puis donc que je vous aime si fort, ayez une pleine confiance; puis donc que c'est la gloire de mon Père que vous rapportiez du fruit, ne craignez aucun mal. Ensuite, de peur de les rendre lâches et paresseux, il les excite de nouveau et se les attache plus étroitement; voyez bien de quelle manière, c'est eu leur disant : « Demeurez « dans mon amour », cela est en votre pouvoir. Mais comment demeurerez-vous dans mon amour? C'est : « Si vous gardez mes commandements comme j'ai moi-même gardé les commandements de mon Père(10) ». Le Sauveur continue encore à parler humainement : étant le législateur, il né devait nullement être soumis aux lois. Vous le voyez ici, mes frères, ce que je vous répète à tout moment, que le Sauveur parle en ces termes, pour s'accommoder à la faiblesse de ses auditeurs. Il dit bien des choses en se plaçant à leur point de vue; et toutes ses paroles tendent à leur faire connaître qu'ils sont en sûreté, et qu'ils renverseront et fouleront aux pieds leurs ennemis; et encore, que tout ce qu'ils ont, ils le tiennent du Fils, et que, s'ils mènent une vie pure et sainte, nul ne pourra les vaincre ni leur résister.
Mais observez, mes frères, avec quelle autorité Jésus-Christ parle à ses disciples. Il n'a point dit : Demeurez dans l’amour de mon Père, mail dans mon amour. Ensuite, de peur qu'ils ne disent : maintenant que vous nous avez attiré la haine de tout le monde, vous vous en allez. et vous nous laissez; il leur montre qu'il ne les laisse point, et qu'au contraire il, s'attachera aussi étroitement à eux, s'ils le veulent véritablement, que la branche est attachée au cep de la vigne. De peur encore que trop de confiance ne les rende nonchalants, il leur dit que s'ils sont lâches et paresseux, les grâces qu'ils auront reçues ne sont point inamissibles. Et aussi pour ne se pas rapporter tout à lui-même et les exposer par là à une plus grande chute, il dit : « C'est la gloire de mon Père ». Partout il leur. fait connaître et, son amour pour eux et celui de son Père. Les oeuvres des Juifs n'étaient donc point la gloire de son Père, mais celles qu'ils devaient faire par sa grâce.
Mais encore, de peur qu'ils ne vinssent à [483] dire : Nous avons perdu notre patrimoine, nous sommes abandonnés, dépouillés et privés de tout, il leur dit: Jetez vos regards sur moi, voyez : mon Père m'aime, et néanmoins je souffre maintenant tous ces maux et tous ces outrages; ce n'est donc pas que je ne vous aime, si présentement je vous laisse; car moi-même, que mes ennemis me fassent mourir, je ne le prends pas pour une marque que mon Père ne m'aime point; vous donc aussi, vous ne devez pas vous troubler. Si vous demeurez dans mon amour, tous les maux de la vie-présente ne pourront nullement vous nuire, en ce qui concerne l'amour.
3. Puis donc que l'amour est quelque chose de grand et d'invincible : puisqu'il n'est pas un vain mot, montrons notre amour, faisons le paraître par nos oeuvres. Jésus-Christ nous a réconciliés avec lui, lorsque nous étions ses ennemis : maintenant nous sommes ses amis, demeurons dans son amour : il a commencé le premier à nous aimer, aimons-le du moins après qu'il nous a tant aimés. Il ne nous aime pas pour son propre intérêt, il n'a besoin de rien, aimons-le au moins pour notre utilité et notre avantage. Lorsque nous étions ses ennemis, il nous a prévenus de son amour, aimons du moins cet ami qui nous donne tant de témoignages de sa tendresse. Mais, hélas ! nous faisons tout le contraire ! par nos rapines et par notre avarice, tous les jours nous sommes cause que Dieu est blasphémé.
Mais peut-être quelqu'un dira : quoi ! Tous les jours vous prêchez sur l'avarice. Hé, plût à Dieu que je puisse aussi prêcher contre elle toutes les nuits ! Plût à Dieu qu'il me fût permis de vous suivre et quand. vous allez dans les places publiques, et quand vous vous mettez à table ! Plût à Dieu que vos femmes, que vos amis, que vos enfants, que vos serviteurs, que vos laboureurs, que vos voisins, que même ce pavé, ces pierres pussent tous rompre le silence, si notre mal pouvait recevoir de là quelque soulagement! Cette maladie s'est répandue dans lotit le monde, et elle possède le coeur de tous les hommes : tant est grande la tyrannie des richesses !
Jésus-Christ nous a rachetés, et nous servons les richesses: c'est d'un autre maître que nous proclamons la suprématie, c'est à un autre maître que nous obéissons, soigneusement attentifs à tout ce qu'il nous commande : notre origine, les droits de la nature, de l'amitié, les lois, nous négligeons tout pour ce maître, et nous sacrifions tout à lui. Personne ne regarde le ciel, nul ne pense aux biens à venir. Mais, hélas! le temps viendra que ces paroles et nos regrets seront inutiles; car l'Ecriture dit: « Qui est celui qui vous louera dans l'enfer? » (Ps.,VI, 5.) L'or est désirable, il nous procure de grandes délices et nous attire des honneurs, mais non point comme le ciel. Le riche, plusieurs le haïssent et l'ont en horreur : mais l'homme qui est orné de1a vertu, tous l'honorent et le respectent,
Mais , direz-vous, on rit du pauvre, on le méprise, même vertueux ; mais ce n'est pas parmi les hommes que cela arrive, c'est parmi les brutes qui sont privées de raison; c'est pourquoi il ne faut nullement s'est soucier. Si des ânes braient, si des geais croassent, lorsque tous les sages nous louent et. nous applaudissent, nous ne perdrons point de vue un tel public pour nous inquiéter des cris de ces animaux. Or, tous ceux qui admirent et recherchent les biens de la vie présente, sont pires que des geais, pires que des ânes. Si un des rois d'ici-bas faisait votre éloge, sûrement vous ne vous mettriez point en peine dé ce que dirait la multitude du peuple, encore qu'on rie de vous. Et lorsque le Maître de l'univers vous loue, vous recherchez encore les louanges des escargots et des moucherons. Car tels sont ces hommes, si vous les comparez avec Dieu, out plutôt ils sont encore plus vils et plus méprisables.
Jusques à quand demeurerons-nous couchés dans la boue? Jusques à quand rechercherons-nous les éloges et les applaudissements des fainéants et des hommes sensuels ? Il est de leur ressort de se connaître en joueurs, en ivrognes, en goinfres : mais de la vertu et du vice ils n'en ont même pas la moindre connaissance; c'est aussi de quoi ils ne sont nullement capables de juger. Et certes, si quelqu'un vous raillait de ne savoir point tracer des rigoles, vous ne, vous en offenseriez pas, ou plutôt vous le railleriez à votre tour de vous avoir reproché une pareille ignorance, et cependant lorsque vous voulez ..exercer la vertu, vous prenez pour arbitres et pour juges ces sortes de gens qui n'en ont aucune idée? Voilà pourquoi nous n'atteignons point à la perfection de cet art. En effet, nous ne consultons pas les personnes habiles; mais les ignorants, qui jugent de la vertu non selon les [484] règles de l'art, mais selon leur propre ignorance.
C'est pourquoi, je vous en conjure, mes chers frères, méprisons la multitude, ou plutôt ne désirons point les louanges, ne recherchons ni l'argent ni les richesses: et ne regardons point la pauvreté comme un mal. La pauvreté est une grande maîtresse qui nous rend prudents et patients, qui nous élève à la plus haute et à la plus sublime philosophie. Lazare a vécu dans la pauvreté, et il a été récompensé d'une couronne : Jacob ne désirait que d'avoir du pain : Joseph s'est trouvé dans une même indigence; il s'est vu non-seulement esclave, mais encore prisonnier; et c'est pour cela que nous lui donnons de plus grands éloges. Oui, nous n'admirons point tant Joseph dispensateur des blés de l'Égypte, que Joseph renfermé dans une prison : nous n'admirons point tant Joseph, couronné d'un diadème, que Joseph chargé de chaînes : nous ne l'admirons point tant lorsqu'il est assis sur le trône, que lorsqu'on lui dressait des embûches et qu'on le vendait.
Considérant donc toutes ces choses, et les couronnes qui sont préparées à ces combats, ne louons ni les richesses, ni les honneurs, ni les dignités, ni les délices, ni la puissance lotions au contraire la pauvreté, les chaînes, les liens, et les travaux et les afflictions que l'on souffre pour la vertu. Celles-là finissent par le tumulte et le trouble, et se terminent à cette vie; mais celles-ci nous procurent le royaume des cieux et les biens célestes, que a l'œil n'a point vus, et l'oreille n'a point en« tendus (I Cor. II, 9) : fasse le ciel que nous les obtenions tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire, dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.



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PARTIE DE HOMÉLIE LXXVII.
JE VOUS DIS CES CHOSES, AFIN QUE MA JOIE DEMEURE EN VOUS, ET QUE VOTRE JOIE SOIT PLEINE ET PARFAITE.— LE COMMANDEMENT QUE JE VOUS DONNE, EST DE VOUS AIMER LES UNS LES AUTRES, COMME JE VOUS AI AIMÉS. (VERS. 11, 12, JUSQU'AU VERS. 4 DU CHAP. XVI.)

ANALYSE.

1. On peut séparer l'amour de Dieu de l'amour du prochain. 2. Jésus-Christ console ses apôtres.
3. Dernière consolation : promesse du Saint-Esprit que le Fils envoie comme le Pire.
4 et 5. Divers sujets de consolation dans les souffrances et les afflictions. — Dans les souffrances, penser plus aux couronnes qu'aux peines, au ciel qu'au temps. — Dans les aumônes, dans les autres bonnes oeuvres, ne penser point tant à la semence qu'à la moisson. — La vertu est pénible, faire attention au bien qu'elle procure. — Ceux qui sont forts aiment la vertu pour elle-même, les faibles envisagent les récompenses. — Recommandation de l'aumône : combien de raisons et de motifs nous engagent à la faire. — Si l'on ne donne rien aux pauvres , du moins ne les point injurier ni maltraiter : point de repos en cette vie, pour en jouir en l'antre. — Retrancher le superflu. — Se contenter du nécessaire. — Répandre ses richesses sur les pauvres. — D'où vient l'inhumanité envers les pauvres? - De ce qu'on amasse par avarice.

1. Toutes les bonnes oeuvres obtiennent leur récompense après leur plein accomplissement : si elles restent en chemin, tout fait naufragé. Et comme un vaisseau chargé de toutes sortes de marchandises, qui n'arrive point au port, mais que les flots engloutissent [485] en pleine mer, ne retire aucun profit de sa longue navigation, si ce n'est un manieur proportionné aux épreuves qu'il a bravées; de même aussi les âmes, qui, avant d'arriver au but, s'arrêtent au milieu de la carrière, et succombent dans les combats, perdent la couronne et périssent misérablement. C'est pourquoi saint Paul déclare que ce sont,ceux qui auront couru jusqu'à la fin (Rom. II, 7) et persévéré dans les bonnes oeuvres, qui obtiendront la gloire, l'honneur et la paix. Et c'est là aussi ce qu'insinue maintenant Jésus-Christ à ses disciples. Comme. ils s'étaient d'abord réjouis d'avoir été choisis, et qu'ensuite tout ce qu'il leur avait annoncé de triste sur sa passion, sur sa mort, avait interrompu et troublé leur joie, le Sauveur, après leur avoir tenu de longs discours, pleins de consolation, ajoute encore : « Je vous ai dit ces choses, afin que ma joie demeure en vous, et que votre joie soit pleine et. parfaite ». C'est-à-dire : Ne vous séparez pas de moi, et ne vous arrêtez point dans votre course : vous vous êtes réjouis en moi, et vous vous êtes extrêmement réjouis; mais la tristesse s'est mêlée dans votre joie, et l'a interrompue. Je chasse cette tristesse, afin que votre joie arrive à terme; je la chasse, en vous faisant voir que les souffrances et les afflictions de cette vie ne méritent pas que vous vous attristiez, et que vous devez plutôt vous en réjouir. Je vous ai vus dans le trouble, et je ne vous ai pas négligés, et je ne vous ai point dit : Pourquoi n'avez-vous pas plus de fermeté et de courage? mais, au contraire, je vous ai dit tout ce qui était le plus capable de vous consoler. C'est ainsi que je vous veux toujours garder dans mon amour. Vous m'avez entendu parler du royaume, vous vous en êtes réjouis. Je vous ai donc dit ces choses afin que votre joie soit pleine et parfaite.
« Le commandement que je vous donne est de vous aimer les uns les autres, comme je vous ai aimés ». Vous le voyez, mes frères, l’amour de Dieu est mêlé et confondu dans celui du prochain : ces deux amours sont liés ensemble , comme avec une chaîne. Voilà pourquoi le Sauveur en fait quelquefois deux préceptes, et quelquefois il n'en fait qu'un seul;. car ces deux amours sont inséparables. On ne peut avoir l'un sans l'autre. Voilà pourquoi tantôt il dit : « Toute la loi et les prophètes sont renfermés dans ces deux commandements ». (Matth. XXII, 40.) Tantôt « Faites aux hommes tout ce que vous voulez qu'ils vous fassent » (Matth. VII, 12); c'est là en quoi consistent toute la loi et les prophètes, « et ainsi l'amour est l'accomplissement de la loi ». (Rom. XIII, 10.)
Jésus-Christ le déclare ici de même; car si « demeurer » renferme l'amour, si l'amour renferme l'observance des commandements, et si le commandement est de nous aimer les uns les autres, c'est par cet amour mutuel que nous avons les uns pour les autres, que nous demeurons en Dieu. Le Sauveur ne nous donne pas seulement le commandement de l'amour, mais il nous en prescrit aussi la mesure, en disant : « Comme je vous ai aimés». Il fait connaître encore à ses disciples que ce n'est point par haine qu'il se sépare d'eux, mais par amour. C'est donc pour cela que vous deviez m'admirer davantage, et plutôt vous réjouir que vous affliger. Je meurs pour vous. Jésus-Christ ne le dit pas ouvertement, mais il l'indique, lorsqu'il fait ci-dessus la description du bon pasteur; et ici en donnant ses instructions, en montrant la grandeur et la puissance de l'amour, en déclarant et faisant connaître ce qu'il est. Mais pourquoi le Sauveur relève-t-il partout l'amour? Parce que l'amour est la marque des disciples; parce que l'amour forme et entretient la vertu. C'est pour cette raison que saint Paul, lui qui était un véritable disciple de Jésus-Christ, lui qui avait éprouvé et senti en lui-même les effets de l'amour, en dit tant de grandes choses, et le proclame « l'accomplissement de la loi ».
« Vous êtes mes amis (14). Je ne vous appellerai plus mes serviteurs, parce que le serviteur ne sait ce que fait son maître : mais je vous ai appelés mes amis, parce que je vous ai fait savoir tout ce que j'ai appris de mon Père (15) ». Pourquoi dit-il donc : « J'ai beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter présentement ? » (Jean, XVI, 12.) Quand le Sauveur dit : « Tout ce que j'ai appris », il ne veut dire autre chose, sinon qu'il ne dit rien de contraire à son Père, mais uniquement ce qu'il a appris de lui. Or, comme c'est un très-grand témoignage d'amitié que de confier à quelqu'un ses secrets, il dit à ses disciples : J'ai bien voulu vous faire aussi cette grâce, et vous donner cette marque de mon amour : mais quand il dit : « Tout », entendez ce qu'ils devaient savoir.

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Ensuite il leur découvre une chose qui n'est point une légère, ni une commune marque d'amitié : Laquelle ? La voici : « Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis (16) ». C'est moi qui ai ardemment recherché votre amitié. Et je ne me suis point contenté de cela, mais : « Je vous ai établis », c'est-à-dire, je vous ai plantés. Le Seigneur continue encore la métaphore de la parabole, de la vigne, « afin que vous marchiez » ; c'est-à-dire, afin que vous vous étendiez, « et que vous rapportiez du fruit, et que votre fruit demeure » toujours. Que si votre, fruit demeure, à plus forte raison demeurerez-vous vous-mêmes. Non-seulement, dit-il, je vous ai aimés, mais je vous ai aussi comblés de toutes sortes de biens, en étendant et, multipliant vos branches dans tout le monde.
2. Remarquez-vous, mes frères, en combien de manières le Sauveur déclare son amour à ses disciples : il le déclare en leur découvrant ses secrets et ses mystères. Il le déclare en les prévenant de son amour et de son affection, en les choisissant le premier; il le déclare parles bienfaits dont il les comble, et partout ce qu'il a souffert pour. eux. Par là il leur fait connaître qu'il demeurera toujours avec eux, afin qu'ils portent du fruit; car pour en porter, ils ont besoin de son secours. « Afin que mon Père vous donne tout ce que vous lui demanderez en mon nom ». Mais c'est à celui à qui on demandé de faire porter le fruit, et ce que l'on demande au Père, pourquoi le Fils le fait-il? Pour vous apprendre que le Fils n'est ni moins grand, ni moins puissant que le Père.



MATINES DU 4 TOUBA
JEAN 1 :1-17
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http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/chrysostome/jean/004.htm
EXPLICATION PAR SAINT JEAN CHRYSOSTOME
HOMÉLIE II.
AU COMMENCEMENT ÉTAIT LE VERBE. (VERSET 1.)

ANALYSE.


1. Saint Jean était pauvre et. sans lettres.
2. Combien néanmoins l'apôtre de Jésus-Christ l'emporte sur les plus fameux philosophes. — Les peuples barbares, en embrassant
le Christianisme, ont appris à philosopher.
3. Contre les doctrines des philosophes et en particulier contre la métempsycose.
4. Pourquoi saint Jean a parlé du Fi!s sans parler du Père. — Quelle est la vraie philosophie ?
5. L'esprit ne peut tout à la fois s'appliquer à plusieurs choses. — Avec quelle attention on doit lire l'Evangile de saint Jean.

1. Si c'était Jean qui dût nous parler lui-même et nous entretenir de ce qui le regarde personnellement, il serait de mon sujet, mes frères, de vous rapporter l'histoire de sa famille, de sa patrie et de son éducation ; mais comme ce n'est point lui, comme c'est Dieu qui parle par sa bouche, il semble qu'il soit inutile et superflu d'entrer dans ce détail mais non, ce n'est pas inutile; bien au contraire, il est important et nécessaire de vous en faire le récit. Quand vous saurez d'où, et de quels parents il est sorti, quel il était, et que vous entendrez ensuite sa voix et toute sa doctrine, alors vous connaîtrez que ce qu'il vous dit, il ne vous le dit pas de lui-même ; mais qu'il parle sous l'impulsion de la puissance divine.
Quelle est donc sa patrie? il n'en eut point, à vrai dire : il naquit dans un pauvre bourg et dans un pays décrié qui ne produisait rien de bon. En effet, c'est par mépris pour la Galilée que les Scribes disent : « Demandez et apprenez qu'il ne sort point de prophète de a la Galilée». (Jean, VII, 52.) Le vrai Israélite de même n'en fait point de cas, quand il dit : « Peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth? » (Jean , I , 46.) Le lieu même de ce pays où il était né, n'avait rien d'illustre, ni de recommandable; son nom n'y était point connu, son père était un pauvre pêcheur , et si pauvre, qu'il élevait ses enfants dans sa profession.

1. Nathanaël.

Or, vous le savez tous, mes frères, nul artisan n'aime à laisser son métier pour héritage à son fils, s'il n'y est forcé par son extrême pauvreté , et surtout si l'art qu'il professe est vil et abject : vous savez aussi qu'il n'est rien de plus pauvre , de plus dédaigné, et même de plus ignorant que les pêcheurs. Là cependant, comme partout, il y a des degrés et des rangs. Mais l'apôtre était d'un rang inférieur : car il ne pêchait même pas dans la mer, mais dans un petit étang : et c'est là que Jésus-Christ l'appela, comme il était avec son père (1), et Jacques, son frère, raccommodant ensemble leurs filets (Matth. IV, 21), ce qui est la marque d'une très-grande indigence. C'est dire assez qu'il était complètement étranger à toutes les sciences profanes : et d'ailleurs saint Luc nous assure que non-seulement il était du commun du peuple, mais aussi un homme sans lettres. (Act. IV, 13.)
Et pouvait-il en être autrement? un homme qui ne fréquentait ni le barreau, ni ce qu'il y a d'honnêtes gens dans une ville, qui s'occupait uniquement de pêche et n'avait de société et de commerce qu'avec des marchands de poissons et des cuisiniers, comment aurait-il pu être au-dessus des animaux et des brutes? comment n'aurait-il pas été aussi muet, que les poissons eux-mêmes ?
Voyons néanmoins; mes chers frères, voyons ce que dit et ce qu'avait appris ce pêcheur, qui passait sa vie autour des étangs, occupé

1. Zébédée.

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de filets et de poissons, cet homme de Bethsaïde de Galilée, ce fils d'un pêcheur pauvre, extrêmement pauvre, cet ignorant dont l'ignorance était si profonde et qui demeura illettré et avant et après qu'il se fût attaché à Jésus-Christ. Ne va-t il pas nous parler de champs, de rivières et de commerce de poissons? On ne s'attend peut-être pas à d'autres discours d'un pêcheur; mais ne craignez point. Nous n'entendrons rien de ce genre, il rie nous entretiendra que de choses célestes , que de choses que personne ne savait avant lui : il va nous enseigner une doctrine aussi sublime, une morale aussi excellente, et une philosophie aussi belle que le peut et le doit celui qui a puisé dans les trésors de l'Esprit-Saint, et qui vient tout présentement de descendre du ciel : ou plutôt, il est à croire que les anges mêmes qui sont dans le ciel ne savaient pas encore, avant qu'il eût parlé, ce qu'il va nous apprendre.
Je vous le demande : Est-ce là le langage d'un pêcheur, ou même d'un rhéteur? d'un sophiste, d'un philosophe? de l'homme le plus profondément versé dans la science humaine? Non, certes. Car il n'est point d'intelligence humaine capable de philosopher, ou de raisonner comme lui sur la nature bienheureuse et immortelle ; sur les puissances qui lui sont subordonnées; sur l'immortalité et la vie éternelle, ni sur les corps mortels qui doivent dans la suite devenir immortels; sur le supplice et le jugement futurs; sur le compte que chacun rendra de ses paroles, de ses actions, de ses pensées; ni de savoir ce que c'est que l'homme, ce que c'est que le monde, ce qu'est véritablement l'homme, à la différence de ce qui semble l'être, et ne l'est pourtant point; en quoi consiste le vice, en quoi consiste la vertu.
2. Platon et Pythagore ont agité quelques-unes de ces questions : pour les autres philosophes, ils ne méritent pas qu'on les nomme, tant ils se sont rendus ridicules : les plus célèbres chez les païens, ceux qui sont regardés par eux comme les princes de la science, je les ai nommés : c'est à eux qu'on doit, par exemple, certains traités sur la République et les lois : tout cela ne les a pas empêchés de se ridiculiser par des opinions dont rougiraient des enfants, la communauté des femmes, le bouleversement de la société l'avilissement du mariage. C'est à promulguer ces absurdités et d'autres encore , qu'ils ont dépensé leur vie tout entière. Mais rien de plus honteux que leurs doctrines sur la nature de l'âme : ils ont enseigné que les âmes des hommes devenaient des mouches, des moucherons, des arbrisseaux; que Dieu même était l'âme, et d'autres infamies pareilles. Et ce n'est pas seulement pour cela qu'ils sont à reprendre, ils le sont encore pour leurs innombrables contradictions : agités comme l'Euripe (1), ce n'est que flux et reflux dans leurs sentiments et dans leur doctrine; aussi n'avaient-ils rien de vrai, rien de solide à dire.
Mais le pêcheur ne dit rien que de certain, rien que de vrai; fondé sur la pierre, il est inébranlable et ne peut chanceler. Admis dans le sanctuaire même du ciel, parlant par l'inspiration du Seigneur, sa parole n'éprouve aucune des défaillances de l'humanité.
Les philosophes, au contraire, qui n'ont jamais été reçus à cette cour céleste, pas même en songe, qui pêle-mêle avec le reste des hommes n'ont hanté que les places publiques, voulant s'élever jusqu'aux êtres invisibles, par la seule force de leur esprit, sont tombés dans de grandes erreurs : ils ont osé discourir de choses ineffables, et, comme des aveugles ou des ivrognes, ils se sont heurtés mutuellement dans leur course à l'aventure; que dis-je? ils se sont contredits eux-mêmes, perpétuellement infidèles à leurs propres opinions.
Saint Jean est un homme sans lettres, grossier, de Bethsaïde, fils de Zébédée. Que les Grecs se moquent et rient de la rudesse de ces noms ; je ne parlerai pas pour cela avec moins de confiance, j'en aurai même davantage: car plus cette nation leur paraît barbare et éloignée de leurs moeurs et de leurs coutumes, plus aussi ce que j'en dirai paraîtra grand et admirable. En effet, un barbare, un ignorant dit des choses qui ont été jusqu'à présent inconnues au reste des hommes; et non-seulement il les dit, mais il les persuade : se fût-il borné à les dire, ce serait déjà une grande merveille : mais voici qui la surpasse : il ne

1. L'Euripe est un canal, ou détroit entre la Béotie et l'Eubée, continuellement agité par le flux et le reflux. D'où sont venus ces dictons proverbiales :Homme euripe, pour dire homme inégal : Esprit euripe, pour dire esprit flottant : Fortune euripe, pour fortune changeante. Euripixein, être dans une agitation continuelle. Cicéron compare les assemblées du peuple romain à l'Euripe. Quel détroit, dit-il, quel Euripe, avec ses agitations et ses bourrasques, apprécie, des bourrasques et des agitations qui règnent dans nos assemblées ! Pro Planc.


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cesse de persuader tous ceux qui l'écoutent, et confirme par cette nouvelle preuve qu'il est inspiré de Dieu. Qui n'admirerait un pareil pouvoir? Ce talent, ce don de persuasion,, comme je l'ai fait voir, prouve manifestement que la doctrine et les préceptes qu'il enseigne ne sont pas de lui. Ce barbare a donc fait entendre sa voix jusqu'aux extrémités de la terre (Ps. XVIII, 4), et a répandu son Evangile dans tout le monde. Il l'a semé par lui-même en personne dans la moitié de l'Asie, là où les sages, où les philosophes grecs tenaient leurs écoles de philosophie .c'est en quoi il est formidable aux démons, car il brille au milieu des ennemis, il dissipe leurs ténèbres et renverse leurs forts : mais son âme s'est élevée au ciel, dans le séjour qui convient à Celui qui opère de si grands prodiges. Et voici que tous les dogmes des philosophes sont tombés et anéantis, tandis que la doctrine de Jean acquiert tous les jours plus de force et une nouvelle splendeur. A peine a-t-il paru avec les autres pêcheurs que les doctrines de Platon et de Pythagore, naguère puissantes, tombent dans le silence et l'oubli, jusque-là que la plupart ignorent aujourd'hui le nom même de ces philosophes.
Cependant Platon passe pour avoir été appelé à la cour des tyrans; il eut, dit-on, beaucoup d'amis et fit le voyage de Sicile. Pythagore domina sur la grande Grèce; et mit en oeuvre mille prestiges : ainsi s'explique ce qu'on raconte de lui, qu'il parlait avec les boeufs (1). En quoi il paraît visiblement qu'un philosophe qui parlait ainsi avec les bêtes n'était nullement utile aux hommes, ou plutôt qu'il ne pouvait que leur être très-nuisible. C'est à l'homme qu'il appartient spécialement par sa nature de s'élever à la philosophie; toutefois celui-ci parlait, à ce que l'on dit, ou feignait de parler avec les aigles et avec les boeufs. Non que d'une nature irraisonnable , il sût faire (ce qui est interdit à l'homme) quelque chose de raisonnable (ce que l'homme ne peut point), il ne faisait que tromper les sots par des prestiges et des illusions. Au lieu d'enseigner aux hommes une doctrine utile, il leur disait que manger des fèves et avaler la tête

1. Le Révérend Père Dom Bernard de Montfaucon dit sur cet endroit, qu’il ne se souvient pas d'avoir lu nulle part, que Pythagore ait parlé avec les boeufs et avec les aigles; si ce n'est qu'on y veuille rapporter ce qu'écrit Diogène Laërce, dans la vie de ce philosophe, que l'âme de Pythagore avait passé dans les arbres et dans les animaux qu'elle avait voulu choisir ». LE MÈRE. — Le conte auquel saint Chrysostome fait allusion est rapporté dans les Vies de Pythagore par Porphyre (chap. XXIII), et par Iamblique (chap. XIII). Note du nouveau traducteur.

de leurs parents c'était une même chose. Il persuadait à ses disciples que l'âme de leur maître devenait tantôt un arbrisseau, tantôt une jeune fille, tantôt un poisson. N'est-il pas naturel que de semblables rêveries aient fini par tomber dans un profond oubli ? Oui, certes, et la raison le voulait ainsi. Mais on n'en peut pas dire autant de ce qu'a enseigné l'homme grossier et sans lettres : les Syriens, les Indiens, les Perses, les Egyptiens, et une infinité d'autres nations, ayant traduit en leurs langues la doctrine et les instructions qu'il leur a données, ont appris à philosopher, quoique ce ne fussent que des barbares.
3. Je n'ai donc pas eu tort de dire que tout le monde entier lui a servi de théâtre. Il n'a pas, comme Pythagore, quitté et rejeté ceux qui étaient de même nature que lui, pour aller vainement instruire les bêtes : travail infructueux et inutile, qui marque une très-grande folie en celui qui l'entreprend. Mais exempt de ce vice, aussi bien que de tout autre, il s'attachait uniquement à apprendre aux hommes ce qui leur est utile, et ce qui peut les élever de la terre au ciel. C'est pourquoi il n'a point enveloppé ses dogmes de nuages et de ténèbres, comme ceux qui couvraient d'obscurités, ou d'une espèce de voile la mauvaise doctrine qu'ils débitaient : mais la doctrine de saint Jean est plus lumineuse que les rayons du soleil; aussi généralement tous les hommes la voient à découvert. Car il ne prescrivait pas à ses disciples cinq années de silence : de même que ce philosophe, il ne leur ordonnait pas de rester immobiles comme des pierres en l'écoutant (1); enfin il ne soutenait pas faussement qu'on pouvait tout définir, tout expliquer par les nombres : mais, rejetant toute cette vaine et fastueuse doctrine, écartant de nous ces pernicieux piéges de Satan, il a mêlé et répandu tant de lumière et de facilité dans ses paroles, qu'il n'a rien dit qui ne soit clairement entendu , non-seulement des hommes et des sages, mais des plus simples femmes et des enfants. Car il croyait cette parole véritable et bonne pour tous ceux qui l'écouteraient : et c'est ce qui résulte de toute la suite des temps, car elle a attiré à soi tous les hommes qui

1. Comme s'il eût eu à instruire des pierres insensibles. Autrement: Comme s'il eût été assis au milieu d'un monceau de pierres. insensibles, etc.

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l'ont écoutée, et les a délivrés de tous les maux et des tragiques événements dont leur vie était perpétuellement agitée. Voilà pourquoi, nous tous qui l'avons entendue, nous aimerions mieux perdre la vie que l'héritage de vérité qui nous a été légué par ce saint apôtre.
Tout ce récit vous fait clairement voir, mes chers frères, que saint Jean ne nous a rien dit, ni rien enseigné d'humain, mais qu'au contraire tout ce qui part de cette âme sublime, tout ce qui d'elle est venu jusqu'à nous renferme une doctrine toute céleste et toute divine. Sa voix n'éclatera point, elle ne fera point retentir nos oreilles. Nous entendrons un discours simple, sans enflure, sans fard, sans vains ornements, toutes choses très-éloignées de l'amour de la vraie sagesse ; nous n'y trouverons qu'une force invincible et divine, une abondance inépuisable de vérités, un trésor sans pareil. Le prédicateur doit dédaigner un vain faste qui ne sied qu'à des sophistes, ou plutôt à de jeunes sots : à ce point qu'un philosophe païen (1) nous montre son maître rougissant de sa profession et disant à ses juges qu'il leur répondra dans les premiers termes venus, et non point par un discours apprêté ni orné de mots étudiés et choisis. « Car», disait-il, « il ne serait pas convenable et à mon âge, ô citoyens, de venir devant tous comme un enfant, avec un discours soigneusement composé (3) ». Mais considérez, je vous prie, le ridicule qui éclate en ceci : ce philosophe, qui nous montre son maître fuyant l'éloquence et les ornements , comme une chose honteuse, indigne de la philosophie et bonne pour des jeunes gens, s'y est lui-même appliqué plus que personne, tant il est vrai que ces philosophes n'avaient en vue que leur vanité ! et il n'y a pas autre chose à admirer chez Platon. De même donc que si vous ouvriez des sépulcres blanchis au dehors, vous les trouveriez au dedans pleins de pourriture, d'infection et d'ossements hideux et corrompus ; ainsi, si vous dépouillez des ornements de l'éloquence la doctrine de ce philosophe, vous y verrez bien des sentiments et des préceptes abominables, et surtout quand il raisonne sur l'âme qu'il exalte jusqu'au blasphème.

1. Platon.
2. Socrate.
3. Apologie de Socrate.


Car c'est un des piéges du diable de ne garder aucune mesure, de ne point tenir de milieu, mais de pousser à l'une et à l'autre extrémité ceux qu'il a infectés d'une mauvaise doctrine. Tantôt Platon dit que l'âme est formée de la substance de Dieu ; tantôt, après l'avoir ainsi excessivement élevée, et d'une manière impie, il la déshonore par une autre hyperbole, et la fait passer dans les pourceaux , dans les ânes et dans les plus vils animaux (1); mais en voilà assez sur la doctrine de ces philosophes, nous nous y sommes même un peu trop étendus. On aurait raison de s'y arrêter davantage, s'il en pouvait revenir quelque profit : mais comme nous n'en avons dû parler qu'autant qu'il fallait, pour en découvrir la honte et l'infamie, ce que nous en avons rapporté est plus que suffisant. C'est pourquoi laissons là leurs fables et passons à notre doctrine qui nous est envoyée du Ciel par le canal et l'entremise de ce pêcheur : venons, dis-je, à cette doctrine qui n'a rien d'humain.
Commençons donc, exposons ses paroles, et comme nous vous avons exhorté au commencement à les écouter avec une grande attention, nous vous y exhortons encore. Par où l'évangéliste commence-t-il donc? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu ». Voyez, mes frères, avec quelle confiance et quelle énergie il s'exprime. Considérez qu'il ne doute point, qu'il ne forme point de conjectures , mais qu'il parle d'un ton terme et décisif. En effet, il est d'un docteur de ne point vaciller dans ce qu'il avance. Celui qui, voulant enseigner les autres, a besoin d'un second pour appuyer et confirmer ce qu'il dit, ne mérite pas d'être mis au rang des docteurs, mais seulement parmi les disciples. Que si quelqu'un me demande la raison pour laquelle saint Jean, omettant la cause première, passe tout à coup à la seconde, je répondrai que nous ne connaissons point ici


1. Platon avait pris la métempsycose de Pythagore. S'il l'a véritablement crue et enseignée , c'est sur quoi il me semble que les sentiments sont partagés. Il a exposé ses opinions d'une manière si enveloppée , qu'il n'y a pas lieu de s'étonner que les uns les expliquent d'une façon , et les autres d'une autre : que les uns prennent sa métempsycose dans 'un sens physique et réel, les autres dans un sens moral : une âme passe dans un lion, disent-ils, et en prend la figure, lorsque la fureur de la colère l'agite et l'emporte; e:le passe dans un pourceau, lorsqu'elle se livre aux sales voluptés, etc. Quoi qu'il en soit, il est certain qu'après avoir fait un fort beau dialogue sur l'immortalité de l'âme, il est tombé dans de grandes erreurs sur cette matière, soit paf rapport à la substance de l'âme, soit par rapport à son origine, soit encore par rapport à ses autres opinions. Platon mourut la première année de la 108e Olympiade, à l'âge de 81 ans , et le même jour qu'il était né.

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de premier ni de second: car la divinité est au-dessus du nombre, du temps et des siècles. C'est aussi pour cela que, passant là-dessus, nous confessons que le Père ne tire son origine de personne, et que le Fils est engendré du Père.
4. Nous l'entendons, direz-vous, mais pourquoi omettant le Père parle-t-il du Fils? Le voici : c'est parce que le Père était très-connu de tous, sinon comme Père, du moins comme Dieu : et qu'au contraire le Fils unique n'était point connu. Il a donc raison de se hâter d'en donner d'abord au commencement la connaissance à ceux qui ne le connaissaient point; mais cependant il ne laisse pas de parler du Père dans ce discours. Considérez avec moi l'esprit et la prudence de ce saint docteur. Il sait due les hommes, depuis très-longtemps, et même avant toute autre connaissance, ont celle de Dieu, et qu'ils l'adorent sur toutes choses. C'est pourquoi, sur ce fondement il établit son principe, et en tirant la conséquence, et avançant ensuite, il assure que le Fils est Dieu.
Il ne fait pas comme Platon, qui dit que l'un est esprit, l'autre âme : idées très-indignes de cette nature divine et immortelle. Car elle n'a rien de commun avec nous, mais elle est très-éloignée de rien avoir qui participe des créatures : je dis quant à la substance, et non quant à la forme extérieure (1); c'est pour cela qu'il l'a appelé Verbe. Car voulant nous apprendre que ce Verbe était le fils unique de Dieu ; de peur que quelqu'un ne pensât que c'était par une génération passible, il écarte toutes les fausses idées qui pourraient naître dans l'esprit; faisant précéder le nom de Verbe, et déclarant que ce Verbe est né de lui, et qu'il est né de lui impassiblement (2).
Vous voyez, mes chers frères , ce que je viens de dire, que saint Jean , en parlant du Fils, ne tait et n'omet pas le Père. Que si cela ne suffit pas encore pour vous mettre cette vérité dans toute son évidence, ne vous en étonnez pas : c'est de Dieu que nous vous parlons, dont la nature ne se peut représenter

1. « Quant à là forme extérieur », ou « Quant à ce qui a paru de lui au dehors » . Le grec dit skesis, en latin, habitus. J'explique ce mot sur ce que saint Paul nous apprend du Verbe, lorsqu'il dit : « Il s'est anéanti lui-même, en prenant la forme de serviteur, en se rendant semblable aux hommes , et étant reconnu pour homme , par tout ce qui a paru de lui au dehors. Voilà la forme extérieure; voilà en quoi et comment le Verbe divin, qui n'a rien de commun avec l'homme, quant à la substance, participe des créatures dans son incarnation, s'étant revêtu de nette chair et rendu semblable aux hommes.

dignement ni en paroles, ni en pensées. Voilà pourquoi saint Jean ne se sert point ici du nom de substance , parce que personne ne peut dire ce que Dieu est selon sa substance ; mais partout il nous le fait connaître par ses ouvrages. On voit que dans la suite ce Verbe est appelé lumière, et que la lumière est aussi appelée vie : ce n'est point pour cette seule raison qu'il l'a ainsi appelé ; mais c'est la première , et voici la seconde : le Verbe devait nous apprendre ce qui regarde le Père; car il dit : « Je vous ai fait savoir tout ce que j'ai appris de mon Père ». (Jean, XV, 15.)
L'évangéliste appelle le Verbe et lumière et vie, parce qu'il nous a donné la lumière qui nous éclaire et fait connaître toutes choses, et que par la lumière il nous a donné la vie. En un mot : un seul, ni deux, ni trois, ni plusieurs noms ne suffisent pour nous faire connaître ce que Dieu est ; mais il faut se tenir pour content, si par plusieurs noms même nous pouvons; du moins obscurément, nous former une idée de ses attributs. Saint Jean ne l'a pas simplement appelé « Verbe », mais en ajoutant l'article « le », il l'a désigné comme un être à part.
Faites ici attention, mon cher auditeur, que je n'ai pas vainement dit que cet évangéliste nous parle du haut du ciel; et pour cela remarquez jusqu'à quelle sublimité il a d'abord, dès le commencement, élevé l'esprit et l'âme de ses auditeurs. Car après l'avoir élevée au-dessus de tout ce qui peut tomber sous les sens , au-dessus de la terre , de la mer et du ciel, il lui fait entendre qu'il faut qu'elle monte encore plus haut, et qu'elle s'élève au-dessus même des Chérubins, des Séraphins, des Trônes, des Principautés, des Puissances, et enfin au-dessus de toutes les créatures. Quoi donc! Est-ce qu'après nous avoir élevé à de si hautes et de si sublimes idées, il a pu nous y arrêter? nullement ; mais il en est comme d'un homme qui , voyant quelqu'un arrêté sur le bord de la mer, pour considérer les villes, les côtes et les ports, après l'avoir

1. « Impassiblement », d'une manière impassible, c'est-à-dire, « sans passion, ni altération, ni diminution, ni changement de la part du Père qui engendre , ni du Fils qui est engendré. C'est là la vraie idée, ou explication du mot apathos; dans le langage des Pères grecs. Comme apathosappliqué à Dieu , marque que la nature divine est . inaltérable, immuable, imperturbable, incapable de rien recevoir de nouveau en elle-même, ni d'être jamais autre chose que ce qu'elle a été une fois , et par conséquent, « indivisible ». Voyez le premier avertissement aux protestants, de M. Bossuet, évêque de Meaux.

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transporté au milieu de l'Océan, et lui avoir ôté la vue des premiers objets qui l’occupaient, le placerait en un lieu qui, n'étant point borné, offrirait à ses yeux un spectacle immense. Ainsi l'évangéliste nous élève au-dessus de toutes les créatures, nous envoie au delà des siècles qui ont précédé la création, et nous tient les yeux en l'air et en suspens, sans nous fixer titi terme, parce qu'il n'y en a point car la raison, qui veut pénétrer dans ce commencement, cherche quel est ce commencement; et trouvant qu'il est dit du Verbe : « Il était », elle veut encore aller plus loin , et ne voit point où se fixer ; elle regarde sans relâche jusqu'à ce qu'enfin la fatigue la force à redescendre : car ce mot « Au commencement était », ne désigne et ne montre que ce qui a toujours été, et ce qui est éternel.
Vous le voyez, mes fières, qu'il n'en est pas de la vraie philosophie, et des dogmes divins, comme de ceux des Grecs : les païens reconnaissent et assignent des temps , et disent qu'entre leurs dieux , il y en a de vieux et de jeunes, d'anciens et de nouveaux : mais on ne trouve parmi nous rien de semblable. Car s'il y a un Dieu, comme il y en a sûrement un,. il n'y a rien avant lui : s'il est le Créateur de toutes choses , il est avant toutes choses : s'il est le Seigneur et le Souverain de tous les êtres, rien ne vient qu'après lui, et les créatures et les siècles.
J'avais dessein d'entrer dans d'autres questions, mais peut-être votre esprit est déjà fatigué; c'est pourquoi , après avoir donné quelques avis utiles et nécessaires pour l'intelligence de ce que j'ai dit et de, ce qui me reste à vous dire , je finirai ce discours. De quoi veux-je donc vous avertir? le voici : Je sais que les longs sermons fatiguent bien des gens ; mais cela n'arrive que lorsque l'esprit des auditeurs est préoccupé et accablé du soin et de l'embarras des affaires séculières. Car comme l'oeil, quand il est pur et net, voit les objets clairement et distinctement, et ne se fatigue point, lors même qu'il regarde les corps les plus petits et les plus subtils, tandis qu'au contraire, quand il découle du cerveau quelque mauvaise humeur, ou qu'il s'élève des entrailles quelque nuage épais qui vient s'attacher sur la prunelle, il ne peut même pas clairement distinguer les corps les plus gros et les plus matériels : ainsi, tant que l'âme reste pure et saine , et n'est infectée d'aucune maladie, elle regarde sans défaillance tout ce qu'elle doit voir; mais quand elle est souillée de mille passions, et qu'elle a perdu son ancienne vigueur, elle ne peut pas, facilement atteindre aux choses célestes, mais elle se fatigue aussitôt, elle tombe dans l'accablement, se laisse gagner par le sommeil et par la paresse, et néglige et abandonne ainsi ce qui la conduirait à la vertu et à une vie honnête, ou elle ne s'y porte que mollement et faiblement.
5. Pour ne pas tomber dans ce malheur, mes chers frères (car je ne cesserai point de vous répéter ce que je viens de vous dire), ranimez votre courage; de cette manière vous ne nous obligerez pas de vous faire le reproche que saint Paul faisait aux Hébreux nouvellement convertis à la foi : « Nous aurions », leur disait-il, « beaucoup de choses à dire qui sont difficiles à expliquer » : Non qu'elles le soient de leur nature, « mais à cause de notre lenteur et de notre peu d'application à les entendre ». (Héb. V, 11.) En effet, celui qui a l'esprit lourd et paresseux se fatigue également d'un court comme d'un long discours, et trouve difficile à entendre ce qui est clair et aisé. Loin d'ici donc de tels auditeurs ! mais qu'après s'être déchargé de tout le soin des choses terrestres, chacun vienne écouter la divine parole qu'on va vous expliquer.
Lorsque l'auditeur est prévenu de l'amour des richesses, il ne peut plus être possédé de celui de l'instruction, attendu qu'un même coeur ne peut suffire à plusieurs passions, qu'une passion chasse l'autre, et qu'étant partagé il en devient plus faible (1) : la passion dominante attire tout à soi. C'est ce qu'on a coutume de voir dans les pères à l'égard de leurs enfants. Si un père n'a qu'un seul enfant, il lui donné toute son affection et sa tendresse, mais quand il en a plusieurs, son amour se partage et s'affaiblit d'autant. Que s'il en est ainsi pour les attachements les plus impérieux de la nature et du sang , et quand l'affection, tout en se dispersant, ne sort pas de la famille, que sera-ce des amours qui proviennent de la volonté, surtout lorsqu'ils sont inconciliables à ce point? car l'amour des richesses est contraire à l'amour d'une telle doctrine. Nous entrons

1. Nul ne peut servir deux maîtres, dit notre souverain Maître, car ou il haïra l'un , et aimera l'autre , ou il se soumettra à l'un, et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et les richesses. (Matth. VI, 24.)

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dans le ciel quand nous entrons dans ce temple. Ce n'est pas du lieu, mais c'est du sentiment et de la disposition du coeur que je parlé. Celui qui est encore sur la terre peut être habitant du ciel , il peut se représenter les choses célestes, il peut les entendre. Que nul ne porte donc rien de terrestre dans le ciel ; que nul ne s'occupe de ses affaires domestiques, lorsqu'il est en ce lieu. Il faudrait au contraire emporter dans sa maison et à la place publique les trésors que l'on amasse ici, bien loin d'embarrasser et de charger l'Eglise du bagage des maisons et des places. Si nous montons dans cette chaire de doctrine , c'est pour vous purifier de toute cette fange mondaine. Si ce peu d'attention et de tranquillité que nous demandons de vous, vous allez l'affaiblir et le perdre par des soins et des pensées vaines et étrangères, mieux eût valu ne pas venir.
Gardez-vous donc, mes très-chers frères, de penser dans l'Eglise à vos affaires domestiques, mais plutôt quand vous serez chez vous, entretenez-vous de ce qu'on vous apprend ici. Ces choses doivent vous être plus précieuses que toutes les autres : celles-ci regardent Pâme , celles-là le corps, ou plutôt ce qu'on vous enseigne ici sert au corps et à l'âme. Voilà pourquoi vous devez vous attacher aux unes comme étant les plus importantes et les plus nécessaires, et faire les autres par manière d'acquit : car celles-là sont utiles et pour la vie future et pour la vie présente, mais celles-ci ne servent ni à l'une ni à l'autre, si l'on ne se conforme à ce que prescrit la loi. En effet , nous devons apprendre ici, non-seulement quelle sera notre vie dans l'autre monde, mais encore comment nous devons nous conduire en celle-ci.
Cette maison est un laboratoire spirituel, où l'on prépare les médicaments, afin que nous y trouvions de quoi guérir les plaies que notas fait le monde : n'y venons donc pas nous en faire de nouvelles, pour en sortir ensuite en plus mauvais état que nous n'y étions entrés. Si nous ne sommes attentifs à la voix de l'Esprit-Saint qui nous parle, non-seulement nous ne laverons pas nos premiers péchés, mais encore nous nous souillerons de taches nouvelles. Soyons donc soigneusement attentifs à la lecture et à l'explication du Livre saint. Nous n'aurons pas dans la suite beaucoup de peine à l'entendre, si une fois nous en avons bien
compris les principes et les buses : et si nous nous sommes donné un peu de peine au commencement, nous serons ensuite en état d'instruire les autres, comme saint Paul nous y exhorte. L'Evangile de l'apôtre saint Jean est très-élevé et très-sublime, et les dogmes surtout y abondent. Ne l'écoutons point négligemment, je vous en prie, mes chers frères : je vous l'expliquerai peu à peu , afin qu'il vous soit plus facile de tout entendre et de ne rien oublier.
Nous devons craindre que la sentence que prononce Jésus-Christ, quand il dit : « Si je n'étais point venu, et que je ne leur eusse point parlé , ils n'auraient point le péché qu'ils ont (Jean, XV, 22) », ne soit prononcée contre nous-mêmes. Quel avantage aurons-nous sur ceux qui n'ont rien entendu, si nous sortons du sermon sans en rien rapporter avec nous, et si nous nous sommes contentés d'admirer la beauté des paroles? Faites donc en sorte que nous jetions la semence dans une bonne terre ; faites-le si vous voulez nous encourager toujours davantage : et si quelqu'un a des épines, qu'il les consume par le feu du Saint-Esprit; s'il a un coeur dur et obstiné, que par le même feu il l'amollisse, et le rende docile ; s'il est attaqué dans le chemin d'une foule de pensées, qu'il se retire dans le secret de son coeur et qu'il n'écoute point ces ennemis, qui n'y voudraient entrer que pour voler de cette sorte nous aurons la consolation de vous voir faire de riches et d'abondantes moissons. Si nous veillons ainsi sur nous, et si nous écoutons la parole de Dieu avec soin, nous nous débarrasserons de tous les intérêts séculiers, sinon sur-le-champ, du moins peu à peu. Faisons donc en sorte qu'on ne dise pas de nous : « Leurs oreilles sont semblables à celles de l'aspic qui est sourd ». (Ps. LVII, 4.)
Un auditeur sourd, dites-le-moi, en quoi diffère-t-il de la bête? Comment! celui qui n'écoute pas Dieu, lorsqu'il lui parle, n'est-il pas plus irraisonnable que tout ce qu'il y a de plus irraisonnable? Si plaire à Dieu, c'est là le tout de l'homme, qu'on n'appelle point autrement que bête celui qui ne veut pas apprendre ce qui lui procurerait ce bonheur. (Eccl. XII, 13.) Considérons donc quel mal nous commettons, lorsque Jésus-Christ voulant rendre les Hommes semblables aux anges, nous, d'hommes que nous sommes, nous nous changeons en bêtes : car se rendre esclave de la sensualité, [112] avoir de la passion pour les richesses, être colère , mordre et regimber, ce n'est pas d'un homme, mais d'une bête : or, chaque bête, pour ainsi dire , a les passions de son espèce mais l'homme qui a éteint en lui-même la lumière de la raison , et abandonné la manière de vivre que Dieu lui a prescrite, tombe sous le joug de toutes les passions : ce n'est plus une bête , c'est un monstre informe et bizarre qui n'a pas même l'excuse de la nature; car toute sa méchanceté vient de son libre arbitre et de sa volonté.
Mais à Dieu ne plaise que nous concevions jamais une telle idée de l'Eglise de Jésus
Christ ! nous avons une meilleure opinion de vous, et de votre salut (Héb. VI, 9), mes très chers frères, mais plus elle est grande et forte chez nous, cette bonne opinion , moins aussi cesserons-nous de vous mettre en garde par nos discours, afin qu'après que vous serez parvenus au comble des plus éminentes vertus, vous acquériez l'héritage qui nous est promis. Puissions-nous tous en être gratifiés, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui la gloire soit au Père et au Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.


