SAINT JOHN CHRYSOSTOM

Saturday 22 January 2011

Chapitre 3 de l'evangile de saint Jean

TEXTE ET EXPLICATION PAR DES SAINTS PERES DE L'EGLISE DU CHAPITRE 3 DE L'EVANGILE DE SAINT JEAN

3me DIMANCHE DE TOUBA
MATINES JEAN 3:1-21
DIVINE LITURGIE JEAN 3 :22-36
TEXTE
http://www.biblegateway.com/passage/?search=JEAN%203:1-36&version=LSG
Jean 3:1-36 (Louis Segond)
Jean 3
1Mais il y eut un homme d'entre les pharisiens, nommé Nicodème, un chef des Juifs,
2qui vint, lui, auprès de Jésus, de nuit, et lui dit: Rabbi, nous savons que tu es un docteur venu de Dieu; car personne ne peut faire ces miracles que tu fais, si Dieu n'est avec lui.
3Jésus lui répondit: En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu.
4Nicodème lui dit: Comment un homme peut-il naître quand il est vieux? Peut-il rentrer dans le sein de sa mère et naître?
5Jésus répondit: En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît d'eau et d'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu.
6Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l'Esprit est Esprit.
7Ne t'étonne pas que je t'aie dit: Il faut que vous naissiez de nouveau.
8Le vent souffle où il veut, et tu en entends le bruit; mais tu ne sais d'où il vient, ni où il va. Il en est ainsi de tout homme qui est né de l'Esprit.
9Nicodème lui dit: Comment cela peut-il se faire?
10Jésus lui répondit: Tu es le docteur d'Israël, et tu ne sais pas ces choses!
11En vérité, en vérité, je te le dis, nous disons ce que nous savons, et nous rendons témoignage de ce que nous avons vu; et vous ne recevez pas notre témoignage.
12Si vous ne croyez pas quand je vous ai parlé des choses terrestres, comment croirez-vous quand je vous parlerai des choses célestes?
13Personne n'est monté au ciel, si ce n'est celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme qui est dans le ciel.
14Et comme Moïse éleva le serpent dans le désert, il faut de même que le Fils de l'homme soit élevé,
15afin que quiconque croit en lui ait la vie éternelle.
16Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle.
17Dieu, en effet, n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour qu'il juge le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.
18Celui qui croit en lui n'est point jugé; mais celui qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu'il n'a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.
19Et ce jugement c'est que, la lumière étant venue dans le monde, les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs oeuvres étaient mauvaises.
20Car quiconque fait le mal hait la lumière, et ne vient point à la lumière, de peur que ses oeuvres ne soient dévoilées;
21mais celui qui agit selon la vérité vient à la lumière, afin que ses oeuvres soient manifestées, parce qu'elles sont faites en Dieu.
22Après cela, Jésus, accompagné de ses disciples, se rendit dans la terre de Judée; et là il demeurait avec eux, et il baptisait.
23Jean aussi baptisait à Énon, près de Salim, parce qu'il y avait là beaucoup d'eau; et on y venait pour être baptisé.
24Car Jean n'avait pas encore été mis en prison.
25Or, il s'éleva de la part des disciples de Jean une dispute avec un Juif touchant la purification.
26Ils vinrent trouver Jean, et lui dirent: Rabbi, celui qui était avec toi au delà du Jourdain, et à qui tu as rendu témoignage, voici, il baptise, et tous vont à lui.
27Jean répondit: Un homme ne peut recevoir que ce qui lui a été donné du ciel.
28Vous-mêmes m'êtes témoins que j'ai dit: Je ne suis pas le Christ, mais j'ai été envoyé devant lui.
29Celui à qui appartient l'épouse, c'est l'époux; mais l'ami de l'époux, qui se tient là et qui l'entend, éprouve une grande joie à cause de la voix de l'époux: aussi cette joie, qui est la mienne, est parfaite.
30Il faut qu'il croisse, et que je diminue.
31Celui qui vient d'en haut est au-dessus de tous; celui qui est de la terre est de la terre, et il parle comme étant de la terre. Celui qui vient du ciel est au-dessus de tous,
32il rend témoignage de ce qu'il a vu et entendu, et personne ne reçoit son témoignage.
33Celui qui a reçu son témoignage a certifié que Dieu est vrai;
34car celui que Dieu a envoyé dit les paroles de Dieu, parce que Dieu ne lui donne pas l'Esprit avec mesure.
35Le Père aime le Fils, et il a remis toutes choses entre ses mains.
36Celui qui croit au Fils a la vie éternelle; celui qui ne croit pas au Fils ne verra point la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui.
3me DIMANCHE DE TOUBA
MATINES JEAN 3:1-21
DIVINE LITURGIE JEAN 3 :22-36
EXPLICATION PAR SAINT JEAN CHRYSOSTOME
http://jesusmarie.free.fr/jean_chrysostome_commentaire_evangile_saint_jean_2.html
EXTRAIT DE L’HOMELIE XXIV
" Or, il y avait un homme d'entre les pharisiens , nommé Nicodème , sénateur des Juifs (2), qui vint la nuit trouver. Jésus ". Cet homme semble défendre Jésus-Christ au milieu de la prédication de l'Evangile, car il dit: " Notre loi ne condamne personne sans l'avoir ouï auparavant ". (Jean, VII, 51.) Les Juifs se fâchent contre lui et lui répondent avec indignation : " Lisez avec soin les Ecritures, et apprenez qu'il ne sort point de prophète de Galilée ". (Ibid. 52.) De même , après que Jésus-Christ eut été crucifié, il eut un grand soin de la sépulture du corps de Notre-Seigneur. " Nicodème ", dit l'évangéliste, ce qui était venu trouver Jésus, durant la " nuit, y vint aussi avec environ cent livres d'une composition de myrrhe et d'aloès ". (Jean, XIX, 39.) Dès lors cet homme était bien affectionné pour Jésus-christ : mais néanmoins, non pas autant qu'il était juste, ni avec l'esprit qu'il fallait ; une certaine faiblesse juive le dominait encore. C'est pourquoi il vint de nuit; car il n'aurait pas osé venir de jour. Mais Dieu, plein de bonté et de miséricorde, ne le rejeta point, ne lui fit aucun reproche et ne le priva pas de sa doctrine. Il lui parla au contraire avec beaucoup de douceur, il lui découvrit sa. sublime doctrine, à la vérité d'une manière enveloppée, mais toutefois il la lui découvrit : car il était beaucoup plus excusable que ceux qui faisaient la même chose avec une maligne disposition. En effet, ceux-ci sont tout à fait indignes d'excuse ; celui-là était à la vérité blâmable, mais point tant que les autres. Pourquoi donc l'évangéliste ne l'a-t-il pas marqué? D'abord il a dit ailleurs que plusieurs des sénateurs mêmes avaient cru en Jésus-Christ; mais qu'à cause des Juifs ils n'osaient le reconnaître publiquement , de crainte d'être chassés de la synagogue. Mais ici il a tout dit, tout fait connaître par ces mots : il est venu durant la nuit. Que dit donc Nicodème? " Maître, nous savons que vous êtes, venu de la part de Dieu pour nous instruire comme un docteur; car personne ne saurait faire les miracles que vous faites, si Dieu, n'est avec lui (3) ".
2. Nicodème rampe encore à terre, il a encore de Jésus-Christ des sentiments tout humains, il parle de lui comme d'un prophète, les miracles qu'il a vus n'ont point élevé son esprit et ne lui ont rien inspiré de grand. " Nous savons ", dit-il, " que vous êtes un docteur envoyé de Dieu ." Pourquoi donc venez-vous de nuit secrètement trouver celui qui dit des choses divines et qui est envoyé de Dieu? Pourquoi ne l'abordez-vous pas avec confiance? "Mais Jésus-Christ ne lui dit pas même cela,, il ne lui fait aucune réprimande: " Car il ne brisera point le roseau cassé ", dit l'Ecriture, " et il n'éteindra point la mèche qui. fume encore : il ne disputera point, il ne criera point ". (Isaïe, XLII, 3; Matth. XII, 19, 20.) Et-en un autre endroit : " Je ne suis a pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde ". (Jean, XII, 47.)
Personne ne saurait faire les miracles que " vous faites, si Dieu n'est avec lui ". Cet homme parle encore selon, l'opinion des [213] hérétiques: il dit que Jésus-Christ est mû par un autre, et qu'il a besoin du secours d'autrui pour faire ce qu'il fait. Que répond donc Jésus-Christ? Voyez sa grande douceur. Il n'a point dit : Je n'ai besoin du secours de personne, et je fuis tout par ma puissance et avec autorité : car je suis le vrai Fils de Dieu et j'ai le même pouvoir que mon Père. Il ne s'est pas expliqué alors sur ce point par condescendance pour la faiblesse de son auditeur : ce que je dis souvent, je vous le répéterai ici : pendant longtemps, Jésus-Christ s'est moins attaché à révéler sa dignité qu'à persuader qu'il ne faisait rien contre la volonté de son Père. Voilà pourquoi souvent dans ses discours il se rabaisse : mais il n'en est pas de même quand il agit. Ainsi, opère-t-il des miracles, il parle avec autorité, disant: " Je le veux, soyez guéri (Marc, I, 41) : Ma fille, levez-vous, je vous le commande (Ibid. v , 41) : Etendez a votre main (Ibid. III, 5) : Vos péchés vous sont remis (Matth. IX, 5) : Tais-toi; calme-toi (Marc, IV, 39) : Emportez votre lit, et vous en allez en votre maison (Luc, V, 24) : " Esprit impur, sors de cet homme (Marc, V, 8) : Qu'il vous soit fait selon que vous demandez (Matth. VIII , 13) : Si quelqu'un vous dit quelque chose, dites-lui que le Seigneur en a besoin (Ibid. XXI, 3) : Vous serez aujourd'hui avec moi dans le paradis (Luc, XXIII, 43) : Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens : vous ne tuerez point; mais moi je vous dis que quiconque se mettra en colère sans raison contre son frère, méritera d'être condamné par le jugement (Match. V, 21, 22) : Suivez-moi, et je vous ferai devenir pêcheurs d'hommes ". (Ibid. IV, 19.) Et partout nous voyons sa grande autorité. Car personne ne pouvait trouver à redire à ses oeuvres : et en quoi l'aurait-on pu ? Encore si l'effet n'avait pas suivi sa parole, quelqu'un aurait pu dire que ces ordres étaient vains et présomptueux; mais comme ils avaient leur prompt accomplissement, là vérité du miracle forçait les Juifs malgré eux-mêmes à garder le silence. Mais en ce qui regarde les paroles, leur impudence aurait pu les porter à les accuser de hauteur et de vanité.