HOMÉLIE III.
AU COMMENCEMENT ÉTAIT LE VERBE. (VERSET 1.)
ANALYSE.

1. Consacrer au Seigneur un des sept jours de la semaine. — Quelle éducation il faut donner,à la jeunesse.
2. Sentiment des hérétiques anoméens sur le Verbe.
3. et 4. Preuves de l'éternité. du Verbe.
5. et 6. Contre la vaine gloire. — Maux qu'elle produit. — On lui sacrifie ses richesses. — On imagine tout, on fait tout pour plaire au peuple. — Belle définition du peuple. — La gloire du peuplé n'est point une vraie gloire. — Cas qu'on doit faire de la multitude. — Ne chercher que Dieu seul pour spectateur et pour panégyriste des bonnes rouvres que l'on fait. .

1. Il serait à présent inutile de vous exhorter à être assidus et attentifs aux sermons, tant vous êtes empressés de mettre à profit ma dernière exhortation. Ce concours, cette persévérance à rester debout, cette ardeur, cet empressement à venir occuper les places les plus proches de la chaire , d'où vous pouvez plus facilement entendre ma voix ; cette constance à ne point sortir d'ici jusqu'à ce que tout soit fini , quoique vous y soyiez bien à l'étroit, et fort gênés, ces acclamations, ces applaudissements , tout en un mot , montre visiblement et la ferveur de votre âme , et l'attention de votre esprit : voilà pourquoi il serait superflu de vous parler davantage sur ce sujet : mais il est à propos de vous dire, et il importe même de vous avertir de persévérer dans le même esprit, et non-seulement d'apporter ici ce zèle et cette affection , mais encore de vous entretenir dans vos maisons de ce que vous avez entendu au sermon : le mari avec sa femme, le père avec son fils : que chacun dise ce qu'il a retenu et interroge les autres : que tous, à tour de rôle , apportent au trésor commun leur contribution.
Et ne me dites point qu'il n'est pas temps encore d'occuper les enfants de ces choses; car je vous répondrai que non-seulement il leur serait nécessaire d'en faire leur, étude, mai, aussi leur unique occupation. Toutefois, je ne

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vous l'ordonne point à cause de votre faiblesse; je ne veux pas détourner les jeunes gens de l'étude des auteurs profanes, pas plus que vous des affaires civiles : des sept jours de la semaine, je vous prie seulement d'en consacrer un à Notre-Seigneur.
Ne serait-il pas ridicule à nous, qui obligeons nos domestiques de nous servir, sans y manquer un seul jour, de ne pas donner à Dieu au moins quelques petits moments de notre loisir, et surtout puisque nos services, qui ne sont nullement utiles à Dieu, car le Seigneur n'a besoin de rien, tournent entièrement à notre profit et à notre avantage ?
Mais quand vous menez vos enfants au théâtre et aux spectacles, vous n'avez point d'études, ni d'autres occupations à prétexter il n'en est plus question ; et lorsqu'il s'agit de quelque profit spirituel, vous dites que c'est un dérangement ! Comment n'irriteriez-vous pas la colère de Dieu ? vous trouvez du temps de reste pour toute autre chose, mais pour 1e service de Dieu, vous jugez que le loisir manque à vos enfants 1 Ne vous conduisez pas ainsi, mes chers frères, ne vous conduisez pas ainsi. C'est principalement cet âge qui a besoin de nos leçons: comme il est tendre, l'instruction que l'on donne entre facilement dans l'esprit, et s'y imprime comme le cachet sur la cire ; sans compter que c'est le moment critique qui décide du penchant de la vie entière ou au vice, ou à la vertu. Si donc au commencement, et dès les premières années, on détourne les enfants du vice, et qu'on les mette dans le droit chemin , on leur inculquera certaines habitudes qui resteront en eux comme une seconde nature : ils ne se porteront pas d'eux-mêmes facilement au mal, la coutume les retiendra et les entraînera au bien. Par là , nous les rendrons plus respectables et plus utiles à l'état que les vieillards eux-mêmes, et nous leur inspirerons, dès la jeunesse, les vertus de la maturité.
Il est impossible, comme je l'ai dit ailleurs, que ceux qui assistent à ces sermons , et fréquentent un si grand apôtre, n'en retirent un très-grand fruit : homme ou femme, jeune ou vieux, nul ne prendra en vain sa part d'un tel banquet. Si, par la parole , nous apprivoisons les bêtes que nous avons prises, à combien plus forte raison ne porterons-nous pas les hommes à la vertu par la parole spirituelle , quand il y a tant de disproportion entre ces deux objets de nos soins comme entre ces deux espèces de remèdes? Il n'y a pas en nous autant de férocité que dans les bêtes , car dans les bêtes la férocité naît de leur nature ; mais dans les hommes elle vient de leur libre arbitre. Et aussi , il y a une grande différence dans les paroles : les unes rie sont qu'une production de l'homme; mais les autres viennent de la vertu et de la grâce du Saint-Esprit. Si quelqu'un désespère donc de soi , qu'il pense à ces bêtes qu'on a apprivoisées, et jamais il ne tombera dans le désespoir ; qu'il vienne souvent en ce lieu de guérison ; qu'il écoute assidûment la parole de Dieu; et, de retour dans sa maison, qu'il repasse dans son esprit ce qu'il a entendu ; de cette sorte , il s'affermira dans la bonne espérance et dans la confiance, averti de ses progrès par sa propre expérience. Quand le diable voit la loi de Dieu gravée dans une âme, et que le coeur est la table où elle est écrite, il n'ose aller plus avant. Lorsque les édits du roi , non gravés sur une colonne de bronze, mais empreints dans une âme pieuse par le Saint-Esprit , font rejaillir au dehors leur beauté et leur lumière, il ne peut les regarder en face, il leur tourne le dos et s'enfuit promptement (1) : rien en effet n'est si formidable au démon, et n'écarte mieux les pensées qu'il inspire, qu'une âme qui médite la loi de Dieu, et qui demeure toujours penchée sur cette fontaine. Aucun accident, quelque fâcheux qu'il soit, ne pourra la troubler : nulle prospérité ne pourra l'enfler, ni l'enorgueillir; mais, au milieu des orages et de la tempête, elle jouira d'un grand calme.
2. Non, ce ne sont pas les choses en soi qui nous agitent et nous troublent, mais bien l'infirmité de notre coeur. Sinon , il faudrait nécessairement que tous les hommes fussent dans le trouble. Nous naviguons tous sur la même mer, nous sommes donc tous exposés aux mêmes flots et aux mêmes tempêtes. Que s'il y a des gens qui s'élèvent au-dessus de la tempête et des furieux orages de la mer, il est évident que ce n'est pas la fortune qui produit ces orages, mais l'état de notre coeur : si nous nous tenons donc prêts à toute sorte d'événements, nous ne serons nullement exposés aux flots et à la tempête, mais nous jouirons toujours d'un calme parfait.

1. On peut regarder cet endroit comme une allusion au verset 3 du chapitre III de la deuxième Epître de saint Paul aux Corinthiens. — Voyez-le

114

Je ne m'étais point proposé d'entrer dans ce détail: je ne sais comment j'en suis venu à m'étendre aussi longuement là-dessus. Pardonnez cet écart, je vous en prie, mes chers frères, à la crainte, à la vive crainte que j'éprouve devoir se refroidir votre zèle. Si j'avais été rassuré sur ce point , certainement je ne vous aurais point parlé de toutes ces choses, car votre zèle eût suffi pour vous rendre tout aisé et facile.
Il est temps de commencer, de peur que vous n'entriez au combat étant déjà fatigués. Nous avons à combattre les ennemis de la vérité, ceux qui font tous leurs efforts pour renverser la gloire du Fils de Dieu, ou plutôt la leur propre : car la gloire du Fils de Dieu ne peut recevoir de changement (1); elle est toujours la même, les langues médisantes ne peuvent l'affaiblir; mais eux, lorsqu'ils s'étudient et s'efforcent d'abattre Celui qu'ils adorent (à ce qu'ils disent), ils se couvrent d'infamie et condamnent leurs âmes aux supplices.
Que disent-ils donc, lorsque nous prononçons ces paroles : « Au commencement était le Verbe? » Ils répondent que ces mots : « Au commencement était le Verbe », ne marquent pas ouvertement l'éternité ; car, disent-ils, on l'a de même dit du ciel et de la terre. Oh ! quelle impudence, et quelle extrême impiété ! je te parle de Dieu, et toi tu me parles de la terre et des hommes qui en sont sortis? Quoi donc, parce que Jésus-Christ est dit Fils de Dieu et Dieu, et que l'homme est dit aussi fils de Dieu et dieu; parce qu'il est écrit : « J'ai dit : Vous êtes des dieux, et vous êtes tous enfants du Très-Haut » (Ps. LXXXI, 6), tu disputeras de la filiation avec le Fils de Dieu, et tu diras qu'il n'a rien de plus que toi? Nullement, réponds-tu. Tu le fais, te dis-je, bien que tu ne l'avoues pas expressément. Comment? c'est en disant que tu as reçu l'adoption par grâce, et lui aussi : car, quand tu dis qu'il n'est pas Fils par nature, tu ne dis autre chose, sinon qu'il est Fils par grâce.
Mais voyons quelles preuves, quels témoignages nous apportent ces hérétiques : « Au commencement Dieu a fait le ciel et la terre: et la terre était invisible, et toute en désordre ». (Gen. I, 1.) Et, « il était un homme d'Armathaïm Sipha ». (I Rois, I.) Ces paroles leur paraissent fortes . et véritablement elles

1. Car Dieu, dit saint Jacques , ne peut recevoir ni de changement, ni d'ombre par aucune révolution.

le sont; mais c'est pour démontrer la vérité de notre doctrine. Car pour prouver leur blasphème, rien n'est plus faible. En effet, je te le demande : qu'y a-t-il de commun entre cette parole : « Il a fait » , et celle-ci : « Il était? » Qu'est-ce que Dieu a de commun avec l'homme? Pourquoi joins-tu ce qu'on ne peut joindre ensemble ? Pourquoi confonds-tu ce qui est séparé, et mets-tu en bas ce qui est en haut ? En cet endroit-ci le terme « Il était », ne montre pas l'éternité, si on le prend seul ; mais il la montre et la déclare, si on le joint à ceux-ci : « Au commencement il était » , et « le Verbe était » : comme donc le mot « étant », quand il est dit de l'homme, ne marque que le temps présent, et lorsqu'il est dit de Dieu, désigne l'éternité ; de même aussi le mot « il était », s'il est dit de notre nature, signifie un temps passé et même encore un passé borné: mais quand il est dit de Dieu, il marque l'éternité. C'est assez, pour celui qui a entendu ces paroles, d'avoir ouï nommer « la terre» et « l'homme », pour n'en penser et n'en rien dire de plus que ce qui convient à la nature créée. Tout ce qui a été fait, a été fait dans le temps ou dans le siècle : mais le Fils de Dieu n'est pas seulement avant le temps; il est aussi avant tous les siècles, puisqu'il en est le Créateur. Car l'Écriture dit de lui : « Par qui il a même créé les siècles ». (Héb. I, 2.) Or le Créateur est certainement antérieur aux créatures.
Mais comme il se trouve des gens assez insensés pour s'abuser encore après cela sur le rang qui leur appartient, l'Écriture arrête tout à coup à leur esprit, et renverse toute leur impudence par ce mot : « Il a fait» , et cet autre : « II était un homme ». Car tout ce qui a été fait, le ciel, la terre, a été fait dans le temps, a eu un commencement temporel, et aucune de toutes ces choses n'est sans un commencement, par cela seul qu'elle a été créée. Ainsi donc , quand vous entendez ces mots : « il a créé la terre » , et : « l'homme était » , toutes vos objections ne sont plus qu'un bavardage inutile. Je vais plus loin. Quand bien même i1 serait dit de la terre : Au commencement était l'homme, il n'en faudrait penser rien de plus que ce que nous en connaissons maintenant, quoique l'Écriture se fût servie de ces expressions, parce qu'ayant fait précéder le nom de terre , et celui d'homme, quelque chose qu'elle en dise après, [115] l'esprit ne peut rien concevoir au delà de ce que nous en savons : et, tout au contraire, le nom de Verbe, quelques basses expressions qu'on emploie ensuite en parlant de lui, ne permet pas néanmoins qu'on s'en forme une idée basse et indigne. Mais de plus l'Ecriture parle après de la terre en ces termes : « Or, la terre était invisible et tout en désordre ». (Gen. I, 1.) Ayant dit que Dieu avait créé la terre, et qu'il lui avait prescrit ses bornes (Ps. CXIII, 9), elle rapporte ensuite ce qui suit en toute assurance, sachant bien qu'il n'y aura personne d'assez insensé pour penser que la terre n'a point eu de commencement, et qu'elle n'a point été créée. En effet, le mot : « terre » , et cet autre : « il a créé » , sont plus que suffisants pour persuader à l'homme le plus déraisonnable, qu'elle n'est ni éternelle, ni incréée , mais qu'elle est du nombre des choses qui ont été faites dans le temps.
3. En outre, ce mot : « il était », étant dit de la terre et de l'homme, ne signifie pas simplement l'existence de l'un et de l'autre ; il sert à expliquer, pour ce qui regarde l'homme, son origine; pour ce qui concerne la terre, sa forme ; car l'Ecriture n'a pas simplement dit: la terre était; elle n'en est pas restée là, mais elle a fait connaître sa forme après sa création; elle a dit . « La terre était invisible et toute en désordre », elle était encore couverte d'eau, et mêlée dans les eaux. Et parlant d'Elcana, elle n'a pas seulement dit : « II était un homme » , mais elle a ajouté le lieu de sa naissance, « d'Armathaïm Sipha ».
Mais quand il s'agit du Verbe, ce n'est pas ainsi qu'elle en parle. Et en vérité, j'ai honte d'examiner ces choses ensemble. Si nous blâmons ceux qui font ces sortes d'examens et de comparaisons à l'égard des hommes, lorsqu'il y a une grande différence dans la vertu de ceux que l'on compare ensemble , quoique néanmoins ils soient tous d'une seule et même nature ; quand au contraire il y a une distance infinie entre les personnes comparées pour la nature et à tout égard, n'est-il pas alors d'une extrême folie d'oser agiter ces sortes de questions? mais, veuille Celui qu'outragent ces blasphèmes nous excuser et nous pardonner ! la faute n'est point à nous, mais à ces ennemis de leur propre salut, qui nous forcent d'entrer dans de semblables explications.
Que dis-je donc? je dis que ce mot : « il était », étant dit du Verbe, ne marque autre
chose qu'une existence éternelle , car l'Evangéliste dit : « Au commencement était le Verbe »; et que le second, « il était » qui vient après, signifie que le Verbe était avec quelqu'un. Comme c'est le plus spécial attribut de Dieu, d'être éternel et sans principe, c'est aussi ce que l'Evangéliste a premièrement posé et établi. Ensuite, de peur qu'en entendant cette parole : « Au commencement il était », quelqu'un ne dît que le Verbe était aussi non engendré, « comme le Père », il le prévient aussitôt et l'arrête, en disant : « Il était avec Dieu », avant de dire ce qu'il était : et encore, de peur qu'on ne pensât que le Fils était la parole externe ou interne, il en détruit le soupçon et la pensée par l'article qu'il fait précéder, comme je l'ai dit plus haut, et par ce qu'il joint après; car il n'a point dit : Le Verbe était dans Dieu, mais « il était avec Dieu » ; en quoi il marque l'éternité de son hypostase, ce qu'il exprime ensuite plus clairement, en ajoutant : « Le Verbe était Dieu ».
Je le vois, vous m'allez dire : « Le Verbe était Dieu » ; mais c'est parce qu'il a été fait Dieu. Rien n'empêchait donc que saint Jean ne dît : Au commencement Dieu a fait le Verbe ? Moïse parlant de la terre n'a point dit : Au commencement était la terre, mais il a dit Dieu a fait la terre (Gen. I, 1), et la terre a été faite. Qu'est-ce donc qui a empêché Jean de dire : Au commencement Dieu a fait le Verbe? le voici. Si Moïse a dit : la terre a été faite, parce qu'il craignait que quelqu'un ne dît qu'elle n'avait point été faite, saint Jean aurait eu bien plus de raison de craindre, si le Fils eût été créé, qu'on n'eût dit de lui qu'il n’avait point été créé , car la terre étant visible, annonce par elle-même le Créateur : « Les Cieux », dit le Prophète, « racontent la gloire de Dieu » (Ps. XVIII, 1) : mais le Fils est invisible, et il est infiniment au-dessus de toutes les créatures. Si donc, quoiqu'il n'y eût nul besoin ni de paroles, ni de doctrine, pour nous apprendre que le monde avait été fait, le Prophète, toutefois, le marque clairement, et avant toutes choses, saint Jean avait bien plus de raison de le dire du Fils, s'il eût été créé.
Vous m'objecterez encore: Mais saint Pierre le dit clairement et manifestement : Où et quand 1e dit-il? c'est lorsqu' adressant la parole aux Juifs, il leur dit : « Dieu l'a fait Seigneur et Christ ». (Act. II, 36.) Mais, dites-moi vous-mêmes pourquoi vous n'avez point [116] ajouté ce qui suit: « Ce Jésus que vous avez crucifié ». Ignorez-vous que de ces paroles, les unes se rapportent à la nature immortelle, et les autres à l'Incarnation. Si cela n'est point ainsi, et si vous appliquez tout à, la divinité, vous conclurez et vous nous prouverez que Dieu est passible ; mais s'il n'est point passible, il s'ensuit aussi qu'il n'a point été fait. Car si c'est de la nature divine et ineffable qu'a coulé le sang qui a été répandu, et si c'est elle qui, au lieu de la chair, a été déchirée et percée de clous sur la croix, le sophisme que vous me faites est appuyé sur la raison. Mais si le diable même n'a point blasphémé de la sorte , toi, pourquoi feins-tu une ignorance impardonnable, dont jamais les démons mêmes ne se sont avisés ?
Mais de plus, ces noms: Seigneur et Christ, sont des noms de dignité, et ne désignent point la substance. L'un marque la puissance, l'autre l'onction. Que diras-tu donc du Fils de Dieu? S'il est créé, comme tu le dis, tout ce qui est écrit de lui tombe et n'a plus de lieu. En effet, il n'a pas été créé auparavant, afin qu'alors Dieu lui tendît la main pour marquer son choix et l'élever : il n'a pas non plus une origine , un commencement vil et abject; mais ce qu'il est, il l'est par sa nature et par sa substance. Quand on lui demanda s'il était roi, il répondit : « C'est pour cela que je suis né ». (Jean, XVIII, 37.) Saint Pierre parle donc comme de quelqu'un qui a été choisi et destiné , parce que c'est de l'homme qu'il parle.
4. Pourquoi vous étonner de ces paroles de saint Pierre ? Saint Paul, prêchant aux Athéniens, qualifie le Fils seulement d'homme, disant : « Par un homme qu'il a destiné pour être le juge, et il en a donné des preuves à tout le monde lorsqu'il l'a ressuscité». (Act. XVII, 31.) Il ne dit point qu'il a la forme de Dieu, ni qu'il est égal à Dieu, ni qu'il est la splendeur de sa gloire, et c'est avec raison. Il n'était pas encore temps de le dire, et c'était alors assez pour eux de croire qu'il était homme et qu'il était ressuscité. Jésus-Christ lui-même l'a ainsi pratiqué; saint Paul, qui avait appris de lui, dispensait de même la parole de l'Evangile. Car Jésus-Christ ne nous a pas d'abord révélé sa divinité; mais auparavant le Prophète, et le Christ était simplement regardé comme un homme; et ensuite, par ses paroles et par ses oeuvres, il a fait connaître ce qu'il était véritablement: voilà pourquoi saint Pierre en use de la sorte au commencement les paroles que vous m'avez alléguées sont du premier sermon qu'il a prêché aux Juifs. Comme ils n'étaient point capables encore de rien apprendre de la divinité de Jésus-Christ, il leur parle de sa nature humaine, afin que leurs oreilles y étant accoutumées, fussent
après plus propres et plus disposées à recevoir toute la suite de la doctrine. Que si quelqu'un veut reprendre de plus haut cette prédication de l'Apôtre, il y trouvera la preuve évidente de ce que je dis, il verra que saint Pierre appelle Jésus-Christ homme, et qu'il parle fort au long de sa passion, de sa,résurrection et de sa génération selon la chair. Quant à ce que dit saint Paul du Fils de Dieu, qu' « il lui est né selon la chair, du sang et de la race de David (Rom. I, 3) », il ne nous apprend rien autre chose, sinon que par ce mot : « il est né », il a en vue l'incarnation, et il ne fait en cela que confirmer notre sentiment.
Mais l'enfant du tonnerre nous parle maintenant de son ineffable existence, qui est avant tous les siècles. C'est pourquoi il ne dit point « il a été fait » ; mais « il était ». Et c'est ce qu'il fallait expressément marquer ici, s'il eût été créé. Saint Paul a pu craindre que quelque insensé ne pensât que le Fils était plus grand que le Père, et que le Père était assujetti au Fils; car c'est cette crainte qui lui fait dire aux Corinthiens : « Quand l'Ecriture dit que tout lui est assujetti, il est indubitable « qu'il en faut excepter celui qui lui a assujetti toutes choses ». ( I Cor. XV, 26, 27.) Et qui pourrait penser que le Père fût assujetti au Fils avec toutes choses? Et néanmoins saint Paul a craint qu'il n'y eût des hommes capables de concevoir des pensées si absurdes, et a dit pour cela, même : « Excepté celui qui lui a assujetti toutes choses », saint Jean avait bien plus de raison de craindre, si le Fils eût été créé, que quelqu'un ne crût qu'il était incréé, et de nous l'apprendre préférablement à toute autre chose. Mais comme il est engendré, ni saint Jean, ni aucun autre, ou apôtre ou prophète, ne disent comme de juste qu'il ait été créé. Bien plus, le Fils unique lui-même n'aurait pas manqué de le dire, si véritablement il eût été créé. Celui qui dit de soi tant de choses basses par condescendance, aurait encore beaucoup moins-tu qu'il n'était qu'une créature : je crois même qu'il est plus vraisemblable [117] qu'il a plutôt tu et caché une partie de sa grandeur et de son excellence, que caché et tu ce qui lui manquait, et omis de déclarer qu'il ne l'avait pas. Voulant enseigner l'humilité aux hommes, il avait un sujet raisonnable de garder le silence sur ses plus sublimes attributs : mais ici, « à l'égard de sa prétendue création », vous ne sauriez m'alléguer la moindre raison un peu spécieuse de la taire. Car pourquoi Celui qui passait sous silence une infinité de ses titres, s'il eût été créé, l'aurait-il caché? Celui qui, pour enseigner l'humilité, a souvent parlé dans des termes qui ne lui étaient ni propres, ni convenables, n'aurait pas omis, à plus forte raison, qu'il était créé, s'il eût été créé.
Ne vois-tu pas qu'il n'est rien qu'il ne fasse et ne dise pour empêcher qu'on pense qu'il n'est point engendré ; qu'il dit même des choses qui sont au-dessous de sa dignité et de sa nature, et qu'il s'abaisse jusqu'à l'humble qualité de prophète? car ces paroles : «Je juge selon ce que j'entends » (Jean, V, 30), et ces autres : « C'est lui, c'est mon Père, qui m'a enseigné ce que je dois dire, et ce que je dois enseigner (1) », sont des paroles qui n'appartiennent qu'à des prophètes. Si donc, pour prévenir ce soupçon, il n'a pas dédaigné de tenir un si humble langage, à plus forte raison s'il eût été créé se serait-il encore exprimé de la sorte de peur que quelqu'un ne pensât qu'il était incréé : il eût dit, par exemple : Gardez-vous de croire que j'aie été engendré par le Père : j'ai été fait, et je ne suis point engendré, je ne suis pas non plus de la même substance que le Père. Mais maintenant il fait tout le contraire, il dit des choses qui nous forcent, même malgré nous, d'embrasser le sentiment opposé, comme par exemple : « Je suis dans mon Père, et mon Père est en moi ». (Jean, XIV, 10.) Et : «Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas encore? Philippe, celui qui me voit, voit mon Père ». (Jean, XIV, 9.) Et : « Afin que tous honorent le Fils, comme ils honorent le Père ». (Jean, v, 23.) « Comme le Père ressuscite les morts, et leur rend la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il lui plaît ». (Jean, V, 21.) « Mon Père ne cesse point d'agir jus« qu'à présent, et j'agis aussi incessamment ». (Jean, V, 1.) « Comme mon Père me connaît

1. Le saint Docteur cite ici le sens; et non les paroles; mais ces paroles, quant au sens, se trouvent en plusieurs endroits de saint Jean.

je connais mon Père ». (Jean, X, 15.) « Mon Père et moi nous sommes une même chose ». (Jean, X, 30.) Et partout il met : « comme » et « ainsi » : il dit que son Père et lui sont une même chose, et il déclare qu'il n'y a aucune différence entre eux.
Mais encore : il montre et manifeste sa puissance, et par ces paroles et par plusieurs autres. Comme lorsqu'il dit : « Tais-toi, calme-toi » (Marc, IV, 39), « je le veux, soyez guéri » (Match. VIII, 3), « je te le commande : Démon sourd et muet, sors de cet enfant ». (Marc, IX, 24.) Et ceci encore : « Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens : vous ne tuerez point; mais moi je vous dis, que quiconque se mettra en colère sans sujet contre son frère, méritera d'être condamné ». (Matth. V, 21, 22.) Et tant d'autres préceptes ou miracles qui suffisent pour prouver sa puissance; que dis-je? c'est bien des fois plus qu'il n'en faut pour gagner et convaincre tout homme qui n'aura pas perdu le sens et la raison.
5. Mais telle est la force de la vaine gloire, que, même dans les choses les plus claires et les plus -évidentes, elle peut aveugler l'esprit de ceux qui en sont possédés, leur persuader de combattre ce qui est le mieux avéré; elle peut même pousser au mensonge et à la révolte ceux qui sont le mieux convaincus de la vérité. C'est là ce qu'ont fait les Juifs : car ils ne niaient pas le Fils de Dieu par ignorance, mais pour se concilier la faveur du vulgaire : « Ils croyaient en lui », dit l'Écriture, « mais ils craignaient d'être chassés de la synagogue ». (Jean, XII, 42.) Et ils perdaient leur salut pour l'amour des autres. Celui qui recherche ainsi la gloire du monde ne peut acquérir celle qui vient de Dieu. Voilà pourquoi Jésus-Christ leur fait ce reproche: « Comment pouvez-vous croire, vous qui recherchez la gloire des hommes, et qui ne recherchez point celle qui vient de Dieu? » (Jean, V, 44.)
La vaine gloire, mes frères, est en quelque sorte une profonde ivresse, Voilà pourquoi celui qui est attaqué de cette maladie s'en délivre difficilement : elle est un cruel tyran qui, arrachant du ciel l'âme. de ses esclaves, l'attache à la terre, ne lui permet pas de voir la vraie lumière, la pousse à se vautrer toujours dans la boue, et lui donne des maîtres si puissants, qu'ils la font obéir sans lui faire aucun commandement : car celui qui est infecté de cette passion, fait volontairement, quoique [118] personne ne l'y engage et ne l'y force; fait, dis-je, tout ce qu'il imagine pouvoir plaire à ces maîtres. C'est pour l'amour d'eux, c'est afin de leur plaire qu'il se revêt de beaux vêtements, qu'il orne son visage, non pour soi, mais pour les autres; qu'il se fait accompagner à la place d'une foule de domestiques, afin de s'attirer les regards et l'admiration de tout le monde; enfin, tout ce qu'il fait, c'est pour les autres qu'il le fait. Est-il une pire et plus dangereuse maladie que celle-là? souvent pour se faire regarder et admirer, il se précipite dans quelque abîme. Certes, ce qu'en a dit Jésus-Christ suffit pour en montrer toute la tyrannie. Mais je veux encore la faire connaître par d'autres endroits. Demandez à ces citoyens qui répandent leurs richesses avec tant de profusion pourquoi ils donnent de si grosses sommes d'argent, à quelle fin cette prodigieuse dépense ? ils n'auront que cette seule réponse à vous faire : c'est pour plaire au peuple. Mais interrogez-les encore, demandez-leur ce que c'est que le peuple? c'est quelque chose, diront-ils, qui est plein de tumulte et d'agitation, où la déraison domine, qui va au hasard, comme les flots de la mer, un chaos d'idées et de sentiments contradictoires: est-il donc rien de plus misérable que celui qui se donne un tel maître ?
Mais que les personnes séculières s'attachent à la vaine gloire et la recherchent, c'est un mal sans doute, mais un mal relativement minime : au contraire, quand cette maladie s'acharne avec un redoublement de fureur sur ceux qui prétendent avoir renoncé au monde, c'est alors surtout que les effets en sont terribles. Car ceux-là ne prodiguent et ne perdent que leur argent, mais ceux-ci perdent leur âme : pour l'amour de la vaine gloire , abandonner la saine doctrine ! pour s'acquérir l'estime, déshonorer Dieu ! quelle lâcheté, quel engourdissement, quelle folie une telle conduite ne marque-t-elle pas? Les autres vices, s'ils causent de grands dommages, procurent au moins quelque plaisir, quoique court et passager. Car l'avare, l'ivrogne, celui qui aime les femmes, goûtent en se perdant un instant de plaisir; mais ceux qui sont captifs de cette passion mènent une vie dure et cruelle, sans jouir jamais d'aucun plaisir. En effet, jamais ils n'atteignent à ce qu'ils désirent le plus, je veux dire à la gloire, la considération publique . ils paraissent véritablement en jouir, et toutefois ils n'en jouissent point, parce que ce n'est point là une vraie gloire.
Voilà pourquoi cette passion n'est point appelée gloire, mais chose vide de gloire; et tel est le sens du nom que lui ont donné justement les anciens (1), parce qu'elle n'a rien de réel, rien de beau, rien de glorieux au dedans. Un masque (2) paraît au dehors beau et aimable, mais il est vide au dedans , et ne peut, pour cela même, bien que supérieur en beauté à bon nombre de visages, s'attirer jamais l'amour de personne : ainsi en est-il de cette gloire du peuple; elle est même quelque chose de plus misérable, car elle engendre la tyrannique et redoutable passion dont nous avons parlé : elle n'a qu'une beauté extérieure et superficielle, tandis que l'intérieur non-seulement est vide, mais encore flétri par l'infamie et désolé par la tyrannie la plus atroce.
D'où provient donc, me direz-vous, une si sotte et si extravagante passion, qui n'est capable de donner aucun plaisir? D'où? Elle ne peut venir que d'une âme basse et rampante. Il est bien difficile qu'un homme infatué de cette gloire conçoive de grands et de nobles sentiments; nécessairement il sera sans honneur, bas, rampant, méprisable; il ne fait rien pour la vertu, il fait tout pour plaire à de viles créatures, et il suit à l'aveugle leurs erronées et fausses opinions: comment vaudrait-il quelque chose ?
Mais remarquez ceci, mes chers frères; si quelqu'un lui fait cette demande et lui dit Vous même, que pensez-vous de la multitude? Il répondra sans doute . C'est une troupe de fainéants. Eh quoi? Désireriez-vous de lui ressembler ? Si quelqu'un lui adresse cette nouvelle question, je ne crois pas qu'il y réponde affirmativement. N'est-il donc pas bien ridicule de rechercher avec soin l'estime et la faveur de gens à qui on ne voudrait jamais ressembler?
6. Irez-vous dire qu'ils forment un groupe nombreux? Raison de plus pour les mépriser. Si chacun d'eux est digne de mépris, leur réunion est méprisable à plus forte raison. Leur nombre, en se multipliant, ne fait que multiplier leur déraison. C'est pourquoi si vous les prenez en particulier, vous pourrez

1. Saint Jean Chrysostome donne Ici une étymologie qui peut paraître arbitraire. Nous avons rectifié en ce sens la traduction de Le Mère qui semble n'avoir pas compris.
2. Dans l'antiquité , les masques avaient la forme de la tête et la couvraient tout entière.


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les corriger; s'ils sont une fois réunis, vous aurez bien de la peine, parce qu'alors leur folie redouble, et aussi parce qu'ils se laissent mener comme les bêtes, et qu'ils suivent aveuglément les opinions les uns des autres.
La voilà cette popularité : de grâce, dites-moi, la rechercherez-vous encore? N'en faites rien, mes frères, je vous en prie et je vous en conjure, une pareille ambition est capable de tout renverser : elle est une source d'avarice, d'envie, d'accusations, de piéges : elle arme, elle irrite ceux qui n'ont reçu aucune offense contre ceux mêmes qui ne les ont nullement offensés: celui qui est infecté de cette maladie ne connaît ni amis, ni parents, ne respecte absolument personne ; son âme dégradée , incapable désormais de constance et d'affection, devient l'ennemie du genre humain. La colère est à la vérité une passion tyrannique et insupportable, néanmoins elle n'est pas toujours en mouvement , mais seulement quand on la provoque : au contraire, la passion de la vaine gloire est incessante; il n'y a pour ainsi dire aucun temps où elle s'adoucisse, si la raison ne la réprime et ne l'éteint, niais elle est toujours là, non-seulement pour nous exciter à commettre le mal, mais encore pour nous ôter tout le mérite des bonnes actions que nous avons pu faire, quand elle ne nous a pas empêchés tout d'abord. Que si saint Paul appelle l'avarice une idolâtrie (Ephés. V, 5), quel nom donnerons-nous à sa mère, à sa racine et à sa source, c'est-à-dire à la vaine gloire? Nous n'en trouverons sûrement point qui soit propre à exprimer une si grande malignité.
Rentrons donc dans notre bon sens, mes chers frères, et dépouillons-nous de ce funeste vêtement : déchirons-le, mettons-le en pièces, délivrons-nous enfin de cette servitude, jouissons de la vraie liberté et prenons conscience de cette noblesse que Dieu nous a donnée méprisons souverainement la faveur de la multitude; il n'est rien en effet de plus ridicule et de plus déshonnête, rien de plus honteux ni de moins glorieux que cette passion. Sien des raisons le montrent : rechercher la gloire, c'est ignominie : la mépriser et n'en faire aucun cas, pour conformer à la volonté de Dieu toutes ses actions et toutes ses paroles, c'est en quoi consiste la vraie gloire.
Nous pourrons obtenir la récompense de Celui qui voit et considère avec soin toutes nos oeuvres, lorsque nous nous contenterons de l'avoir seul pour spectateur et pour arbitre. En quoi avons-nous besoin d'autres yeux, puisque Celui qui doit nous donner la récompense et la gloire ne cesse point d'avoir ses yeux attentifs sur nous et sur nos oeuvres? et certes, qu'un serviteur fasse tout pour plaire à son maître, qu'il ne désire d'être vu que de lui seul , qu'il ne recherche pas que d'autres voyent ce qu'il fait, quelque grands, quelque considérables que puissent être ces spectateurs, mais qu'il n'ait point d'autre but, d'autre intention que d'être vu de son maître : que nous, au contraire, qui avons un si grand Maître, nous cherchions d'autres spectateurs, qui ne nous peuvent aider en rien, mais qui peuvent nous nuire en nous regardant et rendre notre travail infructueux et inutile, n'est-ce point là une absurdité et une extravagance?
Ah ! je vous en prie, mes chers frères, ne nous conduisons pas de la sorte; mais appelons et sollicitons les regards et les éloges de Celui-là seul dont nous devons recevoir la récompense. N'ayons nul désir, nulle envie d'attirer sur nous les yeux des hommes. Quand d'ailleurs cette gloire nous tenterait, le meilleur moyen de l'obtenir ce serait encore de ne rechercher que la seule gloire qui vient de Dieu. « Car je glorifierai », dit l'Ecriture, « quiconque m'aura rendu gloire ». (I Rois, II, 30.) Et comme, lorsque nous méprisons les richesses, c'est alors même que nous sommes le plus dans l'abondance de toutes sortes de biens, puisque Jésus-Christ dit : « Cherchez le « royaume, de Dieu, et toutes ces choses vous « seront données comme par surcroît (Matth. VI, 33.) Il en est de même pour la gloire. Là où il n'y a nul péril de donner les richesses ou la gloire, là Dieu les répand avec profusion : or, nous recevons sans péril et les richesses et la gloire lorsqu'elles ne nous commandent point, ne nous dominent point, et ne se servent pas de nous comme de leurs esclaves, mais qu'elles nous servent elles-mêmes comme des hommes libres qui sont leurs maîtres.
C'est pour cette raison que Jésus-Christ ne veut pas que nous les aimions, de peur que nous, ne devenions leurs esclaves : si nous savons en user en maîtres, il nous les donne avec une grande abondance. En effet, quoi de plus illustré que ce Paul qui a dit: « Nous ne [119] cherchons aucune gloire de la part des hommes, ni de vous, ni d'aucun autre ! » (I Thess. II, 6.) Qui est plus riche que celui qui, n'ayant rien, possède tout? car lorsque nous ne nous assujettirons pas aux richesses, comme je viens de le dire, alors nous les posséderons, alors elles nous seront données avec profusion. Si nous voulons donc acquérir la gloire, fuyons-la : c'est de cette sorte qu'en gardant les commandements de Dieu, nous pourrons obtenir les biens présents et lesbiens futurs, par la grâce de Jésus-Christ, avec qui gloire soit au Père et au Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE IV.
AU COMMENCEMENT ÉTAIT LE VERBE, ET LE VERBE ÉTAIT DIEU. (VERSET 1.)

ANALYSE.

1. Pourquoi, lorsque les antres évangélistes ont commencé l'histoire du Fils de Dieu par son incarnation, saint Jean se contente-t-il d'un mot sur ce sujet ? — Paul de Samosate, petit esprit qui rampe à terre.
2. Le Verbe, ce qu'il est.
3. Le saint Docteur réfute cette objection des hérétiques que le Fils est,appelé Theos, Dieu,sans article..
4 et 5. Jésus-Christ a souffert et est mort pour nous délivrer de l’idolâtrie. — Rendre à la créature le culte qui n'est dû qu'au Créateur, extrême injustice.— La foi et la doctrine inutile!: au salut, si la vie et les moeurs sont corrompues.— Eteindre promptement la colère. — Les hommes louent ou blâment, selon qu'ils aiment ou qu'ils haïssent : belle peinture d'un homme en colère.— Contre ceux qui observent scrupuleusement les heures et les temps.

1. Les maîtres ne chargent pas tout d'abord d'une infinité de connaissances les enfants qu'on leur donne à élever; ce n'est pas tout à la fois qu'ils leur donnent leurs instructions, mais peu à peu : ils leur répètent souvent les mêmes choses pour les inculquer plus facilement dans leur mémoire. ils se gardent bien de les effrayer au commencement par de trop longues leçons, qu'ils ne pourraient point retenir : ils craindraient qu'ils ne vinssent à se décourager et à s'endormir en présence du nombre et de la difficulté des matières qu'ils devraient s'assimiler. Je suivrai cet exemple et cette méthode, j'adoucirai votre travail, mes frères , je rendrai votre peine légère : peu à peu, et par petites portions, je vous distribuerai ce qu'on nous sert sur cette sainte table, et de cette manière je le ferai entrer dans votre esprit et dans votre coeur.
Voilà pourquoi je vais reprendre encore les paroles de mon texte ,non pour vous redire
les mêmes choses, mais pour suppléer à ce que j'ai omis. Commençons donc, rappelons les paroles que j'ai dites au commencement de mes discours : « Au commencement était
le Verbe, et le Verbe était avec Dieu ». Pourquoi les autres évangélistes, ayant commencé leur Evangile par l'Incarnation de Jésus-Christ (car saint Matthieu commence ainsi : « Le Livre de la génération de Jésus-Christ, Fils de David » ; saint Luc entre en matière par l'histoire de « Marie », et saint Marc rapporte presque les mêmes choses, commençant par l'histoire de Jean-Baptiste) ; pourquoi, dis-je, saint Jean se contente-t-il d'un mot sur ce sujet : « Et le Verbe s'est fait chair », et passant sous silence tout le reste, sa conception, son enfantement, sa croissance, son éducation, arrive-t-il aussitôt à sa génération éternelle? Vous m'en demandez la raison ? Je vais vous l'expliquer sur-le-champ.
Comme les autres évangélistes s'étaient [121] beaucoup étendus sur l'Incarnation. du Verbe, il. était à craindre que certains petits esprits, que ces âmes qui rampent à terre, ne s'arrêtassent à ces seuls dogmes, comme Paul de Samosate. Justement préoccupé d'arracher à ces basses pensées ceux qui seraient tentés d'y tomber, et voulant élever leurs regards vers le ciel, saint Jean a soin de commencer sa narration. par l'existence céleste et éternelle du Verbe. Saint Matthieu avait commencé son histoire parle roi Hérode ; saint Luc par Tibère-César; saint Marc par Jean-Baptiste ; saint Jean laisse là toutes ces choses, s'élève incontinent et au-dessus du temps, et au-dessus de tous les siècles, y fixe en quelque sorte l'esprit de ses auditeurs, et dit : « Au commencement il était » : il ne marque point de lieu où, l'on puisse s'arrêter et ne fixe point d'époque , comme font les autres évangélistes, qui nomment Hérode, Tibère et Jean-Baptiste. De plus, ce qui est infiniment admirable, après s'être élevé à la plus haute sublimité , il ne néglige pas de parler de l'Incarnation : et de même les évangélistes, qui en ont fait le récit, ne se sont point tus sur l'existence antérieure aux siècles, ce qui était juste, et ne pouvait être autrement, puisque c'est un seul et même Esprit qui les inspirait et les faisait parler : voilà pourquoi on voit tant d'accord, et une si belle harmonie dans ce qu'ils ont écrit.
Pour vous, mes chers frères, lorsque vous entendez nommer le « Verbe » , ne souffrez pas ceux qui le disent une créature, ni ceux qui s'imaginent qu'il est simplement la parole
car il y a plusieurs paroles, plusieurs ordres de Dieu, à quoi les anges mêmes obéissent, mais aucune de ces paroles n'est Dieu, elles sont toutes des prophéties et des commandements, et c'est ainsi que 1'Ecriture a coutume d'appeler les lois, les préceptes et les ordonnances que Dieu fait. Voilà pourquoi elle dit dés anges : « Vous êtes puissants et remplis de force, vous faites ce qu'il vous dit » (Ps. CII, 20) mais ce Verbe est une substance dans une hypostase, « ou une personne », qui émane du Père impassiblement. Voilà, je l'ai déjà dit; ce que saint Jean veut désigner par le nom de VERBE.
Comme donc ce mot : « Au commencement était le Verbe », montre l'éternité, de même celui-ci : « Le Verbe était au commencement avec Dieu », marque la coéternité. De peur qu'en entendant ces paroles : « Au commencement était le Verbe », tout en comprenant que le Fils est éternel, vous n'alliez vous imaginer que le Père soit plus vieux que lui, qu'il le précède de quelque intervalle, et que, par suite, vous n'attribuiez un commencement au Fils unique, l'évangéliste ajoute : « Il était au commencement avec Dieu » : ainsi le Fils est éternel comme le Père, car le Père n'a jamais été sans son Verbe, mais le Verbe a toujours été Dieu avec lui, dans sa propre hypostase.
Comment donc, direz-vous, s'il était avec Dieu, Jean a-t-il ajouté : « Il était dans le monde ?» (I, 10.) C'est parce qu'étant Dieu, il était avec Dieu, et dans le monde : soit le Père, soit le Fils, ni l'un ni l'autre n'est renfermé dans des bornes. En effet, « si sa grandeur n'a point de bornes » (Ps. CXLIV, 3) , et, « si sa sagesse n'en a point non plus » (Ps. CXLVI, 5), il est visible que sa substance n'a point un commencement temporel. Avez-vous entendu ces paroles : « Au commencent Dieu a fait le ciel et la terre? » Que concluez-vous de ce commencement? Certainement que l'un et l'autre ont été faits avant toutes les choses visibles :de même, lorsque vous entendez dire du Fils unique : « Au commencement il était », il faut que vous entendiez qu'il est avant tous les êtres intelligibles, et avant les siècles.
Que si quelqu'un dit: Et comment peut-il se faire qu'étant le Fils, il ne soit pas plus jeune que son Père, car celui qui est par quelqu'un est nécessairement moins ancien que celui par qui il est? nous répondrons que ce sont là des idées humaines; que celui qui peut former de pareilles questions est capable d'en faire encore de plus absurdes, et qu'on ne doit point même prêter l'oreille à de semblables discours; c'est de Dieu que nous vous parlons, et non de la nature humaine, sujette à ces nécessité, et aux conséquences de ces sortes de raisonnements ; mais toutefois, pour confirmer les faibles, nous allons vous donner une réponse.
2. Dites-nous donc : le rayon du soleil sortir de la substance du soleil, ou de quelqu'autre corps ; si nous n'avons pas perdu le sens et la raison, nous avouerons nécessairement qu'il sort de sa substance ; et cependant, quoique le rayon émane du soleil, nous ne dirons jamais qu'il est moins ancien que la substance du soleil , puisqu'on n'a jamais vu le soleil sans le rayon : que si, parmi les êtres visibles et sensibles, il s'en trouve qui, étant par un autre, [122] ne sont pas moins anciens que celui par qui ils sont, pourquoi ne le croyez-vous pas de même de la nature invisible et ineffable ? C'est la même chose ici, autant que la nature divine le comporte.
C'est aussi pour cette raison que saint Paul appelle ce même Fils d'un nom, par lequel il déclare tout à la fois, et qu'il émane du Père, et qu'il lui est coéternel. (Héb. 1, 3.) Quoi donc ! N'est-ce pas par lui que tous les siècles et le temps ont été faits? Il faut que tout homme, s'il n'est devenu fou, le confesse. Il n'y a donc point d'espace de temps entre le Fils et le Père. S'il n'y en a aucun, le Fils n'est donc pas moins ancien , il est coéternel : car « avant » et « après » sont des termes qui marquent le temps, qui le supposent. Or, Dieu est au-dessus des temps et des siècles.
Mais abrégeons : que si vous vous entêtez à soutenir que le Fils a un commencement, prenez garde que vous ne soyiez forcé, par la même raison, à donner aussi au Père un commencement : à la vérité plus ancien, mais qui pourtant sera toujours un commencement. En effet, répondez-moi : prescrire ainsi un terme et un commencement au Fils, et avancer, pousser au delà de ce commencement, n'est-ce pas dire que le Père existait auparavant? Certes, cela est visible. Dites-moi donc: de quel espace de temps le Père a-t-il la préexistence sur le Fils? Car, soit que vous le disiez court, soit que vous le disiez long, vous avez dès lors renfermé le Père sous un commencement. En effet, après avoir mesuré cet espace de temps, vous nous direz s'il est ou court ou long; mais une telle détermination serait impossible , s'il n'y avait des deux parts un commencement; il est donc vrai, qu'autant qu'il est en vous, vous avez donné un commencement au Père, et ainsi, selon vous, le Père même aura un commencement.
Par là, mes chers frères, vous pouvez parfaitement connaître la vérité de cette parole du Sauveur, et que ce qu'il dit est en tout et partout un témoignage de sa vertu et de sa sagesse : mais que dit-il? « Celui qui n'honore « pas le Fils, n'honore pas le Père (1) ». Je sais qu'il y a bien des gens qui ne comprennent pas ces choses. Voilà pourquoi nous évitons souvent d'agiter ces questions de raisonnement,

1. Ce passage ne se trouve point dans les Evangiles quant aux paroles, mais seulement quant au sens. Les Pères citent quelquefois de mémoire, s'attachant plus au sens qu'aux paroles.


parce qu'elles ne sont pas à la portée du peuple, ou que, s'il y entend quelque chose, il n'y trouve rien d'assez solide ni d'assez inébranlable : car « les raisons des hommes sont sujettes à erreur, et leurs pensées sont trompeuses ». (Sag. IX, 14.)
Au reste, je voudrais bien demander à nos adversaires ce que signifient ces paroles du prophète : « Il n'y a point eu d'autre Dieu avant moi, et il n'y en aura point après moi ». (Isaïe, XLIII, 10, et XLV, 22.) Car si le Fils est moins ancien que le Père, comment le Père dit-il : « Il n'y en aura point après moi? » Nierez-vous donc la substance du Fils unique? Il faut, en effet, ou que vous en veniez jusqu'à cet excès d'impudence, ou que vous reconnaissiez et confessiez la divinité dans là propre hypostase du Père et du Fils. Mais comment ces paroles: « Tout a été fait par lui », sont-elles vraies? Si le temps est plus ancien que lui, comment ce qui est avant lui a-t-il été fait par lui? Ne voyez-vous pas maintenant, mes frères, dans quel abîme de témérité et d'impudence le raisonnement a jeté ces hérétiques pour s'être une fois écartés de la vérité?
Mais pourquoi l'Evangéliste n'à-t-il pas dit que le Fils a été fait de choses qui n'étaient point, comme saint Paul le déclare et l'assure de toutes choses, par ces paroles : « Qui a appelé ce qui n'est point comble ce qui est » (Rom. IV, 17), et pourquoi dit-il : « Au commencement était le Verbe », car ces paroles de saint Jean sont contraires à celles de saint Paul? A quoi je réponds que c'est avec justice et avec raison que l'Evangéliste s'explique ainsi, car Dieu n'est point fait, et il n'y a rien avant lui. Mais, disons-le, ces discours ne peuvent sortir que de la bouche des païens.
Répondez-moi sur ceci : Ne conviendrez-vous pas que le Créateur est incomparablement plus excellent que toutes lies créatures? Mais si ce qui est créé de rien lui était. semblable, où se trouverait-elle alors cette excellence incomparable? Et de plus, comment expliquerez-vous ces paroles : « C'est moi qui suis le premier et le dernier » (Isaïe, XL1, 4), et : « Il n'y a point eu d'autre Dieu avant moi?» (Isaïe, XLIII,10.) Car si le Fils n'est pas consubstantiel au Père, il y a un autre Dieu :

1. Au lieu d'autois, que je trouve dans le texte qui est sous mes yeux , je ne puis m'empêcher de lire auto. Avec auto , le sens est clair, concordant et parfait, et le raisonnement concluant. Avec autois, il n'y a plus même de sens possible. (J.- B. J.)

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s'il ne lui est coéternel, il est après lui; et s'il n'est pas émané de sa substance, il est visible qu'il a été fait.
Que si les Ariens et les Anoméens nous répliquent que c'est par opposition aux idoles que le prophète a parlé de la sorte, « ou pour « distinguer d'elles le seul vrai Dieu», pourquoi n'accorderont-ils pas aussi que Dieu est dit seul vrai Dieu par opposition aux idoles? Que si, encore une fois, ces paroles ne sont là que pour marquer la différence qu'il y a entre Dieu et les idoles, comment expliqueront-ils tout le passage en entier? Car Isaïe dit : « Après moi il n'y a point d'autre Dieu». Par où il ne prétend point exclure le Fils de la Divinité, mais il veut seulement déclarer et enseigner ceci: « Il n'y a point d'idole-Dieu après moi », non que pour cela le Fils ne soit point Dieu. Soit, direz-vous. Mais quoi ! ces paroles : « Avant moi il n'y a point eu d'autre Dieu », les expliquerez-vous aussi en disant qu'à la vérité il n'y a point eu auparavant d'idole-Dieu, mais que néanmoins le Fils est antérieur ?
Et quel démon parlerait de la sorte? Non, je ne crois pas que le diable même l'osât; mais, en un mot, si le Fils n'est pas coéternel au Père, comment direz-vous que sa vie n'a point de fin? Car s'il a commencé, dût-il ne point finir, il ne sera pourtant pas immense l'immense doit être immense, et quant au commencement, et quant à la fin. Saint Paul l'a ainsi défini par ces paroles : « Il n'a ni commencement ni fin de sa vie ». (Héb. VII, 3.) En quoi l'Apôtre déclare que le Fils n'a point de commencement ni de fin. S'il est sans bornes de ce côté, il est sans bornes aussi de l'autre : il ne finira point, il n'a pas commencé.
3. Mais comment, étant la vie, y aurait-il eu un temps auquel il n'aurait point été? Il n'y a personne qui ne dise et ne confesse que la vie est toujours, qu'elle n'a ni commencement ni fin, et, par suite , le Fils qui est la vie : mais s'il a été un jour auquel il n'était point, comment celui qui un jour n'était point serait-il la vie des autres? Pourquoi donc, disent les hérétiques, Jean lui a-t-il donné un commencement, en disant: « Au commencement il était?» Quoi ! vous vous arrêtez à ce mot : « Au commencement » , et à celui-ci : « Il « était », et vous ne portez pas votre attention jusqu'à cet autre : « Le Verbe était? » Que répondrez-vous donc à ce que le prophète dit du Père: « Vous êtes (1), depuis le siècle, et jusque « dans le siècle ». (Ps. LXXXIX, 2.) Est-ce que par ces paroles il lui donne des bornes ? Point du tout, mais il déclare et il montre son éternité. Pensez de même de cet endroit de saint Jean : ce n'a point été pour le renfermer dans des bornes qu'il a usé de ces termes, car il n'a point dit : il a eu un commencement, mais : « Au commencement il était », vous portant à penser par ces paroles : « Il était», que le Fils est sans commencement.
Mais vous m'objecterez : le Père est appelé Dieu avec l'article, et le Fils sans article (2). N'est-il pas vrai que l'Apôtre, parlant du Fils de Dieu , dit : « Du grand Dieu , et notre Sauveur Jésus-Christ? » (Tit. II,13.) Il dit encore « Qui est Dieu », élevé « au-dessus de tout » (Rom. IX, 5) : je l'accorde; saint Paul, en ce dernier passage , nomme le Fils, sans ajouter l'article devant le mot Dieu; mais observez aussi qu'il fait de même à l'égard du Père, car, dans l'Epître qu'il écrit aux Philippiens, il parle également de lui sans mettre l'article « Qui ayant », dit-il, « la forme et la nature de Dieu, n'a point cru que ce fût pour lui une usurpation d'être égal à Dieu ». (Philip. II, 6.) Et encore dans celle aux Romains : « Que Dieu notre Père, et Jésus-Christ Notre-Seigneur vous donnent la grâce et la paix ». (Rom. I, 7.) Sans compter qu'il eût été superflu de faire ici précéder l'article, lequel est répété plus haut dans plusieurs autres endroits. Quand l'Ecriture dit du Père : « Dieu est esprit» (Jean, IV, 24), quoique le mot « Esprit » ne soit pas précédé de l'article , nous ne contestons pourtant pas que Dieu soit incorporel : de même, dans l'endroit que vous alléguez, de ce qu'il n'y a point d'article avant le mot Dieu attribué au Fils, il ne s'ensuit pais que le Fils soit Dieu à un degré inférieur. Pourquoi? c'est que lorsqu'elle a dit : « Dieu », et « Dieu », elle ne nous a marqué aucune différence de Divinité, ou plutôt c'est parce qu'elle fait précisément tout le contraire. Car, ayant d'abord

1 « Vous êtes », sans y joindre « Dieu ». Tous nos exemplaires, les Septante le portent simplement ainsi : « Tu es », sans « Deus ». Ce qui est suivi par saint Augustin , par le Syriaque, et par les anciens psautiers latins, etc.
2. Cette objection des Ariens regarde ces premières paroles de l'Evangile de saint Jean : kai o logos en pros ton Theon, kai Theos en o logos, où ton Theon avec l'article est dit du Père, kai Theos en, sans article est dit du Fils. De là les Ariens et les Anoméens concluaient et soutenaient que le Fils n'était pas Dieu comme le Père, qu'il ne lui était pas égal, et qu'il n'était pas proprement Dieu. le saint Docteur réfute cette objection par des exemples contraires, comme il est facile de le voir dans ce qui suit, etc.

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dit: « Et le Verbe était Dieu », de peur que quelqu'un ne pensât que la divinité du Fils n'était pas égale à celle du Père, elle produit et présente aussitôt des témoignages de sa vraie divinité, en déclarant son éternité par ces paroles: « Il était au commencement avec Dieu »; et encore : en lui attribuant la puissance de créer, et disant de lui : « Toutes choses ont été faites par lui, et rien de ce qui a été fait, n'a été fait sans lui » : puissance que son Père donne partout par la bouche des prophètes pour être le plus grand et le plus visible témoignage de sa nature divine. Les prophètes reviennent souvent sur cette sorte de démonstration, et cela, non sans motif, parce qu'ils ont en vue l'abolition du culte des idoles. Car, « Périssent les dieux », dit Jérémie, « qui n'ont point fait le ciel et la terre » (Jérém. X,11) : et ailleurs : « C'est moi qui de ma main ai étendu le ciel ». (Is. XLIV, 24.) Le Père voulant donc montrer que c'est là une preuve visible et manifeste de sa divinité, la met partout, et partout il l'emploie : mais l'évangéliste, non content encore de ce qu'il a dit du Fils, l'appelle aussi « vie » et « lumière ».
Si donc le Fils a toujours été avec le Père, si tout a été fait par lui, si c'est lui qui maintient et conserve toute chose, car c'est ce que marque saint Jean, en disant qu'il est la vie; s'il illumine tout, qui sera assez fou pour dire que l'évangéliste a ainsi mis et placé ces mots (1) pour diminuer la divinité du Fils, tandis qu'il se sert au contraire de la preuve la plus forte pour établir son égalité et sa parfaite ressemblance avec le Père?
Je vous en conjure; mes chers frères, ne confondons point la créature avec le Créateur, de peur que nous n'entendions dire aussi de nous-mêmes : « Ils ont rendu à la créature l'adoration et le culte souverain, au lieu de le rendre au Créateur ». (Rom. I, 25.) En vain l'on dirait qu'il faut entendre ces paroles des cieux, elles interdisent absolument le culte de la créature, qui est proprement l'idolâtrie.
4. Ne nous exposons donc pas à une si grande malédiction. Le Fils de Dieu est venu au monde pour nous délivrer de ce culte. Il a pris la forme de serviteur pour nous délivrer de cet esclavage : c'est encore pour cela qu'il a bien voulu être déshonoré par d'infâmes crachats et de honteux soufflets, et souffrir une

1. Ces mots, c’est-à-dire : ton Theon , en parlant du Père, et Theon, en parlant du Fils.

mort très-ignominieuse. Ne nous rendons pas inutiles toutes ces grâces et ces bienfaits, je vous en conjure, mes frères, et ne retournons pas à notre ancienne impiété, ou plutôt à une impiété plus grande et plus énorme : car il est d'une injustice extrême de rendre à la créature l'adoration et le culte souverain , et d'abaisser le Créateur jusqu'à la bassesse de la créature autant qu'il est en nous : car cela ne l'empêche pas certes de subsister tel qu'il est ; « mais « pour vous», dit le Prophète, « vous êtes ton« jours le même , et vos années ne passeront « point». (Ps. CI, 28.) Glorifions-le donc comme nous l'avons appris de nos pères : glorifions-le par notre foi et par nos oeuvres. Car la foi et la doctrine sont inutiles pour le salut, si la vie est corrompue.
C'est pourquoi, réglons-la sur la volonté de Dieu : écartons, chassons loin de nous toute action déshonnête, toute injustice, toute avarice : soyons comme des étrangers hors de leur pays et de leur maison, soyons très-indifférents pour les choses présentes. Si quelqu'un a de grandes richesses et de grands biens (I Cor. VII, 30, 31), qu'il en use comme un voyageur qui doit partir dans peu , soit qu'il le veuille; ou qu'il ne le veuille pas : si quelqu'un a reçu une injure, qu'il ne garde pas éternellement sa colère, ou plutôt qu'il ne l'écoute jamais : l'apôtre ne la souffre que pour un seul jour : « Que le soleil », dit-il , « ne se couche point « sur votre colère ». (Ephés. IV, 26.) Et cela est véritablement juste : il est à craindre que la colère, quelque courte qu'elle soit, ne nous porte à de fâcheux et de funestes excès, et même il est difficile de l'empêcher; mais si la nuit nous y surprend, tout devient plus difficile et plus dangereux, parce qu'alors le souvenir de l'injure allume un grand feu dans le coeur, et qu'agités de cruelles pensées, nous sommes un long temps à en garder l'amer souvenir. Saint Paul veut donc que nous prévenions et nous éteignions le mal avant que la nuit, que le temps du repos nous surprenne, et vienne attiser l'incendie.
La colère est une violente agitation plus vive et plus furieuse que la flamme même voilà pourquoi il n'y a nul temps à perdre, et l'on ne peut user de trop de diligence pour prévenir le feu et empêcher que la flamme ne s'élève. En effet, cette passion cause une infinité de maux : elle renverse les maisons, elle rompt les anciennes amitiés; en peu de temps, [125]
et dans un moment. elle porte à des excès déplorables, et nous fait commettre les actions les plus tragiques : « Parce que », dit l'Écriture, « l'émotion de la colère qu'il a dans le coeur est sa ruine ». (Eccl. I, 28.)
Retenons donc cette bête avec le frein : retenons-la par la crainte du jugement futur; c'est le mors le plus fort et le plus puissant de tous. Lorsqu'un ami vous aura offensé , ou qu'un des vôtres vous aura irrité, pensez à la multitude des péchés que vous avez commis contre Dieu , et considérez que si vous savez vous retenir et vous modérer, vous serez traité avec moins de rigueur au jour du jugement, car Jésus-Christ dit : « Remettez, il vous sera remis » (Luc, VI , 37), et aussitôt vous serez guéri de votre maladie.
Mais je veux encore que vous examiniez si, lorsqu'il vous est arrivé de vous mettre en colère, vous ne vous êtes pas quelquefois retenu et si quelquefois aussi vous ne vous êtes pas laissé emporter: la comparaison que vous ferez de ces deux états vous aidera beaucoup à vous corriger. Dites-moi, je vous prie, quand est-ce que vous vous êtes applaudi vous-même? Est-ce lorsque la colère vous a surmonté, ou lorsque vous l'avez surmontée ? N'est-il pas vrai que lorsque nous y avons succombé , nous nous blâmons fortement nous-mêmes, nous rougissons, quoique personne ne nous fasse aucun reproche , et par nos paroles et nos actions nous donnons de grandes marques de repentir ; et que lorsqu'au contraire nous l'avons vaincue , nous nous réjouissons , nous tressaillons d'allégresse , comme venant de remporter une victoire ? Pour un homme en colère , la victoire ne consiste pas à rendre la pareille (ce qui est au contraire la pire défaite) ; elle consiste à souffrir courageusement le mal qu'on nous a fait, ou qu'on a dit de nous. En effet, l'avantage ne reste pas à celui qui a fait le mal, mais a celui qui l'a enduré.
Lors donc que vous vous mettez en colère, ne dites point : il faut que je rende la pareille, il faut que je me venge; et à ceux qui vous exhortent à vous contenir, ne répondez pas non, je ne souffrirai point qu'après s'être moqué de moi , il demeure impuni. Sachez qu'il ne se moquera véritablement de vous, que lorsqu'il vous verra user de vengeance; mais s'il rit, s'il se moque de vous, quand vous vous tenez tranquille et en repos, il fait l'action d'un fou.
Pour vous, n'ambitionnez point pour votre victoire les éloges des insensés.; contentez-vous de ceux que les sages vous donneront : mais à quoi pensé-je de vous proposer un public infime, un public composé d'hommes ?Tournez-vous plutôt vers Dieu , c'est lui qui vous approuvera. Fort d'un tel suffrage, gardez-vous de rechercher la gloire que dispensent les hommes. Leurs éloges sont dictés souvent par la faveur ou par un esprit de rivalité, et encore leurs louanges ne sont-elles d'aucune utilité; mais le suffrage de Dieu est impartial et souverainement utile à celui qui en est honoré ; ce sont donc là les louanges et la gloire que nous devons chercher. .
5. Voulez-vous connaître quel mal c'est que la colère? Arrêtez-vous sur la place, quand vous y verrez des gens se quereller : vous ne pourriez pas facilement découvrir sur vous-même toute la laideur de cette infirmité, votre raison étant alors ensevelie dans l'ivresse et dans les ténèbres; mais lorsque vous ne serez point ému de cette passion , et que votre jugement ne sera point prévenu, alors regardez-vous et contemplez-vous vous-même dans les autres. Voyez cette foule de peuple qui s'amasse de tous côtés, ces hommes en colère qui étalent en public leur honteuse folie; dès que la colère vient à bouillonner, à exciter le coeur, à l'exaspérer, le feu sort et des yeux et de là bouche; le visage s'enfle, les mains s'agitent de mouvements désordonnés , les pieds trépignent ridiculement, prêts à frapper ceux qui cherchent à intervenir dans ces transports insensés; l'homme en colère ressemble absolument à un fou : il ne diffère même pas de ces ânes sauvages qui ruent et qui mordent. L'homme irascible est incapable de se modérer.
Mais les acteurs de ces scènes ridicules, de retour ensuite dans leurs maisons, rentrant en eux-mêmes et réfléchissant sur ce qu'ils viennent de faire, sont tout à la fois saisis de douleur et de crainte : alors ils cherchent et repassent dans leurs esprits ceux qui ont été présents à leur querelle : et ces mêmes hommes qui, pareils à des fous , ne faisaient nulle attention à ceux qui les regardaient, se demandent ensuite, leur sang-froid une fois revenu, quels étaient les assistants. Étaient-ce des amis, des ennemis ? ils craignent également les uns et les autres : ceux-là pour leurs reproches, qui les feront rougir de honte et de [126] confusion; ceux-ci pour la joie qu'ils auront de leur déshonneur et de leur ignominie.
S'il y a eu des coups donnés, des plaies, des blessures, la crainte est alors bien plus grande : on redoute qu'il n'arrive quelque chose de pis à ceux qu'on a frappés ou blessés ; on craint que la fièvre ne leur survienne et ne leur cause la mort, ou qu'une plaie difficile à guérir ne les mette en, péril de la vie. A quoi bon, disent-ils, cette bataille, ce débat, ces injures ? Peste soit de ceci et de cela ! et ils maudissent ainsi tout ce qui a donné lieu à la querelle : il en est qui poussent la démence jusqu'à s'en prendre à la malignité des démons, à l'heure, au temps.
Maris ce n'est pas la mauvaise heure qui est cause de ce qu'ils ont fait : il n'y a point d'heure mauvaise; les malins démons non plus ne sont pas les auteurs de ce qui s'est passé; tout vient de la méchanceté de ceux qui ont cédé à la colère. Ce sont eux qui attirent les démons, et qui se font à eux-mêmes tout le mal. Mais, direz-vous, la bile s'émeut, le coeur s'enflamme, et se pique des outrages? Je le sais, je l'ai éprouvé moi-même comme vous, c'est pour cela que j'admire ceux qui répriment cette méchante bête. Car, si nous voulons, nous pouvons chasser cette maladie. En effet, pourquoi, si des grands, si des princes nous outragent, ne cherchons-nous pas à nous venger? N'est-ce pas parce que la crainte, qui n'est pas moins forte que la colère, intimide cette colère, et ne lui permet même pas d'éclater au dehors, mais qu'elle l'étouffe au dedans dès le commencement? Pourquoi enfin, nos serviteurs, quand nous les chargeons de mille injures, le souffrent-ils sans dire un seul mot? N'est-ce pas parce que cette même crainte les lie et les retient ? Mais vous, ne vous bornez point à songer à la crainte de Dieu : dites-vous que ce même Dieu qui vous prescrit le silence, est lui-même l'auteur de l'offense, et alors vous ne songerez plus à vous plaindre.
Dites à celui qui vous insulte : Que puis-je vous faire? un autre retient ma langue et ma main : et cette parole deviendra pour vous et pour l'agresseur une raison de vous modérer.
Mais nous souffrons les choses même les plus insupportables par considération, et par respect pour les hommes; nous disons souvent à ceux qui nous insultent : c'est un autre, ce n'est point vous qui m'avez fait de la peine: et nous n'aurons pas les mêmes égards, le même respect pour Dieu ? Quel pardon pouvons-nous attendre? Disons-nous à nous-mêmes : c'est Dieu qui nous frappe maintenant, c'est lui aussi qui lie nos mains, gardons-nous de regimber et de nous montrer moins obéissants à Dieu qu'aux hommes.
Vous tremblez à cette parole? Tremblez donc aussi au moment d'agir. Dieu nous a commandé, si l'on nous donne des soufflets, non-seulement de les souffrir, mais encore de nous offrir à un pire traitement. (Matth. V, 39.) Et nous, nous nous défendons avec tant de force et de vigueur, que non-seulement nous ne voulons pas supporter le moindre mal, mais que nous faisons même tous nos efforts pour nous venger, que dis-je? nous allons jusqu'à devenir nous-mêmes provocateurs, et nous nous jugeons vaincus, faute d'avoir rendu la pareille. Et ce qu'il y a de plus fâcheux et de plus funeste pour nous, c'est que nous nous imaginons avoir remporté la victoire, lorsque nous avons subi la pire défaite et que nous sommes par terre ; c'est que nous croyons avoir triomphé du diable, lorsqu'il nous a porté mille coups et couverts de blessures.
C'est pourquoi, apprenons, je vous prie, en quoi consiste ici la victoire, et tâchons de la remporter; souffrir, c'est être couronné. Si nous voulons donc que Dieu même nous proclame victorieux, gardons-nous de suivre les maximes en usage dans les luttes du monde; mais observons la loi que Dieu a prescrite pour ces combats, qui consiste à souffrir courageusement et avec patience. Ainsi puissions-nous vaincre nos ennemis, et obtenir les biens de cette vie et de l'autre , par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui la gloire, l'empire, l'honneur appartiennent au Père et au Saint-Esprit , aujourd'hui et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE V.
TOUTES CHOSES ONT ÉTÉ FAITES PAR LUI, ET SANS LUI RIEN N’A ÉTÉ FAIT DE CE QUI A ÉTÉ FAIT. (VERSET 3, JUSQU'AU VERSET 6.)

ANALYSE.

1. Comment certains hérétiques altéraient le sens du 3e verset du 1er chapitre de l'Évangile selon saint Jean, par un changement de ponctuation.
2. Conséquences absurdes auxquelles conduit le sens admis par les hérétiques.— Que le Saint-Esprit n'a pas été fait.
3. Le Fils de Dieu est égal à son Père.— Fécondité inépuisable du Créateur.— Dieu n'est pas un être composé.
4. Que les pécheurs ne diffèrent point des gens ivres et furieux.— Il faudrait mieux aller et se montrer nu dans les rues, que couvert et chargé de péchés.

1. Moïse commence l'histoire de l'Ancien Testament par ce qui est sensible à nos yeux, et en fait une description fort étendue. Il dit: « Au commencement Dieu a fait le ciel et la terre» (Gen. I,1); il ajoute :Il a fait la lumière, le firmament, les étoiles, et des animaux de toutes sortes d'espèces: car il serait trop long de nommer tout en particulier.
Mais notre évangéliste renferme tout en un seul mot: et ces choses, et toutes celles qui sont au-dessus d'elles. Et certes, c'est avec justice et avec raison : Premièrement, toutes ces choses sont connues des auditeurs; et en second lieu , il se hâte d'entrer dans un sujet plus grand et plus élevé. Ainsi il commence sa narration, non par les ouvrages , ou par les créatures, mais par leur auteur et leur Créateur. C'est pourquoi Moïse , n'ayant entrepris de traiter que la moindre partie de la création, puisqu'il n'a point parlé des puissances invisibles, s'arrête uniquement à ce point : mais Jean, qui tout à coup veut s'élever jusqu'au Créateur, passe légèrement et en courant sur toutes ces choses, et renferme tout ce qu'a dit Moïse et ce qu'il a omis, dans ce peu de paroles: « Tout a été fait par lui ». Et de peur que vous ne croyiez qu'il n'a en vue que ce dont le législateur a déjà fait mention, il ajoute : « Rien de ce qui a été fait, n'a été fait sans lui » , c'est-à-dire, rien de ce qui peut tomber sous les sens, ou de ce qui est invisible et purement intellectuel, n'a été fait que par la vertu, et par la puissance du Fils.
Nous ne mettrons pas un point après ces mots : « Rien n'a été fait », comme font les hérétiques, qui, voulant que le Saint-Esprit ait été créé, lisent ainsi : « Ce qui a été fait était vie dans lui ». C'est rendre ces paroles inintelligibles. Car premièrement, il n'était pas à propos de parler du Saint-Esprit en cet endroit; et en second lieu, si l'évangéliste avait voulu l'indiquer, pourquoi se serait-il expliqué si obscurément? Où est la preuve que ce soit du Saint-Esprit qu'il ait dit ces paroles ? mais encore, selon leur manière même de ponctuer, nous trouverons que ce n'est pas le Saint-Esprit qui a été fait, mais que c'est le Fils qui s'est fait lui-même.
Soyez donc attentifs, afin de bien retenir le texte, et nous, lisons cependant le passage selon leur manière de le ponctuer; l'absurdité qui en résulte sera plus visible et plus manifeste: « Ce qui a été fait était vie dans lui ». Sur quoi ils disent que le mot: « Vie » signifie le Saint-Esprit. Mais il se rencontre ici, que la vie est aussi appelée lumière : car l'évangéliste ajoute: « Et la vie était la lumière des hommes». Donc, selon eux, saint Jean dit ici que le Saint-Esprit est la lumière des hommes: mais que diront-ils sur ce qui suit? Saint Jean [127] ajoute encore: « Un homme a été envoyé de Dieu, pour rendre témoignage à la lumière ». Il faut bien qu'ils répondent que cela est dit aussi du Saint-Esprit; car celui-là même qu'il a nommé « Verbe » ci-dessus, il le qualifie « Dieu, vie et lumière» dans les paroles suivantes : « Ce Verbe, » dit-il, « était la vie », et cette même vie « était la lumière ». Si donc le Verbe était la vie, et si le Verbe qui est la vie, s'est fait chair, la vie s'est fait chair, c'est-à-dire le Verbe: « Et nous avons vu sa gloire , comme du Fils unique du Père ».
Si ces hérétiques soutiennent donc qu'en cet endroit le Saint-Esprit est appelé la vie, voyez combien il s'ensuit d'absurdités : il résulte delà que c'est le Saint-Esprit qui s'est incarné, et non pas le Fils; que le Saint-Esprit est le Fils unique. Et si cela n'est point ainsi, ou s'ils veulent éviter ces conséquences, ils tomberont dans de plus grandes extravagances, en lisant comme ils font. S'ils avouent que c'est du Fils qu'il est parlé en ce lieu et s'ils ne ponctuent pas et ne lisent pas comme nous, il faut nécessairement qu'ils disent que le Fils a été fait par lui-même. En effet, si le Verbe était la vie, si ce qui a été fait, était vie en lui : de cette façon de lire il s'ensuit que le Verbe a été fait en lui-même, et par lui-même. L'Evangile ajoute ensuite quelques lignes après: « Et nous avons vu sa gloire, sa gloire, » dis-je « comme du Fils unique du Père (14) ». Voilà comment de leur façon de lire, et de leur manière de s'expliquer, il résulte que le Saint-Esprit est le Fils unique ; car «selon eux », c'est de l'Esprit-Saint qu'il est uniquement parlé, c'est à lui seul que se rapporte tout ce discours.
Ici, mes frères, ne voyez-vous pas dans quels précipices, et dans quelles absurdités on tombe, lorsqu'une fois on s'égare et l'on s'écarte de la vérité? Quoi donc? L'Esprit-Saint, direz-vous, n'est-il pas la lumière? Oui, il est sûr qu'il est la lumière; mais il n'est point fait mention de lui en cet endroit. Quoique Dieu soit Esprit, c'est-à-dire incorporel, il ne s'ensuit pourtant pas de là que toutes les fois qu'on dit esprit, ce soit de Dieu qu'on parle. Et pourquoi vous étonneriez-vous, si nous le disions du Père? Du Paraclet, du Consolateur même, nous ne dirons pas que partout où l'on trouve le nom d'esprit, ce soit de l'Esprit Consolateur qu'on parle : quoique ce nom lui soit propre, et celui qui lui convient le plus, toute
fois partout où on lit le nom d'esprit, il ne faut pas toujours l'entendre du Paraclet; car Jésus-Christ aussi est appelé la vertu de Dieu, la sagesse de Dieu. Mais partout où. on nomme la vertu de Dieu, la sagesse de Dieu, ce n'est pas toujours dé lui qu'on parle. Il en est de même en ce' lieu: quoique le Saint-Esprit illumine, ce n'est pas néanmoins de lui que parle maintenant l'évangéliste. Mais nous avons beau faire justice de ces absurdités : eux, dans leur extrême obstination à combattre la vérité, ne cessent point de dire : « Ce qui a été fait, était vie en lui », c'est-à-dire, ce qui a été fait était vie.
Quoi donc ? le châtiment des Sodomites, le déluge, les tourments, et mille autres choses semblables , tout cela était vie? Mais, disent-ils, nous parlons de la création. Certes, ces choses appartiennent à la création. Mais pour combattre plus fortement encore leurs sentiments, interroge»ns-les : dites-nous donc, le bois est-il vie? Lés pierres, ces êtres inanimés et sans mouvement, sont-ils vie? l'homme lui-même, est-il absolument vie? Qui pourrait le prétendre? L'homme n'est point la vie, mais capable de vie.
2. Considérez encore ici leurs absurdités, car nous les suivrons pas à pas, pour mettre leur folie dans un plus grand jour; tant nous sommes sûrs qu'ils n'allèguent rien qui puisse convenir au Saint-Esprit ! En effet, forcés dans leurs retranchements, et contraints d'abandonner leurs premières opinions, ils appliquent aux hommes ce qu'ils croyaient auparavant pouvoir dignement attribuer à l'Esprit-Saint; mais examinons maintenant leur leçon dans ce nouveau sens.
La créature est à présent appelée vie, elle est donc aussi la lumière: et Jean est venu pour lui rendre témoignage. Pourquoi donc n'est-il pas lui-même la lumière? L'Ecriture dit : « Il n'était pas la lumière » ; cependant il était du nombre des créatures: comment n'est-il donc pas la lumière? Et comment expliquer : « Il était dans le monde, et le monde a été fait par lui ?» La créature était dans la créature, et la créature a été faite par la créature : comment le monde ne l'a-t-il point connu ? Est-ce que la créature n'a point connu la créature? « Mais il a donné à tous ceux qui l'ont reçu le pouvoir d'être faits enfants de Dieu ». Mais en voilà assez pour faire rire tout le monde de leurs impertinences; ce sera maintenant à vous [129] à combattre leurs monstrueuses opinions. Je vous les abandonne, de peur qu'il ne semble que nous n'avons rien dit jusqu'à présent que pour rire et nous moquer d'eux, et que nous perdons le temps.
En effet, si ces paroles ne sont point dites du Saint-Esprit, comme nous l'avons déjà démontré, ni de la créature, et si néanmoins ils soutiennent et défendent leur même leçon, il s'ensuivra, comme nous l'avons fait voir, la plus grande de toutes les absurdités, savoir que le Fils a été fait par lui-même. Car si le Fils est la vraie lumière, et si cette lumière était la vie, et si la vie a été faite en lui, il s'ensuit nécessairement de leur leçon, que le Fils a été fait par lui-même; c'est pourquoi laissons leur manière de ponctuer, rejetons-la, et venons à celle qui est juste, et à la bonne interprétation. Quelle est-elle? elle consiste à terminer le sens de ces paroles : « Ce qui a été a fait ». Et de commencer ensuite par celles-ci : « Dans lui était la vie», par où l'évangéliste veut nous faire entendre que « rien de ce qui a été fait, n'a été fait sans lui ». Si quelque chose a été faite, dit-il, elle n'a point été faite sans lui.
Ne voyez-vous pas, mes frères, qu'au moyen de cette courte addition, saint Jean a dissipé tous les doutes et toutes les absurdités qui pouvaient naître? Car par ces mots : «Rien n'a été fait sans lui », et par cette courte addition : « De ce qui a été fait », il comprend et renferme ensemble tous les êtres intellectuels, et met. à part le Saint-Esprit. Comme il avait dit : « Toutes choses ont été faites par lui, et rien n'a été fait sans lui » ; cette addition était nécessaire, de peur que quelqu'un n'alléguât: mais si toutes choses ont été faites par lui, le Saint-Esprit a donc été fait par lui. C'est des choses qui ont été faites, dit-il, que je dis qu'elles ont été faites par lui: ces choses fussent elles invisibles , incorporelles , célestes. Voilà :pourquoi je n'ai pas dit simplement toutes choses; mais j'ai dit : si quelque chose
a été faite, c'est-à-dire, ce qui a été fait. Or l’Eprit n'a pas été fait.
Vous voyez combien cette doctrine est exacte. L’Évangéliste a rappelé la création des choses sensibles, dont Moïse nous avait auparavant instruits; ensuite nous voyant suffisamment éclairés là-dessus, il a élevé nos esprits à des choses plus sublimes, c'est-à-dire, à ce qui est incorporel et invisible, et il a séparé le [129] Saint-Esprit de toutes les créatures ; c'est ainsi, c'est en ce sens que saint Paul, inspiré de la même grâce, disait : « Car tout a été créé par lui ». (Col. 1,16.) Je vous prie d'observer ici la même exactitude; car le même esprit mouvait aussi cette âme. De crainte que quelqu'un ne retranchât de la création aucune des choses qui ont été faites, à cause qu'elles étaient invisibles, ou qu'il n'y joignît le Paraclet, le saint apôtre passe sur les choses sensibles, qui étaient connues de tout le monde, et fait la description des choses célestes en ces termes : « Soit les Trônes, soit les Dominations, soit les Principautés, soit les Puissances ». (Col. I, 16.) Par ce mot . « soit » chaque fois répété, il ne nous fait entendre que ceci : « Tout ce qui a été fait par lui, et rien de ce qui a été fait, n'a été fait sans lui ».
Que si, vous croyez que ce mot : « Par », marque quelque chose de moins, « comme un simple ministère », écoutez ce que dit le Prophète : « Vous avez, Seigneur, dès le commencement fondé la terre, et les cieux sont les ouvrages de vos mains ». (Ps. CI, 26.) Ce qui est dit du Père, comme Créateur, l'évangéliste le dit ici du Fils: il ne l'aurait point dit s'il ne le regardait pas comme Créateur , mais bien comme. simple ministre. Que s'il est dit : « Par lui » , ce n'est qu'afin qu'on ne croie pas que le Fils n'est point engendré. Mais pour avoir un, témoignage bien sûr que, quant à la dignité de créateur le Fils n'a rien de moins que le Père, écoutez en quels termes il parle de lui-même : « Comme le Père » , dit-il , « ressuscite les morts et leur rend la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il lui plaît ». (Jean, V, 21.) Si c'est du Fils qu'il est dit dans l'Ancien Testament : « Vous avez, Seigneur, dès le commencement fondé la terre » , sa dignité de Créateur est visible et manifeste ; mais si vous dites que le prophète a parlé du Père en cet endroit, et que saint Paul a attribué au Fils ce qui était dit du Père, il s'ensuit pourtant toujours la même chose. L'apôtre ne se serait pas porté à attribuer aussi la création au Fils, s'il n'avait été tout à fait certain que le Fils est égal au Père en dignité et en puissance. II y aurait eu en effet une extrême témérité d'attribuer à celui qui est moindre et inférieur, un pouvoir propre à l'incomparable nature du Tout-Puissant.
3. Mais le Fils n'est ni moindre (lue le Père, ni ,inférieur à lui cil essence, en [130] substance; c'est pourquoi saint Paul n'a pas seulement osé lui attribuer cette dignité, mais encore d'autres semblables. Car ce mot :. « Duquel », que vous n'attribuez qu'à la dignité du Père seul, il l'applique également au Fils dans ces paroles : « Duquel », dit-il, « tout le corps » de l'Eglise « recevant l'influence par les vaisseaux qui en joignent et lient toutes les parties, s'entretient et s'augmente par l'accroissement que Dieu lui donne ». (Col. II, 19.) Ce n'est pas tout, il vous ferme encore mieux la bouche d'une autre façon, en disant du Père : « Par qui», expression qui, selon vous, implique infériorité : « Car », dit-il, « Dieu par qui vous avez été appelés à la société de son Fils Jésus-Christ Notre-Seigneur, est fidèle et véritable ». (I Cor. 1, 9.) Et encore « Par sa volonté »; et ailleurs : « Tout est de lui, « tout est par lui, et tout est en lui ». (Rom. XI, 36.)
Enfin ce terme : « Duquel » est attribué non-seulement au Fils, mais aussi au Saint-Esprit, puisque l'ange disait à Joseph: « Ne craignez point de prendre avec vous Marie votre à femme; car ce qui est né dans elle, est du Saint-Esprit ». (Matth. I, 20.) Et de même ce mot : « En qui », qui est propre au Saint-Esprit, le prophète ne fait point de difficulté de l'attribuer à Dieu « le Père », lorqu'il dit . « En Dieu (1) nous ferons des actions de vertu ». Et saint Paul dit : « Dans ses prières, si EN LA VOLONTÉ DE DIEU (2), je dois trouver enfin une voie favorable pour aller vers vous » (Rom. I, 10) ; il le dit aussi de Jésus-Christ : « En Jésus-Christ ». Et certes, ces paroles et ces expressions: « En qui, duquel, par qui », etc., se trouvent souvent dans l'Ecriture indifféremment appliquées et attribuées aux trois personnes de la sainte Trinité; ce qui ne serait point, et n'arriverait pas, si leur substance n'était la même et égale en tout.
Mais de peur que vous ne croyiez que ces paroles: « Tout a été fait par lui » , doivent à présent s'entendre des prodiges et des,miracles (car les autres évangélistes en ont fait mention), saint Jean ajoute ensuite : « Il était dans le monde, et le monde a été fait par lui » , mais non le Saint-Esprit, qui n'est pas au

1. « En Dieu » : Il serait mieux de dire : « Avec Dieu » ; mais l'application qu'en fait le saint Docteur demande que je traduise comme je fais.
2. « Si en la volonté de Dieu » : je suis forcé de traduire de même pour me conformer au sens; on dira mieux : « je demande continuellement à Dieu dans mes prières, que si c'est sa volonté, il m'ouvre enfin quelque voie favorable pour aller vers vous ».

nombre des créatures, et qui est au contraire au-dessus de toutes les choses créées.
Passons à l'explication du reste du chapitre. Saint Jean , après avoir dit, parlant de la création : « Toutes choses ont été faites par lui, et à rien de ce qui a été fait n'a été fait sans lui », fait aussi mention de la Providence par ces paroles. « Dans lui était la vie ». Car, de peur que quelque incrédule ne doutât que tant et de si grandes choses eussent été faites par lui, il a ajouté: «Dans lui était la vie». Or, de même qu'on ne peut diminuer une source qui jette des abîmes d'eaux et les répand par torrents, quelque quantité qu'on en puise; ainsi faut-il penser du Fils unique: la puissance qu'il a de créer est inépuisable : quelques productions que vous puissiez lui attribuer, elle n'est en rien diminuée.
Mais plutôt servons-nous d'un exemple plus propre et plus convenable, comme de celui de la lumière, dont le saint évangéliste parle ensuite en disant: « Et la vie était la lumière ». Comme donc la lumière, quelques milliers d'hommes qu'elle éclaire, ne perd rien de sa splendeur: ainsi et de même, Dieu, et avant et après avoir créé ses ouvrages, et les avoir produits au dehors, demeure également entier, et ne souffre ni diminution, ni altération, quel que soit le nombre de ses oeuvres. Fallût-il même créer encore mille mondes semblables à celui-ci : en fallût-il produire un nombre infini, il suffirait à toutes ces choses, et non-seulement pour les créer, mais aussi pour les faire subsister après les avoir créées. Car ici le nom de vie ne marque pas seulement la puissance qu'il a de créer, mais encore cette providence par laquelle il conserve les choses qu'il a créées. Bien plus, par ce nom saint Jean jette dans nous les fondements de la doctrine de la résurrection, et le principe de cette révélation ineffable. Car la vie venant à nous, l'empire de la mort est détruit; la lumière nous illuminant, les ténèbres sont dissipées; la vie demeure pour toujours dans nous , et la mort ne peut avoir de domination sur elle.
Ainsi tout ce qui est dit d u Père serait également bien dit du Fils: «C'est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l'être ». (Act. XVII, 28.) Saint Paul le déclare aussi par ces paroles: « Tout a été créé par lui, et toutes choses subsistent en lui ». (Col. I, 16, 17.) Voilà pourquoi il est appelé et la racine et le fondement. Donc quand vous. entendez dire du Fils: [131] « Dans lui était la vie » , ne pensez pas qu'il soit un être composé. Car le Fils dit ensuite du Père : « Comme le Père a la vie en lui-même, il a aussi donné au Fils d'avoir la vie en lui même » (Jean, V, 10); et comme vous ne direz pas pour cela que le Père soit un être composé, ne le dites pas non plus du Fils, puisque l'Ecriture dit aussi ailleurs: « Dieu est la lumière même » (1 Jean, I , 5); et encore « Dieu habite une lumière inaccessible ». (I Tim. VI, 16.) Elle ne s'énonce point en ces termes pour nous faire penser qu'il y ait en Dieu de la composition, mais afin que nous nous élevions peu à peu au comble de la doctrine.
Comme effectivement le petit peuple et les faibles auraient peine à comprendre de quelle manière la vie subsiste en lui, c'est aussi pour cette raison qu'elle dit premièrement ce qu'il y a de plus simple et de plus bas , et, de ce premier degré d'instruction, nous élève ensuite à ce qu'il y a de plus sublime. Car Celui qui a dit : « Il a donné au Fils d'avoir la vie », est le même que Celui qui dit: « Je suis la vie » , et encore: «Je suis la lumière ». Mais quelle est,
je vous prie , cette lumière ? Elle n'est point sensible , mais elle est spirituelle , et c'est elle qui illumine l'âme. Jésus-Christ devait dire : « Personne ne peut venir à moi si mon Père ne l'attire ». (Jean, VI, 44.) Voilà pourquoi l'évangéliste nous prévient, et dit: « C'est lui qui illumine » ; il le dit aussi afin que si vous entendez dire quelque chose de semblable du Père, vous sachiez et vous confessiez que cela n'est pas uniquement propre au Père, mais encore au Fils, car Jésus-Christ dit: « Tout ce qui est à mon Père est à moi ». (Jean, XVI, 15.)
L'évangéliste nous a donc premièrement enseigné que toutes choses ont été créées: il nous a fait connaître ensuite par un seul mot les biens spirituels que nous a apportés le Fils lorsqu'il est venu au monde, en disant : « Et la vie était la lumière des hommes ». Il n'a point dit . Il était la lumière des Juifs, mais de tous les hommes. Car ce ne sont pas seulement les Juifs, mais encore les gentils, qui sont parvenus à la connaissance de cette lumière: cette lumière était commune à tous, exposée aux yeux de tous les hommes.
Mais pourquoi n'a-t-il pas ajouté les anges, et n'a-t-il nommé que les hommes ? C'est parce qu'il parle maintenant de la nature humaine, et que c'est aux hommes qu'il s'apprête à annoncer la bonne nouvelle.
« Et la lumière luit dans les ténèbres (5) ». Saint Jean appelle « ténèbres », la mort et l'erreur. Car la lumière sensible (1) ne luit pas dans les ténèbres, mais à l'écart et à part des ténèbres : au contraire, la lumière de la prédication a brillé au milieu même de l'erreur qui régnait sur le monde, et l'a dissipée : et Jésus-Christ, attaquant lui-même la mort par sa mort, l'a si bien vaincue, qu'il a tiré et délivré de son empire ceux qu'elle retenait déjà dans ses liens (2) : comme donc ni la mort, ni,l'erreur, n'ont pu surmonter, ni vaincre cette lumière, et qu'au contraire elle illumine tout, et brille par sa propre vertu ; voilà pourquoi l'évangéliste dit : « Et les ténèbres ne l'ont point comprise ». Car cette lumière est invincible, et elle n'habite pas volontiers dans les âmes qui ne veulent point être illuminées.
4. Né vous étonnez donc pas, mes frères, si cette lumière n'illumine pas tous les hommes: Dieu ne nous attire point à lui par force ou par violence, mais librement et selon la disposition de notre volonté. Ne fermez point la porte à cette lumière, et vous jouirez de toutes sortes de félicités. La foi l'attire à nous, cette lumière, et quand elle est venue, elle illumine infiniment celui qui la reçoit : si votre vie est pure et sainte, elle demeurera toujours en vous. Car Jésus-Christ dit : « Si quelqu'un m'aime, « il gardera mes commandements, et nous viendrons à lui mon Père et moi, et nous ferons en lui notre demeure ». (Jean, IV, 23.) Comme on ne peut pas bien jouir de la lumière du soleil, si l'on n'ouvre les yeux, de même, on ne participe pas pleinement à cette resplendissante lumière, si l'on n'ouvre les yeux de l'âme, et si on ne les met en état de la recevoir de toutes parts : mais comment le peut-on ? c'est en se purifiant de tous ses vices.
Le péché n'est que ténèbres , il est couvert de nuages épais, et cela parait visiblement, puisque c'est inconsidérément et sans témoins qu'on le commet: car, « quiconque fait le mal hait la lumière , et ne s'approche pas de la lumière ». (Jean , III , 20.) Et: « La pudeur

1. La lumière sensible, c'est-à-dire le soleil.
2. Le saint Docteur ne ferait-il pas ici allusion à ces paroles de saint Pierre : « Jésus-Christ étant mort en sa chair, mais étant ressuscité par l'Esprit, par lequel aussi il alla prêcher sur esprits qui étaient retenus en prison ? » ( I Pierre, III, 28, 29.)

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ne permet pas seulement de dire ce que ces personnes font en secret ». (Ephés. V, 32.) De même que dans les ténèbres nous ne connaissons ni l'ami ni l'ennemi, et ne discernons pas les objets, ainsi dans le péché nous ne voyons rien: l'avare ne distingue pas l'ami de l'ennemi; l'envieux voit d'un oeil d'inimitié l'homme qui lui est le plus dévoué; celui qui tend des piéges déclare la guerre à tout le monde. En un mot, quiconque est asservi au péché ne diffère point des gens, ivres et furieux et cesse de discerner les choses. Comme. dans la nuit, faute de lumière pour distinguer les objets: le bois, le plomb, le fer, l'argent, l'or, les pierres précieuses, tout paraît semblable à nos yeux; de même celui qui vit dans l'impureté ne connaît point l'excellence de la sagesse ni la beauté de la philosophie. En effet, dans les ténèbres, comme je l'ai déjà dit, les pierres précieuses ne montrent pas leur propre beauté ; et cela ne provient point de leur nature, mais de l'ignorance de ceux qui les regardent.
Mais ce n'est point là le seul malheur qui accable celui qui vit dans le péché: il est dans une crainte perpétuelle, et de même que ceux qui se trouvent en chemin dans une nuit obscure, où la lune ne brille point, tremblent toujours, quoiqu'il n'y ait là personne pour causer leurs alarmes; ainsi les pécheurs sont dans une méfiance continuelle, quand bien même personne ne leur ferait de reproches. Mais les remords de leur conscience font que tout les effraie, tout leur est suspect, que tout est plein pour eux de crainte et de terreur, et qu'ils ne voient rien qui ne les inquiète.
Fuyons donc une vie si tourmentée, car après ces inquiétudes la mort viendra, et une mort éternelle, où les supplices n'auront point de fin. Mais en ce monde même, ces pécheurs, qui s'imaginent des choses sans réalité, ne diffèrent point des fous; ils se croient riches, et ils ne le sont pas; il leur semble qu'ils vivent dans les plaisirs et dans les délices, et ils n'ont ni délices ni plaisirs, et ils ne reconnaissent et ne sentent comme il faut combien leurs idées sont fausses et trompeuses qu'après s'être guéris de leur démence, avoir secoué leur léthargie. Voilà pourquoi saint Paul veut que nous soyions tous sobres et vigilants, et Jésus-Christ nous le commande aussi. Celui qui est sobre et qui veille, si le péché le surprend, aussitôt il le chasse; mais l'insensé ou celui qui dort ne sait pas comment le péché s'empare de lui. Ne nous endormons donc point, car la nuit est passée, nous sommes dans le jour. « Marchons donc avec bienséance et avec honnêteté, comme « marchant durant le jour », (Rom. XIII, 13.)
En effet, rien n'est plus laid, rien n'est plus honteux que le péché. Ce serait un moindre mal, , à le prendre du côté de la. honte et de la laideur, d'aller nu dans les rues, que couvert et chargé de péchés et de crimes. D'aller nu, ce ne serait pas un si grand crime, puisque souvent l'indigence en est la cause; mais il n'est rien de si infâme ni de si méprisable que le pécheur.
Représentons-nous ces voleurs qu'on traîne devant les juges pour leurs rapines et leurs spoliations : voyons combien leurs insolences, leurs friponneries et leurs violences les rendent hideux, ridicules et méprisables. Oh que nous sommes misérables et malheureux ! Nous qui ne voulons pas souffrir sur nous un manteau mal arrangé ou à l'envers, et qui , si nous le voyons ainsi sur un autre, y portons aussitôt la main pour l'ajuster: si notre prochain et nous, nous marchons de travers dans la voie des commandements de Dieu, nous ne nous en apercevons point du tout. Qu'est-il, je vous prie , de plus vilain et de plus infâme qu'un homme qui entre chez une prostituée? Qu'y a-t-il de plus ridicule et de plus risible qu'un homme violent, qu'un médisant, qu'un envieux? Comment peut-il se faire qu'on ne regarde pas ces choses comme aussi honteuses que d'aller nu dans les rues? C'est seulement parce qu'on s'est accoutumé à ces Sortes de vices; car on n'a jamais vu personne marcher nu dans les rues -volontairement: mais la coutume fait que l'on pèche hardiment.
Certes, si quelqu'un entrait dans la société des anges, où il ne s'est jamais rien passé de semblable, il connaîtrait bientôt combien ces sortes d'actions sont honteuses et ridicules. Mais pourquoi nommé je la société des anges? Aujourd'hui même, et parmi nous, si quelqu'un .ose introduire une femme de mauvaise vie dans le palais de l'empereur, ou s'y enivrer, ou y commettre quelqu'autre action honteuse, il en est puni du dernier supplice. Que s'il n'est pas permis de rien faire de semblable dans le palais du prince, à plus forte raison, commettre de pareilles actions quelque part que ce soit, quand le Roi de l'univers est [133] présent partout et voit tout, c'est encourir les derniers supplices.
C'est pourquoi, je vous en conjure, mes chers frères, vivons en ce monde dans une grande paix, et travaillons à nous rendre purs et irréprochables : nous avons un Roi qui a continuellement les veux attentifs sur tout ce que nous faisons. Afin donc que cette lumière
nous illumine toujours, attirons ses rayons sur nous. De cette sorte nous jouirons et des biens présents et des biens futurs, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui gloire soit au Père et au Saint-Esprit , dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE VI.
UN HOMME A ÉTÉ ENVOYÉ DE DIEU, QUI S'APPELAIT JEAN. (JUSQU'AU VERSET 9.)

ANALYSE.