Maintenant donc Jésus-Christ parlant à Nicodème, ne lui dit ouvertement rien de grand, rien de sublime ; mais par des paraboles et des figures il le ramène et le tire des bas sentiments qu'il avait conçus de lui, lui faisant connaître qu'il se suffisait à lui-même pour opérer des miracles ; car son Père l'a engendré parfait, se suffisant à soi-même et n'ayant aucune imperfection. Mais de quelle manière Jésus-Christ établit-il cette vérité ? Nicodème a dit : " Maître, nous savons que vous êtes venu de la part de Dieu pour nous instruire comme un docteur, et que personne ne saurait faire les miracles que vous faites si Dieu n'était avec lui ". En quoi il crut avoir dit de Jésus-Christ quelque chose de grand. Que fit donc Jésus-Christ? Il lui fit voir qu'il était encore bien éloigné de la vérité, qu'il n'en avait pas la moindre idée, et que lui et tout autre qui parlait de la sorte, et qui avait une pareille opinion du Fils unique, errait hors du royaume de Dieu et n'approchait pas encore de la véritable connaissance. Que dit-il ? " En vérité, en vérité, je vous dis que personne ne peut voir le royaume de Dieu s'il ne renaît de nouveau " ; c'est-à-dire, si vous ne renaissez d'en haut et si vous ne recevez pas la véritable connaissance des mystères, vous errez au dehors et vous êtes éloigné du royaume de Dieu. Mais il ne le dit pas clairement, et afin que ce qu'il disait lui cause moins de peine et d'inquiétude , il lui parle d'une manière enveloppée; il dit en général . " si on ne renaît ", comme s'il disait : Si vous, ou quelqu'autre que ce soit, vous avez de moi de tels sentiments, vous êtes tous hors du royaume. Si ce n'était pas dans cet esprit que Jésus-Christ a dit ces choses, sa réponse ne conviendrait point au sujet. Au reste, si les Juifs l'avaient ouïe, ils se seraient retirés et en auraient ri. Mais Nicodème, même en cela, montre un sincère désir de s'instruire: Souvent Jésus-Christ parle d'une manière couverte, et c'est pour rendre ses auditeurs plus prompts à l'interroger et plus attentifs. En effet, ce qui est clair et d'une facile intelligence n'attire pas l'attention de l'auditeur et se, perd aisément de la mémoire; mais l'attention et la curiosité se réveillent quand on dit quelque chose d'obscur, et aussi on le retient mieux et plus longtemps.
Voici ce que signifient ces paroles de Jésus-Christ: Si vous ne renaissez d'en-haut, si vous ne recevez le Saint-Esprit par le baptême de la régénération, vous ne pouvez véritablement me connaître: l'opinion que vous avez de moi n'est point spirituelle, elle est charnelle. Jésus-Christ ne s'est pas servi de ces termes, de peur [214] d'intimider Nicodème, qui avait parlé selon son esprit et sa capacité; mais, après avoir gagné sa confiance, il l'élève à une plus grande connaissance, en disant: " Si on ne renaît d'en-haut " : ce mot, " d'en-haut ", les uns l'entendent du ciel; d'autres disent qu'il signifie " de nouveau " : Celui, dit-il , qui ne renaît pas de cette manière , ne peut point voir le royaume de Dieu, c'est-à-dire, Jésus-Christ lui-même; par là il faisait connaître qu'il n'était pas seulement ce que l'on voyait au dehors, mais que, pour le voir , il fallait avoir d'autres yeux.
Nicodème ayant ouï cela, dit: " Comment peut naître un homme qui est déjà vieux? (4) " Quoi ! vous l'appelez maître, vous dites qu'il est venu de la part de Dieu ; et à celui que vous reconnaissez pour votre maître , vous faites une réponse qui peut l'embarrasser et le jeter dans un grand trouble ! En effet, cette parole : " Comment ", exprime le doute d'une âme peu croyante et encore attachée à la terre. Sara rit en disant: " Comment " , et ce rire marquait son doute et sa défiance, et plusieurs autres, pour avoir fait une pareille demande, se sont égarés de la foi.
3. C'est ainsi que les hérétiques, faisant de semblables demandes , s'obstinent dans leurs hérésies. Les uns disent: COMMENT s'est-il incarné? d'autres: COMMENT est-il né? Par où ils soumettent l'immense substance à leurs faibles lumières. Nous donc, fuyons une curiosité si mal placée. Ceux qui agitent ces sortes de questions ne sauront jamais comment ces choses se sont faites et perdront la vraie foi. Voilà pourquoi Nicodème, dans son doute, cherche et demandé : COMMENT. Il a compris que ce que disait Jésus-Christ le regarde; il en est tout troublé; couvert de ténèbres, il s'arrête et ne sait où aller. Il a cru venir trouver un homme, et il entend une doctrine trop grande et trop élevée pour qu'elle puisse venir d'un homme, une doctrine que jamais personne n'a entendue: véritablement Jésus-Christ élève son esprit aux sublimes paroles qu'il lui a fait entendre, mais Nicodème retombe dans les ténèbres et ne peut en sortir : il ne peut se fixer, il est emporté de toutes parts, souvent il s'écarte de la foi. C'est pourquoi il persiste à tenter l'impossible, afin d'engager Jésus-Christ à lui enseigner plus clairement sa doctrine. " Un homme " , dit-il, " peut-il entrer une seconde fois dans le sein de sa mère pour naître encore ? "
Considérez, mes frères; quels propos ridicules on profère, quand, dans les choses spirituelles, on se livre à ses propres pensées; et comment on semble débiter des rêveries dignes d'une personne ivre, lorsque, contre la volonté de Dieu, on veut trop curieusement sonder sa parole, et ne pas soumettre sa raison à la foi. Nicodème entend parler de naissance, et il ne comprend pas que c'est d'une naissance spirituelle qu'on parle ; mais il tourne sa pensée sur la méprisable génération de la chair, et veut rattacher un mystère si grand et si sublime à l’ordre de la nature. Delà ces doutes, ces questions ridicules ; c'est ce qui fait dire à saint Paul : " L'homme animal n'est point capable dès choses qui sont de l'Esprit de Dieu ". (I Cor. II, 14.) Mais toutefois Nicodème garde le respect qu'il doit à Jésus-Christ: il ne rit pas de ce qu'il a entendu : il le regarde comme impossible, il se tait. Deux choses pouvaient paraître douteuses: cette nouvelle naissance et le royaume. Car ces noms de royaume et de renaissance étaient encore inconnus parmi les Juifs; mais il s'arrête principalement à la première de ces choses: voilà ce qui agite son esprit et le tourmente le plus.
Instruits de ces vérités, mes chers frères, ne raisonnons pas sur les choses divines, ne les comparons pas aux productions de la nature, et ne les soumettons pas à des lois nécessaires; mais, confiants aux paroles de l’Ecriture, croyons pieusement à tout ce qu'elle nous enseigne. Celui qui sonde avec trop de curiosité ne gagne rien, et outre qu'il ne trouvera point ce qu'il cherche, il sera de plus très-rigoureusement puni. Vous dit-on que le Père a engendré ? Croyez ce qu'on vous dit; ne cherchez point à connaître COMMENT : vous ne le savez pas ; que ce ne soit point une raison pour vous de refuser de croire à cette génération; c'est en quoi il y aurait une extrême méchanceté. Si Nicodème, ayant ouï parler de génération, non de l'ineffable génération, mais de la renaissance qu'opère la grâce ; si, dis-je, Nicodème , pour n'avoir pas élevé son esprit, n'avoir rien pensé de grand, n'avoir conçu que des idées basses, humaines et toutes terrestres, s'est précipité dans le doute et dans les ténèbres , ceux qui sondent et examinent curieusement cette redoutable et si respectable génération, qui surpasse notre raison et toutes nos pensées, quel supplice ne mériteront-ils pas ? Rien ne produit de plus épaisses ténèbres [215] que la raison humaine, qui ne s'entretient que de choses terrestres et n'est point éclairée d'en-haut. Car elle est toute offusquée par la fange terrestre de ses pensées. C'est pourquoi nous avons besoin de ces sources d'eau qui tombent du ciel, afin qu'après avoir lavé la boue dont notre âme est souillée, ce qui y restera de pur s'élève en haut et aille se mêler avec la divine doctrine. Or, cela arrive. lorsque nous avons soin d'embellir notre âme et de vivre dans la pureté et dans la sainteté. Car notre âme peut se couvrir de ténèbres; oui, elle le peut, non-seulement par une curiosité mal placée, mais encore par la mauvaise vie. Voilà pourquoi saint Paul disait aux Corinthiens : " Je ne vous ai nourris que de lait et non de viandes solides, parce que vous n'en étiez pas capables ; et à présent même vous ne l'êtes pas encore, parce que vous êtes " encore charnels , puisqu'il y a parmi vous des jalousies et des disputes ". (l Cor. 111, 2.) Le saint apôtre dit encore, dans l'épître aux Hébreux, et souvent ailleurs, que c'est là la source et la cause des mauvaises doctrines qui s'élèvent et se répandent dans l'Église. L'âme qui s'est adonnée à ses passions ne peut rien voir de grand, rien penser de noble et d'élevé; étant offusquée par une espèce de chassie, elle demeure ensevelie dans de profondes ténèbres.