1. De quelle manière Jésus-Christ reçoit témoignage de saint Jean. — La saine doctrine ne sert de rien sans les bonnes oeuvres.

l. L'évangéliste, après avoir dit dans son exorde ce qu'il y a de plus important et de plus nécessaire à connaître du Verbe-Dieu, suivant l'ordre et la suite de son sujet, nous va maintenant parler du précurseur qui devait annoncer le Verbe, et qui s'appelait Jean comme lui. Pour vous, lorsque vous entendez que Jean est un homme qui a été envoyé de Dieu, cessez de croire qu'il y ait eu rien d'humain dans ses paroles; ce n'est point sa doctrine, qu'il nous a enseignée, mais celle de Celui qui l'envoya. Voilà pourquoi il est appelé ange : or, le devoir d'un ange ou d'un ambassadeur est de se Borner à répéter ce qu'on lui a dit. Ce mot : « il a été » ne signifie pas ici le passage du non-être à l'être, ou à l'existence, mais la mission même. Cette parole : « il a été envoyé de Dieu » ne signifie autre chose sinon qu'il était ambassadeur de Dieu.
Comment donc les hérétiques peuvent-ils soutenir que le passage qui dit : « Qui ayant a la forme et la nature de Dieu » (Philip. II, 6), ne prouve pas que le Fils est égal au Père, pour cela seul que le mot Theous, « de Dieu », n'est, pas précédé de l'article tou? Car voici encore un endroit (1) sans article. Diront-ils que ce n'est pas du Père qu'il y est parlé ? mais que répondront-ils encore sur ces paroles du prophète : « J'envoie devant vous mon ange qui vous préparera la voie ? » (Mal. III, 1; Matth. XI, 10.) Ces paroles : « moi » et « vous » signifient deux personnes.
« Il vint pour servir de témoin, pour rendre témoignage à la lumière (7) ». Quoi ! dira peut-être quelqu'un , le serviteur rend témoignage à son Maître? mais lorsque vous verrez le Maître, non-seulement recevoir le témoignage de son serviteur, mais encore venir à lui, et se faire baptiser par lui avec les Juifs, ne serez-vous donc pas dans un plus grand étonnement et dans un plus grand doute? Mais il ne faut pas vous étonner, ou vous troubler; vous devez plutôt admirer l'ineffable bonté de ce Maître. Que si quelqu'un demeure saisi de vertige et de trouble, Jésus-Christ lui dira ce qu'il répondit à Jean : «Laissez-moi faire pour cette

1. On voit bien que le saint Docteur parle du verset qu'il explique : « Un homme a été envoyé de Dieu », où dans le texte le mot Theou n'est point précédé de l'article tou, quoiqu'il soit visible que c'est de Dieu le Père que parle l'évangéliste.

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heure, car c'est ainsi qu'il faut que nous accomplissions toute justice ». (Matth. III, 15.) Et si son étonnement redouble, il lui répétera ce qu'il a dit aux Juifs : « Pour moi, ce n'est pas d'un homme que je reçois le témoignage ». (Jean, V, 34.)
S'il n'a donc pas besoin de ce témoignage, pourquoi Jean est-il envoyé de Dieu? ce n'est pas pour le besoin qu'avait le Verbe de ce témoignage, ce serait une extrême impiété de le dire : mais enfin, pourquoi? Jean nous l'apprend lui-même, lorsqu'il dit: « Afin que tous crussent par lui » ; mais comme Jésus-Christ après avoir dit, parlant de Jean : « Il y en a un autre qui rend témoignage de moi : Et je sais que le témoignage qu'il en rend est véritable », dit maintenant : « Pour moi, ce n'est pas d'un homme que je reçois le témoignage », il pouvait sembler aux fous et aux insensés, qu'il se contredisait lui-même par ces dernières paroles; aussi l'explication arrive-t-elle tout de suite : « Mais », dit-il, « je dis ceci afin que vous soyez sauvés ». (Jean, V, 34.) C'est comme s'il disait : Je suis Dieu, et le vrai Fils de Dieu, émané de cette immortelle et bienheureuse substance : je n'ai besoin du témoignage de personne. Car, quand personne ne voudrait me rendre témoignage, je ne serais pas pour cela diminué dans ma nature. Jaloux du salut du monde, je me suis abaissé et humilié jusqu'à vouloir bien charger un homme de me rendre témoignage. En effet, les Juifs, sur une conduite si proportionnée à leur faiblesse et à leur grossièreté, devaient plus facilement se porter à croire en lui.
Comme le Verbe s'est donc revêtu de notre chair, de peur que; venant à nous dans sa majesté et dans tout l’éclat de sa divinité, il ne nous perdit tous; il a de même envoyé devant lui un homme pour lui servir de précurseur, afin que les hommes d'alors, entendant une voix de même nature que la leur, s'en approchassent plus facilement. Mais, qu'il n'avait pas besoin de ce témoignage, la preuve en est visible : il n'avait qu'à se montrer dans sa substance toute pure, pour frapper tous les hommes de crainte et de terreur : il ne l'a point fait, comme je viens de dire, parce qu'ils auraient tous péri, nul ne pouvant soutenir la force et la splendeur de cette lumière inaccessible. C'est aussi pour cette raison qu'il s'est revêtu de la chair, et il a donné la charge à un de nos compagnons de rendre témoignage de lui, parce qu'il a tout fait pour le salut des hommes, et qu'il n'a pas seulement eu égard à sa dignité, mais encore à la faiblesse des hommes et à leur intérêt.
Jésus-Christ nous le déclare lui-même par ces paroles : « Je dis ceci afin que vous soyez sauvés ». (Jean, V, 34.) L'évangéliste , qui parie conformément à ce que dit le Seigneur, nous en avertit aussi. Car, après avoir dit : « Il vint pour rendre témoignage à la lumière », il a ajouté : « Afin que tous crussent par lui ». C'est à peu près comme s'il disait: Ne croyez pas que Jean-Baptiste soit venu rendre témoignage pour donner plus de force et d'autorité à la parole du Seigneur, et la rendre plus croyable : ce n'est point pour cela qu'il est venu , mais afin que ses concitoyens crussent par lui.
Ce qui suit démontre évidemment que c'est pour prévenir ce soupçon qu'il a dit ces choses, car il ajoute : « Il n'était pas la lumière » paroles qui deviendraient inutiles , et seraient plutôt une simple répétition qu'une explication de sa doctrine, si l'évangéliste, en les ajoutant, n'eût pas voulu nous prémunir contre ce soupçon. Ayant dit : « Il vint pour rendre témoignage à la lumière », pourquoi dit-il encore : « Il n'était pas la lumière » ? Ce n'est pas en vain ni sans raison, mais c'est parce que souvent parmi nous, celui qui rend témoignage , est plus grand et plus considéré que celui à qui il rend ce témoignage; et que souvent il paraît aussi plus digne de foi. Voilà pourquoi, de peur qu'on eût lieu d'avoir ce sentiment de Jean, l'évangéliste détruit dès le commencement tout ce mauvais soupçon, et après l'avoir complètement extirpé, il fait connaître quel est celui qui rend témoignage, et quel est celui de qui le témoignage est rendu, et l'extrême différence qu'il y a entre l'un et l'autre. Après l'avoir fait, et avoir montré l'incomparable excellence de celui à qui Jean rend témoignage, il poursuit son discours avec sécurité; une fois qu'il a fait exacte justice de toutes les absurdes pensées qui pouvaient venir dans l'esprit des gens sans intelligence, il sème et répand ensuite facilement et sans obstacle la doctrine du salut.
C'est pourquoi, mes chers frères, prions maintenant le Seigneur qui nous a révélé de si grandes choses, et qui nous a donné une si pure doctrine, de nous faire la grâce de [135] mener, en outre, une vie pure et toute sainte. Car la saine doctrine n'apporte aucune utilité sans les bonnes couvres. Quand nous posséderions la foi la plus pure, et une parfaite intelligence des saintes Ecritures, si la sainteté de nos moeurs et de notre vie ne nous soutient et nous protège, rien n'empêchera que nous ne soyions jetés au feu de l'enfer, et éternellement brûlés dans cette flamme qui ne s'éteindra point. De même que ceux qui. auront fait de bonnes oeuvres ressusciteront pour la vie éternelle, ainsi ceux qui n'auront pas craint d'en faire de mauvaises , ressusciteront pour être condamnés à un supplice éternel, et qui ne finira jamais.
Appliquons donc tous nos soins à ne pas perdre par nos mauvaises couvres le profit de la vraie foi, et à nous signaler en outre par nos actions (Tit. II, 12», afin que nous puissions nous présenter à Jésus-Christ avec confiance. Rien ne peut égaler un si grand bonheur. Veuille le Ciel qu'ayant bien profité de cette instruction, nous n'ayons tous en vue que la gloire de Dieu, à qui soit-elle rendue, et au Fils unique, et au Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.


HOMÉLIE VII.
CELUI-LA ÉTAIT LA VRAIE LUMIÈRE, QUI ILLUMINE TOUT HOMME VENANT EN CE MONDE. (VERSET 9.)

ANALYSE.

1. Il ne faut point chercher à comprendre ce qu'il y a d'incompréhensible en Dieu.
2. Vraie folie, vraie connaissance du Père et du Fils. — Folle et insensée doctrine des Sabelliens et des Marcelliens. — Contre les Anoméens. — Comment on obtient le pardon des péchés, et on les efface.

1. Si c'est par petites portions, mes très-chers enfants, que nous vous nourrissons du pain des saintes Ecritures, si nous ne vous le donnons pas tout à la fois, c'est afin que vous gardiez facilement chacun des morceaux que nous vous servons. Celui qui, construisant un édifice, met et entasse les pierres les unes sur les autres, avant que les premières qu'il a posées, soient jointes et liées ensemble, ne bâtit pas solidement; et les murs qu'il élève tomberont bientôt en ruines : celui au contraire qui attend que la chaux ait lié et consolidé les pierres, pour en joindre d'autres peu à peu, bâtit une maison stable, solide et qui dure longtemps. Nous imitons ces excellents architectes, et bâtissons de la même manière l'édifice du salut de vos âmes : autrement, nous craindrions que les dernières instructions n'effaçassent entièrement les premières de votre mémoire , puisque l'esprit ne peut tout à la fois tout comprendre et tout retenir. Que vient-on donc de vous lire aujourd'hui ? ces paroles : « Celui-là était la lumière qui illumine tout homme venant en ce monde »: l'évangéliste qui, parlant ci-dessus de Jean, disait qu'il était venu « pour rendre témoignage de la lumière », et qu'il était maintenant envoyé pour remplir ce ministère, élève tout à coup nos esprits, et nous fait monter jusqu'à cette existence , qui ne connaît point de commencement, et qui n'aura point de fin, de peur que ce qu'il avait dit de Jean, et que le subit et nouvel avènement d'un précurseur, qui venait pour rendre témoignage, ne donnât lieu à de mauvais soupçons touchant Celui
à qui il devait rendre témoignage.
Et comment, direz-vous, cette existence peut-elle n'avoir ni commencement ni fin

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puisque c'est du Fils qu'il est ici parlé? mais c'est d'un Dieu que nous parlons, et vous di. tes: comment cela se peut-il? Et vous ne craignez pas , ou plutôt vous n'avez pas horreur de faire une pareille demande? mais si quelqu'un vous demande comment les âmes et les corps jouiront un jour d'une vie immortelle, vous vous mettez à rire, parce que, direz-vous, il n'est pas de l'esprit humain de raisonner en ces matières, mais seulement. de croire : ni d'examiner curieusement la parole, mais de tenir pour une démonstration suffisante la toute-puissance de celui qui parle : et si: nous vous disons que Celui qui a créé les âmes et les corps, et qui est sans comparaison au-dessus de toutes les créatures , n'a point de commencement, vous oserez nous demander comment cela se peut? Est-ce le fait d'une âme rassise, d'un esprit droit?
Vous avez entendu cette parole : « Celui-là était la vraie lumière ». Pourquoi tant de vains et d'inutiles efforts pour comprendre par la seule raison une vie qui n'a point de fin? Pourquoi chercher à connaître ce qui ne peut être connu? Pourquoi sonder ce qui est incompréhensible? Pourquoi soumettre à un examen ce qui échappe à tout examen ? Cherchez à remonter à l'origine des rayons du soleil, vous ne la trouverez point, et toutefois, vous ne serez ni fâché, ni chagrin de votre incapacité. Pourquoi donc seriez-vous téméraires et inconsidérés dans de plus grandes choses ?
Jean, cet enfant du tonnerre, ce héraut spirituel, au moment où l'Esprit-Saint lui a fait entendre cette parole : « Il était », s'est tu et n’a point cherché à approfondir davantage : et vous,qui n'avez pas reçu de si grandes grâces, vous qui ne parlez que suivant les faibles lumières de votre raison , vous voulez en savoir plus que lui? Voilà pourquoi vous n'atteindrez jamais degré même de connaissance où il est parvenu.
C'est ainsi que`procède le diable : « il fait passer à ceux qui l'écoutent et lui obéissent les limites que Dieu nous, a prescrites, comme si nous pouvions aller beaucoup plus loin : mais après nous avoir fait pendre la grâce du Seigneur par les appâts de cette belle espérance, non-seulement il ne fait rien de plus pour nous, car comment le ferait-il, puisqu'il est le diable? mais il ne nous permet même pas de revenir à ce premier état, où nous étions en paix et en sûreté; il nous: fait au contraire errer de côté et d'autre, sans que nous puissions jamais nous fixer.
C'est. ainsi qu'il a chassé notre premier père du paradis. Il enfla son coeur de l'espérance d'une plus grande science et de plus grands honneurs, et lui fit perdre ainsi ceux dont il jouissait paisiblement : non-seulement Adam ne devint pas semblable à Dieu, comme il le,, lui faisait espérer, mais il le soumit au tyrannique empire de la mort : non-seulement Adam n'apprit rien pour avoir mangé du fruit de l'arbre défendu , mais encore il ne perdit pas peu de cette science qu'il avait, pour en avoir espéré une plus grande : car dans ce moment il commença à rougir de sa nudité, honte à laquelle il avait été supérieur jusqu'à sa faute. Donc la connaissance de sa nudité, le besoin où il fut désormais de se vêtir, ces malheurs et plusieurs autres furent une conséquence de sa curiosité.
Mais de peur qu'il ne nous en arrive autant, mes frères, soyons obéissants à Dieu , et gardons ses commandements : ne cherchons pas curieusement à approfondir davantage, pour ne pas perdre comme eux les grâces que nous avons reçues. Les hérétiques voulant chercher un commencement dans cette vie qui n'a point de commencement; ont perdu avec cette connaissance qu'ils n'auront jamais , celles qu'ils auraient pu acquérir. En effet, ils n'ont point trouvé ce qu'ils cherchaient, car ils ne le pouvaient pas, et ils ont perdu la vraie foi au Fils unique.
Pour nous ne sortons point des anciennes bornes que nos pères ont posées , et soyons soumis en tout aux lois que l'Esprit-Saint nous a tracées. Lorsque nous entendons : « Il était a la vraie lumière », ne cherchons rien de plus, nous ne pouvons en savoir davantage, ni atteindre plus haut. Si Dieu avait engendré son Fils comme les hommes engendrent, il y aurait nécessairement quelque espace de temps entre celui qui engendre et celui qui est engendré: mais puisqu'il l'a engendré d'une manière ineffable, propre et convenable à un Dieu, cessons de nous servir de ces expressions : « Avant » et « Après », car ce sont là des noms qui appartiennent au temps : mais le Fils est le créateur même de tous les siècles.
2. Il n'est donc pas son Père, direz-vous, mais son frère. Où est-elle, je vous prie, cette nécessité? Si nous disions que le Père et le Fils [137] sont sortis de différente racine, ou ne sont pas de même substance, vous pourriez avoir raison de parler de la sorte : mais si nous sommes bien éloignés de cette impiété, si nous disons que le Père est sans commencement, et n'a point été engendré, et que le Fils est véritablement sans commencement, mais qu'il est engendré du Père, en quoi cette idée conduit-elle nécessairement au langage impie que vous tenez? Car le Fils est la splendeur! or, la splendeur est comprise et renfermée dans la même nature dont elle est la splendeur. C'est pour cette raison que saint Paul, afin que vous n'alliez pas vous figurer qu'il y a un milieu entre le Père et le Fils, l'a ainsi appelé. C'est là, en effet, ce qu'exprime le nom de splendeur.
L'apôtre, après cet exemple, redresse les pensées absurdes qui pouvaient naître de là dans l'esprit des insensés. Que ce nom de splendeur, dit-il, que vous venez d'entendre , ne vous- donne pas lieu de croire que le Fils n'ait pas sa propre hypostase, c'est là un sentiment impie, une folie qu'il faut laisser aux sabelliens et aux marcelliens : mais nous , nous sommes bien éloignés de cette doctrine nous enseignons que le Fils existe dans sa propre hypostase : voilà pourquoi saint Paul, au nom de splendeur, joint celui de « caractère de sa substance » (Héb. I, 3) ; par où il marque qu'il a sa propre hypostase, et montre que sa substance est la même que celle dont il est le caractère. Un nom seul, comme je l'ai déjà dit, n'est pas suffisant pour apprendre aux hommes ce qu'ils doivent croire au sujet de Dieu. Il faut se tenir pour content si, après en avoir joint plusieurs ensemble , on sait tirer ensuite de chacun ce qui convient véritablement à la Divinité. C'est de tette manière que nous pourrons dignement glorifier Dieu ; je dis dignement, c'est-à-dire, autant qu'il est en nous et que nous en sommes capables.
Que s'il est quelqu'un qui ose croire qu'il peut dignement parler de Dieu , et assurer qu'il le connaît comme on se connaît soi-même , personne assurément ne le connaît moins.
Instruits de ces vérités, soyons soigneux de bien retenir ce que nous ont appris du Verbe ceux qui, dès le commencement, l'ont vu de leurs propres yeux, et en ont été les ministres; et n'ayons pas la curiosité de chercher à en savoir davantage. Cette maladie cause deux grands maux dans celui qui en est infecte l'un, qu'il se tourmente vainement à chercher ce qu'il ne peut trouver; l'autre, qu'il irrite la colère de Dieu, en s'efforçant de renverser les bornes qu'il a mises lui-même. Mais jusqu'à quel point cela excite sa colère, c'est ce qu'il n'est pas nécessaire de vous dire, puisque vous le savez tous.
C'est pourquoi, rejetons et fuyons la témérité et l'arrogance des hérétiques. Ecoutons la parole de Dieu avec crainte et avec tremblement, afin qu'il nous protège incessamment; car il dit : « Sur qui jetterai-je les yeux, sinon sur celui qui est doux et humble et paisible, et qui écoute mes paroles avec tremblement? » (Ps. LXVI , 2.) Rejetant donc cette vaine curiosité, brisons nos coeurs, pleurons nos péchés, ainsi que Jésus-Christ nous le commande : soyons touchés de componction au souvenir de nos crimes , et repassons exactement dans notre esprit toutes les fautes que nous avons commises jusqu'à présent : appliquons tous nos soins et toutes nos forces à nous en laver entièrement. Car Dieu nous a donné pour cela bien des voies et des moyens. « Déclarez le premier », nous dit-il, « vos iniquités, afin que vous soyez justifié ». (Is. XLIII, 26, Sept.) Et encore : « J'ai dit : Je confesserai au Seigneur contre moi-même mon injustice, et vous m'avez » aussitôt « remis l'impiété de mon coeur ». (Ps. XXXI, 6, Sept.) Repasser souvent ses péchés dans sa mémoire, et s'en accuser, c'est ce qui ne sert pas peu à en diminuer le poids et l'énormité.
Mais voici un second moyen de laver ses péchés encore plus efficace : Ne vous mettez point en colère contre celui qui vous a offensé; pardonnez à tous ceux qui ont commis des fautes contre vous. En voulez-vous apprendre un troisième ? Daniel va vous le donner, écoutez-le : « C'est pourquoi rachetez vos péchés par les aumônes, et vos iniquités par les oeuvres de miséricorde envers les pauvres». (Dan. IV, 24.) Il y en a encore un autre : c'est l'oraison fréquente, et la persévérance dans les prières qu'on fait à Dieu. Le jeûne également, s'il est joint à la douceur et à la charité envers le prochain, n'est pas d'une légère consolation, il contribue à la rémission des péchés, il éteint le feu de la colère de Dieu : « Car l’eau éteint le feu, lorsqu'il est le plus ardent, et l'aumône lave les péchés ». (Eccl. III, 33.) Marchons donc dans toutes ces voies : si [138] nous ne cessons pas d'y marcher, si nous employons tout notre temps et tous nos soins à ces pratiques, non-seulement nous laverons nos péchés passés, mais nous amasserons aussi de grands trésors pour l'autre monde. Car nous ne donnerons point de prise au diable, nous ne nous laisserons aller ni à la paresse, ni à une pernicieuse curiosité. Car le démon met à profit ces occasions, entre autres, pour susciter les folles recherches et les controverses dangereuses, une fois qu'il nous a surpris dans l'oisiveté et dans la mollesse, et qu'il nous voit négliger la vertu. Mais nous, soyons attentifs à lui fermer cette entrée, veillons et soyons sobres, afin qu'après nous être donné quelques petites peines dans cette vie qui est si courte, nous jouissions des biens immortels pendant toute l'éternité , par la grâce et pat la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui soit la gloire au Père et au Saint-Esprit , dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMELIE VIII.
CELUI-LA ÉTAIT LA VRAIE LUMIÈRE, QUI ILLUMINE TOUT HOMME VENANT EN CE MONDE. (JUSQU'AU VERSET 9.)

ANALYSE.

1. Pourquoi Jésus-Christ, vraie lumière, n'illumine pas tous les hommes.
2. Réponses aux questions des gentils . Que faisait Jésus-Christ avant son avènement, etc. ? — On ne peut s'attacher aux choses de la terre, et rechercher comme il faut celles du ciel. — Grande différence entre les serviteurs de Jésus-Christ, et les serviteurs de l'argent.— Servir Dieu qui récompense magnifiquement.

1. Je reprends le texte de mon dernier sermon : car rien n'empêche, mes frères, d'examiner les mêmes paroles, puisque l'exposition des dogmes, auxquels nous nous arrêtâmes, ne nous permit pas de vous expliquer tout ce dont on vous avait fait la lecture.
Où sont donc ceux qui disent que le Fils n'est pas vrai Dieu ? C'est pourtant lui qui est
appelé la vraie lumière , et ailleurs la vérité même, la vie même. Mais nous approfondirons. davantage ces paroles, et nous les expliquerons plus clairement, lorsque nous y serons arrivés.
Maintenant, et avant de passer outre, il est nécessaire d'examiner les paroles de mon texte, et de les expliquer à votre charité. Je dis donc: si le Fils illumine tout homme venant en ce inonde, comment y a-t-il tant d'hommes qui ne sont point illuminés ? car tous ne croient
pas en Jésus-Christ, tous ne lui rendent pas le culte qui lui est dû. Comment donc illumine-t-il tout homme ? il l'illumine autant qu'il est en lui. Mais si quelques-uns ferment de plein gré les yeux de leur âme, pour ne point recevoir les rayons de cette lumière, et demeurent dans les ténèbres, il ne faut pas s'en prendre à la nature de la lumière, mais à la malignité de ceux qui se privent volontairement de ce don; car la grâce est répandue dans tous: elle ne rejette ni le Juif ni le gentil, ni le barbare, ni le scythe, ni le libre, ni l'esclave (Col. III, II), ni l'homme, ni la femme, ni le vieux, ni le jeune, mais elle les reçoit tous également, et les appelle tous sans distinction. C'est pourquoi ceux qui ne veulent pas profiter d'un si grand bienfait, ne doivent imputer leur aveuglement qu'à eux-mêmes; la porte est ouverte à tout le monde, personne [139] n'en ferme l'accès: si donc quelques-uns s'obstinent à demeurer dehors, c'est par leur propre faute qu'ils périssent: « Il était dans le monde » ; mais ce n'est pas à dire qu'il fût du même âge que le monde loin de nous une pareille pensée. Voilà pourquoi l'évangéliste ajoute : « Et le monde a été fait par lui », par où il vous ramène à l'existence du Fils unique avant les siècles: car celui qui est une fois instruit que tout ce vaste univers est l'ouvrage de ses mains (manquât-il tout à fait de raison, fût-il ennemi déclaré de la gloire de Dieu ) est forcé de confesser malgré lui que le Créateur est avant les créatures.
Voilà pourquoi la folie de Paul de Samosate m'étonne toujours davantage : j'admire qu'il ait pu combattre une vérité si lumineuse et si éclatante, et se jeter de gaieté de coeur dans le précipice : car il n'est pas tombé dans l'erreur par ignorance, il l'a embrassée avec pleine connaissance de la vérité comme les Juifs. En effet, comme ceux-ci l'ont trahie par complaisance pour les hommes (ils savaient que Jésus-Christ était le Fils unique de Dieu, ruais ils ne l'ont pas confessé par crainte de leurs princes, et pour n'être pas chassés de la synagogue), on rapporte de même que l'autre a trahi sa conscience et perdu son salut par complaisance pour une certaine femme (1). Et certes la vaine gloire est un cruel et très-dangereux tyran ; elle peut aveugler les yeux des sages mêmes, s'ils ne sont vigilants et attentifs. Si les présents ont ce pouvoir, cette passion, bien plus forte, le peut encore davantage. Voilà pourquoi Jésus-Christ disait aux Juifs : « Comment pouvez-vous croire, vous qui recherchez la gloire des hommes, et qui ne recherchez point la gloire qui vient de Dieu seul? » (Jean, V, 44.)
« Et le monde ne l'a point connu (10) ». L'évangéliste appelle ici le monde cette multitude de gens corrompus qui n'a de goût et d'empressement que pour les choses de la terre, la foule, la populace, le peuple insensé ; car les amis de Dieu, les grands hommes, l'avaient tous connu, avant même son incarnation. Jésus-Christ le dit nommément du grand patriarche: « Abraham votre père », dit-il, « a désiré avec ardeur de voir mon jour: il l'a a vu, et il en a été rempli de joie ». (Jean,

1. Zénobie, reine de Palmyre.

VIII, 56.) Et de même de David, en disputant contre les Juifs: « Comment donc », leur dit-il, « David l'appelle-t-il en esprit son Seigneur par ces paroles: le Seigneur a dit à mon Seigneur , asseyez-vous à ma droite? » (Matth. XXII , 43.) Souvent aussi en les combattant il nomme Moïse ; l'apôtre saint Pierre le déclare des autres prophètes , car il assure que tous les prophètes, depuis Samuel, ont connu Jésus-Christ, et ont prédit son avènement longtemps auparavant: « Tous les prophètes » , dit-il , « qui sont venus de temps en temps depuis Samuel , ont prédit ce qui est arrivé en ces jours ». (Act. III, 24.) Il s'est fait voir, et il a parlé à Jacques et à son père, et même à son grand-père (I Cor. XV, 5, 6, 7 et 8) ; il leur a fait beaucoup et de très-grandes promesses , et il les a effectivement accomplies.
Pourquoi, répliquerez-vous, dit-il donc lui-même : « Beaucoup de prophètes ont souhaité de voir ce que vous voyez et ne l'ont point vu, et d'entendre ce que vous entendez et ne l'ont point entendu? » (Luc, X, 24.) Est-ce qu'ils n'en ont point eu la connaissance? Ils l'ont eue sûrement, et je tâcherai de le démontrer par le même endroit par lequel quelques-uns croient prouver le contraire. Jésus-Christ dit: « Beaucoup ont souhaité de voir ce que vous voyez ». Ils ont donc connu qu'il devait venir parmi les hommes, et accomplir ce qu'il a véritablement accompli : car s'ils n'avaient point eu cette connaissance, ils n'auraient pas formé ce souhait. Personne , en effet, ne peut désirer de voir ce dont il n'a nulle connaissance, nulle idée. C'est pourquoi ils ont connu le Fils de Dieu, et ils ont su qu'il devait venir parmi les hommes.
Quelles sont donc ces choses qu'ils n'ont point connues, qu'ils n'ont point entendues? Ce sont celles-là même que vous voyez et que vous entendez maintenant. Les prophètes ont entendu sa voix et l'ont vu ; mais ils ne l'ont pas vu incarné, conversant avec les hommes , leur parlant familièrement: voilà ce que Jésus-Christ déclare lui-même ; car il n'a pas dit simplement: Ils ont désiré de me voir. Mais qu'a-t-il dit? « Ils ont désiré de voir ce que vous voyez ». Il n'a pas dit: ils ont désiré de m'entendre; mais: « Ils ont désiré d'entendre ce que vous entendez ». C'est pourquoi, s'ils n'ont pas vu son avènement dans la chair, du moins ils ont connu que Celui qu'ils désiraient de voir viendrait un jour dans le monde, et [140] ils ont cru en lui, quoiqu'ils ne layent point vu incarné.
Mais les gentils pourront nous attaquer et nous adresser cette question: Que faisait Jésus-Christ dans ces premiers temps auxquels il n'avait point encore soin du genre humain? Et pourquoi aussi est-il venu à la fin des temps prendre soin de notre salut, après t'avoir négligé pendant tant de siècles? A quoi nous répondrons qu'il était venu dans le monde avant cet avènement même; qu'il y avait préparé la voie aux oeuvres qu'il devait opérer, et qu'il s'était fait connaître à tous ceux qui en étaient dignes. Que si , pour n'avoir pas été connu de tous, mais seulement des gens de bien et des personnes de vertu , vous dites qu'il a été inconnu et ignoré des hommes, vous pourrez également dire qu'encore maintenant il n'est pas adoré de tous , à cause qu'aujourd'hui même tous ne le connaissent pas; mais comme dans le temps présent, pour être inconnu et ignoré de beaucoup, personne, toutefois, n'osera avancer qu'il ne soit pas connu de plusieurs; de même on ne doit pas douter que, dans ces premiers temps, il n'ait été connu de plusieurs, ou plutôt de tout ce qu'il y avait alors de grand et d'admirable parmi les hommes.
2. Que si quelqu'un me fait cette demande Et pourquoi, dans ce temps-là, tous ne se sont-ils pas attachés à lui et ne lui ont-ils pas tous rendu le culte qui lui est dû , mais seulement les justes? moi, à mon tour, je leur ferai celle-ci : Pourquoi, à présent même, tous ne le connaissent-ils pas? Mais plutôt, pourquoi m'arrêté-je à parler de Jésus-Christ ? car je puis demander du Père pourquoi et alors et maintenant tous ne l'ont-ils pas connu! Il en est qui prétendent que tout marche au gré du hasard ; d'autres attribuent le gouvernement du monde aux démons; il s'en trouve aussi qui imaginent et se forgent un second Dieu. Quelques blasphémateurs vont jusqu'à voir en lui-même la puissance contraire et enseigner que ses lois sont l'ouvrage du mauvais démon. Quoi donc ! dirons-nous qu'il n'y a point de Dieu, parce que quelques-uns disent qu'il n'y en a point? dirons-nous que Dieu est mauvais, parce que quelques-uns ont l'impiété de le croire? Mais c'en est assez, laissons-là ces folies et ces horribles extravagances. Si nous fondions nos principes et nos dogmes sur le jugement et les raisonnements de ces furieux, rien ne nous empêcherait de tomber bientôt nous-mêmes dans la pire démence.
Et certes, quoiqu'il y ait des yeux faibles et délicats qui ne peuvent supporter la lumière, personne ne dira que lé soleil soit de sa nature pernicieux aux yeux; maison en juge d'après les bonnes vues, et on le dit lumineux ; quoique le miel semble amer à quelques malades, personne ne dira pour cela que le miel soit amer. Et on trouvera des gens qui, sur l'opinion de quelques esprits malades, ne craindront pas de décider, ou qu'il n'y a point de Dieu, ou qu'il y en a un mauvais, ou que l'action de la Providence n'est pas continue. Mais qui dira que ces sortes de gens aient l'esprit sain et le sens commun ? Qui ne les traitera pas au contraire de furieux et d'extravagants?
« Le monde ne l'a point connu » ; mais « Ceux dont le monde n'était pas digne» (Héb. XI, 38) l'ont connu. En disant quels sont ceux qui ne l'ont point connu, l'évangéliste indique d'un mot la cause de leur ignorance ; car il n'a pas simplement dit : Personne ne l'a connu, mais il a dit : « Le monde ne l'a point connu », c'est-à-dire, ces hommes qui sont uniquement attachés au monde, et qui n'ont d'affection que pour lui. Et c'est ainsi que Jésus-Christ a coutume de les appeler, comme quand il dit « Père saint, le monde ne vous a point connu». (Jean, XVII, 25.) Par où il est visible, comme nous vous l'avons fait remarquer, que ce n'est pas seulement le Fils que le monde n'a point connu, mais encore le Père. Rien en effet ne trouble et n'obscurcit autant l'esprit que de désirer avec ardeur les choses présentes.
Instruits de cette vérité, mes frères, séparez-vous du monde, et éloignez-vous des choses charnelles, autant que cela se peut; en effet, ce n'est pas à perdre des choses viles et de nul prix que vous expose l'attachement au monde; mais à perdre le bien suprême; l'homme qui est fortement épris des choses présentes n'est point capable de s'attacher à celles du ciel (I Cor. II, 14); il faut que celui qui recherche les unies perde les autres. « Vous ne pouvez servir tout ensemble », dit Jésus-Christ, « Dieu et l'argent » (Luc, XVI, 13) ; nécessairement il faut aimer l'un et haïr l'autre. Voilà ce que l'expérience toute seule nous crie assez haut ceux qui n'ont nul désir des richesses, qui s'en moquent et les méprisent, voilà ceux qui aiment Dieu, comme on doit l'aimer; et de même ceux qui convoitent l'opulence, sont [141] précisément ceux qui aiment le moins Dieu; car une âme éprise de l'amour des richesses ne s'abstiendra pas facilement des actions ni des paroles qui excitent la colère de Dieu, puisqu'elle sert un autre maître qui lui commande de faire tout ce que défend la loi du Seigneur.
C'est pourquoi, revenez à vous, sortez de votre sommeil; et pensant à Celui dont nous sommes les serviteurs, n'aimons que son royaume ; pleurons et gémissons sur le temps passé, durant lequel nous avons été les esclaves de l'argent; secouons une bonne fois ce joug pesant, ce joug insupportable; et portons avec persévérance celui de Jésus-Christ qui est doux et léger; il ne nous commandera rien de ce que l'argent commande; car celui-ci nous ordonne de haïr tous les hommes, mais Jésus-Christ nous commande au contraire de les chérir et de les aimer tous; l'un nous attachant à la boue, à l'argile, je veux dire à l'or, ne nous laisse pas même respirer durant la nuit; l'autre nous délivre de ces soins superflus et insensés, et nous commande de nous amasser des trésors dans le ciel, non d'injustices faites au prochain, mais d'oeuvres de justice; l'un, après bien des sueurs et des misères qu'il nous fait essuyer, ne pourra pas nous secourir, lorsque nous serons condamnés au dernier supplice, et que, pour avoir obéi à ses lois, nous souffrirons des tourments infinis; que dis-je? il ne fera qu'attiser la flamme ; l'autre, s'il nous a commandé de donner à boire un verre d'eau froide ( Matth. x, 42), ne permettra même pas qu'un si léger bienfait soit privé de rémunération, mais il le récompensera largement.
Ne serait-il donc pas d'une extrême folie de négliger le service d'un Maître si doux, et qui récompense magnifiquement ses serviteurs, pour servir un tyran ingrat, quine peut aider ses esclaves, ses courtisans, ni en ce monde ni en l'autre? Qu'il ne retire pas du supplice ceux qui y sont condamnés, ce n'est point en quoi consiste tout le mal et le dommage; mais c'est, comme j'ai dit, en ce qu'il accable ses serviteurs d'une infinité de peines et de misères. Car en l'autre monde on verra que la plupart des damnés n'ont été livrés aux supplices que pour avoir servi l'argent, aimé l'or et n'avoir pas fait l'aumône aux pauvres.
Pour nous , de peur d'être condamnés à ces tourments, répandons nos biens avec libéralité sur les pauvres ; garantissons notre âme et des soins importuns et nuisibles de cette vie, et du supplice réservé aux coupables dans l'autre; formons-nous dans le ciel un dépôt de bonnes oeuvres; au lieu d'amasser les richesses terrestres , faisons-nous des trésors qui ne puissent ni périr, ni nous être ravis; des trésors qui puissent entrer avec nous dans le ciel, qui puissent nous protéger à l'heure critique et nous rendre notre Juge propice. Plaise à Dieu que ce Juge, nous étant propice et favorable, et à présent et au jour de son jugement, nous jouissions avec liberté des biens qu'il a préparés dans le ciel pour ceux qui l'aiment comme il doit être aimé ! Je vous le souhaite, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigueur Jésus-Christ, avec qui la gloire soit au Père et au Saint-Esprit, aujourd'hui et ton joues, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE IX.
IL EST VENU CHEZ. SOI, ET LES SIENS NE L'ONT POINT REÇU. (JUSQU'AU VERSET
142


ANALYSE.

1. Les siens ne l'ont pas reçu. — Qui sont les siens ? — Les Juifs d'abord, qui étaient son peuple choisi, puis ceux des antres hommes qui n'ont pas cru en lui et qui lui appartiennent comme ses créatures.
2. L'incrédulité, cause de l'aveuglement des Juifs : l'orgueil, cause de leur incrédulité. — la grâce que Dieu a miséricordieusement. répandue sur les gentils ne fait aucun tort aux Juifs — Saint Paul les reprend et rabaisse leur orgueil et leur insolence. — Ils sont jaloux du salut des gentils. — L'orgueil rend toutes les vertus inutiles.

1. Si vous gardez fidèlement dans votre mémoire nos précédentes instructions, ce sera pour nous un encouragement à continuer notre tâche avec un redoublement d'ardeur, dans la certitude que nos efforts ne sont point perdus. Si vous vous souvenez de ce que nous avons dit, vous aurez plus de facilité à comprendre la suite, et nous, nous aurons moins de peine, car nous serons secondés par votre zèle qui vous fera voir plus nettement ce qu'il nous reste à vous exposer. Celui qui oublie continuellement ce qu'on vient de lui enseigner, aura toujours besoin d'un maître, et ne saura jamais rien; mais celui qui retient ce qu'on lui a enseigné, et qui y ajoute ce qu'on lui enseigne de nouveau, de disciple qu'il était, deviendra bientôt maître lui-même, et se rendra utile et à soi et aux autres. Voilà le fruit que j'attends de mes discours, si je n'augure pas trop de votre zèle à venir m'écouter. Commençons donc, déposons l'argent du Seigneur dans vos âmes, comme dans un trésor très-fidèle et très-sûr, et tâchons de vous expliquer, autant que la grâce du Saint-Esprit nous donnera de force et de lumière, le sujet que nous nous sommes proposés de traiter aujourd'hui.
L'évangéliste, parlant des premiers temps, avait dit : « Le monde ne l'a point connu ». Maintenant il descend au temps de la prédication et il dit : « Il est venu chez soi, et les siens ne l'ont point reçu ». Il appelle en cet endroit les siens, les Juifs, comme étant particulièrement son peuple, ou même tous les hommes, comme ayant été créés par lui. Et comme, s'étonnant de la folie de plusieurs et rougissant pour notre commune nature, il disait là que le monde, qui a été fait par lui, n'avait point connu son Créateur; de même ici sa douleur et son affliction de l'ingratitude des Juifs et de plusieurs autres, le poussant à prononcer une plus forte et plus griève accusation, il dit : « Les siens ne l'ont point reçu », quoiqu'il soit venu chez eux. Et non-seulement lui, mais encore les prophètes ont dit avec étonnement la même chose; saint Paul en a aussi marqué sa surprise.
Ecoutez d'abord la voix des prophètes parlant au nom de Jésus-Christ: « Un peuple que je n'avais point connu m'a été assujetti: il a m'a obéi aussitôt qu'il a entendu ma voix. Des enfants étrangers m'ont manqué de fidélité; des enfants étrangers sont tombés dans la vieillesse ; ils ont boité et n'ont plus marché et dans leurs voies ». (Ps. XVII, 48.) Et encore: « Ceux à qui il n'a point été parlé de lui le verront , et ceux qui n'ont point ouï entendront ». Et: « J'ai été trouvé par ceux qui ne me cherchaient pas; je me suis fait a voir à ceux qui ne demandaient point à me connaître (1) ». (Isaïe, LXV, 1.) Saint Paul écrit aux Romains en ces termes: « Après cela, que dirons-nous, sinon qu'Israël, qui recherchait la justice, ne l'a point trouvée; mais que

1. Ce passage est conçu un peu différemment et dans les Septante et dans la Vulgate : le saint Docteur l'a apparemment cité de mémoire, ou sur quelque manuscrit particulier.

143

a ceux qui ont été choisis de Dieu l'ont trouvée? » (Rom. XI, 7.) Et ailleurs: « Que dirons-nous donc, sinon que les nations qui ne cherchaient point la justice ont embrassé la justice; et que les Israélites, au contraire, qui recherchaient la loi de la justice , ne sont point venus à la loi de la justice? » (Rom. IX, 30.)
C'est effectivement une chose surprenante devoir que ceux qui sont nourris dans la doctrine des prophètes, à qui on lit tous les jours Moïse, qui parle en mille endroits de l'avènement de Jésus-Christ, et les prophètes de l'époque postérieure; que ceux qui ont vu Jésus-Christ même opérant continuellement des miracles, ne demeurant et ne conversant qu'avec eux, et ne permettant point encore alors à ses disciples d'aller vers les gentils, ni d'entrer dans les villes des Samaritains (Matth. X, 5), ce qu'il ne faisait pas lui-même ; mais qui leur disait souvent qu'il n'avait été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël (Matth. XV, 24) : il y a, dis-je, de quoi s'étonner, qu'après tant de miracles opérés en leur faveur, les Juifs, à qui on lisait tous les jours les prophètes , et qui ont entendu les continuelles prédications de Jésus-Christ même, se soient rendus si aveugles et si sourds, qu'aucune de ces preuves n'ait pu les amener à croire en Jésus-Christ.
Les gentils, au contraire, privés de tous ces avantages, n'avaient aucunement ouï parler des divins oracles: il ne s'en était pas même présenté à eux la moindre idée en songe, mais des fables insensées (car c'est ainsi que j'appelle la philosophie des païens) , occupaient tout leur temps et faisaient toute leur science; uniquement appliqués et livrés aux rêveries des poètes, ils s'étaient attachés au culte des idoles de bois et de pierre ; et, soit sur le dogme, soit sur la morale, ils n'avaient nulle idée bonne ou saine : leur vie était encore plus impure et plus criminelle que leur doctrine. Et, en effet, pouvait-on attendre autre chose de gens qui voyaient leurs dieux se plaire aux crimes les plus infâmes; des dieux dont le culte ne consistait qu'en des paroles obscènes et des actions encore plus obscènes et plus impudiques, et qui se trouvaient par là fêtés et honorés; des dieux auxquels on rendait hommage par des meurtres abominables et des massacres d'enfants, en quoi leurs adorateurs ne faisaient que suivre leur exemple.
Ces hommes, toutefois, qui étaient ainsi tombés dans l'abîme même de la corruption et de la méchanceté, en ont été tout à coup retirés comme par une espèce de ressort et de machine , et se sont montrés à nous du haut des cieux dans tout l'éclat de la gloire.
Mais comment et par quelle voie ce prodige est-il arrivé ? Saint Paul nous l'apprend, écoutez-le, car ce bienheureux apôtre n'a pas cessé de chercher soigneusement la cause de cet événement extraordinaire jusqu'à ce qu'il l'ait trouvée pour nous la découvrir ensuite. Quelle est-elle , et d'où venait aux Juifs un si grand aveuglement? Apprenez-le de celui à qui avait été confié le ministère de la prédication.
Que dit donc saint Paul pour dissiper le doute où plusieurs étaient? Les Juifs, dit-il, « ne connaissant point la justice qui vient de Dieu, et s'efforçant d'établir leur propre justice, ne se sont point soumis à Dieu pour recevoir cette justice qui vient de lui ». (Rom. X, 3.) Voilà l'origine de leur malheur. L'Apôtre l'explique encore ailleurs en d'autres termes : « Que dirons-nous donc, sinon que les nations qui ne cherchaient point la justice ont embrassé la justice , et la justice qui vient de la foi; et que les Israélites, au contraire, qui recherchaient la loi de la justice, ne sont point parvenus à la loi de la justice?» Dites-nous , grand apôtre, quelle en est la raison ? « C'est parce qu'ils ne l'ont point recherchée par la foi, car ils se sont heurtés contre la pierre d'achoppement » (Rom. IX, 30, 31, 32); c'est-à-dire leur incrédulité a été la cause de leurs maux, et c'est de leur orgueil qu'est née leur incrédulité.
Les Juifs, qui avaient auparavant de grands avantages sur les gentils, comme d'avoir reçu la loi, de connaître Dieu, et bien d'autres que Saint Paul rapporte (1), voyant qu'après l'avènement de Jésus-Christ les gentils qui avaient été appelés à la foi jouissaient également avec eux des mêmes honneurs et des mêmes prérogatives; qu'après avoir embrassé la foi il n'y avait nulle différence, nulle distinction entre le circoncis et l'incirconcis, passèrent de l'orgueil à la jalousie, et ne purent souffrir cette immense et ineffable miséricorde du Seigneur: ce qui ne venait que de leur orgueilleuse insolence, de leur méchanceté et de leur égoïsme.

1. Voyez les chap. II, III, IX, X, XI, de saint Paul aux Romains.

144

2. Mais, ô les plus insensés de tous les hommes ! quel tort Dieu vous a-t-il fait en étendant sa divine providence sur les autres nations? la. participation des autres à la même grâce et aux mêmes bienfaits a-t-elle diminué vos biens? mais la malignité est aveugle, et elle se rend difficilement compte de ce qu'il convient de faire. Les Juifs donc, aigris. et irrites de voir que d'autres allaient participer à leur liberté, ont eu la rage de se plonger eux-mêmes le poignard dans le sein, et par là ils se sont exclus, comme de juste, de la miséricorde de Dieu. Jésus-Christ leur dit: « Mon ami , je ne vous fais point de tort; pour moi je veux donner à ceux-ci autant qu'à vous ». (Matth. XX, 13, 14.) Mais disons. plutôt qu'ils ne méritent pas même qu'on leur tienne ce langage. Celui à qui il s'adresse , s'il souffrait avec peine, s'il se plaignait que son maître donnât une pareille récompense à ses compagnons, pouvait du moins représenter ses peines, ses sueurs; qu'il avait travaillé tout le long du jour, et qu'il avait porté 1e poids de la chaleur; mais ceux-ci , qu'ont-ils à dire? que peuvent-ils alléguer? certainement, rien de semblable. Ils n'ont en eux que lâcheté, qu'intempérance et mille autres vices dont les prophètes, les accusaient et leur faisaient des reproches continuels, et, par ces vices, ils n'offensaient pas moins Dieu que les gentils. Saint Paul le déclare quand il dit: « Car il n'y a nulle différence entre le juif et le gentil, parce que tous ont péché et ont besoin, de la gloire de Dieu , étant justifiés gratuitement par sa grâce ». (Rois. III, 22, 23, 24.)
L'apôtre traite pleinement ce sujet dans cet épître, et le fait d'une manière très-utile et très-prudente. Au commencement il montre qu'ils ont mérité même d'être plus sévèrement punis que les. gentils. « Car », dit-il, « tous ceux qui ont péché étant sous la Loi, seront jugés par la Loi (Rom. II, 12), c'est-à-dire, avec plus de rigueur, parce qu'outre -la nature, ils auront aussi la Loi pour accusatrice : et non-seulement pour cela, mais encore pour avoir été cause que les nations ont blasphémé Dieu : « Car », dit l'Ecriture, « vous êtes cause que le nom de Dieu est blasphémé parmi les nations ». (Is. LII, 5; Rom. II, 24.)
La vocation des gentils était donc ce qui irritait le plus les Juifs. Car les fidèles circoncis en étaient eux-mêmes frappés d'étonnement c'est pourquoi, lorsque saint Pierre fut de retour de Césarée à Jérusalem, ils lui firent des reproches et des plaintes d'avoir été chez des hommes incirconcis, et d'avoir mangé avec eux. (Act.. XI , 3 et suiv.) Et après qu'il leur eût appris qu'il n'avait rien fait que par l'ordre de Dieu,,ils s'étonnaient encore de voir (lue la grâce du Saint-Esprit se répandait aussi sur les gentils (Act. X, 45) : en quoi ils montraient visiblement qu'ils ne s'y étaient jamais attendus. Saint Paul sachant donc bien que c'était là ce: qui les piquait et les chagrinait le plus, ne perd aucune occasion de réprimer leur orgueil et de rabaisser leur hauteur et leur insolence.
Voyez, mes frères, comment il s'y prend après avoir disputé contre les gentils, avoir montré qu'ils étaient tout à fait inexcusables, qu'ils n'avaient nulle espérance de salut, et leur avoir vivement reproché leurs erreurs et leurs dissolutions, il adresse la parole aux Juifs il raconte d'abord ce que le prophète avait dit d'eux, qu'ils étaient méchants, fourbes, trompeurs, qu'ils étaient tous devenus inutiles, que nul d'eux ne cherchait Dieu, -mais que tous s'étaient détournés de la droite voie (Ps. XIII, 3, 4, 5, et LII, 3, 4), et bien d'antres choses semblables, à quoi il ajoute : « Or, nous, savons que toutes les paroles de la Loi s'adressent à ceux qui sont sous la Loi, afin que toute bouche soit,fermée, et que tout le monde se reconnaisse condamnable devant Dieu....... Parce que tous ont péché , et ont besoin de la gloire de Dieu ». (Rom. III,19, 23.) De. quoi donc, ô Juifs ! pouvez-vous vous glorifier? d'où vous vient tant d'orgueil? On vous a aussi fermé la bouche, votre confiance vous est ôtée, vous êtes condamnables avec tout le monde, et vous avez besoin, comme les autres, d'être justifiés gratuitement.
Et certes , quand même vous auriez toujours bien vécu, quand même vous auriez sujet d'avoir une grande confiance en Dieu, vous n'auriez jamais dû porter envie à ceux à qui le Seigneur, par sa bonté, a bien voulu faire miséricorde et accorder la grâce du salut. Car c'est le fait d'une extrême méchanceté de ne pouvoir souffrir qu'on fasse du bien aux autres, et principalement quand il ne vous en revient aucun mal. Encore , si le salut d'autrui vous faisait tort, vos plaintes seraient excusables, bien que peu dignes d'hommes instruits dans la sagesse ; mais si le malheur d'autrui n'augmente pas votre récompense, et si son bonheur [145] ne diminue point le vôtre, pourquoi volis affliger qu'un autre ait recule salut gratuitement? Il fallait donc, comme je l'ai dit, quand même votre vie aurait été irréprochable, ne vous pas chagriner que Dieu ait étendu la grâce du salut sur les gentils. Mais vous-mêmes étant coupables des mêmes péchés et ayant également offensé le Seigneur, que vous ne puissiez supporter qu'il fasse du bien aux autres , que vous vous vantiez d'avoir seuls droit i. la grâce, ce n'est point là seulement une marque d'orgueil et d'envie, c'est encore une si grande et si extrême folie, qu'elle vous vend dignes des supplices les plus rigoureux. Car vous avez planté l'orgueil dans votre coeur, et l'orgueil est la racine de tous les maux.
Voilà pourquoi un Sage disait : « Le principe de tout péché, est l'orgueil » (Eccli. X, 15), c'est-à-dire , l'orgueil est la racine, la source et le père dé tout péché. C'est l'orgueil qui a fait déchoir le premier homme de sa félicité primitive. Le diable par qui il fut trompé, c'est l'orgueil encore qui l'avait fait tomber lui-même de la sublime dignité où il était élevé : il le savait bien, ce malin esprit, que ce péché avait la force de chasser du ciel même ceux qui en sont atteints : aussi prit-il cette voie pour dépouiller Adam de tous ses honneurs. C'est en enflant son coeur dé l'orgueilleuse espérance de devenir égal à Dieu, qu'il 1'a abattu , et l'a précipité au fond de la terre. Rien n'est en effet plus capable d'éloigner de nous la miséricorde de Dieu, et de nous livrer au feu de l'enfer que la tyrannie de l'orgueil. Quand elle possède notre coeur, toute notre vie devient impure : fussions-nous chastes et vierges : fussions-nous adonnés au jeûne, à la prière, à l'aumône et aux plus saintes pratiques : « Tout homme », dit l'Ecriture, « qui a le coeur superbe, est souillé devant le Seigneur». (Prov. XVI, 5, Sept.)
Réprimons donc, mes chers frères, réprimons cette élévation, cette enflure du coeur, si nous voulons être purs et échapper au supplice qui a été préparé pour le diable. Ecoutez ce que dit saint Paul, et vous apprendrez que l'orgueilleux sera condamné au même supplice que le diable : « Que ce ne soit point un néophyte », dit-il, « de peur que, s'élevant d'orgueil, il ne tombe dans le jugement et dans le piège du diable ». (I Tim. III, 6, 7.) Que veut dire le saint apôtre parle mot de « jugement? » il veut dire : la même condamnation, le même supplice.
Mais comment éviterez-vous ce malheur? vous l'éviterez, si vous réfléchissez en vous-même sur votre nature, sur la multitude de vos péchés, sur la grandeur des tourments si vous considérez combien est fragile et périssable ce qui paraît brillant en ce monde, et que tout cela se flétrit plus vite que l'herbe et les fleurs du printemps. Non, le diable, quelque effort qu'il fasse, ne pourra pas facilement enfler nos coeurs d'orgueil, ni nous prendre en trahison, si nous nous occupons souvent de ces pensées, et si nous nous rappelons continuellement le souvenir des hommes les plus distingués par leurs vertus. Que le Dieu des humbles, le bon Dieu, le Dieu clément, nous donne et à vous et à moi un coeur contrit et humilié 1 Par là tout le reste nous deviendra facile pour la gloire de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui ,et avec qui gloire au Père et au Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE X.
IL EST VENU CHEZ SOI, ET LES SIENS NE L'ONT POINT REÇU. (JUSQU'AU VERSET, 14.)

ANALYSE.

116

1. Dieu ne force et ne;contraint point notre libre arbitre.
2. Ce que signifie cette parole : Il est venu. — Que ceux qui n'ont pas voulu recevoir Jésus-Christ sont assez punis par le fait et par les suites de ce refus. — Effets du baptême.
3. Qu'il dépend de nous de conserver la pureté de notre baptême. — Peines et châtiments de ceux qui souillent la robe qu'ils ont reçue dans le baptême. — La foi et la pureté de la vie nécessaires au salut. — De quelle robe doivent se revêtir ceux qui sont appelés aux noces royales.

1. Dieu, qui est clément, libéral et magnifique dans ses dons, Dieu, mes chers. frères, n'oublie et n'omet rien de ce qu'il faut pour que nous brillions par l'éclat de nos vertus, parce qu'il veut que nous nous rendions dignes de son approbation; et ce n'est point par force ou par contrainte qu'il veut que nous allions à lui; mais il invite, il attire par les bienfaits tous ceux qui veulent se laisser persuader. Voilà pourquoi, à sa venue, les uns l'ont reçu, les autres, repoussé: c'est qu'il ne veut point de serviteur qui le serve malgré soi, ou forcément; mais il veut que tous viennent à lui librement et volontairement, et qu'ils lui rendent des actions de grâces de cette sorte de servitude.
Les hommes ont besoin de l'aide des serviteurs, voilà pourquoi ils les soumettent malgré eux à la loi de l'obéissance; mais Dieu n'ayant besoin de personne (Act. XVII, 25), n'étant nullement sujet aux nécessités qui pèsent sur nous, et ne faisant rien que pour notre salut, laisse tout. à notre libre arbitre et à notre volonté; c'est pourquoi il ne force et ne contraint personne, et dans tout ce qu'il fait il n'a en vue que notre utilité. En effet, servir Dieu forcément et malgré soi, ce serait la même chose que de rte le point servir du tout.
Pourquoi donc, direz-vous, punit-il ceux qui ne veulent point lui obéir? Et pourquoi a-t-il menacé de l'enfer ceux qui ne gardent pas ses commandements? c'est parce qu'étant
bon, il prend un grand soin de nous, quoique nous ne lui soyons pas obéissants, et qu'il ne s'éloigne et ne se retire pas de nous, lors même que nous nous dérobons et que nous fuyons. Or, comme nous n'avons pas voulu entrer par cette première voie des dons et des grâces, ni nous rendre à la persuasion et aux bienfaits, il en a pris une autre, et c'est celle des supplices et des tourments, qui véritablement est très-rigoureuse, mais toutefois nécessaire. Car la première ayant été méprisée, la seconde est devenue absolument indispensable.
En effet, les législateurs établissent contre les coupables des peines nombreuses et sévères, et cependant nous ne les haïssons pas; nous ne faisons que les en honorer davantage, car sans rien exiger de nous, et souvent même sans connaître ceux que protégeraient leurs lois, ils ont veillé et pourvu à notre sûreté et au bon ordre de la république, soit en comblant d'honneurs les gens de bien et les élevant aux dignités, soit en réprimant et punissant les malfaiteurs qui troublent le repos public. Que si, dis-je, nous les admirons et nous les aimons, ne devons-nous pas beaucoup plus admirer et aimer Dieu, qui a un si grand soin des hommes? car il y a une différence extrême et infinie entre leurs soins et la providence que Dieu a pour nous : certes, les richesses de sa bonté sont ineffables, et surpassent tout ce qu'on en pourrait dire.

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Ici, mes frères, renouvelez votre attention « Il est venu chez soi » , non par nécessité Dieu, comme je l'ai dit, n'a besoin de rien ; mais il est venu pour répandre ses grâces et ses bienfaits sur les siens. Et quoiqu'il soit venu pour leur utilité, pour leur faire du bien, ceux qui étaient les siens ne l'ont point reçu, ils l'ont au contraire rejeté. Et encore ne s'en sont-ils pas contentés; mais après l'avoir jeté hors de la vigne, ils l'ont tué. (Matth. XXI, 39.) Néanmoins, il ne les a point exclus de la pénitence; mais il leur a promis que si, après une action si noire et si détestable, ils voulaient laver leurs crimes en croyant en lui, Il les rendrait égaux à ceux qui n'ont rien fait de semblable , et même à ses amis les plus dévoués.
Au reste, je ne parle point en l'air ni pour vous faire illusion : tout ce qui est arrivé à saint Paul en rend un assez éclatant témoignage. Paul avait persécuté Jésus-Christ après sa mort; il avait lapidé par les mains de plusieurs (1) Etienne son martyr; mais quand il eut fait pénitence, qu'il eut condamné ses premières erreurs et se fut rallié à celui qu'il avait persécuté, le divin Sauveur le mit aussitôt parmi ses amis, et au premier rang, en chargeant de l'annoncer et de répandre sa doctrine dans tout le monde , ce blasphémateur, ce persécuteur, cet impie (I Tim. I, 13) ainsi que dans la joie dont son âme est pénétrée en songeant à la miséricorde divine; il ne rougit pas de le déclarer lui-même; que dis-je? il ne craint pas même de rendre publics à la face de tout l'univers, dans ses épîtres, et de graver, pour ainsi dire, sur une colonne, les crimes qui avaient précédé sa conversion; persuadé qu'il était mieux d'exposer à la censure publique sa vie passée, afin que la grandeur du bienfait qu'il avait reçu de Dieu parût et éclatât manifestement, que de laisser dans l'ombré cette infinie et ineffable bonté dans la crainte de dévoiler aux yeux de tous ses propres égarements. Voilà pourquoi il parle très-souvent des persécutions qu'il a dirigées contre l'Eglise, des piéges qu'il lui a tendus et des guerres qu'il lui a faites. Tantôt il dit : « Je ne suis pas digne d'être appelé apôtre, parce que j'ai persécuté l'Eglise de Dieu ». ( I Cor. XV, 9.) Tantôt, Jésus-Christ « est venu a dans le monde sauver les pécheurs, entre

1. Saint Paul a lapidé saint Etienne par les mains de plusieurs, en gardant leurs vêtements.

lesquels je suis le premier ». (I Tim. 1, 15.) Et encore: « Vous savez de quelle manière j'ai vécu autrefois dans le judaïsme, avec quel excès de fureur je persécutais l'Eglise de Dieu, et la ravageais ». (Gal. I, 13.)
2. C'est en effet comme pour reconnaître publiquement la patience dont Jésus-Christ avait usé à son égard , en montrant quel homme, quel ennemi lui avait dû son salut, que le saint apôtre raconte ainsi librement la guerre qu'il lui faisait au commencement avec tant de fureur, donnant aussi par là une bonne espérance à ceux qui auraient pu se désespérer: car il dit que Jésus-Christ l'a reçu à pénitence, et lui a fait miséricorde, afin qu'il fût le premier en qui le divin Sauveur fit éclater son extrême patience et les immenses richesses de sa bonté, et qu'il devînt comme un modèle et un exemple à ceux qui croiront au Seigneur pour acquérir la vie éternelle. (I Tim. I, 16.) Les hommes avaient commis des crimes trop énormes et trop grands pour en pouvoir jamais attendre le pardon, et c'était pour le faire connaître que l'évangéliste disait: « Il est venu chez soi, et les siens ne l'ont point reçu ».
D'où est-il venu celui qui remplit tout, qui est présent partout.? Quel lieu a-t-il quitté celui qui tient et renferme tout dans sa main? Véritablement il n'a quitté aucun lieu, et comment le pourrait-il? ruais il semble en quitter un en descendant chez nous. Comme étant dans le monde, il ne paraissait pas y être, parce qu'il n'y était pas encore connu; il s'est ensuite fait connaître lui-même, lorsqu'il a bien voulu se revêtir de notre chair. Et c'est cette descente et cette manifestation que l'Ecriture appelle sa venue.
Il y a de quoi s'étonner ici, mes chers frères, que le disciple ne rougisse pas de l'outrage qui a été fait à son maître (1), qu'il ne craigne pas de le consigner par écrit : mais cela même montre parfaitement son ardent amour pour la vérité. A bien considérer les choses, c'est pour les offenseurs qu'il faudrait rougir, et non pour l'offensé, qui n'a fait que croître en gloire, pour s'être montré si charitable envers ceux qui l'avaient outragé : mais eux au contraire

1. « L'outrage qui a été fait à son maître ». Saint Jean n'en rougit pas puisqu'il dit clairement gîte le maître « est venu chez soi, et que les siens ne l'ont point reçu », et que non-seulement ils ne l'ont point reçu, mais encore qu'ils l'ont rejeté, chassé de la vigne, et tué.

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ont été regardés de tout le monde comme des ingrats et des scélérats, pour avoir chassé comme un adversaire et un ennemi, celui qui était venu leur apporter tant de biens. Et ce n'est point encore là tout le tort qu'ils se sont fait, ails ont en outre été exclus des dons et des grâces qu'ont obtenus ceux qui l'ont reçu. « Mais, » dit saint Jean, « il a donné à tous ceux qui l'ont reçu le pouvoir d'être faits enfants de Dieu (12) ».
Pourquoi, ô bienheureux évangéliste, ne nous racontez-vous pas le supplice auquel ont été livrés ceux qui ne l'ont point reçu? vous vous contentez de nous apprendre qu'ils étaient les siens, et que lé maître étant venu chez soi, les siens ne l'avaient point reçu mais vous n'avez point ajouté, ni à quelle peine ils sont destinés, ni quel sera leur supplice. Cependant, si vous le leur aviez découvert, vous les auriez rendus plus timides et plus retenus, et par la menace que vous leur auriez faite, vous auriez pu amollir la dureté de leur coeur orgueilleux et superbe. Pourquoi donc êtes-vous demeuré dans le silence? Mais est-il un plus grand supplice, répondra-t-il, que de n'avoir pas voulu soi-même être fait enfant de Dieu, en ayant reçu le pouvoir; et de s'être volontairement privé d'une si éminente dignité et d'un si grand honneur? et toutefois, de n'avoir pas reçu ce don et cette grâce, ce n'est point en cela seul que consiste le supplice qu'ils subiront, ils seront aussi jetés dans un feu qui ne s'éteindra point. L'évangéliste l'a dans la suite plus ouvertement déclaré.
En attendant, il raconte les biens ineffables que recevront ceux qui l'ont reçu, et il les explique dans ce peu de paroles : « Il a donné à tous ceux qui l'ont reçu le pouvoir d'être faits enfants de Dieu » : soit serviteurs, soit libres, soit Grecs, soit Barbares, soit Scythes, soit ignorants, soit savants, soit hommes, soit femmes, soit enfants, soit vieillards, soit ceux qui sont honorés, soit ceux qui sont méprisés, soit riches, soit pauvres, soit princes, soit particuliers : tous, dit-il, tous reçoivent le même honneur. La foi et la grâce du Saint-Esprit ôtant l'inégalité des conditions humaines, les réduit toutes en un même état, n'en fait qu'une seule, marquée du même sceau royal. Est-il rien d'égal à cette bonté?
Un roi, formé de la même boue que nous, ne daigne pas enrôler dans son armée royale, s'ils ont été dans la servitude, ses pareils, ses semblables , dont beaucoup peuvent valoir mieux que lui : mais le fils unique de Dieu ne dédaigne pas d'écrire au livre de ses enfants les publicains, les magiciens, les esclaves et les. plus vils de tous les hommes, avec une foule d'estropiés et d'infirmes. Tant est efficace la foi en Jésus-Christ ! tant sa grâce est grande et puissante l et de même que le feu n'a qu'à toucher un minerai pour en faire aussitôt de l'or: ainsi, et encore mieux, le baptême change la boue en or chez ceux qu'il purifie; l'Esprit-Saint, comme un feu, tombant alors dans nos âmes et consumant l'image de boue, la refond, pour ainsi dire, et en forme une image nouvelle, céleste et brillante.
Et pourquoi l'évangéliste n'a-t-il pas dit : il les a faits enfants de Dieu, mais : « Il leur a donné le pouvoir d'être faits enfants de Dieu? » C'est pour montrer que nous avons besoin de beaucoup d'attention et de soin pour conserver pure et sans tache l'image de l'adoption, qui a été imprimée en nous dans le baptême, et pour faire connaître en même temps que personne ne peut nous ôter ce pouvoir, si nous ne nous en dépouillons pas nous-mêmes les premiers. Si ceux qui ont reçu mandat des hommes pour traiter quelque affaire , ont presque autant de pouvoir que ceux qui leur ont donné commission, à combien plus forte raison nous, qui avons reçu de Dieu cette dignité, si nous ne faisons rien qui nous en rende indignes, serons-nous puissants et les plus puissants de tous les hommes, puisque celui qui nous y a élevés est lui-même tout ce qu'il y a de plus grand et de plus excellent. Saint Jean veut encore nous apprendre que la grâce même ne se répand pas indifféremment sur toutes sortes de personnes, mais seulement sur les hommes de bonne volonté : c'est à eux qu'est donné le pouvoir d'être faits enfants de Dieu : car s'ils ne le veulent point, ce don n'arrive pas, et l'effet est nul.
3. Partout le saint évangéliste rejette la nécessité pour y substituer le libre arbitre et la volonté c'est ce qu'il fait ici même. Car, dans ces mystérieuses opérations, une chose est de Dieu, c'est-à-dire, de donner la grâce; l'autre est de l'homme, à savoir, de donner sa foi; mais on a besoin ensuite d'une grande attention et de beaucoup de soin. Pour conserver la pureté de l'âme, il ne suffit pas seulement d'être baptisé et de croire, mais il faut, [149] si nous voulons jouir toujours de cet aimable don, il faut mener une vie qui en soit digne et Dieu a voulu que cela fût en notre pouvoir. Le baptême nous fait renaître par une génération mystique et spirituelle, et lave les péchés que nous avons commis auparavant: mais il est en notre pouvoir, et il dépend de notre attention et de nos soins, de demeurer purs dans la suite et de ne plus contracter de souillures. Voilà pourquoi saint Jean raconte la manière dont se fait la génération spirituelle; et par la comparaison qu'il en fait avec la naissance charnelle, il en démontre l'excellence en ces termes : « Qui ne sont point nés a du sang, ni de la volonté de la chair, ni de a la volonté de l'homme , mais de Dieu a même (13) ». Et il l'a ainsi racontée, afin que, connaissant la bassesse de la première qui vient du sang et de la volonté de la chair, et qu'ayant compris la dignité et la sublimité de la seconde que la grâce produit, nous concevions de celle-ci une grande et une juste idée, répondant à la majesté de celui qui l'opère, et que nous apportions ensuite beaucoup de soin à la conserver dans toute sa pureté.
Nous avons, en effet, extrêmement à craindre que, ayant souillé cette belle robe par notre paresse et par nos crimes, nous ne soyons chassés de la chambre nuptiale, comme les cinq vierges folles (Matt. XXV, 2), et aussi comme celui qui n'avait point de robe nuptiale (Matt. XXII, 11). Cet homme était du nombre des conviés, il avait été invité aux noces, mais étant appelé, ayant reçu un si grand honneur, il fit un affront, une injure à celui qui l'avait invité. Ecoutez la suite, vous apprendrez combien fut déplorable et digne de larmes la peine qu'il subit. Venu pour s'asseoir à cette magnifique et somptueuse table, non-seulement il en fut chassé et exclu du festin, mais encore, pieds et poings liés, il fut jeté dans les ténèbres extérieures, où il y a des pleurs et des grincements de dents sans fin (Matt. XXII, 13).
Ne croyons donc pas, mes chers frères, que la foi nous suffise seule pour le salut; si nous ne rendons notre vie pure et sainte, et si nous approchons du roi vêtus d'une robe indigne de notre heureuse vocation, rien n'empêchera que nous ne soyons traités comme ce misérable. Il est absurde que celui qui est Dieu et Roi tout ensemble, ne rougissant pas d'appeler
des hommes vils et méprisables, et de les faire chercher dans les carrefours pour les inviter à sa table, nous soyons encore si lâches et si insensés, qu'après un si grand honneur même, nous ne devenions pas meilleurs, et que, quoiqu'ainsi appelés, nous persévérions dans notre méchanceté, nous méprisions, nous foulions aux pieds l'ineffable bonté de celui qui a bien voulu nous inviter. Le Seigneur ne nous a point appelés et invités à la participation spirituelle et terrible des saints mystères, pour que nous nous y présentions chargés de nos anciens vices; il veut que, changeant de vie, et nous purifiant de nos iniquités, nous nous revêtions de la robe que doivent porter les convives d'un roi.
Que si nous ne voulons pas nous rendre dignes d'une si grande vocation, c'est à nous que nous devons nous en imputer toute la faute, et non pas à celui qui nous a fait l'honneur de nous inviter. Ce n'est pas lui qui nous chasse, mais c'est nous qui nous excluons nous-mêmes de cette admirable compagnie de conviés. Le roi a fait de son côté tout ce qu'il pouvait : il a- fait les noces, il a préparé le festin, il a envoyé ses serviteurs appeler et inviter, il a reçu ceux qui sont venus, et les a comblés de toutes sortes d'honneurs : mais nous, nous étant présentés avec des robes sales, c'est-à-dire souillés par nos mauvaises couvres, nous avons fait un outrage à sa personne et aux conviés, et nous avons déshonoré les noces. Voilà pourquoi nous en sommes enfin justement exclus. Le roi, chassant de la sorte les téméraires et les insolents, a honoré et les noces et les conviés : il eût paru lui-même leur faire outrage , s'il avait laissé parmi eux ceux qui étaient revêtus de robes sales.
Fasse le ciel que personne ni de nous, ni des autres ne soit du nombre de ces indignes conviés, et n'éprouve leur triste sort ! En effet, ces choses ont été écrites avant qu'elles arrivent , afin que les menaces que nous en font les saintes Ecritures , nous portant et nous engageant à changer de vie, et à devenir gens de bien, nous ne tombions pas dans une si grande honte, ni dans un si terrible supplice, mais que nous ne les connaissions que par ouï dire, et que nous nous présentions revêtus d'une belle robe au lieu où nous sommes appelés. C'est ce que je vous souhaite, mes frères, par la grâce et la miséricorde de [150] Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui la gloire, l'honneur et l'empire soient au Père et au Saint-Esprit, aujourd'hui et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE XI.
ET LE VERBE S’EST FAIT CHAIR, ET A DEMEURÉ PARMI NOUS. (VERSET 14.)

ANALYSE.

1. Avant d'aller au sermon, lire les passages de l'Écriture qu'on y doit expliquer. — La forme de serviteur ne diminue point la dignité du Fils de Dieu.
2. Hérétiques qui disaient que le Verbe ne s'était incarné qu'en apparence. — Etat de la nature humaine avant l'avènement de Jésus-Christ : c'était une maison ruinée que le Tout-Puissant seul pouvait relever. — L'Incarnation est un mystère ineffable. Le Verbe a pris notre chair pour ne la quitter jamais ; c'est pourquoi elle est assise sur le trône royal et adorée de toute l'armée céleste.

1. Je vous demanderai une seule grâce, avant d'expliquer les paroles de mon texte; mais je vous prie de ne me la point refuser. La alose que je veux vous demander n'a rien de difficile, rien de pénible : elle ne me sera pas seulement utile à moi, mais aussi et surtout peut-être à vous-mêmes. En quoi donc consiste la grâce que je vous prie de me faire? c'est qu'un jour de la semaine (1) ou le dimanche (2), chacun rte vous prenne en ses mains cette partie de l'Évangile, dont on vous doit faire la lecture au sermon, pour la lire et relire à l'avance; quand vous serez tranquillement assis dans vos maisons, pour la digérer, en examiner attentivement le sens : et remarquer aussi ce que vous y trouvez de clair ou d'obscur, et ce qui semble se contredire dans les paroles, quoiqu'il n'y ait nulle contradiction : et qu'après avoir ainsi longtemps tout bien considéré et bien médité, vous veniez ensuite au sermon. Vous et moi, nous ne retirerons pas peu de fruit de cette étude : moi, je n'aurai pas autant de peine à vous donner l'intelligence des paroles, quand votre esprit sera préalablement

1. Un jour de la semaine, ou bien le premier jour de la semaine.
2. Le jour même du dimanche. — Litt. Le jour même du sabbat.

familiarisé avec le texte; et vous, vous rendrez votre esprit plus subtil et plus, pénétrant, et vous acquerrez plus de facilité, non-seulement pour mieux écouter et mieux apprendre, mais encore pour enseigner aux autres ce que vous aurez appris. De la manière dont vous vous comportez aujourd'hui, plusieurs de ceux qui sont ici présents étant obligés de retenir tout à la fois les paroles de l'Écriture, et l'explication que nous leur donnons, ne feront pas un grand profit, quand même nous serions une année entière à les leur expliquer. Et comment le pourraient-ils, puisqu'ils ne font attention aux paroles qu'en passant et seulement ici ?
Que si quelques-uns allèguent pour excuse les soins, les inquiétudes de la vie, et qu'ils sont obligés d'occuper beaucoup de temps aux affaires publiques et domestiques : premièrement, nous leur répondrons que ce n'est pas une petite faute de se laisser accabler d'une si grande multiplicité d'affaires, et de s'attacher toujours si fort aux choses séculières, qu'ils ne puissent pas donner un peu de temps, ni la moindre application à celles qui sont le plus nécessaires; en second lieu, que ce sont là de [151] vains prétextes, de fausses et de frivoles excuses, ce que prouvent visiblement leurs longs entretiens avec leurs amis, le temps qu'ils perdent dans les théâtres et aux spectacles des courses de chevaux, à quoi souvent ils passent des jours entiers, sans toutefois prétexter alors en aucune façon la foule et l'embarras des affaires. Quand donc il s'agit de ces misérables amusements, vous n'avez garde de vous excuser et vous ne manquez pas de temps à perdre mais faut-il vous appliquer aux choses divines, elles vous paraissent si superflues et si méprisables, que vous estimez qu'elles ne valent pas un de vos instants; mais des gens qui ont de pareils sentiments sont-ils dignes de respirer encore ou de voir le soleil?
Ces lâches, ces paresseux produisent encore un très-vain et très-frivole prétexte : ils disent qu'ils n'ont pas les livres. En ce qui concerne les riches, il serait ridicule à nous de nous arrêter à faire justice de cette excuse. Quant aux pauvres, comme je m'imagine qu'ils y ont souvent recours, je voudrais leur demander si chacun- d'eux n'a pas au complet tous les outils propres et convenables à sa profession, fût-il même dans une extrême indigence ? N'est-il donc pas bien absurde de ne point prétexter ici sa pauvreté, de ne rien omettre pour surmonter toutes les difficultés et repousser tous les obstacles, et de s'excuser, de se lamenter sur ses occupations et son indigence, quand il y a tant à gagner?
Mais quand même quelques-uns seraient assez pauvres pour ne pouvoir pas se donner ces livres, ils pourraient encore, par la lecture assidue qu'on fait ici des saintes Ecritures, ils pourraient, dis-je, ne rien ignorer de ce que contiennent ces livres divins. Que si cela vous paraît impossible, je le conçois. Car plusieurs n'apportent pas ici un grand zèle pour écouter : après avoir écouté par manière d'acquit, ils s'en vont aussitôt chez eux. Que si quelques-uns restent plus de temps, ils n'en sont pas plus avancés que ceux qui se sont promptement retirés, puisqu'ils n'ont été présents que de corps. Mais pour ne pas vous fatiguer davantage par des reproches, ni consumer tout le temps en réprimandes, reprenons les paroles de notre Evangile : il est temps d'arriver au sujet que nous nous sommes proposé ; soyez attentifs, afin qu'aucune parole ne vous échappe.
« Et le Verbe s'est fait chair, et a demeuré parmi nous ». Le saint évangéliste, après avoir dit que ceux qui l'ont reçu sont nés de Dieu et sont ses enfants, rapporte la cause ineffable d'un si grand honneur, à savoir celle-ci : le Verbe s'est fait chair, et le Seigneur a pris la forme de serviteur. Etant vrai Fils de Dieu, il s'est fait fils de l'homme, pour faire les hommes enfants de Dieu. Le sublime, en se rapprochant de ce qui est humble et bas, le relève, sans nuire en rien à sa propre gloire . et voilà ce qui s'est fait en la personne de Jésus-Christ. En effet, il n'a point diminué sa nature par un si profond abaissement, et il nous a élevés à une gloire ineffable, nous qui étions toujours demeurés dans l'infamie et dans les ténèbres : ainsi, qu'un roi qui parle avec amour et avec bonté à un pauvre et à un mendiant, ne se déshonore point, ne fait rien de honteux, et rend ce pauvre illustre, le couvre de gloire devant tout le monde. Que si, lorsqu'il s'agit de ces dignités humaines qui sont purement empruntées, celui qui en est revêtu peut, sans se faire tort, fréquenter son inférieur : à plus forte raison, la même chose est-elle vraie de cette immortelle et bienheureuse substance qui n'a rien d'emprunté, d'accidentel ou de passager, mais dont tous les attributs sont immuables et éternels.
C'est pourquoi, quand vous entendrez ces paroles : « Le Verbe s'est fait chair », ne vous troublez point, ne vous scandalisez point. La substance « divine » n'a point été changée en chair ; il serait impie d'avoir une pareille idée : mais Dieu demeurant ce qu'il était a pris. la forme de serviteur.
2. Mais pourquoi saint Jean s'est-il servi de cette parole : « Il s'est fait? » C'est pour fermer la bouche aux hérétiques (1); car il y en a qui prétendent que le Verbe ne s'est point fait réellement homme,. et que tout ce qui regarde le mystère de l'Incarnation n'est qu'apparence, allégorie, illusion. Le saint évangéliste a donc usé de ce mot : « Il s'est fait », pour prévenir ce blasphème : il ne veut point par là marquer un changement de substance (Dieu nous garde de cette pensée), mais montrer qu'il a réellement et véritablement pris une chair. Lors

1. Le saint Docteur combat ici les hérétiques nommés Docetes ou Apparens, parce qu’ils prétendaient que Jésus-Christ n'était né, mort et ressuscité qu'en apparence. Ils avaient pour père Simon le Magicien, comma les Gnostiques, c'est-à-dire, les savants et éclairés. — Voyez S. Ign. M. Epist. ad Trall. et ad Smyrn. — Dans saint Irénée le mot dokesei est traduit en latin par celui de putative, en opinion, en apparence, liv. I et suiv. Voy. Till.Hist. Eccl. T. II, p. 43 et 54, et la note ;de D. Bern. De Montf., hic.

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donc que saint Paul dit: « Jésus-Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, s'étant « rendu lui-même malédiction pour nous » (Gal. III, 13) : il ne veut pas dire que sa substance ait été séparée et privée de la gloire, et qu'elle soit tombée dans la malédiction. Car ni les démons mêmes, ni les plus fous et les plus extravagants de tous les hommes, ne sont point capables d'un sentiment si extravagant en même temps que si impie ! Ce n'est donc point là ce qu'entend le saint apôtre; mais que Jésus-Christ ayant pris sur lui-même la malédiction que nous avions encourue, ne permet pas que nous y soyons soumis davantage et nous en libère. De même en cet endroit saint Jean dit que « le Verbe s'est fait chair », non en changeant sa substance en chair, mais en demeurant ce qu'il était auparavant, après avoir pris la chair.
Que si ces hérétiques disent, que comme Dieu peut tout, il a pu se changer en chair, nous leur répondrons qu'il peut tout, tant qu'il demeure Dieu ; mais s'il pouvait recevoir un changement, et un changement en mal, comment serait-il Dieu? Toute mutabilité, tout changement est infiniment éloigné de cette nature incorruptible. C'est pourquoi le prophète disait : « Ils vieilliront tous comme un vêtement. Vous les changerez comme un habit dont on se couvre, et ils seront en effet changés : mais pour vous, vous êtes toujours le même, et vos années ne passeront point». (Ps. CI, 27, 28.) Car cette substance est au-dessus de tout changement : il n'y a rien de meilleur ni de plus excellent que Dieu ; rien à quoi il puisse successivement atteindre et parvenir. Que dis-je, de meilleur? Rien ne lui est égal, rien n'en approche tant soit peu. Il s'ensuit donc que s'il a souffert quelque changement, il s'est changé en quelque chose de moindre : or, cela ne peut point être Dieu; mais que l'exécration de ce blasphème tombe sur la tête de ceux qui n'ont pas horreur de le proférer.
Ce mot : « Il s'est fait », n'est dit ici que pour vous empêcher de soupçonner que l'Incarnation du Verbe n'a été qu'une illusion; les seules paroles qui suivent le prouvent visiblement, et étouffent tout mauvais soupçon. Car l'évangéliste ajoute: « Et a demeuré parmi nous ». C'est comme s'il disait que cette parole : « Il s'est fait », ne nous jette pas dans des pensées et des soupçons absurdes. Je n'ai point dit qu'il y ait eu du changement dans la nature immuable, mais j'ai dit qu'elle a demeuré parmi nous. Or ce qui habite n'est pas l'endroit habité : une chose habite et l'autre est habitée : sans cela il n'y aurait pas habitation. Mais en indiquant cette différence, je parle d'une différence selon l'essence : car, par la jonction et la réunion, le Verbe de Dieu et la chair sont tine même personne; non qu'il y ait confusion ni anéantissement de substance; mais en vertu d'une ineffable et inexplicable union.
Comment cela s'est fait , ne le demandez point: comment cela s'est fait, Dieu le sait. Quelle est donc, dites-vous, la maison qu'il a habitée? le Prophète nous l'apprend: « Je relèverai », vous dit-il, « la maison de David, qui est ruinée » (Amos, IX, 11) : véritablement elle est ruinée. Notre nature, ruinée par une chute irrémédiable, avait besoin de la main du Tout-Puissant; qui seul pouvait la relever. Elle ne pouvait aucunement se relever si Celui qui l'avait formée ne lui avait tendu la main du haut du ciel, et ne l'avait renouvelée et reformée par la régénération de l'eau et du Saint-Esprit.
Considérez ce mystère, mes chers frères, ce mystère terrible et impénétrable. Le Verbe demeure toujours dans cette maison : il s'est, en effet, revêtu de notre chair, non pour la quitter dans la suite , mais pour habiter toujours en elle. S'il n'avait pas voulu la garder toujours, il ne lui aurait pas fait l'honneur de la placer sur le trône royal, et, la portant avec lui, il ne l'aurait pas fait adorer par toute l'armée céleste : par les anges, par les archanges, par les trônes, par les dominations, par les principautés , par les puissances. Quel esprit, quelle langue pourrait représenter l'honneur immense que Dieu a fait à notre nature, cet honneur qui est tout surnaturel et terrible en même temps? Quel ange? quel archange? Non certes, personne, ou dans le ciel , ou sur la terre, ne le pourra jamais. Les oeuvres de Dieu sont de telle nature , et ses bienfaits sont si grands et si sublimes que, non-seulement aucune langue, mais encore nulle vertu céleste et angélique ne peut les raconter exactement.
Voilà pourquoi nous finissons ici notre sermon , pour nous tenir dans le silence , après vous avoir seulement exhortés à rendre grâces à un Dieu si bienfaisant : de quoi encore vous aurez tout le profit dans la suite. Or, rendre [153] grâces au Seigneur, c'est prendre un grand soin de son âme. Car, par un nouvel effet de sa bonté; Lui, qui n'a nullement besoin d'aucun de nous, il dit que nous lui rendons le retour, que nous le récompensons en quelque sorte, lorsque nous ne négligeons pas le soin de notre âme. Nous ferions donc preuve d'une extrême folie et nous mériterions une infinité de supplices si, ayant reçu un si grand honneur, nous ne faisions pas tout ce qui dépend de nous pour lui rendre de justes actions de grâces, et principalement puisque tout l'avantage doit nous en revenir, puisque des biens sans nombre nous sont promis à cette condition.
Glorifions donc, pour tant de bienfaits, la bonté divine, non-seulement par nos paroles, mais beaucoup plus encore par nos oeuvres, afin que nous acquérions les biens futurs, que je vous souhaite, et à vous et à moi , par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ; par quiet avec qui la gloire soit au Père et au Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE XII.
ET NOUS AVONS VU SA GLOIRE; SA GLOIRE, DIS-JE, COMME DU FILS UNIQUE DU PERE, ÉTANT PLEIN DE GRACE ET DE VÉRITÉ. (VERSET 14.)

1. Gloire comme du Fils unique du Père, ce que cela signifie.
2 et 3. Prodiges et miracles à l'avènement de Jésus-Christ. — Hérauts et prédicateurs. — Libre arbitre de l'homme. — La vertu est libre — Les miracles annonçaient Jésus-Christ, et manifestaient qu'il est le Fils unique de Dieu. — Miracles opérés invisiblement et visiblement à sa mort.

1. Peut-être dans notre dernier discours, mes chers frères, vous aurons-nous attristés et offensés ; peut-être vous aura-t-il paru que nous avons usé de paroles trop rudes, et que nous nous sommes trop étendus sur la paresse et la lâcheté de plusieurs. Si, en nous étendant ainsi et parlant en ces termes, nous avions seulement voulu vous faire de la peine, vous auriez tous raison de vous fâcher et de vous plaindre : mais c'est uniquement pour votre bien que nous nous sommes exposés à vous déplaire. Vous devez nous savoir gré de notre sollicitude, ou, tout au moins, nous pardonner en faveur de notre profonde affection. Car nous craignons fort que si vous ne répondez à notre zèle que par l'indifférence, vous n'ayez à rendre un plus rigoureux compte au Seigneur. Voilà précisément, mes frères, ce qui nous engage et nous oblige souvent à vous réveiller, à ranimer votre attention; de peur que vous ne perdiez un seul mot de ce que nous vous enseignons : car c'est pour vous le moyen de vivre en assurance en ce monde, et de vous présenter en l'autre avec confiance au tribunal de Jésus-Christ. Mais nous vous avons fait d'assez longues et d'assez fortes réprimandes la dernière fois : commençons donc aujourd'hui par vous expliquer tout de suite les paroles de notre Évangile
« Et nous avons vu sa gloire; sa gloire », dis-je, « comme du Fils unique du Père». Saint Jean, après avoir dit que nous avons été faits enfants de Dieu, et montré que cela n'est arrivé que parce que le Verbe s'est fait chair, déclare qu'il nous en est encore revenu un autre avantage. Quel est-il? C'est que « nous [154] avons vu sa gloire; sa gloire, » dis-je, « comme du Fils unique du Père ». Et certes, nous ne l'aurions point vue cette gloire, si le Fils unique ne se fût montré à nous, revêtu du corps qu'il s'est uni. Si « les enfants d'Israël » ne purent regarder le visage de Moïse, qui n'était pas d'autre nature que nous, parce qu'il était resplendissant de lumière (Exo. XXXIV, 29; II Cor. III, 7) ; si un voile fut nécessaire pour couvrir et cacher la grande gloire qui environnait ce Juste, pour adoucir et tempérer l'éclat du visage du prophète, comment nous, qui ne sommes que boue et que terre, aurions-nous pu approcher de la Divinité toute pure, de cette lumière qui est inaccessible même aux vertus célestes? Le Fils unique du Père a donc habité parmi nous, afin que nous pussions librement approcher de lui, lui parler et demeurer avec lui.
Mais que signifient ces paroles : « La gloire, comme du Fils unique du Père » ? Plusieurs prophètes ont paru tout éclatants de gloire, comme Moïse lui-même, Elie, Elisée : l'un est monté au ciel dans un char de feu (IV lib. Rois, II,11) ; l'autre y a été enlevé (1). Après eux Daniel, les trois enfants, beaucoup d'autres, et tous ceux qui ont opéré des miracles, ont été glorifiés; de même, les anges qui se sont fait voir aux hommes dans la lumière et la splendeur de leur nature, et non-seulement les anges, mais aussi les Chérubins et les Séraphins qui ont apparu au prophète, couverts d'une grande gloire : mais l'évangéliste écartant de nous toutes ces choses, élevant nos esprits au-dessus de la splendeur et de la gloire des créatures, et des autres serviteurs nos compagnons, nous installe au comble même des biens et au centre de la gloire. Ce n'est pas la gloire d'un prophète, ni d'un ange, ni d'un archange, ni des vertus célestes, ni d'aucune autre créature, s'il en est, que nous avons vue mais nous avons vu la gloire du Seigneur même, du roi même, du vrai Fils unique même, de celui qui est le Seigneur de tous les hommes.
Ce mot : « comme », n'est point ici pour marquer une comparaison, un exemple, une similitude; mais pour établir et pour fixer

1. « Enlevé ». Le mot grec signifie proprement : Communi morte translatus. i. e. Elisée y a été enlevé par la mort commune à tous les hommes. Cet endroit ne me parait pas net, je crois qu'il y manque quelque chose.

indubitablement la chose : de même que si l'évangéliste disait :.Nous avons vu la gloire qui convient, qui est propre au vrai et à l'unique Fils de Dieu, roi de tout l'univers. C'est là une façon de parler usuelle, et je ne ferai pas difficulté d'invoquer cet usage à l'appui de mes paroles. Car il ne s'agit pas ici de beau langage ni de périodes harmonieuses, mais seulement de votre intérêt : c'est pourquoi rien ne nous empêche de tirer nos preuves de l'usage vulgaire.
Quel est donc cet usage? Vous allez l'apprendre: des personnes ont vu un monarque dans toute sa pompe et sa magnificence, il brille de toutes parts, il est tout couvert de pierres précieuses. S'il leur arrive de vouloir décrire à d'autres cette magnificence , cette pompe, ces ornements, cette gloire, ils peignent à leur manière, et comme ils peuvent, l'éclat de la pourpre, la grosseur des diamants, la blancheur des mules, l'or des harnais, le lustre des housses. Enfin , après avoir fait le récit de ces choses et de plusieurs autres, voyant qu'ils n'en peuvent pas bien représenter toute la richesse et la somptuosité, ils ajoutent aussitôt, mais pourquoi tant de paroles? En un. mot, il était comme un empereur, et par ce mot : « comme », ils ne veulent pas dire un homme semblable à l'empereur, mais l'empereur lui-même. C'est donc en ce même sens que l'évangéliste s'est servi de ce mot: a comme », pour montrer l'excellence d'une gloire incomparable. Tous les autres, les anges, les archanges, les prophètes exécutaient en tout les ordres qu'ils avaient reçus : mais le Fils unique agissait en tout avec l'autorité et la puissance qui n'appartient qu'au roi et au souverain Seigneur. Et voilà ce qui faisait l'admiration du peuple (Matth. VII, 28) ; c'est qu'il les instruisait comme ayant autorité.
2. Les anges, comme je l'ai dit, ont donc apparu sur la terre , avec beaucoup de gloire, à Daniel, à David, à Moïse; mais ils faisaient tout comme des serviteurs qui obéissent leurs maîtres: le Fils unique, au contraire, agissait en tout comme Seigneur et Roi de tout l'univers. Quoiqu'il soit venu et se soi montré sous une forme vile et basse, toutefois, dans cet abaissement même et sous cette formé de serviteur, la créature a connu son Seigneur. Comment? L'étoile , du haut du ciel, a appelé les mages pour venir l'adorer ; une grande troupe d'anges, répandue de tous côtés, le servait comme son Maître et chantait des hymnes à sa louange ; d'autres hérauts ont paru tout à coup , et s'étant tous rencontrés et joints ensemble, ils ont annoncé le grand et le profond mystère « de l'Incarnation n ; les anges l'ont annoncé aux pasteurs; les pasteurs aux habitants dé la ville; Gabriel à Marie et à Elisabeth; Anne et Siméon à ceux qui étaient dans le temple. Et non-seulement les hommes et les femmes en ont eu une grande joie , mais encore l'enfant qui n'était pas encore sorti du ventre de sa mère ; je parle de cet habitant du désert qui , portant le même nom que notre évangéliste, tressaillit dans le sein maternel (Luc, I , 41) : tous soupiraient dans l'espérance de l'enfantement qui devait arriver. Voilà ce qui s'est passé dans le temps de l'avènement. Mais lorsque le Fils unique se fut davantage manifesté, d'autres miracles plus grands que les premiers éclatèrent. Ce n'est plus une étoile , ni le ciel, ni les anges et les archanges, ni Gabriel et Michel, c'est Dieu le Père lui-même qui l'annonce du haut des cieux, et, avec le Père, le Saint-Esprit qui descend et demeure sur lui (Matth. III, 15; Marc, I, 10; II Pierre, II , 27), etc.; c'est donc avec vérité que Jean a dit : « Nous avons vu sa a gloire; sa gloire » , dis-je , « comme du Fils a unique du Père ».
Et en s'exprimant ainsi, il ne pense pas seulement à ces choses , mais encore à celles qui les ont suivies., Car les pasteurs, les veuves et les vieillards ne sont plus les seuls à nous l'annoncer: la voix. des événements , comme une trompette sonore, retentit à son tour, et si haut, que le son en parvient aussitôt jusqu'ici. « Sa réputation », dit l'Ecriture, « s'est répandue par toute la Syrie (Matth. IV, 24) ; elle l'a fait connaître à tout le monde. Tout publiait à haute voix que le Roi du ciel était arrivé. En effet, on voyait les démons fuir de toutes parts et céder la place ; le diable se retirer couvert de honte; la mort même , la mort d'abord repoussée, ensuite vaincue et entièrement détruite: toutes sortes d'infirmités étaient guéries, les sépulcres renvoyaient les morts (Matth. XXVII, 52) , les démons laissaient tranquilles les possédés, les maladies quittaient les malades. C'est alors qu'on vit tous ces prodiges et ces miracles que les prophètes avaient désiré devoir, comme de juste, et qu'ils n'avaient point vus : c'est alors qu'on a vu des yeux se former et recevoir la lumière ; et Jésus-Christ faisant voir à tous , en un moment et dans la plus excellente partie du corps, ce qui est si curieux, ce que tous les hommes ont dû souhaiter de voir, comment Dieu a formé Adam de la terre (1). De plus, on a vu des membres que la paralysie avait desséchés et comme détachés du corps, tout à coup rétablis et réunis aux autres; des mains mortes reprendre le mouvement, des pieds perclus sauter à l'instant, des oreilles bouchées s'ouvrir, et une langue, auparavant muette, parler soudain avec grand bruit. Car tel qu'un habile architecte qui rétablit une vieille maison délabrée, Jésus-Christ a réparé la nature humaine : les pièces qui étaient brisées, il les a remplacées; celles qui étaient désunies , il les a rejointes : il a relevé celles qui étaient absolument tombées.
Et que dirons-nous du rétablissement de l'âme, opération encore bien plus admirable que la guérison des corps ? Certes, la santé du corps est quelque chose de grand et de considérable; mais celle de l'âme lui est supérieure et de toute la distance qui sépare l'âme du corps.; comme aussi, pour cette autre raison , qu'il est de la nature du corps de se mouvoir, selon qu'il plaît au Créateur, et d'aller sans résistance partout où il veut qu'il aille, tandis que l'âme qui est libre, et qui a le pouvoir et la liberté d'agir, . n'obéit pas en tout à Dieu, si elle ne le veut pas. Car Dieu ne veut pas la rendre belle et vertueuse malgré elle , par force et par contrainte, parce que ce ne serait point là une vertu ; mais il veut la persuader librement et volontairement de devenir vertueuse et belle, ce qui est beaucoup plus difficile que l'autre guérison. Voilà pourtant ce qu'a fait Jésus-Christ. Toutes sortes de méchancetés et de maux ont été détruits. De même que, par les soins qu'il a donnés aux corps , il les a non-seulement guéris , mais encore rétablis dans une parfaite santé : ainsi, non-seulement il a tiré les âmes de l'abîme de la méchanceté et de la corruption , mais il les a élevées au comble même de la vertu. D'un publicain il a fait un apôtre: d'un persécuteur, d'un blasphémateur impie, l'instituteur de l'univers: les mages ont été les docteurs des

1. Comme dans la guérison de l'aveugle-né, où Jésus-Christ ayant craché à terre et fait de la boue avec sa salive, il oignit de cette boue les yeux de l'aveugle et lui rendit la vue. (Jean, IX, 6.) Dans la résurrection du Lazare, et dans tous les autres miracles qu'il a opérés, etc. (Jean, XI.)