Purifions donc notre âme, éclairons-la de la lumière que répand la connaissance de Dieu , de peur que la semence ne tombe parmi les épines. Vous savez quelle est l'abondance de ces épines, quoique nous n'en parlions point. Vous avez souvent entendu Jésus-Christ appeler du nom d'épines (Matth. XIII, 22), les inquiétudes de ce siècle et l'illusion des richesses. Et certes, c'est avec raison : comme les épines sont stériles, les richesses le sont aussi; comme celles-là déchirent ceux qui en approchent, de même celles-ci déchirent l'âme, et comme le feu les consume facilement, et que les vignerons ne peuvent les souffrir, le feu de même consumera les biens de ce monde, de même le vigneron les rejettera ; et encore, comme les bêtes dangereuses, telles que les vipères et les scorpions, se cachent dans les épines, elles se cachent aussi dans les trompeuses richesses. C'est pourquoi mettons le feu du Saint-Esprit dans ces épines, et préparons notre champ, arrachons-en toutes les mauvaises plantes, afin qu'il soit net à l'arrivée du vigneron ; arrosons-le ensuite des eaux spirituelles. Plantons-y le fertile olivier, cet arbre si beau, si agréable, qui est vert en tout temps, qui éclaire, qui nourrit, qui est bon à la santé. L'aumône renferme en soi toutes ces qualités , elle est comme un sceau qui garantit la possession de nos biens. La mort même ne sèche point cet arbre, mais il demeure ferme, et ne meurt jamais; toujours éclairant l'âme, entretenant ses forces., les conservant dans toute leur vigueur ", il la rend plus robuste. Si nous le possédons toujours, cet arbre, nous pourrons avec confiance nous présenter à l'époux, et entrer dans la chambre nuptiale; fasse le ciel que nous y entrions tous, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, avec le Père et le Saint-Esprit, soit la gloire, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.




HOMÉLIE XXV.
JÉSUS LUI RÉPONDIT : EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ JE VOUS DIS QUE SI UN HOMME NE RENAÎT DE L'EAU ET DE L’ESPRIT, IL NE PEUT ENTRER DANS LE ROYAUME DE DIEU. (VERSET 5.)
ANALYSE.
216
1. Saint Chrysostome prêchait deux fois la semaine. — Nicodème n'entend, pas les paroles du Sauveur parce qu'il vent raisonner humainement dans les choses spirituelles. —Si un homme ne naît pas de l'eau et de l'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume des cieux.
2. et 3. Croire ce qu'on ne voit point. — Dans la première création, le Créateur s'est servi de la terre pour créer l'homme. — Dans la seconde, le Saint-Esprit se sert de l'eau. — Le premier homme ,a été créé avec une âme vivante ; et le second est rem-, pli de l'Esprit vivifiant. — Le premier homme avait besoin d'un aide ; le second, recevant la grâce du Saint-Esprit, n'a pas besoin d'un autre aide. — Belle description de ce que Dieu a fait pour le premier homme, et de ce qu'il fait pour le second. Nous attendons une autre vie beaucoup meilleure. — Se soumettre à la parole de Dieu, elle est plus certaine que la vue. — C'est elle qui a tout produit, elle mérite que nous la croyions. — L'eau est nécessaire au baptême, pourquoi? — Cérémonies du baptême. — Les grands mystères que Jésus-Christ a opérés pour nous, et qu'il nous a confiés, doivent nous porter à mener une vie qui en soit digne. — Les catéchumènes sont hors du corps des fidèles. — Contre les catéchumènes qui diffèrent jusqu'à la mort de recevoir le baptême. — Prêter son argent à Jésus-Christ, pour obtenir la rémission de ses péchés. — Donner les petits biens qu'on a pour en acheter de très-grands.
1. Les petits enfants vont tous les jours à l'école trouver leur maître, recevoir la leçon et la réciter, et ne cessent jamais de faire le même exercice, ou plutôt souvent au jour ils joignent la 'nuit. Et vous les obligez de faire tout cela pour des biens fragiles et passagers; mais nous ne demandons pas de vous, qui êtes dans un âge plus fort et plus mûr, ce que vous exigez de vos enfants. Nous ne vous demandons pas de venir tous les jours au sermon, mais nous vous exhortons seulement d'y assister deux fois la semaine, et d'y être attentifs, et encore, afin d'adoucir votre peine et votre travail, ce n'est que pour une petite partie du jour. Voilà pourquoi nous prenons et nous expliquons peu à peu les paroles de l'Ecriture, afin que vous ayez plus de facilité à les comprendre, à les placer dans les réservoirs de votre mémoire, et à les retenir dans votre esprit, pour les rapporter aux autres avec beaucoup de soin et d'exactitude , si vous n'êtes pas. extrêmement négligents et plus paresseux que de petits enfants.
Reprenons donc la suite des paroles de notre évangile. Nicodème était tombé dans de basses idées, il avilissait ce qu'avait dit Jésus-Christ, l'entendant d'une naissance charnelle, et il disait qu'il est impossible qu'un homme qui est déjà vieux pût naître une seconde fois. Jésus-Christ explique plus clairement comment se doit faire cette renaissance, véritablement en des termes difficiles à comprendre pour celui qui l'avait interrogé avec un esprit charnel et tout terrestre, mais qui toutefois pouvaient le relever et le tirer des bas sentiments qu'il avait conçus. En effet, que dit le divin Sauveur? " Je vous dis en vérité que si un homme ne renaît de l'eau et de l'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu " ; c'est-à-dire : vous pensez que ce que je dis est impossible; et moi, je le dis tout à fait possible, et même si nécessaire que sans cela personne ne peut être sauvé; car les choses nécessaires, Dieu les a rendues tout à fait faciles. Et certes la naissance terrestre, qui est selon la chair, vient de la poussière ; c'est pourquoi les portes du ciel lui sont fermées : Qu'est-ce en effet qu'a de commun la terre avec le ciel? mais la naissance qu'opère le Saint-Esprit nous ouvre facilement les portes célestes.
Ecoutez ceci, vous tous qui n'avez pas encore reçu le baptême: Soyez saisis de frayeur, [217] gémissez : la menace que vous venez d'entendre fait trembler, cette sentence est terrible. " Celui ", dit Jésus-Christ, " qui n'est pas né de l'eau et de l'Esprit, ne peut entrer dans le royaume des cieux " , parce qu'il porte un vêtement de mort, c'est-à-dire de malédiction et de corruption : il n'a pas encore reçu le symbole du Seigneur (1). il est un étranger et un ennemi. Il n'a pas le signe royal : " Si un homme ", dit-il, " ne naît de l'eau et de l'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume des cieux ".
Mais Nicodème ne l'a pas pris en, ce sens. Sur quoi je dis qu'il n'est rien de pire que de se livrer aux raisonnements humains dans les choses spirituelles ! Voilà ce qui a empêché cet homme de s'élever à quelque chose de grand et de sublime. Nous sommes appelés fidèles, afin que, méprisant la faiblesse des raisonnements humains, nous nous élevions à la sublimité de la foi, et que nous confiions notre trésor et nos biens à cette doctrine. Si Nicodème l'avait fait, cette régénération ne lui aurait pas paru impossible. Que dit donc Jésus-Christ ? Pour le tirer de ce sentiment bas et rampant, et pour montrer qu'il parle d'une autre génération, il dit: " Si un homme ne naît de l'eau et de l'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume des cieux " . Or, il parle ainsi pour l'amener à la foi par cette menace, pour le convaincre qu'il ne doit pas croire que ce soit là une chose impossible, et pour le tirer de la pensée d'une génération charnelle. Je parle, dit-il, d'une autre naissance, ô Nicodème ! pourquoi, ce que je dis, l'abaissez-vous jusqu'à terre? Pourquoi, ce qui est au-dessus de la nature, le soumettez-vous aux lois de la nature? cette naissance surpasse la naissance ordinaire, elle n'a rien de commun avec nous. L'autre est également appelée naissance; mais ces deux naissances n'ont rien de commun entr'elles que le nom, elles diffèrent dans la chose. Eloignez de votre esprit l'idée des générations ordinaires : j'introduis dans le monde une autre sorte de naissance. Je veux que les hommes soient engendrés d'une autre manière; j'apporte un autre mode de création. J'ai formé l'homme de la terre et de l'eau, cette figure de terre et d'eau n'a rien produit de bon; le vase a pris une mauvaise forme. Je ne veux plus me servir de terre et d'eau, mais de l'eau et de l'Esprit.
1. Le symbole du Seigneur, c'est-à-dire, la toi, la grâce.
Que si quelqu'un me fait cette question Comment de l'eau peut-il se faire quelque chose? Je lui en ferai une autre, et je lui dirai : comment de la terre s'est-il pu faire quelque chose? comment la génération a-t-elle pu être si multiple, les productions si diverses, quand la matière qui a été employée était d'une seule espèce? D'où se sont formés les os, les nerfs, les artères, les veines? D'où se sont formés les membranes, les vaisseaux organisés, les cartilages, les tuniques, le foie, la rate, le coeur ? D'où s'est formée la peau, le sang, la pituite, la bile? D'où viennent tant d'opérations? d'où se produisent tant de différentes couleurs ? car ces choses ne naissent pas de !a terre ou de la boue. Comment la terre ensemencée pousse-t-elle là semence au dehors, et la chair corrompt-elle ce qu'elle reçoit? comment la terre nourrit-elle ce qu'on jette dans son sein; et la chair au contraire est-elle nourrie de ce qu'elle reçoit, loin de le nourrir? Donnons un exemple : la terre ayant reçu de l'eau en a fait du vin, et la chair change en eau le vin qu'elle reçoit. D'où sait-on donc que c'est la terre qui produit ces choses, puisque dans ces productions, comme j'ai dit, la terre produit un effet tout contraire ? Je ne puis le concevoir par le raisonnement, je ne le conçois donc, et je ne le sais que par la foi seulement; or, si les choses mêmes qui se font tous les jours, qui se passent sous nos yeux, sous nos sens, et que nous touchons et manions de nos mains, ont besoin de la foi, à combien plus forte raison des choses mystérieuses et spirituelles en auront-elles besoin? car comme la terre, tout inanimée et immobile qu'elle est, a reçu de Dieu, par le commandement qu'il lui en fait, la vertu de produire des choses si admirables et si merveilleuses, de même de l'Esprit et de l'eau joints ensemble s'opèrent facilement tous ces prodiges et ces miracles, qui surpassent la raison.