156

Juifs, le larron est devenu citoyen du ciel une prostituée a brillé par sa grande foi: de deux femmes, la chananéenne et la samaritaine, celle-ci femme débauchée comme la précédente; l'une entreprend de convertir ses concitoyens et amène à Jésus-Christ tous les habitants de sa ville, comme pris dans un filet; l'autre, par sa foi et sa persévérance, chasse le malin esprit de l'âme de sa fille; d'autres, encore pires que ceux-là, passent tout à coup au nombre des disciples. En un instant tout se réformait, les infirmités des corps, les maladies des âmes: tous recouvraient la santé et arrivaient à la plus haute vertu. Ce n'était pas seulement deux, ou trois, ou cinq, ou dix, ou vingt , ou cent personnes qui changeaient de vie et se convertissaient facilement, mais des villes et des provinces entières. Et qui pourrait parler dignement de la sagesse des préceptes, de la force et de la vertu des lois célestes, de l'excellence d'une morale tout angélique? Car, tel est le genre de vie que Jésus-Christ a introduit ici-bas , telles sont les lois qu'il a établies, et la morale qu'il a fondée , que ceux qui les suivent et s'y conforment deviennent aussitôt des anges, et semblables à Dieu , autant que cela est possible à l'homme, quand bien même ils auraient été les plus méchants de tous les hommes.
3. Voilà pourquoi l'évangéliste, rassemblant et se représentant tout à la fois tous les miracles que Jésus-Christ a opérés, soit dans les corps, soit dans les âmes, soit sur les éléments; et aussi les préceptes, ces dons mystérieux (lui sont plus grands et plus sublimes que les cieux mêmes, les lois, la morale, la foi, l'espérance, les promesses des biens futurs, la Passion; voilà, dis-je, pourquoi l'évangéliste a fait tonner sa voix, et prononcé ces admirables paroles qui renferment une sublime doctrine : « Nous avons vu sa gloire; sa gloire », dis-je, « comme du Fils unique du Père, étant plein de grâce et de vérité ». Ce n'est pas seulement pour les miracles que nous l'admirons, mais nous l'admirons aussi dans sa Passion et dans ses souffrances : nous l'admirons attaché à une croix, flagellé, souffleté, couvert de crachats, et dans les coups que lui ont donné sur les joues ceux qu'il avait comblés de bienfaits. Il est juste en effet d'appliquer aussi les paroles de saint Jean à ces choses qui paraissent ignominieuses, puisque Jésus-Christ lui-même a appelé tout cela gloire. En effet, ces choses ne sont pas seulement des marques et des témoignages de sa providence et de son amour, mais encore de sa toute-puissance puisque c'est alors que la mort fut détruite, que la malédiction fut effacée (Gal. III, 13), que les démons furent confondus, qu'on triompha d'eux, et que la cédule de nos péchés fut attachée à la croix (Coll. II, 14).
De plus, comme ces miracles se faisaient invisiblement, il s'en fit quelques-uns visiblement, qui prouvaient que Jésus-Christ était le Fils unique de Dieu, et le Seigneur de toute la nature; son bienheureux corps étant encore attaché à la croix, le soleil retira sa lumière et s'obscurcit, la terre trembla et fut couverte de ténèbres, les sépulcres s'ouvrirent, les fondements de la terre furent ébranlés, une multitude innombrable de morts sortit du tombeau, ressuscita et vint dans la ville (Matth. XXVII, 51, Luc. XXIII, 44). Ensuite cet autre mort, qui avait été cloué et crucifié, ressuscita, sans déranger les pierres de son sépulcre, sans en briser les sceaux; et ayant rempli les onze disciples d'un grand courage et d'une force invincible, il les envoya dans tout le monde pour être les médecins universels de la nature, pour réformer la vie des hommes, pour répandre partout la semence de la céleste doctrine, détruire la tyrannie des démons, et faire connaître aux hommes les vrais, les ineffables biens ; pour nous prêcher l'immortalité de l'âme, la vie éternelle. du corps, des récompenses qui surpassent notre intelligence, et qui n'auront point de fin.
Le bienheureux évangéliste repassant donc dans son esprit toutes ces choses et plusieurs autres, que sûrement il connaissait bien, mais qu'il n'a pas voulu écrire parce que le monde n'aurait pu les contenir; car « si », dit-il, « on « rapportait tout en détail, je ne crois pas que le monde entier pût contenir les livres qu'on a en écrirait» (Jean, XXI, 25); considérant, dis-je, toutes ces choses, il s'est écrié : « Nous avons vu sa gloire; sa gloire », dis-je, « comme du Fils unique du Père, étant plein de grâce et de vérité». II faut donc que ceux qui ont le bonheur de voir tant de merveilles, d'entendre une si belle doctrine, de recevoir de si grands dons, mènent une vie qui soit digne des dogmes, pour mériter de, jouir des biens futurs. En effet, Notre-Seigneur Jésus-Christ est venu pour nous faire voir non-seulement sa gloire terrestre, mais encore sa gloire céleste. Voilà pourquoi il [157] a dit: « Je désire que là où je suis, ceux que a vous m'avez donnés y soient aussi avec moi, afin qu'ils contemplent ma gloire ». (Jean, XVII, 24.) Que si la gloire qu'il a eue sur la terre a été si brillante et si lumineuse, que penserons-nous , que dirons-nous de celle qu'il a dans le ciel? car on ne la verra pas dans une terre sujette à la corruption; elle ne se montrera point à nous tandis que nous sommes dans des corps fragiles et périssables; mais lorsque nous serons devenus des créatures immortelles et impérissables ; et elle se fera voir dans une si grande splendeur, qu'aucune parole ne peut l'exprimer. Heureux donc, et mille fois heureux ceux qui auront le bonheur d'être spectateurs de cette gloire, c'est d'elle que parle le prophète, quand il dit : « Que l'impie soit enlevé, pour ne pas voir la gloire du Seigneur ». (Isaïe, XXVI, 10, LXX.) Mais à Dieu ne plaise qu'aucun de vous soit enlevé de ce monde et privé de ce spectacle 1 Si, en effet, nous ne devions jamais en jouir, nous pourrions bien dire, nous aussi : il vaudrait mieux pour nous que nous ne fussions jamais venus au monde (Matth. XXVI, 24). Car pourquoi vivons-nous , pourquoi respirons-nous? Que sommes-nous, si nous sommes privés de la présence du Seigneur, si nous ne devons pas le voir? Si ceux qui ne voyent pas la lumière du soleil mènent une vie plus malheureuse que la mort, que croyez-vous que souffrent ceux qui sont privés d'une si grande lumière? Ici tout le malheur ne consiste que dans cette unique privation, mais là il n'en est pas de même : et pourtant, quand il n'y aurait que ce mal seul, le second supplice ne serait pas égal à l'autre; il le surpasserait d'autant que le soleil de l'autre monde surpasse le nôtre. Mais il y a aussi un autre supplice à attendre; c'est que celui qui ne voit pas ce soleil ne sera pas seulement jeté dans les ténèbres, mais encore il sera brûlé éternellement, éternellement il gémira, grincera des dents, et souffrira une infinité d'autres tortures.
Ne méprisons donc point tellement notre salut, ne nous exposons point par la négligence et le relâchement d'un instant a être jetés dans le supplice éternel : veillons au contraire, soyons sobres, travaillons, faisons tous nos efforts pour acquérir ces biens et échapper à ce fleuve de feu, qui coule à grand bruit devant le terrible et redoutable tribunal. Celui qui y sera une fois tombé, y demeurera éternellement : personne ne pourra le retirer du supplice, ni son père, ni sa mère, ni son frère. Les prophètes nous le crient hautement; l'un dit : « Le frère ne rachète point son frère, l'homme étranger le rachètera-t-il (1)? » (Ps. XLVIII, 7.) Ezéchiel ajoute quelque chose de plus fort : « Si Noé », dit-il, « et Job et Daniel sont en ce pays-là, ils n'en délivreront ni leurs fils, ni leurs filles ». (Ezéch. XIV, 16.) Là une seule chose peut nous aider et nous protéger, ce sont nos bonnes oeuvres; celui qui en sera dénué ne pourra se délivrer par aucune autre voie. C'est pourquoi pensons continuellement à ces vérités, méditons-les, purifions notre vie et rendons-la brillante, afin que nous nous présentions au Seigneur avec confiance, et que nous obtenions les biens qui nous sont annoncés, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui la gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

1. Sur quoi saint Augustin dit : « Si Jésus-Christ, qui est votre figuré, ne vous rachète point, l'homme pourra-t-il vous racheter ? »


HOMÉLIE XIII.
JEAN REND TÉMOIGNAGE DE LUI, ET IL CRIE, EN DISANT : VOICI CELUI DONT JE VOUS DISAIS, CELUI QUI DOIT VENIR APRÈS MOI, EST AVANT MOI, PARCE QU'IL EST PLUS ANCIEN QUE MOI. (VERSET 15.)

ANALYSE.

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1. Le prédicateur ne perd point sa récompense par la paressé de ses auditeurs. Saint Jean l'évangéliste fait souvent valoir le témoignage de saint Jean-Baptiste, pourquoi?
2 et 3. Témoignage de saint Jean-Baptiste
4. Rien de plus beau ni de plus brillant qu'une vie bien réglée.— Les dons faits de biens mal acquis sont rejetés.

1. Courons-nous en -vain? est-ce inutilement fille nous travaillons? Jetons-nous la semence sur des pierres? Tombe-t-elle le, long du chemin ou demeure-t-elle cachée dans des épines 1? J'ai peur, je tremble que mon labourage ne soit inutile, quoique d'ailleurs je ne puisse rien perdre de la récompense qui est attachée à ce travail. La condition du laboureur est autre que celle du prédicateur de la parole souvent le laboureur,. après avoir travaillé toute une année, après avoir souffert tant de peines et de sueurs , ne récolte rien qui réponde à ses soins; et alors rien ne peut plus le dédommager de ses peines; triste et confus il revient de l'aire dans sa maison , auprès de sa femme et de ses enfants, et n'a personne à qui il puisse demander la récompense de ses longs travaux. Nous n'avons rien de pareil à craindre : quand bien même la terre que nous avons cultivée ne donne aucun fruit; si nous avons employé tous nos soins et toutes nos peines, le Seigneur de la terre et du laboureur ne permettra pas que nous soyions frustrés de nôs espérances, mais il nous donnera une rémunération. « Chacun » , dit l'Ecriture, « recevra sa récompense particulière selon son travail » (I. Cor. III, 8) ; et non pas selon l'événement. Pour preuve que cela est ainsi, écoutez ce que dit le Seigneur: « Vous donc, fils de l'homme, exhortez ce peuple, pour voir s'ils écouteront enfin et s'ils

1. Allusion à la parabole des semences. Saint Matthieu, XIII ; saint Marc, IV, l ; saint Luc, VIII, 4.

comprendront ». Et voici l'explication d'Ezéchiel : « Si la sentinelle » , dit-il, « avertit de ce qu'il faut fuir et de ce qu'il faut suivre, elle a lié livré son âme, quoique personne ne l'écoute (1) ». (Ezéch. II, 5, 6.)
Toutefois; encore que nous ayions cette ferme consolation, encore que nous soyions sûrs de la récompensé , lorsque nous ne vous voyons pas profiter de nos instructions, nous ne sommes ni plus consolés ni en meilleure disposition que les laboureurs, qui gémissent et pleurent, qui sont honteux et confus; Telle est la charité d'un prédicateur, telle est la sollicitude pastorale. Moïse pouvait se délivrer de l'ingrate nation des Juifs et obtenir un plus glorieux gouvernement , celui d'un peuple beaucoup plus nombreux. Dieu lui dit: « Laisse-moi faire, et je les exterminerai, et je t'établirai chef d'un plus grand peuple». (Exod. XXXII, 10.) Mais comme il était saint et serviteur de Dieu; comme il était vrai ami et homme de bien, il ne put même pas entendre cette parole; au contraire, il aima mieux périr avec le peuple qui lui avait été confié , qu'être sauvé sans lui et élevé à une. plus haute dignité.
Tel doit être celui à qui est confié le soin dés âmes; car si un père qui a de méchants enfants veut continuer néanmoins à être appelé leur père et ne consentirait point à en changer, il serait absurde que continuellement

1. On ne lit point ces deux passages, ni dans les Septante, ni dans la Vulgate. L'auteur en prend seulement. le sens.

159

un maître changeât de disciples, qu'il les abandonnât pour prendre tantôt ceux-ci, tantôt ceux-là et ensuite d'autres, sans s'attacher jamais à aucun.
Mais, Dieu nous garde de rien craindre de semblable à votre sujet ! Nous avons au contraire cette confiance de croire que votre foi croît toujours de plus en plus en Notre-Seigneur Jésus-Christ, et que la charité mutuelle que vous avez les uns pour les autres et pour tous les hommes s'augmente chaque jour. Ce que nous venons de dire, nous l'avons dit pour ajouter encore à votre zèle et vous faire croître en vertu. Si les yeux de votre âme ne sont point chassieux, si la corruption de la malice ne les obscurcit pas et n'en trouble pas la clairvoyance, vos pensées pourront atteindre à la profondeur des matières que nous avons à traiter.
Qu'est-ce qu'on nous propose aujourd'hui ? « Jean rend témoignage de lui, et il crie en disant : Voici Celui dont je vous disais: Celui qui doit venir après moi est avant moi, parce qu'il est plus ancien que moi ». Notre évangéliste fait souvent paraître Jean , le produit à tout instant et en toute occasion, et fait valoir souvent son témoignage. Et ce n'est pas sans raison : il fait preuve en cela d'une extrême prudence. Comme les Juifs admiraient extraordinairement cet homme, (Josèphe, qui s'étend beaucoup sur son éloge, attribue à la mort qu'Hérode lui fit souffrir et la guerre (1), et la ruine de Jérusalem (2)) ; comme, dis-je, les Juifs l'admiraient extraordinairement, l'évangéliste, pour les couvrir de confusion, leur répète souvent son témoignage. Et véritablement les autres évangélistes renvoient leurs auditeurs, sur chaque action qu'ils rapportent, aux anciens prophètes qu'ils leur citent. Quand ils racontent la naissance du Fils de Dieu, ils disent: « Or ; tout cela se fit pour accomplir ce que le Seigneur avait dit par le Prophète, en ces termes (Matth. 1, 22) : Une Vierge concevra, et elle enfantera un fils ». (Isaïe, VII, 14.) Quand ils décrivent les pièges qu'on lui tendait; les exactes recherches, les poursuites

1. La guerre qu'Arétas, roi de Pétra, déclara à Hérode le Tétrarque.
2. Ce que le saint Docteur rapporte ici de Josèphe ne nous paraît pas tout à fait conforme à ce que nous lisons dans son histoire. Voici le passage : Plusieurs Juifs ont cru que cette défaite de l'armée d'Hérode était une punition de Dieu à cause de Jean , surnommé Baptiste. C'était un homme de grande piété qui exhortait les Juifs à embrasser la vertu, à exercer la justice , et à recevoir le Baptême, après s’être rendu agréable à Dieu en ne se contentant pas de ne point commettre quelque péché, mais en joignant la pureté du corps à celle de l'âme. Aussi, comme une grande quantité de peuple le suivait pour écouter sa doctrine, Hérode, craignant que le pouvoir qu'il aurait sur eux, n'excitât quelque sédition, Parce qu'ils seraient toujours prêts à entreprendre tout ce qu'il leur ordonnerait, crut devoir prévenir ce mal pour n'avoir pas sujet de se repentir d'avoir attendu trop tard à y remédier. Pour cette raison il l'envoya prisonnier dans la forteresse de Machera, dont nous venons de parler. Et les Juifs attribuèrent la défaite de son armée à un juste châtiment de Dieu d'une action si injuste ». Arn. d'And. hist. de Josep. in-fol. Tom. I, p. 689. N. 781.


qu'on faisait pour le perdre, et le massacre qu'Hérode fit des innocents, ils produisent ce que Jérémie avait autrefois prophétisé « On a entendu un grand bruit dans Rama, on y a ouï des cris mêlés de plaintes et de soupirs : Rachel pleurant ses enfants » . (Jérém. XXXI, 15.) Et quand ils rapportent son retour de l'Égypte, ils citent cette prédiction d'Osée: « J'ai rappelé mon Fils d'Égypte ». (Osée, XI , 1.) Partout ils en usent de même; mais saint Jean , qui parle avec plus d'élévation que les autres évangélistes, apportant un témoignage plus clair et plus récent, ne produit pas seulement des morts, mais un homme vivant qui avait montré Jésus-Christ présent et qui l'avait baptisé: non toutefois pour prouver qu'il fallait croire en Jésus-Christ sur le témoignage du serviteur, mais pour s'accommoder à la faiblesse de ses auditeurs. Car comme on n'aurait pas reçu le Seigneur s'il n'avait pris la forme de serviteur, de même la plus grande partie des Juifs n'aurait pas cru à sa parole, s'il n'y eût accoutumé leurs oreilles par une voix semblable à la leur.
2. Ajoutons que l'évangéliste, en en usant ainsi, avait en vue un autre résultat, grand et merveilleux : comme celui qui avance quelque chose de grand sur son propre compte, se rend suspect ; et déplaît souvent à ceux qui l'entendent, voici venir un nouveau témoin pour appuyer son autorité de la sienne : et aussi comme la multitude a coutume d'accourir à la voix qui lui est naturelle et familière, parce qu'elle a moins de peine à la reconnaître , c'est pour cela que la voix du ciel ne s'est fait entendre qu'une ou deux fois, et que la voix de Jean-Baptiste se fait ouïr très-souvent. En effet, ceux qui s'élevaient au-dessus de la faiblesse et de la grossièreté du peuple, qui s'étaient dépouillés des choses sensibles et terrestres , étaient capables d'entendre la voix du ciel, et n'avaient pas tant de besoin de celle de l'homme , puisqu'ils obéissaient à la première et se laissaient guider par elle ; mais il fallait une voix plus humble à ceux qui [159] étaient encore attachés à la terre, et plongés dans les ténèbres. Voilà donc pourquoi Jean-Baptiste, s'étant entièrement dépouillé des choses terrestres, n'a pas eu besoin d'avoir des hommes pour maîtres, mais il a reçu sa doctrine du ciel. Car il dit : « Celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau m'a dit : Celui sur qui vous verrez descendre le Saint-Esprit, est le Fils de Dieu ». (Jean, I, 33, 34.) Les Juifs au contraire qui n'étaient encore que des enfants, et qui ne pouvaient atteindre à cette élévation, avaient pour maître un homme qui leur annonçait non sa propre doctrine, mais celle du ciel.
Que dit donc celui-ci? « Il rend témoignage de lui, et il crie, en disant » . Que veut dire ce mot : « Il crie? » il prêche avec confiance, avec liberté, exempt de toute crainte. Et quelle est cette prédication, ce témoignage, ce cri? « Voici celui dont je vous disais : Celui qui est venu après moi, est avant moi , parce qu'il est plus ancien que moi ». Ce témoignage est obscur et bien terrestre encore ; en effet, Jean n'a point dit : Celui-ci est le Fils unique de Dieu; il a dit : « Voici celui dont je vous disais : Celui qui est venu après moi, est avant moi, parce qu'il est plus ancien que moi ». De même que les mères des petits oiseaux ne montrent pas tout d'un coup, ni dans un seul jour à leurs petits la manière de voler, mais qu'au commencement elles ne font que les faire sortir de leur nid, les laissent ensuite reposer, puis les remettent au vol ; et le. lendemain leur font faire de plus grands efforts, les excitant de la sorte peu à peu et insensiblement à s'élever à une hauteur convenable :ainsi le bienheureux Jean-Baptiste n'amène pas sur-le-champ les Juifs à ce qu'il y a de plus sublime, mais il commence par les élever un peu de terre, en leur disant que Jésus-Christ lui est supérieur. Ce n'était pas peu en effet que ses auditeurs pussent croire que celui quine s'était point encore fait voir, et qui n'avait point opéré de miracles, était supérieur à Jean, cet homme si illustre et si admirable, vers qui tout le peuple accourait, et qu'on regardait comme un ange.
Ainsi il tâchait d'abord, et s'efforçait de persuader à ses auditeurs que celui dont il rendait témoignage , était plus grand que le témoin; que celui qui devait venir était au-dessus de celui qui était venu; et que l'inconnu surpassait l'homme célèbre. Voyez avec quelle prudence Jean-Baptiste rend témoignage ! Non-seulement il montre Jésus, lorsqu'il est présent ; mais il le prédit avant qu'il paraisse. Car telle est l'allusion renfermée dans ces paroles : « Voici celui dont je vous disais ». C'est ainsi que, selon saint Matthieu, il disait à tous ceux qui venaient à lui : « Pour moi, je vous a baptise dans l'eau ; mais il en doit venir un autre qu' est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de dénouer les cordons de ses souliers ». (Matth. III , 11 ; Marc, I, 7; Luc, III, 17.) Pourquoi donc a-t-il ainsi parlé, avant que Jésus vînt?.C'est afin que quand il paraîtrait, son témoignage trouvât créance, les esprits y étant disposés par les discours tenus auparavant à son sujet, et que le vil vêtement qu'il portait ne nuisît pas à son crédit. Si les Juifs n'eussent rien ouï dire de Jésus-Christ, avant de le voir, s'ils n'eussent reçu qu'en le voyant ce grand et admirable témoignage, la simplicité et la pauvreté de ses habits aurait sans doute fait tort à la majesté de sa parole. En effet, Jésus-Christ marchait dans les rues si simplement et si pauvrement vêtu, que les femmes de Samarie , les femmes de mauvaise vie, les publicains, tous osaient librement et hardiment l'approcher et lui parler.
3. Si les Juifs donc; comme je l'ai dit, avaient entendu ces paroles, et vu sa personne en même temps, ils auraient ri du témoignage de Jean-Baptiste; mais ayant souvent entendu ce témoignage avant la venue de Jésus-Christ, et ce qu'ils en avaient ouï dire leur ayant inspiré le désir de le voir, tout le contraire est arrivé : ils ont pu voir ce Sauveur annoncé, sans rejeter sa doctrine , et la foi qu'ils ont eue en lui sur ce qu'ils en avaient ouï dire le leur a fait regarder comme plus grand encore.
Ces paroles : « Celui qui doit venir après moi », signifient : celui qui doit prêcher, et non pas naître, après moi. Saint Matthieu le déclare, en disant: « Il vient un homme après moi » ; où il ne parle point de la naissance du Fils de Marie; mais de sa venue pour prêcher. En effet, si l'évangéliste eût voulu parler de sa naissance, il ne se serait pas servi d'un temps présent, mais d'un temps passé ; il n'aurait pas dit : « Il vient », mais : « Il est venu». Car Jésus-Christ était déjà né, lorsque Jean-Baptiste disait ces choses.
Mais que veut dire ce mot : « Il est avant moi »? Entendez : il est plus illustre et plus célèbre que moi. De plus, quoique je sois venu [161] prêcher le premier, ne croyez pas pour cela que je sois plus grand que lui : je suis de beaucoup inférieur à lui, et si inférieur, que je ne suis pas digne d'être même regardé comme son serviteur. Et c'est là ce que signifient ces paroles : « Il est avant moi » : idée que saint Matthieu exprime autrement, en disant : « Et je ne suis pas digne de délier les cordons de ses souliers (1) ». (Matth. III, 11.) Or que ces paroles : « Il est avant; moi », ne s'entendent point de la naissance de Jésus-Christ, celles qui suivent le montrent visiblement : si Jean-Baptiste avait voulu qu'elles s'entendissent de la naissance, il lui eût été inutile d'ajouter : « Parce qu'il est plus ancien que moi ». Qui en effet eût été assez stupide et assez fou pour ignorer que celui qui était né avant lui était plus ancien que lui ? Que si l’on entend ces paroles, de cette existence qui est avant les siècles, elles ne signifient autre chose que ceci : « Celui qui vient après moi, est avant moi » ; autrement il aurait parlé inconsidérément, et ce serait en vain qu'il aurait produit la raison de cette ancienneté. Encore une fois, s'il avait voulu parler de la naissance, il devait construire sa phrase d'une autre façon, et dire : « Celui qui vient après moi, est plus ancien que moi, parce qu'il est né avant moi » : car que quelqu'un soit avant, on en peut justement donner cette raison, qu'il est né le premier; mais on n'établit point qu'une personne est née avant une autre en disant qu'elle est la première.
Ce que nous disons là est juste et bien fondé, volis le savez tous : c'est des choses obscures, qu'il faut donner la raison et l'explication , et non de celles qui sont claires et évidentes. Si ce discours tombait sur la naissance, il n'y aurait ni doute, ni difficulté à admettre que le premier est le premier né mais comme Jean parle de la dignité et de la prééminence, il a raison d'ôter la difficulté qui y paraissait. Effectivement, il est vraisemblable que plusieurs auraient eu des doutes, et n'auraient pu concevoir comment et pour quelle raison celui qui est venu après, est avant, c'est-à-dire, est plus honorable. Voilà pourquoi Jean-Baptiste en donne aussitôt la raison : c'est parce que, dit-il, « il est plus ancien que

1. Saint Matthieu, que cite le saint Docteur, dit : « Et je ne suis pu digne de porter ses souliers ». Mais saint Marc et saint Luc disent : « de dénouer le cordon de ses souliers ». (Marc, 1, 7; Luc, III, 16.) Tout revient au même. La différence ne doit point arrêter.

moi » : Ce n'est pas, dit-il, que, me trouvant d'abord devant lui, il ait réussi à prendre le pas sur moi : mais il est plus ancien que moi, quoiqu'il vienne après moi.
Mais comment, direz-vous, si Jean a en vue l'éclatant avènement du Christ et la gloire qui doit l'accompagner, parle-t-il d'une chose qui n'était point encore, comme si déjà elle était arrivée ? car il ne dit pas : il sera, mais il est c'est parce que depuis la plus haute antiquité les prophètes étaient dans l'usage d'annoncer les choses futures, comme si elles étaient déjà accomplies. Isaïe,. parlant de la mort de Jésus-Christ, n'a point dit : « Il sera mené à la mort comme une brebis qu'on va égorger » : ce qui devait arriver; mais : « Il a été mené à la mort comme une brebis qu'on va égorger (1) ». (Is. LIII, 7, 70.) Et toutefois il ne s'était point encore incarné; mais le prophète raconte ce qui devait arriver, comme étant déjà accompli. Et David, prédisant le crucifiement, n'a point dit : ils perceront mes mains et mes pieds ; mais: « Ils ont percé mes mains et mes pieds ». Et : « ils ont partagé entr'eux mes habits, et ils ont jeté le sort sur ma robe ». (Ps. XXI, 18 et 19.) Et parlant du traître Judas, qui n'était point né encore, il dit . « Celui qui mangeait avec moi, a fait éclater sa trahison contre moi ». (Ps. XL, 10.) De même, rapportant ce qui s'est passé, lorsqu'il était attaché sur la croix, il dit : « Ils m'ont donné du fiel pour ma nourriture, et dans ma soif ils m'ont présenté du vinaigre à boire ». (Ps. LXVIII, 26.)
4. Voulez-vous que nous vous apportions encore d'autres autorités, ou celles-là vous suffisent-elles? pour moi, je le crois. Si nous n'avons pas donné toute son étendue au sujet que nous venons d'examiner, du moins nous l'avons suffisamment approfondi. Et certes il n'y a pas un moindre travail à ceci qu'à cela, et nous craindrions de vous ennuyer, si nous vous arrêtions plus longtemps sur cette question. Finissons donc: cela est juste. Mais par où finirons-nous le mieux? C'est en rendant à Dieu la gloire qui lui est due, et cela, non-seulement par nos paroles, mais encore plus par nos oeuvres.
Que votre lumière luise, dit Jésus-Christ, « afin qu'ils voient vos bonnes couvres, et « qu'ils glorifient votre Père qui est dans les

1. Il faut observer que c'est ici la leçon des Septante. Notre Vulgate dit : « Il sera mené à la mort ».

162

cieux ». (Matth. V, 16.) Rien en effet n'est plus brillant, mes chers frères, qu'une vie bien réglée. Le sage le déclare: « La voie des justes », dit-il, « brillera comme la lumière». (Prov. IV, 18.) Certes, elle éclairera non-seulement ceux qui allument leurs lampes parleurs bonnes oeuvres, et qui marchent dans la voie droite, mais encore tous leurs voisins : mettons donc de l'huile dans ces lampes, afin que le feu en soit plus vif et la lumière plus abondante. Ce n'est pas seulement aujourd'hui que cette huile a une grande force, elle a fait aussi merveilleusement éclater la vertu de ceux qui ont vécu au temps des sacrifices. C'est pourquoi Dieu dit : « C'est l'huile que je veux, et non le sacrifice ». (Osée, VI, 6; Matth. IX, 13.) Et en vérité, rien de plus juste. L'autel des sacrifices était inanimé, mais notre autel est animé; le feu consumait tout, tout se réduisait en cendres et se dissipait, la fumée s'évanouissait dans l'air : mais ici, il n'arrive rien de semblable; il se produit d'autres fruits. C'est ce que déclare saint Paul, lorsque, décrivant les trésors de charité des Corinthiens, il dit : « Cette obligation, dont nous sommes les ministres, ne supplée pas seulement aux besoins des saints; mais elle est riche et abondante envers Dieu, par le grand nombre d'actions de grâces qu'elle lui fait rendre ». Et encore : « Parce que ces saints se portent à glorifier Dieu de la soumission que vous témoignez à l'Evangile de Jésus-Christ, et de la bonté avec laquelle vous faites part de vos biens, soit à eux, soit à tous les autres, et à témoigner par les prières qu'ils font pour vous, l'amour qu'ils vous portent ». (II Cor. IX, 12, 13, 14.) Ne voyez-vous pas qu'ici l'offrande aboutit à des actions de grâces, à un tribut d'hommages, à des prières continuelles de la part des pauvres secourus, à un redoublement de charité?
Sacrifions donc, mes chers enfants, sacrifions tous lès jours sur ces autels. Ce sacrifice est plus excellent que les prières, que le jeûne et mainte autre pratique, pourvu qu'on le

1. Saint Chrysostome lit ici elaion (huile) et non eleon (miséricorde) : ces deux mots se prononçant de même, la confusion s'explique aisément. Au reste, le sens est le même puisque l'huile est prise dans l'Ecriture pour le symbole de la miséricorde. Voyez, dans le commentaire sur saint Matthieu, l'explication de la parabole des dix vierges. (Chap. XXV.)

fasse d'un bien acquis légitimement par un honnête travail, et qui ne soit point souillé d'avarice, de rapine ou de violence. Telles sont les oblations que Dieu reçoit; il hait, il rejette les autres. Il ne veut pas qu'on l'honore au détriment d'autrui ; un pareil sacrifice est impur et profane; il irritera plutôt Dieu qu'il ne l'apaisera. C'est pourquoi nous devons apporter tous nos soins et toute notre vigilance à ne pas outrager, sous prétexte d'hommage, celui que nous voulons honorer. Si Caïn, pour avoir offert à Dieu la moindre et la plus vile partie de ses biens (Gen. IV), sans toutefois avoir fait tort à personne, fut puni, ne recevront-ils pas un plus rigoureux châtiment, ceux qui lui présenteront les fruits de leurs rapines et de leur avarice ? Si Dieu nous a donné ce précepte, c'est pour que nous fassions l'aumône au prochain, et non pour que nous l'opprimions. Celui qui ravit le bien d'autrui et le donne à un autre, celui-là n'est point miséricordieux, mais injuste et souverainement criminel. Comme donc on ne tire pas de l'huile d'une pierre, la cruauté de même ne produit pas l'humanité. On ne peut pas appeler aumône ce qui sort de cette source impure.
Je vous conjure donc, mes frères, de n'être point seulement zélés et attentifs à donner l'aumône, mais encore de ne pas la faire au préjudice du prochain. Car « si l'un prie et que l'autre maudisse, de qui Dieu exaucera-t-il la voix ? » (Eccl. XXXIV, 29.) Si nous sommes ainsi vigilants sur nous-mêmes, nous pourrons, par la grâce de Dieu, obtenir ses bontés, sa clémence, sa miséricorde, la rémission de tous les péchés que nous avons commis pendant notre vie, et éviter le fleuve de feu. Fasse le ciel que nous nous en garantissions tous, et que tous nous entrions dans lé royaume des cieux, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui la gloire soit au Père et au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles! Ainsi soit-il.


HOMÉLIE XIV.
ET NOUS AVONS TOUS REÇU DE SA PLÉNITUDE , ET GRACE POUR GRACE. (VERSET 16.)

ANALYSE.

163


1. Ce que nous avons reçu de la plénitude de Jésus-Christ:
2. Différence entre l'ancienne et la nouvelle Loi.— Signification de ces paroles : Grâce pour grâce.— Dieu nous prévient toujours de ses bienfaits.
3 et 4. Les figures de l'Ancien Testament ont en leur accomplissement dans le Nouveau.— Explication de quelques-unes de ces figurés.— Dans les combats publics on n'excite point à la course ceux qui se sont laissé renverser, mais seulement les braves athlètes.— Au contraire, dans les combats spirituels on exhorte, on anime indifféremment les uns et les autres, parce que ceux qui sont tombés, peuvent se relever, et remporter encore la victoire.— L'amertume des remèdes ne doit décourager ni rebuter personne : leur utilité se montrera dans la suite.— Les pécheurs et les justes même, tous ont besoin de remèdes, de corrections et de bons avis.

l. Nous disions dernièrement, mes frères, que Jean-Baptiste; pour lever les doutes de ceux qui se demanderaient comment Jésus-Christ, venu après lui pour prêcher, pouvait être plus ancien et plus illustre que lui, avait ajouté ces mots : « Parce qu'il est plus ancien a que moi ». C'est là une des raisons; mais il en ajoute une autre que nous avons maintenant à vous expliquer. La voici : « Nous avons tous reçu de sa plénitude, et grâce pour grâce ». Et après celle-là il en ajoute encore une autre : « Car la loi a été donnée par Moïse, mais la grâce et la vérité a été apportée par Jésus-Christ (17) ».
Que signifient ces paroles , direz-vous : « Nous avons tous reçu de sa plénitude?» C'est à quoi je dois d'abord m'attacher. Donner, pour lui, veut-il dire, ce n'est point partager, il est lui-même le principe et la source de tous les biens; il est la vie même, la lumière même, la vérité même ; il ne retient pas en lui-même ses trésors, mais il les répand sur tous les autres; et après qu'il les a répandus, il demeure plein ; après qu'il a donné, aux autres, il n'à rien de moins; mais il prodigue ses biens, toujours il les répand, et en les répandant avec profusion sur les autres, il demeure dans la même perfection, dans la même plénitude. Ce que j'en ai moi-même n'est qu'une petite portion que j'ai reçue d'un autre, et la moindre partie du tout, et comme une goutte d'eau si on la compare à cette ineffable source, à cette mer immense.
Mais cette comparaison même n'explique point assez ce que nous tâchons de vous faire entendre. Car si vous puisez dans la mer une goutte d'eau, dès lors vous l'avez diminuée, quoique cette diminution soit imperceptible aux yeux. Or, on ne peut pas dire la même chose de cette source; quelque quantité d'eau que vous y puisiez, elle demeure néanmoins entière et ne souffre aucune diminution. C'est pourquoi il faut prendre un autre exemple; Irais il est encore faible et ne suffit pas pour représenter ce que nous voudrions décrire; toutefois il nous achemine mieux que l'autre à l'idée dont il s'agit. Supposons un foyer où l'on allume mille, deux mille, trois mille flambeaux, et beaucoup plus encore; ce feu, après avoir communiqué sa lumière et sa vertu à tous ces milliers de flambeaux, ne demeure-t-il pas plein et entier? Personne ne l'ignore. Que si parmi les corps, choses divisibles, que le partage diminue, on en trouve qui peuvent donner. du leur aux autres, sans souffrir de diminution, à combien plus forte raison en sera-t-il de même pour l'Etre incorporel et impérissable? Car s'il n'y a pas nécessairement partage quand la chose communiquée est une substance corporelle, lorsqu'on parle d'une vertu, et d'une vertu provenant d'une substance incorporelle, n'est-il pas plus évident [164] encore qu'elle ne doit subir aucune division? Voilà pourquoi saint Jean dit : « Nous avons « tous reçu de sa plénitude », et joint son témoignage à celui de Jean-Baptiste. Car ce n'est pas le précurseur, mais l'Apôtre qui dit ces paroles: « Nous avons tous reçu de sa plénitude ». Et voici ce qu'il veut dire par là. Ne croyez pas que nous, qui avons demeuré longtemps avec Jésus-Christ, et mangé à sa table, nous rendions témoignage de lui par faveur et par complaisance. Jean-Baptiste, qui ne l'avait point vu ni rencontré avant de le baptiser, le voyant alors avec les autres, s'est écrié : « Il est plus ancien que moi ». Mais nous, tous les douze, les trois cents personnes, cinq cents, trois mille, cinq mille, plusieurs milliers de Juifs , toute la multitude des fidèles, qui a été. alors, qui est maintenant, et qui sera, nous avons tous reçu de sa plénitude.
Mais qu'avons-nous reçu ? « Grâce pour grâce ». Quelle grâce, pour quelle grâce ? Nous avons reçu la, nouvelle grâce pour l'antienne. Comme il y avait une justice et une justice : «Pour ce qui est », dit saint Paul, « de la justice de la loi, ayant mené une vie irréprochable » (Phil. III, 6), il y a aussi une foi et une foi : « De la foi dans la foi» (Rom. I, 17) , une adoption et une adoption : « A qui appartient l'adoption » (Rom. IX, 4), dit le même apôtre. Il y a aussi, selon lui, deux gloires : « Si le ministère qui devait finir a été glorieux, celui qui durera » toujours « le doit être beaucoup davantage » (II Cor. III, 11) ; et deux lois, car il dit encore : « La loi de l'esprit de vie m'a délivré ». (Rom. VIII, 2) ; et deux cultes : « Dont la servitude » , c'est-à-dire le culte ; et ailleurs : « Servant Dieu en esprit ». Il y a aussi deux testaments : « Je ferai avec vous » , dit le Seigneur, « une nouvelle alliance, non une alliance pareille à celle que je fis avec vos pères ». (Jérém. XXXI, 31, 32.) Il y a aussi une sanctification et une sanctification, un baptême et un baptême, un sacrifice et un sacrifice, un temple et un temple, une circoncision et une circoncision, et de même il y a une grâce et une grâce. Mais les premières de ces choses sont en quelque sorte la figure , celles-ci sont la vérité : ces mots sont homonymes, mais ils ne sont pas synonymes; c'est ainsi que, dans les images, une figure dessinée avec du noir sur du blanc s'appelle homme, tout aussi bien que l'homme peint au naturel avec les couleurs convenables. De même les statues, qu'elles soient d'or ou de terre cuite, on les appelle également statues; mais d'une part il n'y a qu'une figure, de l'autre se trouve la vérité.
2. De la seule conformité des noms, ne concluez donc pas, que les choses soient les mêmes , ni davantage qu'elles soient différentes. Les figures anciennes, en tant que figures, avaient quelque chose de la vérité, mais l'ombre dont elles restaient couvertes les rendaient inférieures à la vérité proprement dite. Quelle différence donc y a-t-il entre ces deux ordres de choses ? Voulez-vous que nous l'examinions dans une ou deux dé celles que j'ai rapportées ci-dessus? par là vous connaîtrez parfaitement toutes les autres. Nous verrons que celles-là contenaient des lois et des préceptes pour des enfants; que celles-ci sont faites pour des hommes mûrs et forts; que celles-là étaient données comme pour former des hommes; que celles-ci sont établies comme pour faire des anges. Par où commencerons-nous donc? Souhaitez-vous que ce soit par l'adoption? Quelle différence y a-t-il entre l'ancienne et la nouvelle? La première n'était qu'une prérogative nominale, la seconde est réelle et véritable. De celle-là il est écrit: «J'ai dit: vous ôtes des Dieux, et vous êtes tous « enfants du Très-Haut ». (Ps. LXXXI, 6.) Mais de celle-ci : « Ils sont nés de Dieu même ». (Jean, I,13.) Comment, de quelle façon? « C'est par l'eau de la renaissance, et par le renouvellement du Saint-Esprit ». (Tit. III, 5.) Et certes , les Juifs , quoiqu'appelés enfants de Dieu, avaient encore l'esprit de servitude; ils demeuraient esclaves, tout en étant honoris du nom d'enfants : mais nous, devenus libres, nous avons reçu l'honneur d'être faits enfants de Dieu ; non de nom, mais réellement et de fait: et c'est là ce que nous déclare saint Paul, en disant : « Vous, n'avez point reçu l'esprit de servitude pour vous conduire encore par la crainte : mais vous avez reçu l'esprit de l'adoption des enfants , par lequel nous « crions : Mon père, mon père ». (Rom. VIII, 15.) En effet., c'est régénérés par la vertu d'en. haut, et comme entièrement renouvelés, que nous avons été appelés enfants de Dieu.
Mais si l'on apprend quelle était la mesure de leur sainteté, en quoi ils la faisaient consister: si l'on considère ce qu'est le Juif, ce [165] qu'est le chrétien, on y trouvera encore bien de la différence. Les Juifs, quand ils n'adoraient pas les idoles, quand ils ne commettaient ni fornications, ni adultères, étaient appelés saints; mais nous, nous devenons saints, non pour nous être seulement abstenus de ces vices, mais par la possession des plus éminentes vertus. Ce don, nous l'acquérons premièrement par la descente du Saint-Esprit en nous, et ensuite par une vie beaucoup plus excellente que celle du Juif. Mais, afin que vous ne croyiez pas que je vous parle ainsi par ostentation, écoutez ce que leur dit l'Ecriture : « Gardez-vous de laver et de purifier vos enfants, parce que vous êtes un peuple saint (1) ». (Deut. XVIII, 10.) S'abstenir du culte des idoles, c'était donc là en quoi, consistait leur sainteté, mais il n'en est pas ainsi de nous : « Il faut être saint de corps et d'esprit » (I. Cor. VII, 34) : il faut «tâcher d'avoir la paix et de vivre dans la sainteté, sans laquelle nul ne verra Dieu ». (Héb. XII, 14.) Et : « Achever l'oeuvre de notre sanctification dans la crainte de Dieu ». (II Cor. VII, 1.) Le nom de « saint » n'a pas la même signification appliqué à tous. Bien est appelé saint, mais non comme nous. Faites attention à ce que dit le prophète quand il entendit les séraphins prononcer ce nom
« Malheur à moi, que je suis malheureux, parce qu'étant homme, j'ai des lèvres impures et que j'habite au milieu d'un peuple qui a aussi des lèvres souillées ». (Isaïe, VI, 5, LXX.) Voilà comme Isaïe parle de lui-même, quoiqu'il fût pur et saint : mais pour nous, si nous comparons notre sainteté à cette sainteté qui habite dans les cieux, nous sommes impurs. Les anges sont saints, les archanges, les chérubins et les séraphins sont saints : mais il y a encore une autre sainteté supérieure à celle de ces puissances célestes non moins qu'à la nôtre. Je pourrais parcourir ainsi les différences de toutes les autres saintetés, mais je m'aperçois que mon discours est déjà trop long; c'est pourquoi, sans nous arrêter davantage à cette recherche, nous la laisserons à votre examen. Vous pouvez, quand vous serez dans vos maisons, vous rappelant ce que nous venons de vous faire observer, envisager cette différence et l'étendre à tout le reste : « Donnez une occasion au sage », dit l'Ecriture,

1. Saint Chrysostome cite ici de mémoire, ou il ne prend que la substance de ce passage; car il est autrement dans, les Septante et dans la Vulgate, où on peut le voir au lieu cité.

et il deviendra encore plus sage ». (Prov. IX, 9.) Nous avons commencé, ce sera maintenant à vous de finir.
Poursuivons notre discours. L'évangéliste ayant dit : « Nous avons tous reçu de sa plénitude », ajoute : « Et grâce pour grâce ». Par où il nous fait connaître que les Juifs ont aussi été sauvés par la grâce. Car, dit le Seigneur, ce n'est pas parce que vous vous êtes multipliés que je vous ai choisis, mais c'est à cause de vos pères. Si ce n'est donc pas pour leurs propres mérites que Dieu les a choisis, il est évident que c'est par la grâce qu'ils ont reçu cet honneur. Et nous aussi nous avons été sauvés par la grâce, mais non de la même manière. Nous ne l'avons pas été par les mêmes voies, mais par des moyens beaucoup plus grands -et plus sublimes. C'est pourquoi la grâce que nous avons reçue n'est pas la même que la leur. Nous n'avons pas seulement reçu la rémission de nos péchés; en quoi il n'y a nulle différence entre eux et nous, également pécheurs : mais Dieu nous donne aussi la justice, la sainteté, l'adoption, la grâce du Saint-Esprit avec plus de magnificence et d'abondance. C'est cette grâce qui nous rend chers et agréables à Dieu, non plus comme de simples serviteurs, mais comme étant ses enfants et ses amis. Voilà pourquoi saint Jean dit : « Grâce pour grâce ».
Les lois et les cérémonies légales étaient aussi des grâces : comme c'en est une encore d'avoir été tiré du néant. Car ce n'est point là une grâce de nos mérites précédents : comment cela se pourrait-il, puisque nous n'étions pas? mais Dieu nous prévient toujours de ses bienfaits. Et non-seulement notre création est une grâce, mais c'en est encore une que Dieu ait donné aux hommes qu'il a créés la connaissance de ce qu'ils doivent faire et ne point faire; et que cette loi, nous la trouvions dans la nature : que dans nous il ait placé l'incorruptible tribunal de la conscience; c'est une très-grande grâce et un effet de son ineffable bonté. C'est encore une grâce d'avoir rétabli par la loi écrite la loi naturelle que nous avions violée; car la conséquence naturelle eût été le supplice et la vengeance de ceux qui avaient défiguré la loi une fois donnée. Cependant Dieu ne l'a point fait; mais il leur a fourni les moyens de se corriger, il leur a accordé le pardon, qu'il ne leur devait point, par un pur effet de sa grâce et de sa miséricorde [166]. Que ce fut là un pur don de sa miséricorde et de sa grâce, David nous l'apprend; écoutez ce qu'il dit : « Le Seigneur fait ressentir les effets de sa miséricorde, et il fait justice à tous ceux qui souffrent l'injustice et la violence ; il a fait connaître ses voies à Moïse et « ses volontés aux enfants d'Israël ». (Ps. CII, 6, 7.) Et derechef : « Le Seigneur est plein de douceur et de droiture, c'est pour cela qu'il donnera à ceux qui pèchent la loi qu'ils doivent suivre dans leur conduite ». (Ps. XXIV, 9.)
3. La loi que le Seigneur nous a donnée est donc l'ouvrage de sa miséricorde, de sa compassion, de sa grâce. C'est pourquoi saint Jean ayant dit : « Grâce pour grâce », insiste avec plus de force sur la grandeur de ses dons, et il ajoute : « La loi a été donnée par Moïse; mais la grâce et la vérité a été apportée par Jésus-Christ ». Considérez avec quelle douceur et quel ménagement Jean-Baptiste et le disciple élèvent peu à peu, et par une seule parole, leurs auditeurs à la plus haute connaissance; après les y avoir préparés par ce qu'il y a de plus simple et de plus bas. Jean-Baptiste commence par comparer avec lui-même celui qui, sans comparaison, surpasse tous les autres; mais ensuite il fait connaître son excellence, en disant : « Celui-ci est avant moi », et ajoutant après : « Il est plus ancien que moi ». Le disciple a fait quelque chose de plus; mais il est pourtant demeuré au-dessous de ce que demandait la dignité de Fils unique. Car il ne le compare pas à Jean-Baptiste, mais à celui que les Juifs admiraient plus Jean-Baptiste, c'est-à-dire à Moïse. « La loi », dit-il, « a été donnée par Moïse : mais la grâce et la vérité a été apportée par Jésus-Christ ». Voyez, mes frères, voyez sa prudence, il ne fait ni comparaison, ni examen des personnes, mais des choses. Comme les choses que Jésus-Christ avait opérées se montraient visiblement beaucoup plus grandes, nécessairement aussi les plus aveugles devaient-ils consentir au témoignage qui lui était rendu : alors, en effet, que les oeuvres mêmes, qu'on ne peut soupçonner ni de flatterie, ni d'envie, ou de haine, parlent et rendent témoignage; quelque prévenus que soient ceux qui les voient, ils ne peuvent les nier, tant ce témoignage est sûr et certain : car elles demeurent à tous les yeux telles qu'elles ont été faites : c'est pourquoi elles sont au-dessus de tout soupçon et de toute réplique.
Mais observez, mes frères, combien l'évangéliste a soin de ménager les esprits de ses auditeurs, de manière à ne pas choquer même les plus faibles. Il n'entasse point les paroles pour faire ressortir la supériorité que l'un a sur l'autre; mais en opposant la grâce et la vérité à la loi, et ce mot : « A été apportée », à celui-ci : « A été donnée », il montre la différence des choses par leur simple dénomination. Cette différence est grande, car ces mots: « A été donnée », marquent un ministre qui donne ce qu'il a reçu à ceux à qui il lui a été ordonné de le transmettre : mais ceux-ci : « La grâce et la vérité a été apportée », désignent un roi qui remet les péchés par sa puissance et par son autorité, et qui dispose lui-même de ses dons. Voilà pourquoi il disait « Vos péchés vous seront remis ». Et encore: «Or, afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés, il dit au paralytique : Levez-vous, je vous le commande, emportez votre lit, et allez-vous-en en votre maison ». (Marc, II, 9, 10, 11.)
Ne voyez-vous pas de quelle manière la grâce est apportée par Jésus-Christ? voyez aussi comment il a apporté la vérité. Ses paroles, ce qu'il a fait à l'égard du larron, le don du- baptême, la grâce du Saint-Esprit qui nous est donnée par lui, et plusieurs autres choses, montrent visiblement la grâce.
Maintenant, si nous étudions le sens des figures, nous découvrirons plus manifestement la vérité que Jésus-Christ a apportée. Car ce qui devait avoir son accomplissement dans le Nouveau Testament, des figures l'avaient marqué à l'avance autant qu'il appartient à des figures, et Jésus-Christ venant au monde les a accomplies. Examinons donc ces figures dans un petit nombre d'exemples : car le temps ne nous permet pas d'épuiser ce sujet. Le petit nombre de celles que je vais expliquer vous donnera l'intelligence des autres. Voulez-vous que nous commencions par celles qui regardent la Passion de Notre-Seigneur? Que dit la figure ? « Prenez un agneau pour chaque maison, immolez-le et faites comme le Seigneur vous l'a prescrit, et vous le commande ». (Exod. XII, 3.) Jésus-Christ ne parle pas de même, il ne commande pas de faire cela, mais il s'offre et s'immole lui-même à son Père comme une hostie.

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4. Voyez, mes frères, comment la figure a été donnée par Moïse, et la vérité a été apportée par Jésus-Christ. Et encore : sur le mont Sina, lorsque les Amalécites vinrent attaquer les Hébreux, les bras de Moïse étaient soutenus des deux côtés par Hor et Aaron (Exod. XVII), mais Jésus-Christ a tenu lui-même ses mains étendues sur la croix. En quoi vous voyez comment la figure a été donnée et la vérité a été apportée. La loi disait : « Maudit qui« conque ne demeure pas ferme dans ce qui « est écrit dans ce livre (1) ». (Deut. XXVII, 26, LXX.) Mais que dit la, grâce? « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et qui êtes chargés, et je vous soulagerai ». (Matth. XI, 23.) Et saint Paul : « Jésus-Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, s'étant rendu lui-même malédiction pour nous ». (Gal. III, 13.) Puisque nous jouissons donc d'une si grande grâce, et de la vérité, je vous en conjure, mes chers frères, prenons garde que la grandeur de ce don ne nous rende plus lâches et plus paresseux. Plus est grand l'honneur que nous avons reçu, plus aussi doit être grande notre vertu. Celui qui, ayant peu reçu, rapporte peu, n'est pas beaucoup à blâmer mais on jugera digne du plus grand supplice celui qui, élevé au plus haut degré d'honneur, ne fait ensuite rien que de bas et de méprisable.
Mais, à Dieu ne plaise que nous ayons jamais à craindre pour vous rien de semblable : au contraire, nous avons dans le Seigneur cette ferme confiance que vos âmes, comme portées par des ailes, se sont absolument détachées de la terre et élevées jusque dans le ciel, et que, quoique vous demeuriez encore dans ce monde, vous ne vous occupez nullement de ce qui s'y passe. Toutefois, avec cette bonne confiance, nous ne cessons pas de vous réitérer souvent les mêmes avis. Ainsi, dans les combats publics, les spectateurs ne s'attachent qu'à encourager ces braves athlètes qui luttent et courent. vaillamment, et ils ne disent mot à ceux qui se sont laissé renverser et jeter par terre; ils savent que leurs exhortations n'auraient pas le pouvoir de relever ceux qui se

1. Autrement : Maudit celui quine demeure pas ferme dans les ordonnances de cette Loi. Vulg.

sont une fois exclus de la victoire, et ne perdent point leur peine à les réprimander : ici, dans ces combats spirituels, il y a toujours à espérer, non-seulement de vous qui veillez et vous tenez sur vos gardes, mais encore de ceux qui sont tombés, s'ils veulent se relever et changer de vie. Voilà donc pourquoi nous mettons tout en oeuvre : nous usons de prières, d'exhortations, de reproches, de réprimandes, de louanges, pour opérer votre salut.
Ne trouvez donc pas mauvais qu'on vous exhorte souvent à mener une vie simple et honnête. Nos exhortations ne sont point des imputations de négligence; elles attestent seulement les bonnes espérances que nous avons pour vous. Au reste, ce que nous disons et ce que nous avons encore à dire ne vous regarde pas seuls, mais nous aussi. Nous aussi, nous avons besoin des mêmes leçons : quoiqu'elles soient dans notre bouche, ce n'est pas à dire qu'elles ne nous regardent point. La prédication corrige le pécheur, et elle éloigne de plus en plus du péché l'homme de bien qui en est exempt. Et certes, nous-mêmes, nous ne sommes pas sans péché. La médecine nous est commune, les remèdes nous sont également offerts à tous, mais la guérison dépend de notre volonté. Celui qui use du remède comme il faut, recouvre la santé ; celui qui n'applique point de remède à sa plaie, augmente le mal et marche à sa ruine. Gardons-nous donc de murmurer du traitement : au contraire, il faut nous en réjouir, quand la prédication nous causerait d'amères douleurs . le fruit n'en sera que plus délicieux. N'oublions , n'omettons rien, pour arriver à la vie éternelle, exempts des plaies et des blessures que les dents du péché font à l'âme; afin que nous étant rendus dignes de paraître devant Jésus-Christ, nous ne soyons pas en ce terrible jour livrés aux puissances cruelles et vengeresses, mais à celles qui nous introduiront dans l'héritage des cieux, qui est préparé pour ceux qui aiment Dieu. Je le prie de nous en faire part à nous tous, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ; à qui soit, la gloire et l'empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



EXTRAIT DE LHOMÉLIE XVII. ASSURÉMENT, MES FRÈRES, LA VOLONTÉ DE MON COEUR ET MES SUPPLICATIONS A DIEU ONT POUR OBJET LEUR SALUT. (X, 1, JUSQU'À13.)

http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/chrysostome/romains/rom017.htm

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Analyse.

1. Oui, les Juifs (je fais des veaux et des prières pour qu'ils puissent se sauver) sont eux-mêmes , avec leur zèle, dépourvus de sagesse; la cause de leur réprobation, parce qu'ils veulent faire valoir leur justice propre, et qu'ils refusent de se soumettre à l'ordre établi par Dieu pour conduire l'homme à la justice.—L'ordre que Dieu a établi consiste dans la foi en Jésus-Christ, qui est le terme et la tin de la loi.
2. Qu'il y a beaucoup de mérite dans la foi. — Bien qu'ils soient déjà accomplis, les faits qui sont l'objet de la foi sont si grands, qu'ils exigent encore la foi pour être crus. — Cependant la foi n'est pas difficile, car si l'incarnation et la résurrection sont difficiles à croire par elles-mêmes, la difficulté disparaît quand on fait réflexion que c'est Dieu qui agit.
3. Les Juifs qui repoussent la foi n'ont donc plus aucune excuse. — Quiconque croira en Jésus-Christ et professera ce qu'il croit, sera sauvé, sans distinction de Juif ni de Gentil, car Dieu est assez riche pour les sauver tous.
4.5. Contre la vaine gloire. — Combien cette passion est tyrannique et impérieuse. — Des maux qu'elle fait souffrir dès cette vie à ceux qui en sont possédés.


« Car la fin de la loi est le Christ, pour justifier tout croyant (4) ». Voyez la prudence de Paul ! Il avait parlé d'une double justice, de celle de la loi et de celle de la foi. Ceux d'entre les Juifs qui avaient cru et embrassé la justice de la foi, pouvaient craindre comme étant encore néophytes, d'être condamnables, s'ils étaient munis d'une de ces deux justices et dépourvus de l'autre. De plus ils pouvaient encore se promettre d'accomplir la justice de la loi, et dire : Si nous ne l'avons pas accomplie jusqu'ici, nous l'accomplirons certainement à l'avenir. Pour prévenir ces pensées , Paul montre qu'il n'y a qu'une justice, que l'une est absorbée dans l'autre, que celui qui choisit celle de la foi, accomplit aussi celle de la loi, et qu'en rejetant celle-là, on déchoit aussi de celle-ci.
En effet, si le Christ est la fin de la loi, celui qui n'a pas le Christ n'a pas la loi, même quand il paraîtrait l'avoir ; mais celui qui a le Christ a tout, quand même il n'accomplirait pas la loi. La fin de la médecine , c'est la santé. Celui qui peut la rendre est bon médecin, quand même il n'exercerait pas l'art de la médecine; et celui qui ne ,sait pas guérir, n'est pas médecin , parût-il d'ailleurs en exercer l'art: ainsi en est-il pour la loi et la foi; celui qui a celle-ci, a la fin de celle-là; mais celui qui n'a pas la foi, est privé de l'une et de l'autre. En effet, que voulait la loi? Rendre l'homme juste; mais elle ne le pouvait pas, car personne ne l'a accomplie. Justifier l'homme : tel était le but de la loi, tout tendait là : fêtes, commandements, sacrifices, et le reste. Or le Christ a bien mieux atteint ce but par la foi. Ne craignez donc point, dit l'apôtre , d'être transgresseur de la loi, après avoir embrassé la foi ; vous la transgressez quand, à cause d'elle, vous ne croyez pas au Christ; et, au contraire, si vous croyez au Christ, vous accomplissez la loi au-delà même de ce qu'elle exige ; car vous recevez une justice beaucoup plus grande. Mais comme ceci était une assertion, l'apôtre la confirme par l'Ecriture. «Aussi », dit-il, « Moïse écrit que la justice qui vient de la loi... (5) ». Voici ce qu'il veut dire : Moïse nous indique ce que c'est que la justice qui vient de la: loi et- en quoi elle consiste. Quelle est-elle donc, et en quoi consiste-t-elle ? Dans l'accomplissement des commandements. « Celui qui les accomplira », est-il dit, « vivra en eux »: On ne peut être justifié dans la loi qu'en les accomplissant tous; or personne ne l'a pu.
2. Cette justice est,donc tombée. Parlez-nous de l'autre, ô Paul ! de celle qui vient de la grâce. Quelle est-elle, et en quoi consiste-t-elle ? Ecoutez la description exacte qu'il en fait. Après avoir convaincu la première d'impuissance, il en vient enfin à celle-ci. « Mais pour la justice qui vient de la foi, elle parlé ainsi : Ne dis point en ton cœur : Qui montera an ciel? c'est-à-dire, pour en faire descendre le Christ : ou, qui descendra dans l'abîme? c'est-à-dire, pour rappeler le Christ d'entre les morts. Mais que dit l'Ecriture : « Près de toi est la parole, dans ta bouche et dans ton coeur ; c'est la parole de foi que nous annonçons. Parce que si tu confesses de bouche le Seigneur Jésus, et si en ton cœur tu crois que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, tu seras sauvé (6-8) ». Pour que les Juifs ne disent pas : Comment ceux qui n'ont pas trouvé la moindre des deux justices, ont-ils trouvé la plus grande? Il donne un argument irréfutable : c'est que celle-ci est une voie plus facile que celle-là. La justice de la loi exige l'accomplissement de toutes les prescriptions: « Quand tu auras tout accompli, c'est alors que tu vivras ». Mais la justice qui vient de la foi ne dit pas cela. Que dit-elle donc? « Si tu confesses de bouche le Seigneur Jésus et si en ton cœur tu crois que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, tu seras sauvé». Ensuite, pour ne pas la rendre méprisable en la montrant si facile et si simple, voyez comme il s'étend sur ce chapitre. Il n'en vient pas immédiatement à ce que nous avons dit : que dit-il donc? « Mais pour la justice qui vient de la foi, elle parle ainsi : Ne dis point en ton cœur : Qui montera au ciel ? c'est-à-dire, pour en faire descendre le Christ; ou, qui descendra dans l'abîme? c'est-à-direpour rappeler le Christ d'entre les morts ».

331

En effet, comme la vertu pratique a pour obstacles la lâcheté et la mollesse, ennemie du travail, et que l'âme a besoin d'une grande vigilance pour ne pas succomber; ainsi, quand il s'agit de croire, les raisonnements viennent jeter le trouble et le désordre dans l'esprit d'un grand nombre, et il faut une volonté énergique pour les écarter. C'est pourquoi il les produit lui-même, ces raisonnements, et fait encore ici ce qu'il a fait à l'occasion d'Abraham. En effet, après avoir prouvé qu'Abraham a été justifié par la foi, pour ne pas laisser croire que le patriarche a été récompensé sans raison et au hasard, comme si sa foi eût été chose sans valeur, il relève la qualité même de cette foi, en disant : « Qui ayant espéré contre l'espérance même , a cru qu'il deviendrait le père d'un grand nombre de nations, et sa foi ne faiblit point; il ne considéra ni son corps éteint, ni l'impuissance de Sara ; il n'hésita point en défiance de la promesse de Dieu; mais il se fortifia par la foi, rendant gloire à Dieu, a pleinement assuré que tout ce qu'il a promis, il est puissant pour le faire ». (Rom. IV, 18, 99, 20, 21.) Et il a prouvé qu'il faut de la force et une âme élevée, qui espère contre l'espérance et ne se heurte point contre les choses visibles. Ici il en fait autant, et montre qu'il faut un esprit sage, une âme grande et capable de s'élever jusqu'au ciel. Il ne dit pas simplement : Ne dis point, mais : « Ne dis point en ton coeur », c'est-à-dire, ne t'avise pas d'hésiter et de dire en toi-même : Comment cela se peut-il? Voyez-vous comme c'est là surtout le propre de la foi de laisser toutes les conséquences terrestres pour s'attacher à ce qui est au-dessus de la nature, de rejeter tous les vains raisonnements pour tout attendre de la puissance de Dieu ?
Cependant les Juifs ne se contentaient pas de dire cela, ils prétendaient qu'on ne peut pas être justifié par la foi. Mais Paul, pour établir le contraire, cite un fait accompli, afin de démontrer que: ce fait était tellement élevé que même, depuis qu'il est accompli, il exige encore de la foi, et de -prouver par là que la foi mérite récompense. Il emploie pour cela les paroles de l'Ancien Testament, toujours pour écarter de lui l'accusation d'innovation et d'hostilité contre la loi. Car ce qu'il dit ici de la foi, Moïse le leur avait dit de la loi, pour leur montrer que Dieu leur avait fait une grande grâce. Vous ne pouvez, leur dit-il, objecter qu'il faut monter au ciel ou traverser l'étendue de la mer pour recevoir les commandements ; ces commandements si grands, si sublimes, Dieu nous les a rendus faciles. Que signifient ces mots : « Près de toi « est la parole ? » c'est-à-dire, elle est facile : car ton salut est dans ton esprit et sur ta langue. Il n'est pas nécessaire de faire une longue route, de traverser la mer ou de passer les montagnes, pour être sauvé; si vous ne voulez pas franchir le seuil de votre maison, vous pouvez rester assis chez vous et vous sauver : car le principe du salut est dans votre bouche et dans votre coeur.
Ensuite Paul, pour faciliter encore la foi, dit: « Dieu l'a ressuscité d'entre les morts ». Considérez la dignité de celui qui agit, et vous ne verrez plus de difficulté dans les choses. La résurrection prouve donc clairement que le Christ est le Seigneur : ce que Paul avait dit au commencement de son épître : « Qui a été désigné Fils de Dieu par la résurrection d'entre les morts ». Or que la résurrection soit facile, la puissance de celui qui l'opère, le démontre aux plus incrédules. Donc puisque la justice de la foi est plus grande, qu'elle est facile, aisée à embrasser, et qu'on ne peut d'ailleurs être justifié autrement, n'est-ce pas un excès d'obstination de laisser ce qui est facile pour s'attacher à l'impossible? Car ils ne sauraient dire qu'ils rejettent la justice de la foi à cause de ses difficultés.
3. Voyez-vous comme Paul leur ôte tout motif d'excuse? Comment, en effet, seraient-ils pardonnables de laisser ce qui est facile pour s'attacher à ce qui est difficile, de négliger ce qui procure le salut pour embrasser ce qui ne peut sauver? Ce ne peut être autre chose que l'effet d'un esprit de, contention et en révolte contre Dieu. Car la loi est pénible et la grâce facile; malgré des efforts infinis, la loi ne sauve pas; la grâce procure sa justice propre et celle de la loi. Comment donc les excuser de repousser la grâce pour s'attacher inutilement et sans résultat à la loi. Puis , comme il a avancé une chose importante, il l'appuie sur le témoignage de l'Ecriture. « En effet, l'Ecriture dit: Quiconque croit en lui, ne sera point confondu. Car il n'y a point de distinction de Juif et. de Grec; parce que c'est le même Seigneur de tous, riche pour tous ceux qui l'invoquent. Car quiconque (332) invoquera le nom du Seigneur, sera sauvé (11-13) ». Le voyez-vous produire des témoignages en faveur de la foi et de la confession ? En effet, ces mots : « Quiconque croit», désignent la foi; et ceux-ci : « Quiconque invoquera », se rapportent à la confession. Ensuite, pour indiquer que la foi est commune à tous, et pour réprimer leur orgueil, il rappelle brièvement ce qu'il a longuement expliqué plus haut, à savoir qu'il n'y a point de différence entre le Juif et l'incirconcis. «Car », dit-il, « il n'y a point de distinction de Juif et de Grec ». Et ce qu'il avait dit du Père; en en donnant la preuve, il le répète ici du Fils. En effet, comme il avait dit plus haut dans sa démonstration : « Dieu est-il le Dieu des Juifs seulement? Ne l'est-il pas aussi des Gentils? Oui certes, des Gentils aussi, puisqu'il n'y a qu'un seul Dieu» ; de même il dit ici : « Parce que c'est le même Seigneur de tous, riche pour tous ceux qui l'invoquent ». Voyez-vous comme il nous montre le désir ardent que Dieu a de notre salut, puisqu'il le regarde comme sa richesse propre; en sorte qu'ils ne doivent ni désespérer, ni se regarder comme exclus du pardon , pourvu qu'ils veuillent se repentir? En effet, celui qui regarde notre salut comme sa propre richesse, ne cessera pas d'être riche, puisque cette richesse consiste précisément à répandre ces dons sur tous. Et comme ce qui les troublait le plus, c'était, après avoir occupé le premier rang sur la terre, de descendre de ce trône de gloire, en vertu de la foi, et de n'avoir rien de plus que les autres, souvent il leur cite les prophètes qui célèbrent cette égalité d'honneur. « Quiconque croit en lui », dit-il, « ne sera point confondu » ; et encore : « Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé ».Toujours : « Quiconque», afin qu'ils ne puissent rien objecter.
Mais il n'y a rien de pire que la vaine gloire; c'est là, c'est là surtout ce qui les a perdus. C'est pourquoi le Christ leur disait : « Comment pouvez-vous croire, vous qui recevez la gloire l'un de l'autre, et ne cherchez point la gloire qui vient de Dieu seul ? » (Jean, V, 44.) Outre la ruine, cette passion entraîne encore un immense ridicule, et, même avant le châtiment à venir, elle nous jette ici-bas dans une multitude de maux. Pour vous en convaincre, laissons un moment de côté le ciel dont elle nous exclut, l'enfer où elle nous précipite, et examinons, si vous le voulez, la question au point de vue terrestre. Qu'y a-t-il de plus coûteux ? Qu'y a-t-il de plus honteux et de plus difficile ? Que cette maladie soit coûteuse, on le voit par les dépenses inutiles et stériles qui se font pour les théâtres, les hippodromes et autres largesses déplacées, par la construction de maisons splendides et magnifiques, et tant d'autres prodigalités superflues qu'il n'est pas possible d'énumérer. Il est évident pour tout le monde qu'un malade aussi dépensier, aussi ami du luxe, doit nécessairement être voleur et ambitieux. Pour nourrir le monstre, il jette la main sur le bien d'autrui. Que dis-je, sur le bien? Ce feu ne dévore pas seulement les biens, mais aussi les âmes; il ne tue pas seulement pour le temps, mais aussi pour l'éternité. La vaine gloire est la mère de l'enfer; c'est elle qui allume cette flamme violente et crée te ver empoisonneur. Ne la voit-on pas étendre son empire jusque chez les morts ? Et y a-t-il quelque chose de pire? Toutes les autres passions s'éteignent à la mort; celle-là exerce encore des violences même après la mort, et s'efforce de montrer sa nature jusque dans un cadavre. Quand des mourants ordonnent qu'on leur dresse des tombeaux magnifiques où toute leur fortune doit s'absorber, quand ils veillent à ce qu'on déploie à leurs funérailles un luxe extravagant, tandis que pendant leur vie ils répondent par des injures aux pauvres qui leur demandent une obole ou un morceau de pain , pour fournir après leur mort une curée abondante aux vers du sépulcre : est-il besoin de chercher d'autres traits pour peindre cette tyrannique maladie ? C'est d'elle que naissent les amours illicites : car ce n'est pas la beauté de la figure, ni la jouissance de l'union charnelle qui en entraîne un grand nombre dans l'adultère, mais le désir de pouvoir dire : J'ai séduit une telle.
4. A quoi bon passer en revue les autres maux qui pullulent de cette racine? J'aimerais mieux être l'esclave de mille barbares que de la vaine gloire : car les barbares n'exigent pas de leurs prisonniers ce qu'elle exige de ses sujets. Sois, dit-elle, l'esclave de tous, qu'ils soient au-dessus ou au-dessous de toi; méprise ton âme, néglige la vertu, ris de la liberté, sacrifie ton salut; si tu fais quelque bien , que ce ne soit pas pour plaire à Dieu, mais par ostentation, afin d'en perdre la (333) récompense; que tu fasses l'aumône ou que tu jeûnes, portes-en la peine, mais aie soin d'en perdre le profit. Quoi de plus cruel que ces ordres ? De là vient la jalousie, de là l'orgueil, de là l'avarice, mère de tous les maux. Car ces essaims de domestiques, ces satellites étrangers, les parasites, les flatteurs, les chars revêtus d'argent, et tant d'autres choses encore plus ridicules ne sont pas pour le plaisir ou pour le besoin , mais uniquement pour la vaine gloire. Soit, direz-vous; il est évident pour tout le monde que cette passion est mauvaise; mais ce qu'il faut nous dire, c'est le moyen de l'éviter. Le meilleur moyen, c'est de vous bien convaincre que c'est une maladie terrible; ce sera un excellent commencement de conversion; car dès que le malade est convaincu de sa maladie, il s'empresse de chercher un médecin. Si vous cherchez un autre moyen d'échapper, tenez sans cesse vos yeux vers Dieu et contentez-vous de sa gloire. Si le mal vous chatouille encore et vous porte à vous vanter de vos mérites devant vos frères, songez qu'il n'y a là aucun profit, étouffez ce désir coupable et dites à votre âme : Tu as mis tarit de temps à enfanter tes bonnes actions, et tu n'a pas eu la force de les tenir sous le voile du silence, mais tu les a divulguées; quel avantage en as-tu retiré? Aucun: pas autre chose qu'une perte complète, que la perte de ce que tu avais si laborieusement recueilli.
Songez de plus que le suffrage et l'opinion populaire sont viciés, non-seulement viciés , mais bientôt flétris. On peut vous admirer une heure; puis, le moment passé, on oublie tout; on vous a enlevé la couronne que Dieu vous préparait et on vous retire celle que l'ou vous offrait. Si celle-là nous fût restée, t'eût été chose misérable de l'échanger contre l'autre ; mais comme elle nous a échappé , comment nous excuserons-nous d'avoir sacrifié celle qui ne passe pas à celle qui passe , d'avoir perdu tant d'avantages pour obtenir les éloges de quelques hommes? Et quand le nombre des approbateurs serait considérable, on n'en serait pas moins malheureux; on le serait même d'autant plus qu'ils seraient plus nombreux. Si ce que je dis vous étonne , écoutez le témoignage du Christ : « Malheur à vous, quand tous les hommes diront du bien de vous ». (Luc, VI, 26.) Et c'est juste. Si, dans tous les arts, il faut s'en rapporter au jugement des artistes eux-mêmes, comment, en fait de vertu, s'en rapporter à la foule, et non avant tout à celui qui sait tout, et qui peut vous applaudir et vous couronner? Ecrivons donc sur nos murs, sur nos portes, dans nos coeurs, et répétons-nous souvent à nous-mêmes cette parole : Malheur à nous , quand tous les hommes disent du bien de nous ! Car ceux-là mêmes qui vous louent, vous accusent de vaine gloire, d'ambition , d'amour de la -renommée. Il n'en est pas ainsi de Dieu ; s'il vous voit épris de sa gloire. il vous approuve, il vous admire, il fait votre éloge. Et l'homme, au contraire, vous faisant son esclave, de libre que vous étiez, vous donnant d'un seul mot une louange menteuse, vous enlève votre vraie récompense et vous met à ses ordres, au-dessous de l'esclave qu'on achète. En effet, celui-ci n'obéit que sur l'ordre de son maître ; et vous, vous obéissez sans ordre. Car vous n'attendez pas qu'on vous commande ; dès que vous savez comment plaire aux autres, vous faites tout, bien qu'on ne vous ordonne rien. Quel enfer ne méritons-nous pas, nous qui faisons plaisir à des méchants, qui leur obéissons sans qu'ils nous commandent, et quine montrons point la même docilité à l'égard de Dieu, quoique chaque jour il nous donne des ordres et nous adresse des exhortations.
Du reste, si vous aimez la gloire et la louange, fuyez celles qui viennent des hommes, et vous obtiendrez la gloire; détournez-vous de la renommée, et vous recevrez mille louanges et de Dieu et des hommes. Car nous avons coutume de ne glorifier personne autant que celui qui méprise la gloire, de ne louer, de n'admirer personne autant que celui qui dédaigne d'être admiré et loué. Or, si nous agissons ainsi, à bien plus forte raison le Dieu de l'univers. Or, s'il vous glorifie et vous loue, n'êtes-vous pas le plus heureux des hommes? Autant il y a de distance entre la gloire et le déshonneur, autant il y a de différence entre la gloire d'en-haut et la gloire humaine; que dis-je? La différence est bien plus grande, elle est infinie. Car si la gloire humaine, prise en elle-même et sans comparaison avec d'autre , est déjà honteuse et hideuse à voir, combien paraîtra-t-elle plus laide encore, comparée à celle d'en-haut? Les esclaves de la vaine gloire sont comparables à une prostituée qui se livre à tout venant; ils sont même plus ignobles (334) qu'elle. En effet, quelquefois les femmes perdues dédaignent certains de leurs amants ; mais vous, vous vous prostituez à tout le monde, aux esclaves fugitifs, aux voleurs, aux coupeurs de bourse. Car ce sont ces gens et d'autres du même genre qui composent les théâtres où on vous loue; des êtres qui sont, chacun en particulier, l'objet de vos mépris , vous les préférez à votre propre salut, quand ils sont réunis, et vous vous ravalez bien au-dessous d'eux.
5. Et comment ne seriez-vous pas plus ignobles qu'eux, vous qui avez besoin de leurs éloges, et qui n'êtes pas satisfait si vous ne recevez de la gloire des autres? Outre ce que nous avons dit, vous ne songez donc pas qu'étant ainsi en évidence et exposé à tous les regards, vous aurez des milliers d'accusateurs quand vous commettrez une faute ; tandis qu'étant inconnu , vous seriez au moins en sécurité? Oui, dites-vous, mais aussi quand je fais le bien, j’ai des milliers d'admirateurs. Eh ! c'est là le danger que la maladie de vaine gloire vous nuise, non-seulement quand vous faites le mal, mais aussi quand vous faites le bien; dans le premier cas, en scandalisant une foule de personnes, dans le second, en vous privant de votre récompense. Dans l'ordre social, c'est une chose déplorable et ignominieuse que d'aimer la gloire; mais quand vous portez cette maladie dans l'ordre spirituel, quel pardon pouvez-vous espérer, vous qui ne voulez pas même rendre à Dieu l'honneur que vous recevez dé vos serviteurs ? En effet, le serviteur a l'oeil fixé sur les yeux de son maître, le mercenaire sur celui de qui il attend son salaire, le disciple sur celui qui lui fait la leçon; et vous, au contraire, laissant de côté Dieu , le maître qui vous a pris à gage, vous avez l'œil fixé sur vos compagnons de service, bien que vous sachiez que Dieu se souviendra de vos bonnes actions après cette vie, tandis que l'homme ne s'en occupe que dans le temps; et quand vous avez des spectateurs assis dans le ciel , vous en cherchez sur la terre.
Un athlète désire être couronné là où il a combattu; et vous qui combattez en haut, vous voulez être couronné en bas. Y a-t-il une folie pire que celle-là ? Maintenant examinons, s'il vous plaît, les couronnes : l'une est formée par l'orgueil, l'autre par la jalousie, celle-ci par la fausseté et l'adulation, celle-là par l'argent , une autre par l'esprit de servilité. Comme les enfants dans leurs jeux se mettent réciproquement des couronnes d'herbe sèche; puis rient, par derrière, de celui qui est ainsi couronné sans s'en apercevoir ; ainsi ceux qui vous louent, vous mettent une couronne d'herbe sèche, puis se moquent de vous entre eux; et plût au ciel que ce ne fût que de l'herbe sèche, mais cette couronne est extrêmement nuisible et détruit tous nos mérites. Considérez donc son peu de valeur et évitez la perte qu'elle entraîne. A combien pensez-vous que se montent vos approbateurs? A cent, à deux cents, à trois cents, à quatre cents? Mettons plus encore, et si vous le voulez, dix fois , vingt fois autant; qu'ils soient deux mille, quatre mille; que dix mille même, si cela vous plaît, fassent retentir des applaudissements à votre honneur; ils ne ressembleront qu'à une troupe de geais qui crient; bien plus, si vous songez au théâtre des anges, ils vous paraîtront plus vils que des vers de terre, et leurs applaudissements plus faibles que des toiles d'araignées, que de la fumée, que des songes.
Ecoutez comment Paul, qui l'avait si bien compris, les repousse, bien loin de les rechercher: «Pour moi, à Dieu ne plaise que je me glorifie , si ce n'est dans la croix du à Christ ! » (Gal. VI, 14.) Et vous aussi , cherchez cette gloire, pour ne pas irriter le Maître. Car ce n'est pas seulement vous, mais Dieu aussi que vous outragez par cette conduite. Si vous étiez peintre, que vous eussiez un élève et que cet élève, dédaignant de vous montrer son tableau, allât simplement l'exposer aux regards des observateurs, vous en seriez indigné. Or si c'est là une injure entre serviteurs, à bien plus forte raison envers le Maître. Si vous voulez apprendre un autre moyen de mépriser la vaine gloire, élevez-vous en esprit, riez du monde visible, augmentez en vous l'amour de la vraie gloire. Emplissez-vous de sagesse spirituelle , dites à votre âme comme Paul : « Ne sais-tu pas que nous jugerons les anges? » Et après l'avoir ainsi relevée, grondez-la et dites-lui : Toi qui dois juger les anges, tu veux être jugée par des hommes impurs, être applaudie des danseurs, des comédiens, des gladiateurs, des cochers? Car voilà la célébrité qu'on poursuit.
Mais vous, prenez un vol qui vous élève au-dessus de ces clameurs, imitez Jean, (335) l'habitant du désert, voyez comme il méprise la foule; comme l'aspect des flatteurs ne l'émeut pas; comme, en voyant tous les habitants de la Palestine l'entourer saisis d'admiration et d'étonnement, il ne s'enorgueillissait point de tant d'honneurs, comme, au contraire, il s'élevait contre eux, et traitant ce peuple comme un enfant, il les réprimandait en disant : « Serpents, race de vipère ». (Matth. III, 7.) Cependant c'était à cause de lui qu'ils accouraient, c'était pour voir cette tête sacrée qu'ils abandonnaient les villes; mais rien de tout cela ne l'amollissait : tant il était ennemi de la gloire et exempt d'orgueil.
Ainsi encore Etienne voyant ce même peuple, non plus l'entourant de respect, mais saisi de fureur et grinçant les dents, s'élevait au-dessus de cette tempête et disait : « Hommes à tête dure et aux coeurs incirconcis ». (Act. VII.) Ainsi Elie, en présence de deux armées, du roi et de tout le peuple, disait : « Jusqu'à quand boiterez-vous des deux côtés? » (III Rois, XVIII, 21.) Mais nous , nous flattons tout le monde, nous nous mettons au service de tout le monde, afin d'acheter l'honneur au prix de notre servilité. Voilà pourquoi tout est sens dessus dessous, nous perdons la grâce, le christianisme est trahi, et on néglige tout pour acquérir l'estime de la foule. Chassons donc ce vice, et nous saurons alors ce que c'est que la liberté, le port, le calme. Car l'ami de la vaine gloire ressemble aux gens battus de la tempête; toujours il tremble, toujours il craint, ayant mille maîtres à servir; tandis que celui qui est exempt de cette tyrannie, ressemble à ceux qui sont au port et jouissent d'une sécurité parfaite. Tout autre est la situation de celui-là; plus il est connu, plus il a de maîtres, obligé qu'il est de les servir tous. Comment donc nous débarrasserons-nous de ce terrible esclavage ? En aimant l'autre gloire, la véritable gloire. Car comme ceux qui aiment les corps sont détachés d'une figure moins belle par une figure plus belle; ainsi, par son éclat, la gloire céleste pourra détacher les amants de la gloire terrestre. Contemplons-la donc, apprenons à la bien connaître, afin que, saisis d'admiration pour sa beauté, nous ayons horreur de la difformité de l'autre, et que nous goûtions en elle une grande et perpétuelle volupté. Puissions-nous tous l'obtenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui la gloire ,l'empire, l'honneur appartiennent au Père et en même temps au Saint-Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


PARTIE DE L’HOMÉLIE XVIII. COMMENT DONC INVOQUERONT-ILS CELUI EN QUI ILS N'ONTPOINT CRU? COMMENT CROIRONT-ILS EN CELUI QU'ILS N'ONT PAS ENTENDU? ET COMMENT ENTENDRONT-ILS SI PERSONNE NE LES PRÊCHE ? ET COMMENT PRÊCHERA-T-ON SI ON N'EST PAS ENVOYÉ? COMME IL EST ÉCRIT. (X, 14, 15, JUSQU'A XI, 6.)

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336

Analyse.

1. Comment saint Paul continue à résoudre toutes les difficultés que les Juifs soulevaient contre la foi en Jésus-Christ. — Le salut dépend de l'invocation du nom du Seigneur Jésus; l'invocation dépend de la foi ; la foi, de l'audition ; l'audition, de la prédication ; et la prédication, de la mission : or, les apôtres ont reçu cette mission. — Il ne faut pas vouloir ne s'en rapporter qu'aux miracles, ta foi vient de l'audition de la parole de Dieu.
2. Les Juifs ne peuvent dire qu'ils n'ont pas entendu la prédication, puisqu'elle a éclaté dans tout l'univers; ni qu'ils ne l'ont pas comprise, puisque les prophéties d'Isaïe et de Moise touchant la vocation et la conversion des Gentils, ont dû leur ouvrir les yeux. — Ce qui aggrave encore la faute des Juifs, c'est que Dieu n'a pas cessé de les appeler et qu'ils se sont obstinés dans une incrédulité et une contradiction également prédites par les prophètes.
3. Les expressions : Je me suis montré, j'ai été trouvé, marquent l'action de la grâce, sans exclure le mérite de ceux qui ont su voir et trouver.— Cependant Dieu n'a pas rejeté absolument son peuple.
4. Celui dont Dieu a prévu qu'il croirait en Jésus-Christ , il ne l'a point rejeté. — Il en est de lui comme de ceux qui demeurèrent fidèles au temps d'Elie. — Quoique la promesse regarde tout le peuple, il n'y a cependant de sauvés que ceux qui en sont dignes, et que ceux que Dieu s'est réservés selon l'élection de sa grâce.
5-7. De la reconnaissance des grâces de Dieu. — En quoi consiste la véritable action de grâces. — De l'excellence d'une âme chrétienne.

1. Encore une fois, il leur ôte tout espoir de pardon. Après avoir dit : « Je leur rends ce témoignage qu'ils ont du zèle pour Dieu, mais non selon la science »; et encore : « Ignorant la justice de Dieu, ils ne se sont pas soumis », il montre qu'ils doivent être punis de Dieu pour cette ignorance. Il ne le dit cependant pas aussi expressément; mais il le prouve en procédant par interrogation, et en tissant tout ce passage d'objections et de réponses, pour rendre sa proposition plus évidente. Examinez un peu. « Autrefois », dit-il, « le prophète a dit : Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé ». Mais quelqu'un objectera peut-être : Comment invoqueront-ils celui en qui ils n'ont point cru? Après quoi, une question de sa part, après l'objection : Et pourquoi n'ont-ils pas cru? Puis une objection encore : Car on pourrait évidemment dire : Comment croiront-ils sans avoir entendu? Or, répond-il, ils ont entendu. Puis encore une autre objection : Et comment ont-ils pu entendre, si personne ne les prêchait? Ensuite la solution : Or, beaucoup ont prêché et ont été envoyés pour cela. Et comment voit-on que ces prédicateurs ont été envoyés ?Alors Paul invoque le témoignage du prophète qui dit: « Qu'ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix, qui annoncent le bonheur ! (Is. LII, 7.) Voyez-vous comme il désigne les prédicateurs par le genre même de la prédication? Ils ne prêchaient pas autre chose que le bonheur ineffable et la paix qui s'était faite entre Dieu et les hommes. Ainsi, dit-il, en ne croyant pas, ce n'est pas à notre parole que vous êtes incrédules, mais à celle d'Isaïe, qui a annoncé, depuis bien des années, que nous serions envoyés, que nous prêcherions et que nous dirions ce que nous avons dit. Si donc le salut dépend de l'invocation; l'invocation, de la foi; la foi, de l'audition; l'audition, de la prédication, et la prédication, de la mission; les apôtres ont reçu la mission et ils ont prêché, et (337) le prophète s'en allait avec eux, pour les montrer, les proclamer et dire : Voilà ceux que j'ai annoncés dès les anciens temps, ceux dont j'ai chanté les pieds à cause de l'objet de leur prédication. Il est donc clair que s'ils n'ont pas cru, c'est de leur faute : car Dieu a tout fait de son côté.
« Mais tous n'ont pas obéi à l'Evangile. Car Isaïe dit : Seigneur, qui a cru à ce qu'il a ouï de nous? Donc la foi vient par l'audition et l'addition par la parole de Dieu » (16, 17.) On faisait une autre objection en disant : Si ceux-là étaient les envoyés, et les envoyés de Dieu, comment n'ont-ils pas persuadé tout le monde? Or, voyez la prudence de Paul, et comme il démontre que ce qui causait le trouble des incrédules était précisément ce qui devait l'empêcher. Qu'est-ce qui vous scandalise? ô Juif, leur dit-il. Vous vousétonnez de ce que tous n'ont pas cru à l'Evangile, après un témoignage d'une telle nature, d'une telle autorité, après la démonstration par les faits? C'est précisément ce fait que tous n'ont pas obéi, qui, joint aux autres preuves, doit vous faire ajouter foi à ce que nous disons Car le prophète l'avait prédit dès les temps anciens. Voyez- cette admirable sagesse , comme il démontre plus qu'on ne s'y attendait, plus qu'on n'en pouvait réfuter. Qu'objectez-vous? leur dit-il. Que tous n'ont pas obéi à l'Evangile? Mais Isaïe l'avait annoncé d'avance ; il avait non seulement annoncé cela, mais beaucoup plus encore. En effet, vous objectez que tous n'ont pas obéi à l'Evangile; or, Isaïe en a prédit davantage. Que dit-il donc? « Seigneur, qui a cru à ce qu'il a ouï de nous? »
Ensuite, après avoir détruit cette cause de trouble en citant le témoignage du prophète, Paul revient à son premier sujet. En effet, après avoir dit qu'il faut pour se sauver invoquer le nom de Jésus-Christ, que, pour l'invoquer, il faut croire, que pour croire, il faut entendre, que pour entendre, il faut des prédicateurs à qui on prête l'oreille ; que pour prêcher il faut être envoyé, et avoir démontré que des prédicateurs ont été envoyés et que la prédication a eu lieu; sur le point de présenter une autre objection, il prend occasion de l'autre témoignage du prophète, qui lui a servi à résoudre l'objection qu'il vient dé rapporter, et il rattache et entrelace ainsi la seconde objection à la première. En effet, comme il a cité cette parole du prophète : « Seigneur, qui a cru à ce qu'il a ouï de nous ? » Saisissant à propos ce témoignage, il dit : « La foi vient donc par l'audition ». Il ne se contente pas de dire cela; mais comme en tout temps les Juifs demandaient continuellement des miracles, et voulaient tous les jours voir ressusciter des morts, il leur dit que le prophète a annoncé que la foi doit nous venir par l'audition. Voilà pourquoi il commence par là et dit : « La foi vient donc par l'audition ». Ensuite, comme ce point paraissait de peu d'importance, voyez comme il le relève : Je ne prétends pas simplement, dit-il, qu'il faut écouter, ni qu'il faut écouter des paroles humaines et y croire, mais je parle d'une audition de grande importance : L'audition de la parole de Dieu. Car les apôtres ne parlaient pas d'eux-mêmes, mais ils annonçaient ce qu'ils avaient appris de Dieu : ce qui est le plus grand des miracles. Car il faut également croire et obéir à Dieu, soit qu'il parle, soit qu'il fasse des prodiges. Car les oeuvres et les miracles sont les fruits de sa parole, puisque c'est ainsi que le ciel et la terre ont été créés.
2. Après avoir démontré qu'il faut croire aux prophètes qui annoncent toujours la parole de Dieu et qu'il ne faut rien demander de plus que l'audition, il produit l'objection dont j'ai parlé et dit : « Cependant, je le de« mande : est-ce qu'ils n'ont pas entendu? » — Mais, dira-t-on, si les prédicateurs ont été envoyés, et s'ils ont prêché ce qu'ils avaient reçu l'ordre de prêcher, et qu'on n'ait point entendu ? — Voici la solution complète de l'objection. « Certes, leur voix a retenti par toute la terre , et leurs paroles jusqu'aux extrémités du monde (18) ». Que dites-vous? demande-t-il. lis n'ont pas entendu? Le monde entier et les extrémités de la terre out entendu et vous chez qui les prédicateurs ont passé si longtemps, de la race desquels ils étaient, vous n'avez pas entendu? Est-ce possible? Si les extrémités de la terre ont entendu, à plus forte raison vous.



ACTES DES APOTRES 3 :1-16
LA GUERISON DU BOITEUX
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HOMÉLIE VIII. OR, PIERRE ET JEAN MONTÈRENT ENSEMBLE AU TEMPLE, A LA PRIÈRE DE LA NEUVIÈME HEURE. (ACT. III, 1, JUSQU'AU VERSET 11.)

ANALYSE. 1. Le sujet de cette homélie est la guérison d'un boiteux opérée par les apôtres saint Pierre et saint Jean, et pour mieux faire ressortir l'éclat du miracle, l'orateur constate d'abord l'état de cet homme. — Il développe ensuite tous les détails de ce miracle, et loue la conduite pleine de reconnaissance que tint ce boiteux.
2. Cependant le peuple s'étant rassemblé, Pierre en prend occasion de faire connaître Jésus-Christ. — Ici saint Chrysostome, après avoir rappelé le discours fait dans le cénacle, montre l'apôtre s'élevant dans celui-ci à une plus grande hauteur de force et de confiance. — Mais soudain il interrompt son sujet, et, abordant une question de morale, il exhorte. ses auditeurs à travailler courageusement à l'acquisition des vertus chrétiennes, leur prouvant que l'habitude d'une seule facilite la pratique de toutes les autres.
3. C'est pourquoi il les supplie avec prières et avec menaces d'extirper du milieu de Constantinople le jurement et le blasphème, et montre quelle sera sur l'univers entier l'heureuse influence d'un tel exemple. — Si un petit nombre seulement obéit à la voix du pasteur, il s'en consolera, parce qu'il vaut mieux pour lui n'avoir à diriger que quelques brebis dociles que de commander à une multitude de chrétiens qui déshonorent aux yeux des païens la sainteté de la religion.