2. Ne refusez donc pas de croire ce que vous ne voyez pas. Vous ne voyez point l'âme, et néanmoins vous croyez qu'il y a une âme, et une âme distincte du corps. Mais Jésus-Christ n'emploie pas cet exemple pour instruire Nicodème, il se sert d'un autre. Il ne lui propose pas celui-ci, qui est incorporel et insensible, savoir : l'exemple de l'âme, parce que Nicodème était encore trop grossier. Il lui présente donc un autre exemple, emprunté à une chose qui certainement n'a pas la grossièreté des [218] corps, ni aussi la spiritualité des êtres incorporels, c'est-à-dire, l'impétuosité et l'agilité des vents. D'abord il commence par l'eau, qui est plus subtile et plus légère que la terre, et plus épaisse que le vent. Comme dans la création la terre servit de matière et que le Créateur fit tout le reste, maintenant de même, l'eau sert de matière, et la grâce du Saint-Esprit fait tout le reste : alors a l'homme reçut " l'âme et la vie " (Gen. II, 7); maintenant il est rempli de l'Esprit vivifiant ". (I Cor. XV, 45.) Mais il y a une grande différence entre l'une et l'autre chose; car l'âme ne donne pas la vie, mais l'Esprit, non-seulement vit par lui-même, mais encore il communique la vie aux autres. C'est ainsi que les apôtres ont rendu la vie aux morts. Autrefois l'homme ne fut formé qu'après la création du monde, maintenant, au contraire, le nouvel homme est créé avant la nouvelle création. Car il est régénéré le premier, et ensuite le monde est transformé. Et comme au commencement le Créateur a créé le premier homme tout entier, maintenant de même le Saint-Esprit crée le second homme tout entier. Alors Dieu dit : " Faisons-lui un aide semblable à lui " (Gen. II, 18) ; mais ici il ne dit rien de semblable. En effet, celui qui a reçu la grâce du Saint-Esprit, de quelle autre aide peut-il avoir besoin ? Celui qui demeure dans le corps de Jésus-Christ, de quel secours ensuite aura-t-il besoin? Alors Dieu fit l'homme à son image, maintenant il se l'est uni à lui-même. Alors il lui commanda de dominer sur tous les poissons et sur tous les animaux, maintenant il a élevé nos prémices au-dessus des cieux. Alors il nous, donna le paradis pour l'habiter, maintenant il nous a ouvert les portes du ciel. Alors l'homme fut formé le sixième jour, parce qu'auparavant il fallait finir la création du monde, maintenant il est formé le premier jour, et dès le commencement, et avec la lumière. Par où tout le monde voit que tout ce qui s'est, fait dans la seconde création regarde une meilleure vie et une vie qui ne finira jamais.
La première formation est donc terrestre, et c'est celle d'Adam; après vient celle de la femme, qui fut formée d'une des côtes d'Adam, et ensuite celle d'Abel, qui est né d'Adam. Et toutefois nous rie pouvons connaître aucune de ces générations, ni les expliquer par nos paroles, quoiqu'elles soient charnelles et terrestres. Comment donc pourrons-nous rendre
raison de la génération spirituelle qu'opère le baptême et qui est beaucoup plus excellente et plus sublime? Comment pouvons-nous espérer de concevoir une naissance si étonnante? Les anges s'y sont trouvés présents, mais personne ne pourra expliquer la manière dont se fait par le baptême cette admirable génération. Les anges y ont assisté sans y coopérer, sans y rien faire, seulement ils ont vu ce qui s'y est fait. Le Père, le Fils et le Saint-Esprit fait tout.
Soumettons-nous donc à la parole de Dieu, qui est plus certaine que la vue même. Car souvent les yeux se trompent, tandis que la parole de Dieu est infaillible. Soumettons-nous donc à cette divine parole ; car la parole qui a créé ce qui n'était point, mérite bien qu'on la croie lorsqu'elle parle de la nature des choses qu'elle a produites. Que dit-elle donc? Qu'il se fait une régénération dans le baptême. Que si quelqu'un vous dit: Comment cela? Fermez-lui la bouche par la parole de Jésus-Christ qui est une sorte de preuve et une démonstration évidente; mais si quelqu'un demande pourquoi on prend de l'eau, demandons-lui nous-mêmes à notre tour pourquoi la terre a été premièrement créée pour la formation de l'homme. En effet, personne n'ignore que Dieu pouvait former l'homme sans prendre de la terre. C'est pourquoi ne cherchez pas avec trop de curiosité à en savoir davantage. Or que l'eau soit nécessaire, apprenez-le par cet exemple : Le Saint-Esprit étant un jour descendu avant l'eau du baptême, l'apôtre ne s'arrêta point à cela; mais pour montrer que l'eau était nécessaire et non pas superflue, voici ce qu'il dit, écoutez-le: " Peut-on refuser l'eau du baptême à ceux qui " ont déjà reçu le Saint-Esprit comme nous?" (Act. X, 44, 47.)
Pourquoi donc l'eau est-elle nécessaire au baptême ? Je vais vous l'expliquer pour vous découvrir un mystère caché, car il y a plusieurs autres mystères cachés dans ce sacrement. Aujourd'hui, parmi ce grand nombre; je vous en découvrirai un. Quel est-il? Dans le baptême, on célèbre des symboles divins, on représente la sépulture, la passion, la résurrection, la vie de Jésus-Christ, et ces choses se font toutes à la fois. Notre tête étant plongée dans l'eau comme dans un
1. " Le Père, le Fils , et le Saint-Esprit " FAIT TOUT, pour " font tout " . Saint Chrysostome , comme l'observe Savillus, dit : FAIT TOUT, pour marquer, et mieux exprimer l'unité de substance des trois personnes.
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tombeau, le vieil homme est enseveli et entièrement noyé; quand nous sortons ensuite de cette eau, le nouvel homme ressuscite (1). Comme il nous est facile de nous plonger dans cette eau et d'en sortir ensuite, il est de même facile à Dieu d'ensevelir le vieil homme et d'en former un nouveau. Cette immersion se fait par trois fois, pour nous apprendre que- c'est la vertu du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, qui opère toutes ces choses. Mais pour vous persuader que ce n'est pas par conjecture que nous disons ceci, écoutez ce que dit saint Paul " Nous avons été ensevelis avec lui ", avec Jésus-Christ, " par le baptême, pour mourir " au péché (Rom. VI, 4) ; et ensuite : " Notre vieil homme a été crucifié avec lui " (Rom. VI, 6) ; et encore : "Nous sommes entrés avec lui, par la ressemblance de sa mort ". (Rom. VI, 5.) Or, non-seulement le baptême est appelé une croix, mais la: croix aussi est appelée un baptême : " Vous serez baptisés ":, dit Jésus-Christ, " du baptême dont je dois être baptisé " (Marc, X, 39) ; et ailleurs : " Je dois être baptisé d'un baptême que vous ne connaissez pas (2) ". Car comme il nous est facile d'être baptisés et de sortir de l'eau, de même, Jésus-Christ étant mort, est ressuscité lorsqu'il l'a voulu, ou plutôt beaucoup plus facilement encore que nous ne sortons de l'eau, quoique par une sage et mystérieuse dispensation, il soit demeuré trois jours dans le tombeau.
3. Ayant donc reçu la grâce de participer à de si grands mystères, menons une vie qui soit digne d'un don si singulier; que toute notre conduite soit parfaitement bien réglée; mais vous, qui n'en avez pas encore été jugés dignes, faites tous vos efforts pour le devenir, afin que nous ne soyons tous qu'un seul corps, afin que nous soyons tous frères. Tant que nous sommes ainsi séparés, celui qui est séparé, fût-il notre père, ou notre fils, ou notre frère, quel qu'il soit enfin , il n'est point encore véritablement notre parent, puisqu'il n'a point de part à l'alliance qui vient d'en-haut. En effet, quelle utilité peut-il revenir d'une union de boue, si l'on n'est point spirituellement unis ? Quel gain retirera-t-on d'une parenté terrestre , étant étrangers à l'égard du ciel ?
1. Le saint Docteur fait allusion à la manière de baptiser de son temps par trois immersions. On plongeait l'homme entièrement dans l'eau, et cette action représentait assez bien un pomme qui descend dans le tombeau, et qui disparaît aux yeux des hommes, etc.
2. Je n'ai point trouvé ce passage. C'est toujours me juste allusion aux paroles de Jésus-Christ.
Le catéchumène est un étranger à l'égard d'un fidèle: il n'a ni le même chef, ni le même père, ni la même cité, ni la même nourriture, ni le même vêtement, ni la même table; mais tout est séparé. Tout ce que possède celui-là est sur la terre: tout ce que possède celui-ci est dans le ciel; Jésus-Christ est le roi de celui-ci, l'autre a pour rois le péché et le diable; Jésus-Christ fait les délices de l'un ; la corruption, de l'autre. L'ouvrage des vers est le vêtement de celui-là; le vêtement de celui-ci, c'est le Seigneur des anges. Le ciel est la cité de l'un , la terre l'est de l'autre. Puis donc qu'il n'y a rien de commun entre nous, en quoi, je vous prie, communiquerons-nous? Mais, direz-vous, nous avons tous une même naissance, nous sortons tous du sein d'une même terre? Je vous répondrai: mais cela ne suffit pas pour faire une véritable et légitime alliance. Travaillons donc à devenir citoyens de la cité du ciel. Jusques à quand demeurerons-nous dans notre exil, nous qui devrions faire tous nos efforts pour rentrer dans notre ancienne patrie? La perte que nous risquons de faire n'est ni légère , ni de vil prix. Le Seigneur veuille bien nous en préserver ! mais si une mort imprévue venait à nous enlever de ce monde , avant d'avoir reçu le baptême, fussions-nous chargés de mille biens, de toute sorte de bonnes oeuvres, nous n'aurions pour partage que l'enfer, et un ver venimeux; qu'un feu qui ne s'éteint point, et des liens indissolubles.