1. Une étroite amitié unissait les deux apôtres, Pierre et Jean. Aussi voyons-nous 'que, dans la dernière cène, « Pierre fait signe à Jean », et qu'ils courent tous deux au tombeau. C'est encore Pierre qui interroge Jésus-Christ au sujet de Jean, et lui dit : « Et (15) celui-ci, que deviendra-t- il?» (Jean, XXI, 21.) Saint Luc, qui a omis le récit de plusieurs autres miracles, y rapporte là guérison du boiteux, parce qu'elle frappa plus fortement tous ceux qui en furent témoins. Mais observons tout d'abord que les deux apôtres ne montèrent point. au temple dans le dessein d'opérer un miracle, car, à l'imitation de leur divin Maître, ils évitaient tout ce qui pouvait tourner à leur avantage. Pourquoi donc vinrent-ils au temple ? Est-ce qu'ils observaient encore le culte mosaïque? Nullement : trais c'était pour l'édification générale. Nous les voyons en effet opérer un prodige nouveau qui les affermit eux-mêmes dans leur vocation, et qui détermine la conversion d'un grand nombre de disciples. Ce boiteux l'était de naissance, et par conséquent incurable par les moyens ordinaires. Il était âgé de quarante ans, comme on va nous le dire, et depuis quarante ans on n'avait pu le guérir. Au reste vous savez assez combien toute infirmité de ce genre est rebelle aux traitements de la médecine, et la sienne était si grande qu'il ne pouvait même pourvoir aux besoins de son existence.
Du reste tout contribuait à le faire connaître, le lieu où il se tenait, et le genre même de son infirmité. « Or, il y avait, » dit saint Luc, un homme boiteux dès le sein de sa mère, qui était porté, et qu'on plaçait chaque jour à la porte du temple, appelée la Belle-Porte, pour demander l'aumône à ceux qui y entraient ». Il demandait donc l'aumône, et ne connaissait pas les apôtres auxquels il s'adressait. « Voyant Pierre et Jean entrer au temple, il les pria de lui «donner l'aumône. Mais Pierre et Jean le fixèrent, et Pierre lui dit: Regardez-nous ». A ces mots, il ne se lève point, et persiste à leur demander l'aumône. Car telle est la coutume du pauvre, il ne se rebute point d'un premier refus, et renouvelle ses instances. Rougissons donc, nous qui cessons de prier, si le Seigneur ne nous exauce sur-le-champ. Au reste voyez comme Pierre se hâte de lui adresser une parole de bienveillance : « Regardez-nous » , lui dit-il. Ainsi s'épanchaient au dehors les dispositions de son âme. «Mais celui-ci les regarda attentivement, «espérant en recevoir quelque aumône. Or, « Pierre dit : Je n'ai ni or, ni argent; mais ce que j'ai , je te le donne ». Il ne dit point : Je te donne une chose bien plus précieuse que l'argent; que dit-il donc? « Au nom de Jésus-Christ de Nazareth, lève-toi et marche, et l'ayant pris par la main droite, il le souleva». L'apôtre imita dans cette circonstance le Sauveur Jésus, qui, lui aussi, tendait la main à tous ceux dont la foi était faible et chancelante, pour prouver que ce n'était pas en eux un mouvement spontané.
« Et l'ayant pris par la main droite, il le souleva.». Cette guérison attestait la résurrection de Jésus-Christ, car elle en était une image. « Et aussitôt ses jambes et ses pieds s'affermirent; et, s'élançant , il se leva et marcha ». Il s'essayait, pour ainsi dire, à marcher, et il expérimentait si ses jambes pourraient le soutenir; il avait des pieds, mais ils étaient perclus. Quelques-uns même disent que dans le premier moment il ne savait pas marcher. « Et marchant, il entra avec eux dans le temple ». En vérité, voilà un étonnant prodige. Ce boiteux n'est point conduit par les deux apôtres, mais il les suit, et fait ainsi connaître ses bienfaiteurs. Bien plus , sautant de joie, il louait le Seigneur, et non les hommes, car il ne les regardait que comme tes instruments de la bonté divine. C'est ainsi qu'il se montrait reconnaissant.
Mais revenons sur l'explication des versets précédents. « Pierre et Jean montaient au temple à la neuvième heure de la prière ». Peut-être était-ce l'heure où l'on y portait le boiteux, parce que , à ce moment, le temple était plus fréquenté. Au reste saint Luc réfute tout autre motif que celui de recevoir l'aumône , car il dit expressément : « On le plaçait à la porte du temple pour demander l'aumône à ceux qui y entraient». Ce détail si précis est une preuve de la sincérité du récit. Mais pourquoi , direz-vous, ses parents ne l'avaient-ils pas conduit à Jésus-Christ? Peut-être étaient-ils eux-mêmes incrédules; et, en effet, quoiqu'ils se trouvassent en ce moment dans le temple, ils ne le présentèrent point aux deux apôtres. Cependant ils les virent entrer, et ils ne pouvaient ignorer les grands prodiges qu'ils avaient déjà opérés. « Il les priait de lui faire l'aumône ». Il les reconnut sans doute à leur extérieur pour des hommes charitables, aussi s'empressa-t-il de les arrêter.
Il n'est pas inutile d'observer qu'ici saint Jean garde le silence, et que saint Pierre (16) parle en son nom. « Je n'ai », dit-il, « ni or, ni argent ». Il ne dit point, comme nous, je n'ai pas sur moi ; mais absolument: je n'ai pas. Vous rejetez donc ma demande, pouvait lui dire ce boiteux. Non, reprenait Pierre; mais je vous fais part de ce que j'ai. Voyez l'humble modestie de l'apôtre ! il ne se glorifie point même devant celui dont il va devenir le bienfaiteur. On ne voit ici agir que les lèvres et la main. Ce boiteux représentait les Juifs , qui, au lieu d'implorer la guérison, de leurs âmes, rampaient sur la terre, et ne demandaient que des biens temporels. Ils fréquentaient le temple, mais c'était pour mieux s'enrichir. Quelle fut donc la conduite de l'apôtre? Il ne méprisa point ce boiteux, et ne chercha point un riche, disant : Si le miracle s'opère à son égard, il ne fera aucun bruit., Ainsi il n'attendit aucune gloire de celui qu'il allait guérir, et il ne le guérit point en présence de nombreux témoins, car il était encore sur le seuil de la porte, et non dans l'intérieur du temple que. remplissait la multitude. Pierre ne, s'entoura point de tant ale solennité, et quand il fut entré dans le temple , il ne, publia point ce miracle. Son extérieur seul avait engagé ce boiteux à lui demander l'aumône. Mais, par un prodige nouveau et plus grand, cet homme eut à l'instant la conscience de sa guérison. Tout au contraire, un malade guéri après de longues années , en croit à peine une guérison qu'il voit de ses propres yeux. Or, ce boiteux étant guéri, suivit les apôtres et rendit grâces à Dieu. « Il entra avec eux dans le temple », dit saint Luc, « marchant, sautant et louant Dieu ».
2. Admirez comme il saute de plaisir, et ferme ainsi la bouche à tous les murmures des Juifs. Je croirais aussi que, pour mieux prouver la réalité de sa guérison, il se donnait ces violents mouvements qu'on ne peut feindre. C'était bien ce même homme perclus des deux jambes, et qui ne pouvait se remuer, même pressé par la faim;-et certes, s'il eût pu marcher seul, il n'eût point voulu partager ses aumônes avec ceux qui l'assistaient. Comment donc aujourd'hui le voudrait-il? Ou comment feindrait-il une. guérison pour faire honneur à des gens qui lui auraient refusé une légère aumône? Mais il conservait, même après sa guérison, le sentiment d'une vive reconnaissance, et il en donna des preuves dans cette circonstance comme dans la suite. Au reste , il était généralement connu, et c'est ce que dit expressément saint Luc. « Et tout le peuple le vit marcher et louer Dieu. Et tous reconnaissaient que c'était celui-là même qui était assis à la Belle-Porte du temple pour demander l'aumône ». Cette expression « reconnaissaient », est parfaitement juste, car ce ne fut point ce miracle qui le fit connaître, comme nous le disons de ceux dont nous n'avons qu'un vague souvenir. Mais pouvait-on ne pas croire qu'au nom de ce même Jésus qui opérait de si grands prodiges, les péchés étaient remis ?
« Et comme celui qui avait été guéri tenait par la main Pierre et Jean, tout le peuple étonné courut vers eux, au portique qui s'appelle le portique de Salomon ». L'attachement et l'amitié ne permettaient pas à ce boiteux de quitter ses bienfaiteurs, et sans doute qu'il les louait et les remerciait. « Et tout le peuple courait vers eux, ce que voyant Pierre, il prit la parole ». Pour la seconde fois le même apôtre agit et parle. Dans le cénacle le prodige de l'universalité des langues lui avait gagné l'attention de ses auditeurs , et dans le temple c'est la guérison de ce boiteux. Alors il avait pris, comme pour texte de son discours , le déicide que les Juifs avaient commis, et maintenant il part du sujet même de leurs pensées. Il ne sera donc pas sans intérêt d'examiner en quoi ces deux discours diffèrent et se ressemblent. Le premier fut prononcé dans le cénacle, avant toute conversion et tout miracle. le second, au contraire, le fut en présence du peuple étonné, du boiteux guéri, et d'une foule qui ne doutait plus, et qui ne disait plus : « Ces gens sont pris de vin ». Observez encore que là Pierre parlait au nom de tous les apôtres, et ici au nom seul de saint Jean ; et enfin .qu'il s'exprime avec plus de force et de confiance.
Tel est, en effet, le caractère de la vertu ; qu'elle progresse toujours et rie s'arrête jamais. Remarquez aussi que ce premier miracle s'opère dans le temple, afin de fortifier la foi des nouveaux fidèles. Ce n'est donc point dans un lieu retiré, et comme en secret que Pierre agit, et néanmoins ce n'est point dans l'intérieur du temple, où le peuple était nombreux. Mais comment le peuple put-il croire à ce miracle? Parce que celui-là même sur qui il (17) avait été opéré publiait sa guérison; or, si elle n'eût été réelle, aurait-il seulement osé se montrer à la foule? Ainsi ce miracle s'opère dans un lieu qui est tout ensemble public et secret. Et voyez ce qui arrive : Pierre et Jean montaient au temple pour prier, et ils firent tout autre chose. Ainsi le centurion Corneille priait et jeûnait pour obtenir une grâce tout autre que la révélation dont il fut favorisé.
Jusqu'ici Pierre désigne le Sauveur sous le nom de Jésus de Nazareth ; et il dit au boiteux « Au nom de Jésus de Nazareth , lève-toi et marche ». C'était un moyen de l'amener à croire à sa parole. Mais, je,vous le demande, ne vous lassez pas dès les premiers instants de cet entretien ; et quoique plusieurs peut-être se retireront après ce premier récit , je veux y revenir. D'ailleurs avec un peu de bonne volonté, nous arriverons bientôt à la fin, et nous atteindrons le but. Car, comme dit le proverbe, le zèle engendre le zèle, et la lâcheté, la lâcheté. Le peu de bien que l'on a fait, encourage à en faire plus encore , et on le continue avec confiance. Plus on met de bois sur un brasier, et plus il devient ardent. Ainsi plus l'âme se nourrit de pieuses pensées, et plus elle devient invincible à la tentation. Vous faut-il un exemple? Dans notre coeur naissent, comme des ronces et des épines, le parjure-, le mensonge , la dissimulation , la fraude, la malignité, la raillerie, l'injure, la moquerie et les paroles impures et obscènes. D'un autre côté pullulent dans ce même coeur l'avarice, la rapine,l'injustice , l'hypocrisie et la malice. Ajoutez-y encore la concupiscence, l'immodestie, l’impureté, la fornication et l'adultère; et enfin l'envie, la jalousie, la colère, l'emportement, la haine; la vengeance, le blasphème et mille autres vices. Si vous triomphez des premiers, vous vaincrez facilement les seconds et même les troisièmes.
C'est qu'une première victoire fortifie l'âme et la prépare à de nouveaux succès. Que celui qui a l'habitude de jurer, se corrige donc de cette diabolique coutume, et non-seulement il remplira un devoir, mais encore il se sentira porté aux divers exercices de la piété. Car celui qui s'interdit le péché du blasphème, ne voudra point en commettre d'autre, et il gardera honorablement la vertu qu'il s'estacquise. Il se respectera lui-même avec le même soin que nous évitons de salir un habit précieux. Il en arrivera donc bientôt à ne plus se permettre aucun acte de colère, d'emportement, ni de méchanceté, et ainsi, en avançant peu à peu, il atteindra la perfection. Mais souvent nous voyons arriver tout le contraire : car celui qui a bien commencé, ne se soutient pas; il retombe par lâcheté dans ses premiers désordres et devient incorrigible. Par exemple, nous nous sommes imposé la loi de rie pas jurer, et pendant trois ou quatre jours nous v avons été fidèles: Mais dans une circonstance la tentation l'a emporté et nous avons perdu tout le fruit de notre première victoire. Alors, hélas ! nous tombons dans un lâche découragement, et nous ne voulons plus renouveler nos efforts. Cela se comprend jusqu'à un certain point ; car on est toujours peu empressé à relever un bâtiment qu'on a vu s'écrouler; et cependant il faudrait s'armer de courage et recommencer avec une nouvelle énergie.
3. Proposons-nous donc chaque jour la pratique d'une vertu , et commençons par les plus faciles. Renonçons à la mauvaise habitude de jurer, mettons un frein à notre langue et ne prenons jamais en vain le nom du Seigneur. Ici point de dépenses, point de pratiques et nuls efforts pénibles : il suffit de le vouloir et tout est fait; car c'est une affaire d'habitude. Aussi je vous le demande instamment : sachez vouloir. Si je vous avais annoncé une distribution d'argent, tous, vous vous seriez empressés d'accourir; et si vous me voyiez dans un péril extrême, vous n'hésiteriez pas à exposer votre vie pour m'en arracher. Eh bien ! aujourd'hui, je suis en proie à une vive douleur, et je souffre tout autant que si j'étais prisonnier, battu de verges ou condamné aux mines. Tendez-moi une main secourable, et réfléchissez à quels dangers vous m'exposez si je ne puis obtenir de vous-mêmes le plus léger acte de vertu; je dis léger sous le rapport du travail et des efforts. Et en effet, que répondrai-je à ces accusations : Pourquoi n'as-tu pas exhorté et repris? Pourquoi n'as-tu pas commandé, insisté sur l'obligation et menacé fortement les. désobéissants
Il ne me suffira pas de répondre que j'ai averti, car on répliquera qu'il fallait plus que de simples remontrances, et l'on me condamnera par l'exemple d'Héli. Ce n'est point, à Dieu ne plaise ! que je vous compare à ses fis. Mais enfin il les reprenait et leur disait : « Mes enfants, n'agissez pas ainsi, car j'apprends qu'on parle mal de vous ». (I Rois, II, 24.) (18) Cependant l'Ecriture dit qu'il n'avertit point ses enfants, c'est-à-dire qu'il ne le fit pas avec assez .de force et de sévérité. De plus, n'est-il pas absurde de voir, parmi les Juifs, un chef de synagogue parler en maître et se faire obéir, tandis qu'ici ma parole est méprisée et dédaignée ? Je ne cherche point ma propre gloire et je n'en veux point d'autre que vos moeurs chrétiennes; mais je cherche votre, salut. Chaque jour je crie, je tonne à vos oreilles, et malgré la véhémence de mes paroles, personne ne m'écoute. Ah ! combien j'ai à craindre.qu'au jour du jugement je ne rende compte de ma trop grande indulgence ! C'est pourquoi je vous le déclare à haute et intelligible voix : j'interdis l'entrée de l'église à quiconque se permettra encore de parler le langage de Satan, c'est-à-dire de jurer.
Je vous donne un mois pour vous corriger; et ne m'alléguez point la nécessité de vos affaires ni la défiance que l'on a de votre parole, car vous pouvez changer cette habitude de tout attester par serment. Je sais bien que je vais prêter à la critique; mais il vaut mieux pour moi d'être critiqué pendant ma vie que de brûler après ma mort. Au reste, qui rira de moi, sinon les insensés? Car quel homme sage blâmerait mon zèle à faire observer la loi divine? Mais les plaisanteries des méchants retomberont bien moins sur moi que sur Jésus-Christ lui-même.: Ce mot vous fait horreur, et cependant il est vrai. Si j'étais l'auteur de cette loi, ces froides railleries m'atteindraient; mais puisque Jésus-Christ en est le législateur, elles se dirigent contre lui. Oui, il a été autrefois moqué, frappé à la joue et souffleté, et aujourd'hui encore il reçoit absolument les mêmes outrages. Aussi nous menace-t-il de l'enfer et du ver qui ne meurt pas.
Je le répète donc et je vous le déclare de nouveau : Rira et raillera qui voudra, peu m'importe; car je ne suis en place que pour être moqué et honni, et pour tout souffrir, étant, selon l'apôtre., « la balayure du monde ». (I Cor. IV, 13.) Mais quiconque enfreindra le précepte qui défend de jurer, j'interdis, comme à son de trompe, l'entrée de l'église, fût-il prince ou même empereur. Déposez-moi de ma charge, ou, si vous m'y laissez, ne m'exposez pas au péril de la damnation. Et comment oserais-je m'asseoir sur ce trône; si je ne fais rien de grand ? Il vaudrait beaucoup mieux alors que j'en descendisse, car je ne connais pas de position plus triste que celle d'un évêque qui est inutile à son peuple.
Convertissez-vous donc, je vous en supplie, et veillez sur vous-mêmes réunissons nos efforts et nous obtiendrons quelque succès. Avec moi employez le jeûne et la prière pour demander à Dieu qu'il vous accorde de déraciner cette funeste habitude. Est-il une gloire comparable à celle d'être les docteurs de l'univers? Et, ne sera-ce pas déjà beaucoup si partout on sait que le jurement est inconnu dans Constantinople? Par là vous aurez droit à une double. récompense, parce que vous aurez été vertueux et zélés pour la sanctification de vos frères. Car ce que je suis au milieu de vous, vous le serez à l'égard de toutes les nations pas une qui ne veuille vous imiter, en sorte que, vous luirez à tous les regards comme la lampe placée sur le chandelier. Est-ce tout? non certainement, et ce n'est que le commencement d'une vie vraiment chrétienne, car celui qui s'interdit le jurement s'adonnera bientôt, bon gré, mal gré, par honte ou par crainte, à la pratique des autres vertus.
Mais plusieurs, me direz-vous, vont se retirer, choqués de vos paroles. Eh ! ne savez-vous pas « qu'un seul qui fait la volonté de Dieu, vaut mieux que mille impies ». (Eccli. XVI, 3.) Aussi tout vous semble-t-il bouleversé, et sens dessus dessous, parce que, comme au théâtre, nous estimons plus le choix que le nombre des personnes. Et, en effet, à quoi sert le nombre? Voulez-vous connaître combien un saint l'emporte à lui seul sur toute une multitude? opposez-lui une armée entière, et vous verrez qui fera de plus grandes choses. Josué, fils de Navé, combattit seul contre les ennemis d'Israël, et il les vainquit, tandis que d'autres chefs succombèrent avec de -nombreuses armées. Ainsi, mon cher frère, une multitude qui ne fait pas la volonté de Dieu, est nulle. Sans doute, je désire et je souhaite, même aux dépens de ma vie, que cette Eglise brille par la multitude de ses fidèles, mais de véritables fidèles : et si je ne puis en réunir un grand nombre, je me consolerai par l'excellence du choix. Un seul diamant n'est-il pas plus précieux que mille oboles? ne vaut-il pas mieux avoir l'oeil bon et sain que de le perdre et de devenir gras et obèse? n'est-il pas plus avantageux de ne posséder qu'une brebis, que d'en avoir cent attaques de la teigne? enfin, un père ne préfère-t-il pas deux (19) ou trois enfants vertueux à un plus grand nombre méchants et vicieux?
D'ailleurs, ne savez-vous pas que peu entreront dans le royaume des cieux , et que beaucoup tomberont dans l'enfer ? Eh ! quelavantage me procurerait un grand nombre de mauvais chrétiens? aucun, ou plutôt leur exempte serait pernicieux aux autres. Ce serait comme si un chef, ayant le choix entre dix soldats valides et mille autres malades et infirmes, voulait les réunir tous ensemble. Certes, un tel mélange ne produirait aucun bon résultat; et de même je ne devrais en attendre que de la honte pendant nia vie, et d'affreux supplices après ma mort, car le grand nombre ne me justifiera point devant le Seigneur, et la stérilité de mes oeuvres me condamnera. N'est-ce pas même la réponse que nous font les païens, quand nous leur disons : Voyez comme nous sommes nombreux? Oui, vous êtes nombreux ,disent-ils, mais mauvais.
Aussi je le déclare encore une fois à haute voix et du ton le plus sévère : J'éloignerai et j'exclurai de l'église tous ceux qui n'obéiront pas à cet ordre, et tant que je serai assis sur ce trône, je n'admettrai là-dessus aucune excuse. Si l'on m'en fait descendre, je n'aurai plus la responsabilité de votre conduite; mais aussi longtemps que je serai votre pasteur, je serai ferme et vigilant, moins par la crainte du. supplice que par le désir de votre salut. Ah ! que je le souhaite ardemment ! et combien, pour l'obtenir, je me répands en douloureux gémissements ! mais obéissez à votre pasteur, afin que sur la terre et dans le ciel votre obéissance soit magnifiquement récompensée, et que nous obtenions tous les biens éternels, par la grâce et la miséricorde du Fils unique, à qui soient, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire , l'honneur et l'empire, maintenant , toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


PARTIE DE L’HOMÉLIE IX. OR, PIERRE VOYANT, CELA, DIT AU PEUPLE : HOMMES D'ISRAEL , POURQUOI VOUS ÉTONNEZ-VOUS DE CECI, OU POURQUOI NOUS REGARDEZ-VOUS, COMME SI C'ÉTAIT PAR NOTRE VERTU, OU PAR NOTRE PIÉTÉ, QUE NOUS EUSSIONS FAIT MARCHER CE BOITEUX? (ACT. III, 12, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.)

http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/chrysostome/actes/actes9.htm

ANALYSE. 1. Après avoir montré la modestie de saint Pierre, qui repousse personnellement la gloire de ce miracle, l'Orateur entre dans le développement de son discours, et y rehausse deux éminentes qualités : la force avec laquelle il reproche aux Juifs leur déicide, et la douceur avec laquelle il leur ouvre la voie du repentir et de la pénitence.
2. Il observe aussi que l'apôtre qui, dans son premier discours, s'était appuyé de l'autorité de David pour prouver la résurrection de Jésus-Christ, allègue ici celle de Moise pour établir que tous doivent croire à sa doctrine, et particulièrement les Juifs, qui sont les fils des prophètes.
3. A l'égard du déicide commis sur la personne de Jésus-Christ, Pierre oppose leur conduite à celle de Pilate qui vouait l'absoudre, et leur fait ainsi sentir l'énormité de leur crime.
4. Quant à la guérison de ce boiteux faite au nom de Jésus, elle prouve que Jésus ego vraiment ressuscité, car comment un mort pourrait-il opérer un tel prodige ?
5. L'Orateur revient ensuite sur la prophétie de Moise, et de nouveau en fait ressortir la gloire de Jésus-Christ, qui est ce législateur que tous doivent écouter.
6.Puis il terminé par une vive exhortation à bannir le serment de toutes transactions commerciales et alaires civiles.

1. Ce second discours de l'apôtre respire plus de confiance que le premier. Ce n'est point qu'il cédât alors à un sentiment de crainte, mais c'est qu'un ton moins humble (20) eût irrité des esprits railleurs. Aussi s'étudie-t-il dès les premiers mots à capter leur attention. Apprenez ceci, leur dit-il, et prêtez l'oreille à mes paroles. Ici , au contraire, ces précautions oratoires devenaient inutiles, car les esprits n'étaient point lâches ni distraits. Le miracle les avait rendus attentifs et les avait remplis de crainte et d'étonnement. Ces dispositions exigeaient donc un exorde tout différent, et en repoussant toute gloire personnelle, Pierre acquérait un nouveau droit à leur bienveillance. Et, en effet, l'orateur est assuré de plaire à son auditoire, quand il s'annonce modestement, et repousse tout soupçon d'orgueil et de vanité. Au reste, ce mépris de la gloire que faisaient paraître les deux. apôtres , rejaillissait glorieusement sur eux, et montrait que la guérison de ce boiteux était une couvre divine à laquelle les hommes n'avaient aucune part , et 'qu'eux-mêmes devaient admirer, bien loin de s'en attribuer l'honneur.
Voyez-vous donc combien Pierre est pur de toute ambition, et avec quel soin il repousse la gloire qu'on lui décerne? C'est ainsi qu'avaient agi les anciens justes; Daniel, qui disait : « Si je parle, ce ne sera point parce que je possède une sagesse toute particulière »; Joseph qui s'écriait : « L'interprétation des songes ne vient-elle pas de Dieu? » et David qui répondait à Saül : « Lorsqu'un lion ou un ours venait, j'invoquais le nom du Seigneur et je les déchirais de mes mains ». (Dan. II, 30; Gen. XL, 8; I Rois, XVII, 34.) Et de même nos deux apôtres disent : « Pourquoi nous regardez-vous comme si par notre vertu et notre piété nous avions fait marcher ce boiteux? » Car ce n'est pas ici notre oeuvre, et nous n'avons pu par nous-mêmes attirer sur cet homme une si grande grâce.
« Le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères ». L'apôtre rappelle souvent le souvenir dés anciens patriarches pour écarter tout soupçon d'une religion nouvelle, et de même que dans son premier discours.il avait nommé David,, il cite dans celui-ci Abraham et ses descendants. « A glorifié son Fils Jésus ». Toujours la même humilité que dans son exorde; et puis il insiste sur le crime des Juifs, le flétrit hautement et n'en parle plus en termes couverts, comme il avait fait précédemment. Son but est de presser leur conversion, car plus ouvertement il condamne leur déicide et plus il éveille leur attention. « A glorifié son Fils Jésus, que vous avez livré et renié devant Pilate, qui avait jugé qu'il devait être renvoyé absous ». Vous êtes donc coupables d'un double crime, parce que Pilate voulait le renvoyer absous et que vous vous y êtes opposés.« Vous avez donc renié le saint et le juste, et vous avez demandé qu'on vous accordât la grâce d'un homicide; et vous avez fait mourir l'auteur de la vie, mais Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, et nous sommes témoins de sa résurrection ».
C'est comme s'il eût dit : vous avez préféré à Jésus un insigne voleur. C'était donc un reproche bien grave; mais parce qu'il les tenait sous sa main , il les presse vivement. « Vous avez fait mourir l'auteur de la vie; mais Dieu l'a ressuscité d'entre les morts ». Ici il montre le dogme de la résurrection ; et pour prévenir cette objection, sur quelles preuves se repose-t-il? il ne cite point lés prophètes, mais son propre témoignage, parce que désormais il mérite d'être cru. La première fois qu'il avait parlé de la résurrection de Jésus-Christ, il avait invoqué l'autorité de David. Et ici, en se posant lui-même comme témoin , il s'appuie sur le collège apostolique. « Nous sommes », dit-il, « témoins de sa résurrection , et c'est par la foi en son nom, que sa puissance a affermi cet homme que vous voyez et que vous connaissez; et c'est la foi qui vient de lui , qui a donné à celui-ci une entière guérison en présence de vous tous ». Avant d'expliquer le miracle, il en montre la certitude par ces mots : « En présence de vous tous ». Mais, parce qu'il les avait sévèrement repris , en leur montrant glorieux et ressuscité ,ce Jésus qu'ils avaient fait mourir, il se hâte d'adoucir sa parole, et leur ouvre la voie du repentir.
« Et maintenant, mes frères, je sais que vous l'avez fait par ignorance, ainsi que vos chefs ». Il leur présente donc, une double excuse : d'abord leur « propre ignorance », et puis « l'exemple de leurs chefs ». C'est ainsi que Joseph disait à ses frères : « Dieu m'a envoyé devant vous ». (Gen. XLV, 5.) Bien plus, ce qu'il n'avait fait qu'indiquer par ces mots
« Il a été livré par le conseil et la prescience de Dieu » (Act. II, 23), il le développe en disant que « le Seigneur vient d'accomplir « ainsi ce qu'il avait prédit par la bouche de (21) ses prophètes, que le Christ devait souffrir ». C'était presque les absoudre de ce crime, en leur montrant qu'ils n'avaient fait qu'exécuter la volonté de Dieu; et en disant : « selon ce qui avait été prédit », il leur rappelle indirectement les reproches qu'ils adressaient à Jésus-Christ sur la croix: Que Dieu le délivre, s'il le veut; car il a dit : je suis le Fils de Dieu. Qu'il se confie donc en lui, et qu'il descende présentement de la croix. (Matth. XXVII, 40; Luc, XXIX, 35.)
Eh quoi ! ô insensés, pensiez-vous qu'il condescendrait à vos amères railleries? Non, bien certainement. Mais il fallait que ces choses arrivassent pour accomplir les prophéties. Aussi Jésus-Christ ne descendit-il point de la croix, non par impuissance, mais par un acte de sa puissance. C'est donc cette excuse que l'apôtre présente à ses auditeurs, afin qu'ils la saisissent avec empressement; et en disant : « Dieu vient d'accomplir ainsi ce qu'il avait prédit », il rapporte toutes choses à l'exécution de ses volontés. « Faites donc pénitence», ajoute-t-il, « et convertissez-vous ». Il ne dit point : En renonçant à vos péchés, mais.: «Afin que vos péchés, soient effacés », ce qui présente le même sens.; puis il indique quels seront les fruits de cette pénitence : « Quand les temps de repos que la présence du Seigneur doit donner, seront venus ». Pouvait-il mieux leur faire sentir dans quel abîme de maux ils étaient tombés, et de quels malheurs ils étaient affligés ! Il leur adresse donc ces paroles, parce qu'il n'ignore point qu'ils cherchent quelque consolation, et qu'elles sont propres à adoucir l'amertume de leur, douleur.
2. Mais admirez avec quelle sagesse procède l'apôtre. Dans son premier discours, il s'est borné à insinuer la résurrection de Jésus-Christ et son ascension : ici , au contraire, il n'hésite pas à annoncer son second avénement. « Quand le Seigneur », dit-il, « aura envoyé Jésus-Christ prédit longtemps d'avance. Et il faut», c'est-à-dire, il est nécessaire, « que le ciel le reçoive jusqu'au jour du rétablissement de toutes choses ». Pourquoi ne vient-il donc pas aujourd'hui? la raison en est manifeste. « C'est qu'il faut que tout ce que Dieu a prédit par la bouche de ses saints prophètes, dès le commencement du monde, s'accomplisse. Car Moïse a dit à nos pères : Le Seigneur votre Dieu vous suscitera du milieu de vos frères un prophète semblable à moi, et vous l'écouterez en tout ce qu'il vous dira ». Précédemment Pierre avait cité David, et ici il cite Moïse. « Tout ce que Dieu a prédit ». L'apôtre ne dit pas : « Tout ce que le Christ a prédit » mais : « le Seigneur », afin de les amener insensiblement à la foi au Sauveur Jésus. C'est pourquoi il leur allègue un témoignage irrécusable, celui, de Moïse qui a dit : « Le Seigneur, votre Dieu, vous suscitera d'au milieu de vos frères un prophète semblable à moi, et vous l'écouterez en tout ce qu'il vous dira ». Ecoutez maintenant la menace : « Et quiconque n'aura pas écouté ce prophète , sera exterminé du milieu du peuple ». (Deut. XVIII, 15.)
« Or tous les prophètes », continue l'apôtre, «.depuis Samuel, et dans les temps postérieurs, ont annoncé ces jours ». C'était révéler clairement à ses auditeurs le châtiment d'Israël. Mais observez que toutes les fois que saint Pierre doit leur annoncer quelque chose d'important, il allègue le témoignage des prophètes, et qu'il en trouve des mieux appropriés aux promesses, non moins qu'aux menaces, comme celui-ci : « Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que je place vos ennemis sous vos pieds ». (Ps. CIX, 2.) Dans son admirable concision, ce verset énonce le crime et le genre du châtiment. « Un prophète semblable à moi ». Pourquoi donc vous étonner ! « Car vous êtes les fils des prophètes » ; aussi vous disais-je que toutes ces choses ont été faites pour vous. Les Juifs pouvaient en effet se considérer comme rejetés, du Seigneur à cause de leur déicide; car il leur paraissait invraisemblable que le Dieu qu'ils venaient de crucifier les aimât comme. ses enfants. C'est néanmoins ce qu'avait prédit Moïse : « Vous êtes », avait-il dit, « les fils des prophètes, et les enfants de l'alliance que Dieu a établie avec nos pères, disant à Abraham ; Et en ta race seront bénies toutes les familles de la terre ». (Gen. XII, 3.) C'est donc pour « vous premièrement que Dieu,a envoyé son Fils, le ressuscitant ». Sans doute, c'est aussi pour tous les autres peuples, mais premièrement pour vous qui l'avez crucifié. « Et il l'a envoyé afin que vous soyez bénis, et que chacun de vous revienne de son iniquité ».
Mais reprenons l'explication de ce discours. L'apôtre veut convaincre les Juifs que ni Jean, ni lui ne sont l'auteur de ce miracle; aussi leur dit-il: «Pourquoi vous étonnez-vous? » Cependant il ne veut ras qu'ils doutent de sa réalité; et c'est pour le leur rendre plus certain encore, qu'il prévient leurs pensées, et s'écrie : « Pourquoi nous regardez-vous comme si nous avions opéré ce prodige par notre vertu et notre piété? » Si cette guérison vous trouble et vous agite, apprenez quel en est l'auteur, et vous cesserez de vous en étonner. Ici encore , comme toujours, Pierre s'appuie sur le témoignage de Dieu, et dès qu'il a affirmé que tout. arrive selon ses conseils, il n'hésite plus à reprendre vivement ses auditeurs. Aussi a-t-il dans son premier discours nommé Jésus « un homme approuvé a de Dieu au milieu d'eux » ; et il leur rappelle sans cesse qu'ils l'ont mis à mort pour mieux faire resplendir le miracle de sa résurrection. Mais ici ce n'est plus seulement Jésus de Nazareth; et il lui donne un titre bien plus auguste. « Le Dieu de nos pères », dit-il, « a glorifié son Fils Jésus ».
Admirez cependant l'humilité du saint apôtre; il ne s'emporte point contre ses auditeurs, et ne leur dit point subitement: Croyez en Jésus-Christ, car voilà que cet homme, âgé de quarante ans et boiteux de naissance, a été guéri en son nom. Un tel langage les eût rebutés: il s'en abstient donc, et s'empresse de louer l'étonnement qu`ils font paraître. Il nomme ensuite Dieu, le Père de Jésus, et ne dit point que celui-ci avait guéri le boiteux, quoiqu'il fût véritablement l'auteur de cette guérison, afin de prévenir cette objection Jésus était un malfaiteur, et comment peut-on lui attribuer cette gloire? C'est pourquoi il leur rappelle' quel jugement Pilate en a porté, et leur montre ainsi, pour peu qu'ils veuillent réfléchir, que Jésus n'était point un malfaiteur, car Pilate n'eût point alors voulu le relâcher. Observez aussi le choix de cette expression : « Pilate jugeant qu'il devait être absous ». Ce n'était pas en lui une simple volonté, mais un vrai jugement qui' attestait que vous demandiez la grâce de l'homme qui avait commis un meurtre, et que vous rejetiez celui .qui rappelait les morts à la vie.
Ils pouvaient encore faire cette objection Comment ceux qui abandonnèrent alors leur Maître, viennent-ils aujourd'hui le glorifier? Pierre y répond en citant le témoignage des prophètes qui avaient prédit que les choses devaient ainsi arriver. D'autre part il les reprend vivement, de peur qu'ils ne- cherchassent à s'excuser sur l'ordre et les conseils du Seigneur. Car c'était un crime énorme que d'avoir renié Jésus-Christ en présence de Pilate ; et la présence parmi eux du meurtrier qu'ils lui avaient préféré, leur ôtait à cet égard toute excuse. Pierre agit donc avec une grande sagesse, et leur prouve combien, dans ces circonstances, leur conduite a été honteuse et légère. Pilate, qui était païen, qui voyait Jésus pour la première fois, et qui n'avait été témoin d'aucun prodige, voulait le délivrer, et vous, qui aviez été comme nourris au milieu de ses miracles, vous vous y êtes opposés. Au reste Pilate, en renvoyant Jésus absous, prétendait accomplir un devoir de justice, et non point faire un acte de compassion et d'indulgence. Car écoutez ses propres paroles : La coutume est de vous accorder la délivrance d'un prisonnier : « Et voulez-vous que je vous délivre celui-ci? » Et vous, dit l'apôtre, « vous avez rejeté le saint et le juste ». Il ne dit point : Vous avez livré, mais : « vous avez rejeté ». Cette expression est parfaitement juste, parce qu'ils s'étaient écriés : « Nous n'avons pas d'autre roi que César ». (Jean, XIX, 15.)
Observons enfin que l'apôtre, après avoir reproché aux Juifs de n'avoir point réclamé la délivrance du juste, et même de l'avoir rejetée, ajoute : Et vous l'avez mis à mort. Lorsque les esprits étaient encore tout plongés dans les ,ténèbres, il n'avait eu garde de parler ainsi; mais les voyant troublés et agités, il frappe ces coups violents parce qu'ils peuvent mieux les sentir. Ce n'est point dans le transport de l'ivresse, mais quand elle est dissipée, qu'on peut faire d'utiles représentations ; et de même l'apôtre profite d'un moment lucide pour parler sévèrement et énumérer leurs nombreux forfaits. Ils ont livré à la mort celui que Dieu a glorifié, ils l'ont renié en présence de Pilate qui le trouvait innocent, et ils lui ont préféré un voleur.
3. Admirez aussi comme il insinue que la résurrection de Jésus-Christ est un effet de sa puissance. Dans son premier discours, il avait dit : « Il était impossible qu'il fût retenu dans le tombeau ». Et ici : «Vous avez mis à mort l'auteur même de la vie ». Il n'a donc point reçu la vie d'un autre. L'esprit de malice enfante le mal, et le père de l'homicide est celui qui a commis le premier meurtre. Ainsi (23) l'auteur de la vie est celui qui possède, la vie par lui-même : « Que Dieu a ressuscité », ajoute l'apôtre, « et c'est par la foi en son nom», poursuit-il, « que sa puissance, a affermi cet homme que vous voyez, et que vous connaissez; et c'est cette foi qui vient par lui, qui a donné à cet homme une entière guérison ». Mais puisque la foi que ce boiteux a eue en Jésus-Christ a opéré son entière guérison, pourquoi Pierre dit-il « en son nom », et non point par son nom? C'est que les apôtres n'osaient pas encore prêcher la foi en Jésus-Christ ; et néanmoins, pour ôter tout ce que ce mot « par son nom », aurait eu de peu élevé, il ajoute immédiatement : « Que la puissance de ce nom a affermi cet homme, et que la foi qui vient par lui, a donné à cet homme une entière guérison ».
Observez donc avec quelle condescendance l'apôtre ménage ses paroles. Et en effet celui-là s'est ressuscité lui-même, dont le nom seul a redressé ce boiteux qui était aussi impuissant à marcher que s'il eût été mort. Remarquez aussi comme toujours il s'en rapporte à leur propre témoignage. Il avait dit précédemment : « Vous le savez vous-mêmes»; et: « au milieu de vous ». Ici il dit également : « Que vous voyez et que vous connaissez et en présence de vous tous ». Il est vrai qu'ils ignoraient que ce boiteux avait été guéri au nom de Jésus, mais ils savaient qu'il était boiteux. Et les deux apôtres publiaient que cette guérison n'était pas leur œuvre, mais celle de la. puissance de Jésus-Christ. Si ce miracle n'avait été bien réel , et s'ils n'avaient eux-mêmes cru fermement à la résurrection du Sauveur, jamais ils n'eussent cédé à un mort l’honneur de cette guérison, et ils l'eussent tournée à leur propre avantage, d'autant plus que tous les regards se fixaient sur eux.




EVANGILE DE LA DIVINE LITURGIE POUR LE 4 TOUBA
EXPLICATION PAR SAINT JEAN CHRYSOSTOME
http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/chrysostome/jean/090.htm
HOMÉLIE LXXXVIII.
APRÈS DONC QU'ILS EURENT DÎNÉ, JÉSUS DIT À SIMON PIERRE : SIMON, FILS DE JEAN, N'AIMEZ-VOUS PLUS QUE NE FONT CEUX-CI ? IL LUI RÉPONDIT: OUI, SEIGNEUR, TOUS SAVEZ QUE JE VOUS AIME. (VERS. 15, JUSQU'À LA FIN.)

ANALYSE.

1. Pierre, la langue et le chef des apôtres. — Pierre plus modeste et plus circonspect après sa chute. — Pierre, docteur de tout le monde.
2. Combien saint Jean était éloigné du faste.
3. Fruit qu'on retire de l'étude et de la méditation de la parole de Dieu. — Les sollicitudes de ce siècle, les biens de ce monde sont des épines qui piquent de tous côtés. — Les biens spirituels réjouissent la vue. — Avant les récompenses éternelles, on reçoit dès ici-bas le fruit de ses bonnes œuvres ; il en est de même des mauvaises œuvres : outre l'enfer, elles causent en cette vie un bourrellement de conscience. — Suite et effets du péché : il est affreux, il est un fardeau plus pesant que le plomb. — Pénitence d’Achab : l'imiter, pour obtenir le pardon de ses péchés. — L'avarice détruit le bien que l'aumône a produit : si l'un fait tomber, l'autre relève : on sortira de ce combat corrompu et brisé. — Se décharger de tout ce qui embarrasse. — Fruit des bonnes œuvres.


1. Il y a bien des moyens propres à nous mettre en crédit auprès de Dieu, et à nous rendre illustres et agréables à ses yeux. Mais c’est la sollicitude à l'égard du prochain qui l'emporte sur tout, et qui nous attire le plus sûrement la bienveillance et la protection du Seigneur; c'est là aussi ce que le Christ exige de Pierre, car, après le dîner, « Jésus dit à [553] Simon Pierre: Simon, fils de Jean, m'aimez-vous plus que ne font ceux-ci? Il lui répondit : Oui, Seigneur, vous savez que je vous aime. Jésus lui dit : Paissez mes agneaux ». Et pourquoi Jésus-Christ, laissant là les autres apôtres, parle-t-il à Pierre seul de ce soin et de cet amour? Entre les apôtres, Pierre était le plus grand et le plus éminent; il était la langue et le chef du collège : c'est pour cela que Paul le fut voir préférablement aux autres. En même temps, Jésus-Christ voulait rassurer Pierre, et lui montrer que la souillure de son renoncement était effacée : c'est pourquoi il lui confie le gouvernement de ses frères, et il ne lui rappelle, il ne lui reproche point son renoncement, mais il lui dit : Si vous m'aimez , recevez le gouvernement de vos frères : montrez maintenant l'ardent amour que vous avez toujours fait paraître, et dont vous vous glorifiiez; la vie que vous vouliez donner pour moi, donnez-la pour mes brebis.
Le Seigneur ayant donc interrogé Pierre par deux fois, Pierre prit pour témoin celui-là même qui connaît ce qu'il y a de plus caché dans le coeur; mais, comme il s'entend interroger encore une troisième fois, il en est troublé, le souvenir de ce qui s'était passé auparavant, l'ayant rendu plus timide et plus circonspect : car alors il avait répondu d'un ton ferme et assuré, ce qui ne l'avait pas préservé de la chute : il s'en rapporte à Jésus-Christ même, en lui disant : « Vous savez toutes choses (17) » , c'est-à-dire, le présent et l'avenir. Remarquez-vous, mes frères, combien Pierre est changé, combien il est plus circonspect et plus modeste? Il n'a plus cette arrogance qu'il avait auparavant, vous ne l'entendez plus contredire : ces interrogations réitérées le troublent. Est-ce que par hasard, dit-il en lui-même, je croirais aimer sans aimer réellement? En serait -il de même qu'auparavant ? j'avais une bonne opinion de moi, j'ai répondu avec beaucoup d'assurance et de fermeté, et ensuite j'ai succombé. Le Seigneur interroge Pierre trois fois, trois fois il lui fait le même commandement, pour montrer combien il fait cas du soin des brebis, et que ce soin est le plus grand témoignage d'amour qu'on lui puisse donner.
Le Sauveur parlant à son disciple de l'amour du à lui-même , lui prédit le martyre qu'il devait souffrir : il lui déclare qu'il ne l'a pas interrogé trois fois par défiance, et qu'il se croit véritablement aimé de lui : et ensuite, pour lui donner un exemple du vrai et sincère amour, et nous enseigner de quelle manière nous devons l'aimer, il dit : « Lorsque vous éliez plus jeune; vous vous ceigniez vous-même, et vous alliez où vous vouliez; mais lorsque vous serez vieux, d'autres vous ceindront et vous mèneront où vous ne voulez pas (18) ». Mais c'est là ce que Pierre demandait et ce qu'il désirait. Voilà aussi pourquoi Jésus-Christ lui déclare ouvertement qu'il donnera sa vie pour son Maître. Comme il avait souvent dit : « Je donnerai ma vie pour vous » (Jean, XIII, 37), et : « Quand il me faudrait mourir avec vous, je ne vous renoncerai point» (Matth. XXVI, 35), le Sauveur lui accorda ce qu'il désirait.
Que signifient donc ces paroles : « Où vous ne voulez pas? » Elles font allusion à l'instinct de la nature, aux attaches de la chair, à la répugnance qu'éprouve l'âme à se séparer du corps. Si donc la volonté de Pierre était ferme et consolante, la nature en lui était faible. C'est que personne ne quitte son corps sans douleur et sans peine, Dieu, comme je l'ai dit, l'ayant ainsi sagement ordonné pour notre utilité, de peur qu'on ne se tuât soi-même. Si, malgré cette admirable disposition de la divine Providence, le diable a pu pousser bien des hommes à se donner la mort, à se jeter dans des gouffres et des précipices; sans ce désir de la vie, cet amour et cette attache que l'âme a naturellement pour son corps, plusieurs, pour la moindre affliction , mettraient fin à leurs jours. Cette parole donc : « Où vous ne voulez pas », marque l'instinct de la nature.
Mais pourquoi le Seigneur ayant dit: « Lorsque vous étiez jeune », a-t-il ajouté : « Mais lorsque vous serez vieux ? » Ces paroles montrent, ce que nous savons d'ailleurs, que Pierre n'était alors ni jeune ni vieux, mais homme fait. Pourquoi lui a-t-il rappelé sa vie passée? Pour lui montrer quelles avaient été ses premières dispositions. Car, dit-il, quant aux choses du monde, un jeune homme est utile, un vieillard est inutile, mais quant à moi et à mon service, il n'en est pas ainsi dans la vieillesse, la force est plus grande, la valeur plus éclatante , l'âge n'y met aucun obstacle. Au reste, le Sauveur a parlé de la .sorte à Pierre et lui a marqué sa mort, non [554] pour l'effrayer, mais pour l'encourager. Il connaissait son amour, et qu'il se porterait de bon coeur à la mort ; mais en même temps, il lui déclare de quelle manière il mourra. Pierre désirant continuellement de s'exposer au péril et de donner sa vie pour Jésus-Christ, le Sauveur lui dit : ayez confiance, je remplirai votre désir de manière que la mort que vous n'avez point soufferte étant jeune, vous la souffrirez lorsque vous serez vieux.
L'évangéliste ensuite, pour réveiller l'auditeur et le rendre plus attentif, a ajouté « Or, il disait cela pour marquer par quelle mort il devait glorifier Dieu (19) ». Il n'a point dit : Il devait mourir, mais : « Il devait glorifier Dieu », afin de vous apprendre que de souffrir pour Jésus-Christ, c'est une gloire et un honneur. « Et après « avoir ainsi parlé , il lui dit : Suivez-moi ». Par ces paroles, saint Jean fait connaître que le Sauveur avait un grand soin de Pierre, et un grand amour pour lui. Que si quelqu'un dit : Pourquoi donc saint Jacques a-t-il été élevé sur la chaire de Jérusalem? Je répondrai que si Pierre ne fut point élevé sur cette chaire, c'est que Jésus-Christ l'établit pour être le docteur de tout le monde. « Pierre s'étant retourné, vit venir après lui le disciple que Jésus aimait, qui , pendant la cène, s'était reposé sur son sein (20) », et dit à Jésus : « Et celui-ci, Seigneur, que deviendra-t-il (21)? »
2. Pour quelle raison l'évangéliste rappelle-t-il qu'il s'était reposé sur le sein du Seigneur? Ce n'est pas sans sujet , c'est pour montrer combien était grande la confiance que Pierre, après son renoncement, avait en son Maître. Car c'est Pierre, celui-là même qui n'osait alors interroger, et qui faisait signe à un autre de le faire pour lui, qui reçoit alors le gouvernement de ses frères, et qui non-seulement ne confie plus ses intérêts à un autre, mais qui même interroge son Maître sur le sort d'autrui. Jean reste dans le silence; lui il parle, il interroge. Enfin, l'évangéliste fait aussi connaître l'amour que Pierre avait pour lui, car Pierre aimait beaucoup Jean, comme la suite de l'histoire le fait voir : et cette étroite amitié se montre à découvert et dans tout l'Evangile, et dans les actes des Apôtres.
Comme donc le Seigneur avait annoncé de grandes choses à Pierre, comme il lui avait confié le gouvernement du monde, lui avait prédit le martyre qu'il devait souffrir, lui avait donné: de plus grands témoignages d'amour qu'à ses autres disciples, Pierre désirant de faire participer Jean à toutes ces grâces, dit : « Et celui-ci, Seigneur, que deviendra-t-il ? » Ne marchera-t-il pas dans la même voie que nous? Et de même que dans le temps qu'il n'osait interroger, il avait engagé Jean à le faire pour lui, ainsi maintenant il lui rend la pareille ; et, pensant bien que ce disciple aurait voulu demander à son Maître ce. qu'il deviendrait et qu'il ne l'osait pas, il le demande lui-même. Que répondit dons Jésus-Christ? « Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que vous importe (22) ? » Pierre faisait cette demande par le grand amour qu'il avait pour Jean, et parce qu'il souhaitait de ne point se séparer de lui; et Jésus-Christ, pour lui faire connaître que quelque grand que fût son amour pour son confrère, il ne pouvait pas néanmoins atteindre au sien , lui répond : « Si je veux qu'il demeure, que vous importé? » Par là le Seigneur nous apprend que nous ne devons nous inquiéter, ni curieusement chercher à pénétrer au delà de ce qu'il lui plaît de nous découvrir. Il fit donc cette réponse à Pierre pour réprimer son feu, parce qu'il était toujours ardent, toujours prêt à faire de semblables questions; et pour nous montrer aussi que nous ne devons point tant interroger, ni tenter de connaître ses desseins et de les approfondir.
« Il courut sur cela un bruit parmi les frères » , c'est-à-dire, parmi les disciples, « que celui-ci ne mourrait point. Jésus, néanmoins, n'avait pas dit : Il ne mourra point, mais : si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que vous importe (23) ? » Ne pensez pas, dit le Seigneur, que je veuille disposer de vous tous d'une même manière; il avait en vue, en disant cela, leur attachement mutuel. Comme ils devaient bientôt être chargés du soin de toute la terre, il ne fallait pas qu'ils s'attachassent ainsi les uns aux autres, ce qui aurait été très-préjudiciable au monde. C'est pourquoi le Sauveur dit à Pierre : Je vous ai confié une grande charge, donnez-y tous vos soins, remplissez-en les devoirs, combattez, luttez. Et que vous importe, si je veux que

1. « Si je veux » C'est la leçon grecque confirmée par plusieurs manuscrits, et suivie de beaucoup de Pères et d'interprètes. La Vulgate dit : « Je veux qu'il demeure ainsi, etc. »

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Jean demeure? Pour vous, attachez-vous à ce qui vous regarde, et appliquez-y toute votre attention. Considérez ici, je vous prie , mes frères, combien l'évangéliste est exempt de vanité. Après avoir rapporté l'opinion des disciples, il la corrige, comme s'ils n'avaient point compris les paroles de Jésus-Christ, et dit. « Jésus, néanmoins, n'avait pas dit : Il ne mourra point, mais : si je veux qu'il a demeure ».
« C'est ce même disciple qui rend témoignage de ces choses et qui a écrit ceci, et nous savons que son témoignage est véritable (24) ». Pourquoi Jean se sert-il lui seul de termes dont aucun, autre évangéliste ne s'est servi, et parle-t-il avec cette fermeté et cette assurance? Pourquoi se rend-il un second témoignage à lui-même? Pourquoi paraît-il vouloir d'abord prévenir ses auditeurs? Pour quelle raison en use-t-il de la sorte? On rapporte que cet évangéliste a écrit le dernier son évangile, induit à cela par une impulsion divine : c'est pour cette raison qu'il fait souvent mention de son amour, insinuant par là le motif qui l'a porté à écrire; et il répète souvent la même chose pour rendre son histoire digne de foi, et montrer qu'il ne s'est porté à l'écrire que par l'effet d'une impulsion d'en-haut. Je sais, dit-il, je sais que les choses que Jean a écrites, sont véritables : Que si bien des gens n'y croient point, voici une preuve qui doit les convaincre. Laquelle? Ce que je dis ensuite.
« Jésus a fait encore beaucoup de choses, et si on les rapportait en détail, je ne crois pas que le monde même pût contenir les livres qu'on en écrirait (25) ». De là, il résulté évidemment que je n'ai point écrit par flatterie. Moi qui, dans un sujet riche et abondant, où il y a une multitude de choses à dire, n'en rapporte même pas autant que ceux qui ont écrit les premiers, et omets la plupart des événements pour raconter de préférence comment les Juifs ont dressé des embûches à Jésus, lui ont jeté des pierres, l'ont haï, chargé d'injures et d'outrages, appelé possédé du démon et séducteur: moi, dis-je, qui ai publié toutes ces choses, je ne puis être accusé d'avoir écrit mon histoire par flatterie. En effet, pour être historien complaisant, il aurait fallu s'y prendre tout autrement; à savoir : cacher tous les sujets de honte et ne rapporter que les faits illustres et glorieux.
L'évangéliste ayant donc écrit ce qu'il savait sûrement et exactement, ne refuse et ne craint pas de produire aussi son témoignage, comme pour nous inviter à vérifier en détail tout ce qu'il raconte. C'est notre coutume , à nous aussi , d'appuyer de notre témoignage une assertion dont nous sommes parfaitement sûrs. Or, si nous en lisons de la sorte, à plus forte raison saint Jean a-t-il pu le faire de même, lui qui écrivait par l'inspiration du Saint-Esprit, et c'est ce qu'ont fait aussi les autres apôtres lorsqu'ils prêchaient , disant : « Nous sommes nous-mêmes les témoins de ce que nous vous disons, et le Saint-Esprit que Dieu a donné à tous ceux qui lui obéissent l'est aussi» (Act. V, 32) avec nous. Saint Jean, dis-je, a pu donner son témoignage, lui qui était présent à tout, qui n'avait point quitté Jésus, même sur la croix , et à qui le divin Sauveur avait recommandé sa mère. Toutes ces choses sont autant de marques de l'amour de Jésus pour son disciple, et des témoignages sûrs de l'exacte connaissance qu'avait celui-ci de tout ce qu'il a écrit.
Que si cet évangéliste attribue à Jésus de si nombreux miracles, n'en soyez pas surpris, mais, pensant à l'ineffable vertu de celui qui les opérait, recevez avec foi ce que dit l'historien sacré. Et certes, autant il nous est facile de parler, autant et beaucoup plus encore il était facile à Jésus de faire ce qu'il voulait, car il n'avait qu'à vouloir, et l'effet aussitôt suivait sa volonté (1).
3. Méditons donc, mes chers frères, méditons soigneusement ces divines paroles; ne cessons point d'en faire notre étude, travaillons à en acquérir l'intelligence. Le fréquent usage que nous en ferons ne sera point perdu pour nous; par là, nous pourrons corriger nos moeurs, purifier notre vie, et arracher les épines qui étouffent la divine semence. Car ce sont de vraies épines que le péché et les sollicitudes de ce siècle, qui sont si stériles et si douloureuses. Et comme les épines, par quelque côté qu'on les prenne, piquent celui qui les saisit; de même les choses de ce siècle, de quelque manière qu'on y touche , nuisent et font du tort à celui qui les prend et les serre

1. Dieu dit que la lumière soit faite, et la lumière fut faite, etc. il a parlé, et ces choses ont été faites ; il a commandé, et elles ont été créées. Il appelle ce qui n'est point, comme ce qui est.

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dans ses mains. Mais il n'en est pas ainsi des biens spirituels: semblables à une pierre précieuse, de quelque côté qu'on les tourne et qu’on les regarde, ils réjouissent la vue.
Donnons-en un exemple : quelqu'un a fait l'aumône, non-seulement il s'entretient de l'espérance des biens futurs, mais encore jouit des biens de cette vie, toujours plein de confiance et d'assurance dans toutes ses actions. Les mauvais désirs de la concupiscence ont perdu tout empire sur lui : avant même d'être mis en possession du royaume éternel, dès ce monde il recueille le fruit de son aumône, dans le bien qu'on dit de lui, dans les louanges qu'on lui donne, et surtout dans le bon témoignage que lui rend sa propre conscience. Et il en est ainsi de toutes les autres bonnes oeuvres; au contraire, les mauvaises, avant de nous précipiter dans l'enfer, font le supplice de notre conscience. Si, lorsque vous avez péché, vous pensez à l'avenir, encore que personne ne punisse votre faute, vous êtes dans des alarmes et des frayeurs perpétuelles; si vous pensez au présent, vous ne voyez que des ennemis: mille soupçons vous agitent, vous vivez dans la défiance, et vous n'osez plus regarder en face ceux qui vous ont fait du mal : que dis-je? ceux mêmes qui ne vous en ont pas fait. Vous n'avez pas tant de plaisir à voir les hommes que de chagrin et de peine : au dedans, les reproches et les cris de la conscience ; au dehors, les hommes qui vous condamnent : la colère d'un Dieu, un enfer ouvert, prêt à vous engloutir : ces pensées ne vous laissent aucun repos.
Oui, c'est un lourd, un lourd et incommode fardeau que le péché : le plomb même est moins fatigant à porter. Celui que sa conscience accuse, quelque endurci qu'il soit, ne peut pas même lever les yeux. Ainsi Achab, ce prince impie (III Rois, XXI, 27), pour avoir senti l’amertume et le poids du crime, marchait la tête baissée, extrêmement contrit et humilié; voilà pourquoi il se couvrait d'un sac et versait des torrents de larmes. Si nous faisons de même, si nous pleurons comme lui, comme Zachée nous nous dépouillerons de nos injustices et de nos péchés, nous en obtiendrons le pardon. Comme c'est en vain qu'on applique des remèdes aux tumeurs et aux fistules, si l'on n'arrête l'épanchement de l'humeur, qui cause la plaie et l'augmente tous les jours; nous, de même, si nous n'écartons pas nos mains de l'avarice, si nous n'arrêtons pas le cours de cette cruelle maladie, quand bien même nous ferions l'aumône, tous nos efforts demeureront inutiles : parce que l'avarice étouffe et détruit tout le bien que l'aumône a produit, et fait à l'âme une blessure plus grande et plus dangereuse que la première.
Mettons fin d'abord à nos rapines, et alors nous ferons l'aumône. Si nous nous jetons nous-mêmes dans les précipices , comment pourrons-nous ensuite nous en tirer? Si nous sommes sur le point de tomber, et que d'un côté quelqu'un nous retienne (telle est la vertu de l'aumône), tandis qu'un autre bras nous entraînera dans l'abîme, quelle sera l'issue de ce combat? Que nous serons déchirés et mis en pièces. Pour éviter un pareil malheur, et de peur que le poids de l'avarice, en nous entraînant dans le gouffre, ne réduise l'aumône à nous abandonner, déchargeons-nous de tout ce qui nous peut embarrasser, afin que, parvenus à la perfection par les bonnes oeuvres et la fuite du mal, nous obtenions les biens éternels, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, avec le Père et le Saint-Esprit , appartiennent la gloire, l'honneur, l'empire, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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