Mais, à Dieu ne plaise qu'aucun de mes auditeurs tombe dans ce lieu de supplices ! Nous l'éviterons si, après avoir été initiés aux saints mystères, nous mettons au fondement de l'édifice du salut notre or, notre argent et nos pierres précieuses. C'est ainsi qu'en l'autre monde nous pourrons nous trouver riches, si nous n'avons pas laissé ici notre argent , et si nous l'avons envoyé là-haut, par les mains des pauvres, au trésor inviolable, si nous l'avons prêté à Jésus-Christ. Nous avons contracté de grandes dettes envers ce trésor, non en argent, mais par nos péchés. Prêtons donc notre argent à Jésus-Christ, afin d'obtenir la rémission de nos péchés; c'est lui qui est notre juge. Ne le méprisons pas ici lorsqu'il a faim, afin que là il nous nourrisse: ici habillons-le, afin que là il ne nous laisse pas nus, en nous privatif de sa protection. Si nous lui donnons à boire ici, nous ne dirons pas avec le riche: "Envoyez Lazare, afin qu'il trempe le bout de son doigt [220] dans l'eau pour me rafraîchir la langue qui est toute en feu ". (Luc, XVI, 24.) Si ici nous le recevons chez nous, là il nous préparera plusieurs demeures. Si nous allons le visiter, lorsqu'il est en prison, il nous délivrera, lui aussi, des liens. Si nous exerçons l'hospitalité envers lui, il ne souffrira pas que nous restions étrangers au royaume des cieux; mais il nous fera citoyens de la cité d'en-haut. Si nous allons le voir quand il est malade, il nous guérira sur-le-champ de nos infirmités. Ainsi donc, puisqu'il suffit de donner peu pour recevoir beaucoup, donnons quoi que ce soit, afin d'être amplement rémunérés; pendant que nous en avons encore le temps, semons pour moissonner un jour. Lorsque l'hiver sera arrivé, lorsque la mer ne sera plus navigable, il ne sera plus alors en notre pouvoir de commercer.
Et quand aurons-nous l'hiver? lorsque le grand jour, le jour plein de lumière sera arrivé. Alors nous ne naviguerons plus sur cette grande et vaste mer de la vie présente. Maintenant c'est le temps de semer, alors ce sera le temps de faire la moisson et d'amasser. Si l'on ne sème pas pendant les semailles, et si, au temps de la moisson, on sème, outre qu'on ne récolte rien, on se rend ridicule. Si c'est le temps de semer, il ne faut donc pas chercher maintenant à recueillir, mais il faut semer. En conséquence, répandons pour amasser ensuite ; ne nous attachons pas maintenant à recueillir, de peur que noirs ne perdions notre moisson: le temps présent, comme j'ai dit, nous appelle à semer et à répandre, et non lias à amasser ni à faire des provisions. C'est pourquoi ne perdons pas l'occasion , mais jetons copieusement la semence, et n'épargnons rien de ce qui est chez nous , afin de recouvrer tout avec usure, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soit la gloire, au Père et au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.





HOMÉLIE XXVI.
CE QUI EST DE LA CHAIR, EST CHAIR, ET CE QUI EST NÉ DE L'ESPRIT, EST ESPRIT. (VERSET 6, JUSQU'AU VERSET 11.)
ANALYSE.
1. De la renaissance spirituelle, ses caractères.
2. Le vent souffle où il veut. — La régénération spirituelle préfigurée et prédite.
3. Nous rendons témoignage de ce que nous avons vu. — Persuader par la douceur. — Ne se mettre pas en colère. — Fuir les crieries. — Description de la colère, ses effets. — Celui qui dit des injures fait une action honteuse: celui qui les souffre patiemment est un vrai philosophe. — Les serviteurs sont de même nature que les maîtres, les maîtres ne doivent pas les injurier. — Ce qu'ils font par crainte de leurs maîtres, les maîtres le doivent faire par la crainte de Dieu.
1. Le Fils unique de Dieu a eu la bonté de nous initier à de grands mystères: oui, certes, ils sont grands ces mystères, et nous n'en étions pas dignes: mais il était de sa grandeur et de sa dignité de nous les communiquer. Que si l'on considère notre mérite, non-seulement nous étions indignes de ce bienfait, mais nous méritions sa vengeance et une sévère punition. C'est à quoi néanmoins il n'a point regardé: il ne nous a pas seulement délivrés du supplice, il nous a encore donné une vie bien plus noble que la première, il nous a introduits dans un autre monde, il a formé une nouvelle créature : " Si quelqu'un [221] appar tient à Jésus-Christ ", dit l'Ecriture, " il est devenu une nouvelle créature ". (II Cor. V, 17.) Quelle est-elle cette nouvelle créature? Ecoutez le Fils de Dieu, il vous l'apprend lui-même : " Si un homme ne renaît ", vous dit-il, " de l'eau et de l'Esprit; il ne peut entrer, dans le royaume de Dieu ". (Jean, III, 5.) Il nous avait confié la garde du paradis de délices (Gen. II, 15) ; nous nous sommes rendus indignes de l'habiter : il nous a élevés au ciel. Dans notre première demeure nous ne lui avons pas été fidèles, et cependant il nous a donné quelque chose de plus grand. Nous n'avons pu nous abstenir de manger du fruit d'un seul arbre (Gen. II, 17), et il nous a donné les délices célestes. Etant dans le paradis nous n'avons pas persévéré dans le bien, et il nous a ouvert les cieux. Saint Paul a donc eu raison de s'écrier : " O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! " (Rom. XI, 33.)
Non, aujourd'hui il n'est plus besoin ni de mère, ni d'enfantement, ni de sommeil, ni de mariage, ni d'embrassements : l'ouvrage de notre nature s'opère enfin dans le ciel, et se forme de l'eau et de l'Esprit : c'est l'eau qui conçoit et produit l'enfant. Ce qu'est le ventre de la mère à l'embryon, l'eau l'est au fidèle, car il est conçu et enfanté dans l'eau. Au commencement Dieu avait dit : " Que les eaux produisent des poissons vivants ". (Gen. I, 20.) Mais depuis que le Seigneur est entré dans le fleuve du Jourdain, ce ne sont plus des poissons vivants que l'eau produit : elle engendre des âmes raisonnables, qui portent le Saint-Esprit. Et ce qui a été dit du soleil, qu' " il est comme un époux qui sort de sa a chambre nuptiale " (Ps. XVIII, 5); maintenant on, le peut dire des fidèles, qui jettent des rayons plus brillants que le soleil. Encore il faut du temps pour. que ce qui est conçu dans le sein de la mère se forme et vienne à terme : mais il n'en arrive pas de même de ce qui se produit dans l'eau, tout s'y forme en un instant : quand il s'agit d'une vie périssable, résultat d'une corruption charnelle, le fruit tarde à voir le jour : car il est dans la nature des corps de n'arriver que peu à peu à la maturité : mais il n'en est pas ainsi des choses spirituelles : elles sont parfaites dès le commencement.
Comme Nicodème , en entendant dire ces choses, se troublait toujours, voyez comment Jésus-Christ lui découvre le secret de ce mystère, et lui éclaircit ce qui était auparavant obscur : " Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l'Esprit est esprit ". Il l'éloigne par là de tout ce qui tombe sous les sens, et ne lui permet pas de sonder les mystères avec des yeux corporels. Nous ne parlons pas de la chair, ô Nicodème ! lui dit-il; mais de l'Esprit. Ainsi il élève son esprit aux choses spirituelles : n'imaginez, lui dit-il, ne cherchez rien de sensible. Ce n'est pas avec ces yeux qu'on voit l'Esprit : ne pensez pas que l'Esprit produise la chair.
Comment donc, dira peut-être quelqu'un, la chair du Seigneur est-elle née? Elle est née, non de l'Esprit seulement, mais encore de la chair, ce que saint Paul nous apprend par ces paroles : " Il est né d'une femme et assujetti à la loi " (Gal. IV, 4) : le Saint-Esprit l'a ainsi formé, mais non pas tiré du néant : en effet, s'il l'avait tiré du néant, en quoi le sein d'une femme aurait-il été nécessaire? l'Esprit l'a formé de la chair d'une vierge : mais coin ment? je ne puis l'expliquer. Au reste, Jésus-Christ est né d'une femme, de peur qu'on ne crut qu'il n'avait rien de commun avec notre nature. Si, alors même que la chose s'est ainsi passée, il se trouve pourtant des gens qui ne croient pas à cette génération : à quel comble d'impiétés ne se serait-on pas porté, à supposer que cette chair n'eût pas été tirée de celle d'une vierge?
" Ce qui est né de l'Esprit, est esprit " : Ne voyez-vous pas en cela la dignité et la puissance du Saint-Esprit? il fait l'ouvrage de Dieu. L'évangéliste disait ci-dessus : " Ils sont nés de Dieu " ; maintenant il dit ici: ils sont engendrés de l'Esprit. " Ce qui est né de l'Esprit, est esprit " : c'est-à-dire celui qui est né de l'Esprit est spirituel. Jésus-Christ ne parle pas ici de la génération, quant à la substance, mais quant à la dignité et à la grâce. Si donc le Fils est né de cette manière, qu'aura-t-il de plus que le reste des hommes, qui sont nés de même? comment est-il le Fils unique? car, moi aussi, je suis né de Dieu, mais non pas de sa substance : si donc le Fils lui-même n'est pas né de sa substance, en quoi diffère-t-il de nous? De cette manière il se trouvera aussi qu'il est au-dessous du Saint-Esprit. Car la génération dont nous parlons se fait par la grâce de l'Esprit-Saint. Est-ce que, pour rester le Fils, il a besoin du Saint-Esprit? [222] mais en quoi cette doctrine diffère-t-elle de celle des Juifs?
Jésus-Christ donc après avoir dit : ce qui est né de l'Esprit est esprit; comme il voit Nicodème encore dans le trouble, passe à un exemple sensible. " Ne vous étonnez pas ", dit-il, " de ce que je vous ai dit, qu'il faut que vous naissiez encore une fois. Le vent souffle où il veut (7, 8) ". Quand Jésus-Christ dit à Nicodème : " Ne vous étonnez pas ", il marque le trouble et l'agitation de son esprit, et en même temps il l'introduit dans un monde moins grossier que celui des corps; déjà par ces paroles : " Ce qui est né de l'Esprit est esprit", il l'avait éloigné de toutes ces idées charnelles. Mais comme Nicodème ne comprenait pas ce que cela voulait dire, il lui apporte encore un autre exemple, il ne le tire pas de la grossièreté des corps, il ne parle non plus en aucune façon des choses incorporelles, à quoi Nicodème ne pouvait rien entendre, mais il lui propose une chose qui tient le milieu entre ce qui est corporel et ce qui est incorporel; savoir, le vent qui de sa nature est subtil et impétueux, et c'est par ce symbole qu'il l'instruit ; il dit du vent : " Vous entendez bien sa voix, mais vous ne savez d'où il vient, ni où il va ". Quand il dit : " Il souffle où il lui plait " ; il ne veut pas dire que le vent s'emporte à son gré, mais il veut marquer son impétuosité et sa force irrésistible. C'est la coutume de l'Ecriture de parler ainsi des choses inanimées (1) : comme lorsqu'elle dit : " Les créatures sont assujetties à la vanité, et elles ne le sont pas volontairement ". (Rom. VIII, 20.) Ce mot donc : " Il souffle où il lui plaît ", signifie qu'on ne peut le retenir, qu'il se répand partout; que personne ne peut l'empêcher d'aller de côté et d'autre, et qu'il se déchaîne avec une grande violence, nul ne pouvant arrêter son impétuosité.
2. " Et vous entendez bien sa voix ", en d'autres termes, le bruit, le son : " Mais vous ne savez d'où il vient, ni où il va : il en est de même de tout homme qui est né de l'Esprit " : c'est là la conclusion. Si vous n pouvez pas, dit-il, expliquer l'impétuosité du vent, que l'ouïe et le tact vous font sentir, et s vous ne connaissez pas la route qu'il suit pourquoi cherchez-vous curieusement à sonder l'opération de l'Esprit-Saint, vous qui ne
1. C'est-à-dire, d'attribuer du sentiment et de la raison aux créatures insensibles.
comprenez pas la violence du vent, quoique vous en entendiez le bruit? car ce mot: " Il souffle où il lui plaît ", est dit de la puissance du Saint-Esprit, et c'est ainsi qu'il faut l'expliquer. Si personne ne peut arrêter le vent, et s'il souffle où il lui plaît, ni les lois de la nature, ni les bornes des générations corporelles, ni quelqu'autre chose que ce puisse être, ne pourront à bien plus forte raison empêcher l'opération de l'Esprit-Saint. Or, que ce soit du vent qu'il est dit : " Vous entendez sa voix ", c'est ce qui est évident : Jésus-Christ n'aurait pas dit à un infidèle, à un ignorant, en voulant parler de l'opération de l'Esprit-Saint, " vous entendez sa voix ". Comme donc on ne voit pas le vent, quoiqu'il fasse du bruit, de même on n'aperçoit pas des yeux du corps la génération spirituelle : et néanmoins le vent est un corps, quoique très-subtil : car tout ce qui est soumis aux sens est un corps. Si donc ce n'est ni une peine, ni un chagrin pour vous, de ne pas voir un corps, ni aussi une raison d'en nier l'existence , pourquoi vous troublez-vous quand vous entendez parler de l'Esprit-Saint? pourquoi demandez-vous tant de comptes, puisque vous ne faites pas de même à l'égard d'un corps? quelle est donc la conduite de Nicodème? Après un exemple si clair, il demeure encore dans ses basses idées, dans sa grossièreté juive; et comme dans le doute, où il persiste toujours, il dit encore à Jésus-Christ : " Comment cela se peut-il faire? (9) " Le divin Sauveur lui répond plus durement: " Quoi ! vous êtes maître en Israël, et vous ignorez ces choses? (10) " Considérez toutefois que jamais il ne l'accuse de malice, que seulement il lui reproche sa grossièreté et sa stupidité.
Mais qu'a de commun, dira-t-on, cette génération avec ce qui s'est passé parmi les Juifs? mais plutôt dites-moi, je vous prie, ce qui ne s'y rapporte pas. La création du premier homme, la formation de la femme tirée de son côté ; les femmes stériles devenues fécondes, et tout ce qui a été opéré par l'eau et sur les eaux, savoir : dans la fontaine d'où Elisée retira le fer qui y était tombé; les prodiges qui se sont faits au passage de la mer Rouge; les miracles arrivés à la piscine dont l'ange remuait l'eau (Jean, C, 5) , et la guérison miraculeuse de Naaman de Syrie dans le Jourdain ; toutes ces choses, dis-je, étaient comme des figures et des symboles de la génération [223] et de la purification qui devait un jour arriver, et qui les annonçaient d'avance; les oracles mêmes des prophètes prédisaient en quelque sorte cette nouvelle manière de naître, comme par exemple , ces paroles : " La postérité à venir sera annoncée par le Seigneur, et les cieux annonceront sa justice au peuple qui doit naître " dans la suite; " au peuple qui a été fait par le Seigneur ". (Ps. XXI, 34.) Et celles-ci : " Il renouvelle sa jeunesse comme celle de l'aigle ". (Ps. CII, 5.) Ces autres : " Jérusalem , recevez la lumière : car voilà que votre roi est venu ". (Isaïe, LX, 1.) Et encore : " Heureux sont ceux à qui les iniquités ont été remises ". (Ps. XXXI, 1.) Isaac était aussi une figure de cette naissance.
Dites, ô Nicodème ! dites-le nous : comment Isaac est-il né ? Est-ce purement selon la loi de la nature? Non : donc cela s'est fait d'une manière qui tenait et de la naissance naturelle, et de la nouvelle naissance, car Isaac est né d'un mariage, et d'autre part il n'est pas simplement né du sang. Et moi, je vous ferai voir que non-seulement cette naissance, mais encore l'enfantement de la Vierge, ont été prédits et annoncés d'avance par les prodiges figuratifs dont je viens de parler. Comme personne n'aurait pu facilement croire qu'une Vierge enfantât , premièrement les femmes stériles, et non-seulement les femmes stériles, mais encore les vieilles ont enfanté. Et toutefois, qu'une femme soit formée d'une côte, c'est quelque chose de plus merveilleux et de plus étonnant : mais comme ce prodige était très-ancien , une autre espèce d'enfantement a paru dans la suite : et la fécondité des femmes stériles a préparé les esprits à croire à l'enfantement de la Vierge ; c'est pour rappeler ces célèbres événements à Nicodème que Jésus-Christ lui disait : " Quoi ! vous êtes maître en Israël, et vous ignorez ces choses? Nous disons ce que nous savons, et nous rendons témoignage de ce que nous avons vu, et cependant personne ne reçoit notre témoignage ". Jésus-Christ ajouta ces choses, et pour prouver encore par d'autres exemples ce qu'il avait dit, et pour s'accommoder à sa fait blesse.
3. Mais que signifient ces paroles : " Nous disons ce que nous savons, et nous rendons témoignage de ce que nous avons vu (11) ? " Comme de tous les sens, la vue est celui qui nous persuade le plus , comme lorsque nous voulons qu'on nous croie, nous élisons que nous n'avons pas entendu de nos oreilles, mais que nous avons vu de nos propres yeux; voilà pourquoi Jésus-Christ, parlant à Nicodème, emprunte le langage des hommes et leur façon de parler; il l'emprunte pour persuader ce qu'il dit : mais que cela soit ainsi, que telle ait été son unique intention, et qu'il ne veuille pas parler de la vue sensible, ses propres paroles le font voir visiblement. II avait dit: " Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l'Esprit est esprit ", il ajoute : " Nous disons ce que nous savons, et nous rendons témoignage de ce que nous avons vu ". Mais cela n'était point encore arrivé. Pourquoi dit-il donc: " Ce que nous avons vu ? " N'est-il pas évident qu'il parle de cette exacte et parfaite connaissance qui ne peut se tromper ? " Et cependant personne ne reçoit notre témoignage. " Ce mot donc: " Ce que nous savons ", Jésus-Christ le dit ou de soi et de son Père, ou de soi seulement; mais celui-ci : " Personne ne reçoit ", il ne le dit pas maintenant pour marquer sa colère et son indignation, mais seulement pour faire connaître ce qui se passe. Car il n'a point dit : Est-il rien de plus insensible que vous? Quoi! vous ne recevez pas ce que nous vous expliquons avec tant de soin et d'exactitude? Il montre au contraire une très-grande modération et dans ses actions, et dans ses paroles; il ne dit rien d'approchant, mais il prédit avec douceur ce qui en arriverait, et nous donne à nous cet exemple d'une extrême patience, afin que nous ne soyions ni fâchés , ni chagrins, lorsque nous ne persuadons pas ceux à qui nous parlons.
En effet, que sert de se fâcher ? on n'y gagne rien; au contraire, on s'aliène les esprits, on les rend plus opiniâtres dans leur incrédulité. C'est pourquoi il faut bien se garder de se fâcher : il faut s'attacher à rendre digne de foi ce qu'on dit, en s'abstenant non-seulement de se mettre en colère, mais aussi de se répandre en clameurs; car des clameurs naît la colère. Arrêtons dune le cheval, pour renverser le cavalier. Coupons les ailes à la colère, et nous comprimerons son essor. Elle est un venin subtil, qui s'insinue facilement, et qui infecte l'âme. Il faut donc lui fermer toutes les portes. Il serait ridicule d'adoucir et d'apprivoiser des bêtes, et de négliger notre âme, de la laisser devenir brutale et farouche. La colère est un grand feu qui dévore tout : elle [224] corrompt le corps, elle ruine l'âme; elle rend l'homme laid et horrible à voir. Certes si un homme en colère voulait se regarder au miroir, il ne lui faudrait point d'autre avertissement : rien n'est plus affreux qu'un visage en colère. La colère est une espèce d'ivresse, ou plutôt elle est pire et plus misérable qu'un démon : mais être attentifs ,à ne se pas répandre en clameurs, c'est la meilleure voie pour arriver à la vraie philosophie. Voilà pourquoi saint Paul commande de fuir non-seulement la colère, mais encore les clameurs : " Que toute colère ", dit-il, " et toute clameur soient bannies d'entre vous ". (Ephés. IV, 31.)
Soyons donc soumis et, obéissants au grand Maître de toute philosophie, de toute sagesse 1 Et lorsque nous nous sentons émus de colère contre nos serviteurs, pensons à nos péchés et rougissons de honte en voyant leur douceur et leur patience. Car quand vous chargez d'injures votre serviteur, et qu'il écoute vos injures patiemment et en silence, que vous faites une action honteuse, et que lui, il se conduit en vrai philosophe : c'est un avertissement qui devrait vous suffire. En effet, quoiqu'il ne soit qu'un valet, toutefois il est homme, doué d'une âme immortelle et honoré des mêmes dons que nous par notre commun Maître. Que si nous étant égal dans les plus grandes choses et dans les dons spirituels, il souffre patiemment vos outrages à cause de je ne sais quelle légère prérogative humaine, de quel pardon et de quelle excuse serons-nous dignes, nous, qui même par la crainte de Dieu ne pouvons, ou même ne voulons pas nous contenir, comme ce domestique le fait par la crainte qu'il a de nous?
Réfléchissons donc en nous-mêmes sur toutes ces choses, pensons que nous sommes des pécheurs, et que nous participons tous à une même nature; étudions-nous à parler avec douceur en toute occasion, afin qu'étant humbles de coeur, nous procurions à nos âmes le repos et la paix, et de la vie présente et de la vie future. Je prie Dieu de nous l'accorder à tous, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui, etc.






HOMÉLIE XXVII.
MAIS SI VOUS NE ME CROYEZ PAS LORSQUE JE VOUS PARLE DES CHOSES DE LA TERRE, COMMENT NE CROIREZ-VOUS QUAND JE VOUS PARLERAI DES CHOSES DU CIEL? — PERSONNE N'EST MONTÉ AU CIEL, QUE CELUI QUI EST DESCENDU DU CIEL, SAVOIR, LE FILS DE L'HOMME QUI EST DANS LE CIEL. (VERSET 12, JUSQU'AU VERSET 16.)
ANALYSE.
1. Il ne faut pas chercher à comprendre par la raison la génération du Fils unique.
2. Le serpent d'airain, figure de Jésus-Christ. — Combien Dieu a aimé le monde.
3. Amour de bien : excès de sa bonté pour des pécheurs et des ingrats. — Dieu, pour nous sauver, n'a même pas épargné son Fils, et nous épargnons notre argent : mauvais usage qu'on fait des richesses. — Ce que Jésus-Christ a fait pour nous : notre ingratitude, notre dureté pour lui en la personne des pauvres. — Eussions-nous mille vies, nous devrions les répandre toutes pour Jésus-Christ. — Contre ceux qui, donnant tout à leur luxe, négligent et méprisent les pauvres.
1. Je l'ai souvent dit, je le répéterai maintenant encore, et je ne cesserai point de le dire : Qu'est-ce donc? C'est que souvent Jésus-Christ, lorsqu'il veut parler de choses élevées et sublimes, s'abaisse à la portée de ses auditeurs, et ne se sert point de paroles dignes de [225] sa grandeur, mais des plus simples et des plus grossières. S'il avait une fois parlé des choses divines en propres termes, il n'avait pas besoin de se répéter pour nous instruire, du moins autant qu'il est possible ; mais il n'en est pas de même des paroles simples et grossières, par lesquelles il se mettait à la portée de ses auditeurs : si elles n'eussent été fréquemment répétées, comme il s'agissait de choses sublimes, elles n'auraient point touché, ni ébranlé un auditeur charnel qui rampait à terre. Voilà pourquoi Jésus-Christ a beaucoup plus dit de choses simples que d'élevées : mais de peur que cela ne fît tort à ses disciples, et ne les laissât toujours courbés vers la terre, il ne dit point ces choses simples, il ne se sert point de ces grossières comparaisons, sans marquer pour quelle raison il en use de la sorte : et c'est ce qu'il a fait en cet endroit. Ayant discouru du baptême, et de cette renaissance qu'opère la grâce ; voulant parler ensuite de son ineffable et mystérieuse génération, il interrompt son discours et il en déclare lui-même la cause. Quelle est-elle ? c'est la grossièreté et la faiblesse de ses auditeurs : il l'a même insinué incontinent après par ces paroles: " Si vous ne me croyez pas lorsque je avons parle des choses de la terre, comment me croirez-vous quand je vous parlerai des choses du ciel ? " C'est pourquoi, quand Jésus-Christ dit quelque chose de simple et de grossier, il faut en attribuer la raison à la faiblesse et à la grossièreté de ses auditeurs.
Au reste quelques-uns croient qu'en cet endroit ces mots: les choses de la terre, signifient le vent, et que cela revient à dire : si vous ayant donné l'exemple des choses de la terre, néanmoins je ne me suis pas fait entendre, comment pourrez-vous comprendre des choses qui sont très-élevées et très-sublimes? mais s'il appelle ici le baptême terrestre, n'en soyez f pas surpris: il l'appelle ainsi, ou parce qu'il est conféré sur la terre, ou parce qu'il le compare j avec sa redoutable génération; car quoique la renaissance qu'opère le baptême soit céleste, [si néanmoins on la compare avec cette génération que produit la substance du Père, on i peut la dire terrestre. Et remarquez que Jésus-Christ n'a point dit : Vous ne comprenez pas ; mais: Vous ne croyez pas. En effet, accuser de folie celui qui ne veut pas croire, ne le comprenant pas, ce qui est du domaine de la raison, rien n'est plus juste : et au contraire si quelqu'un refuse de recevoir ce que la raison n'admet pas et qui n'est accessible qu'à la foi, on ne l'accusé pas de folie, mais on le blâme à cause de son incrédulité. Jésus-Christ donc voulant ramener Nicodème, lui parle avec plus de force et lui reproche son incrédulité, afin qu'il ne cherche pas à comprendre par le raisonnement le sens de ses paroles mais si la foi nous oblige de croire à notre régénération, quel supplice ne méritent pas ceux qui 'cherchent à connaître par la raison la génération du Fils unique?
Mais peut-être quelqu'un dira : pourquoi Jésus-Christ a-t-il dit ces choses, si ses auditeurs devaient refuser de les croire? C'est parce que si ceux-là ne les croyaient pas, il était sûr que les hommes qui viendraient après eux les croiraient, et en retireraient un grand avantage. Jésus-Christ donc, parlant à Nicodème avec beaucoup de force, lui fait voir enfin que non-seulement il connaît ces choses, mais encore bien d'autres, incomparablement plus grandes; ce qu'il montre par les paroles qui suivent, où il dit: " Personne n'est monté au ciel, que celui qui est descendu du ciel ", savoir : " le Fils de l'homme qui est dans le ciel ". Et quelle est, direz-vous, cette conséquence? elle est très-grande et très-bien liée à ce qui précède; Nicodème avait dit : " Nous savons que vous êtes venu de la part de Dieu " pour nous instruire comme " un docteur " ; Jésus-Christ amende ces paroles, en lui disant, ou à peu près : Ne pensez pas que je sois docteur, comme l'ont été plusieurs prophètes, qui étaient des hommes terrestres, car moi, je viens du ciel. Aucun des prophètes n'est monté au ciel , et moi j'y habite. Ne voyez-vous pas, mes frères, que ce qui paraît même très-élevé reste fort au-dessous d'une telle grandeur? Car Jésus-Christ n'est pas seulement dans le ciel, il est partout, il remplit tout; mais il se rabaisse encore à la portée et à la faiblesse de son auditeur, afin de l'élever peu à peu. Au reste, en cet endroit, Jésus-Christ n'appelle pas la chair le Fils de l'homme, mais il se désigne tout entier, pour ainsi parler, par le nom de la moindre substance. En effet, il a coutume de se nommer tout entier, tantôt par la divinité, tantôt par l'humanité.
" Et comme Moïse éleva dans le désert le serpent " d'airain, "il faut de même que le Fils de l'homme soit élevé en haut (14) ". Ceci encore parait ne pas se rattacher à ce qui [225] précède, et néanmoins s'y rapporte tout à fait. Car, après, avoir dit que le baptême procure aux hommes un très-grand bien, il découvre aussitôt la source de ce bienfait, et fait connaître qu'elle n'est pas moins, précieuse que l'autre., puisque le baptême. tire toute sa vertu de la croix. Saint Paul, écrivant aux Corinthiens, en use de même, il joint ces biens ensemble, en disant : " Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous, ou avez-vous été baptisé au nom de Paul?" (I Cor. I, 13). Par où l'apôtre fait parfaitement connaître l'ineffable amour de Jésus-Christ, en ce qu'il a souffert pour ses ennemis et est mort pour eux, afin de leur remettre entièrement leurs péchés par le baptême.
2. Mais pourquoi n'a-t-il pas clairement dit qu'il devait être crucifié, et a-t-il renvoyé ses auditeurs à l'ancienne figure? Premièrement pour leur montrer la liaison et la concorde qu'il y a entre l'Ancien et le Nouveau Testament, et leur apprendre que ce qui s'est passé dans l'un, n'est pas contraire à ce qui se passe dans l'autre. En second lieu, afin que vous compreniez vous-mêmes et que vous soyiez bien persuadés qu'il n'est pas allé à la mort malgré lui; de plus que cette mort ne lui fait aucun tort, et enfin que c'est par elle qu'il procure le salut de plusieurs. Et de peur que quelqu'un ne dît . Comment peut-il se faire que ceux qui croient à un homme crucifié soient sauvés,. puisque la mort l'a enlevé lui-même? il nous rappelle une ancienne histoire. Si les Juifs qui regardaient la figure du serpent d'airain (Exod. XXI), évitaient la mort, à plus forte raison, ceux qui croient en Jésus-Christ crucifié, recevront-ils de grands ors et des grâces plus excellentes. En effet, si Jésus-Christ a été crucifié, ce n'est pas qu'il ait été le plus faible ou les Juifs les plus forts; son temple animé a été attaché à la croix, parce que Dieu a aimé le monde.
" Afin que tout " homme " qui croit en lui, ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle (15) ". Ne voyez-vous pas la cause de la mort et le salut qu'elle procure? Ne voyez-vous pas l'accord de la figure avec la vérité? Alors les Juifs évitèrent la mort, irais une mort temporelle; maintenant les fidèles sont préservés de la mort éternelle. Là le serpent élevé en l'air guérissait les morsures des serpents; ici, Jésus crucifié guérit les blessures que fait le dragon spirituel. Là, celui qui regardait des yeux du corps était guéri; ici, celui qui voit des yeux de l'âme, se décharge de tous ses péchés. Là pendait une figure d'airain qui représentait un serpent, ici le corps du Seigneur que le Saint-Esprit a formé. Là, un serpent mordait et un serpent guérissait; ici la mort a donné la mort, et la mort a donné la vie. Le serpent qui tuait avait du venin, celui qui donnait la vie n'avait point de venin. Ici c'est la même chose : la mort qui donnait la mort avait le péché, comme le serpent avait le venin; mais la mort du Seigneur était exempte de tout péché, comme le serpent d'airain l'était du venin : " Car il n'avait commis aucun péché. ", dit l'Ecriture, " et de sa bouche il n'est jamais sorti aucune parole de tromperie ". (I Pierre, II, 23.) C'est là ce qu'a déclaré saint Paul par ces paroles: " Jésus-Christ ayant désarmé les principautés et les puissances; les a menées hautement en triomphe à la face de tout le monde, après les avoir vaincues par lui-même ". (Col. II, 15.) De même qu'un courageux athlète, qui, élevant fort haut son ennemi, le jette par terre, remporte une plus illustre victoire , ainsi Jésus-Christ,. à la face de tout le monde, a terrassé les puissances qui nous étaient ennemies, et, après avoir guéri ceux qui avaient été blessés dans le désert, il les a, par son crucifiement, délivrés de toutes les bêtes; aussi Jésus-Christ n'a point dit : II faut que le Fils de l'homme soit attaché à une croix, mais il a dit : Il faut qu'il soit élevé; de manière à choquer moins celui qui l'écoutait, et à se rapprocher de la figure.
" Car Dieu a tellement aimé le monde, qu'il a donné son Fils unique, afin que tout " homme " qui croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle (16) ". C'est-à-dire: Ne vous étonnez pas que je sois élevé, afin que vous soyiez sauvés.; ainsi a décidé mon Père, et mon Père vous a tellement aimés, qu'il a donné son Fils pour ses serviteurs et pour des serviteurs ingrats; quand personne n'en ferait autant pour son ami. Saint Paul dit même
" Et certes, à peine quelqu'un voudrait-il mourir pour un juste ". (Rom. V, 7). L'apôtre appuie davantage sur- cet amour de Dieu, parce qu'il parlait à des fidèles ; Jésus-Christ l'exprime ici avec plus de ménagement, parce qu'il parlait à Nicodème ; mais ce qu'il dit est plus significatif encore, comme on peut s'en convaincre en pesant chacun des mots dont il [227] se sert. Car ces paroles: " Il a tellement aimé ", et cette opposition : " Dieu; le monde ", montrent un incomparable amour.
En effet, elle est grande la différence qui est entre Dieu et le monde, ou plutôt elle est immense. Dieu, l'immortel, celui qui est sans principe, qui a une grandeur infinie, a aimé des hommes formés de terre et de cendres, chargés d'une multitude de péchés, qui ne cessaient de l'offenser, dès ingrats : oui, dis-je, voilà ceux qu'il à aimés. Les paroles qui suivent sont aussi fortes, car il ajoute : " Qu'il a donné son Fils unique ", non pas un de ses serviteurs, ni un ange, ni un archange. Mais personne n’a jamais marqué tant d'affection, tant d'amour pour son fils même, que Dieu en a eu pour des serviteurs ingrats. Jésus-Christ prédit donc ici sa Passion; sinon ouvertement, du moins d'une manière enveloppée : maïs l'avantage et le bien qui devait revenir de sa Passion, il le déclare ouvertement : "Afin ", dit-il, " que tout " homme " qui croit en lui, ne périsse point. mais qu'il ait la vie éternelle ". Jésus-Christ avait dit qu'il sérail élevé, et il avait insinué sa mort. Ces paroles pouvaient causer du chagrin et de la tristesse à Nicodème, lui inspirer à son sujet dès sentiments humains, et lui faire penser que sa mort serait la fin de sa vie. Voyez de quelle façon il rectifie tout cela, en disant que la victime offerte est le Fils de Dieu, le principe et la source de la vies et de la vie éternelle ; or, celui qui, par sa mort, devait donner la vie aux autres, ne pouvait longtemps demeurer dans la mort. Si ceux qui croient en Jésus-Christ crucifié ne périssent point, bien moins périra-t-il celui qui est crucifié. Celui qui tire les autres de leur perte doit lui-même être bien plus exempt de périr; celui qui donne la vie aux autres, à plus forte raison se la donnera-t-il à lui-même.
Ne voyez-vous pas, mes chers frères, que partout on a besoin de la foi ? car Jésus-Christ dit que la croix est une source et un principe de vie. La raison ne l'admettra pas facilement témoin les sarcasmes actuels des gentils. Mais la foi qui s'élève au-dessus de la faiblesse de la raison, croit et reçoit cette vérité. Et d'où vient que Dieu a tant aimé le monde ? d'où cela vient-il ? Uniquement de sa bonté.
3. Qu'un si grand amour nous couvre donc de honte; qu'an si grand excès de bonté nous lasse donc rougir. Dieu, pour nous sauver, n'a même pas épargné son propre Fils (Rom. VIII, 32), et nous épargnons nos richesses pour notre perte. Dieu adonné pour nous son Fils unique, et nous ne méprisons pas l'argent pour son amour, ni même pour notre bien et nôtre avantage. Une pareille conduite, une ingratitude si extrême, de quel pardon est-elle digne? Si nous voyons un homme s'exposer pour nous aux périls et à la mort, nous le préférons à tous les autres, nous le considérons même comme notre ami le plus intime, nous lui donnons tous nos biens et nous disons qu'ils sont plus à lui qu'à nous-mêmes, et encore ne croyons-nous pas nous, être assez libérés envers lui. Mais, à l'égard de Jésus-Christ, nous ne nous conduisons pas de même, nous n'avons pas un coeur si reconnaissant. Jésus-Christ a donné sa vie pour nous, et il a répandu pour nous son précieux sang; pour nous,. dis-je, êtres sans bonté et sans amour pour lui. Mais nous, notre argent, nous ne le dépensons même pas pour notre utilité ; nous abandonnons celui qui est mort pour nous, nous le laissons nu, nous le laissons sans logement et qui nous délivrera du supplice au jugement futur? Si Dieu ne nous punissait pas, si c'était à nous à nous punir nous-mêmes, ne prononcerions-nous pas l'arrêt contre nous? ne nous condamnerions-nous pas au feu de l'enfer, pour avoir méprisé et laissé se consumer de faim celui qui a donné sa vie pour nous?
Et pourquoi m'arrêter à parler de l'argent et des richesses? Si nous avions mille vies, n'aurait-il pas fallu les offrir toutes pour Jésus-Christ? Et en cela même nous n'aurions encore rien fait qui fût comparable au bien que nous avons reçu. En effet, celui qui oblige le premier, donne une marque évidente de sa bonté, mais celui qui a reçu un bienfait, quoiqu'il donne ensuite, ne fait pas une grâce : il s'acquitte d'une dette, et surtout lorsque celui qui donne le premier fait ce bien à des gens qui sont ses ennemis, et que celui qui use de retour et de reconnaissance donne à son bienfaiteur des biens qu'il lui doit, et qu'il doit recouvrer un jour.
Mais toutes ces choses ne nous touchent pas, et nous sommes si ingrats, que lors même que nous couvrons d'or nos serviteurs, nos mules, nos chevaux, nous méprisons Notre-Seigneur, nous le laissons marcher nu dans les rues, demander son pain de porte en porte, debout dans les carrefours, et nous tendre les mains, [228] sans lui rien donner, et souvent même en le regardant avec dureté, bien qu'il se soumette pour notre amour à toutes ces peines et ces misères. Car volontairement il a faim, afin que vous le nourrissiez; il marche nu, pour vous fournir l'occasion de revêtir un vêtement incorruptible; et cependant vous ne lui donnez rien : vos habits, ou les vers les mangent, ou bien vous en chargez inutilement des coffres, et ils ne sont pour vous qu'un embarras, pendant que celui qui vous les a donnés, avec tout ce que vous possédez, se promène tout nu dans les rues.
Mais vous ne les enfermez pas dans vos coffres, vous vous en habillez magnifiquement? Que vous en revient-il (le plus, je vous prie ? Est-ce afin que cette foule de peuple qui inonde la place vous regarde? Et de quoi cela vous sert-il? le peuple n'admire pas celui qui porte ces habits magnifiques, mais bien celui qui donne aux pauvres. Si vous voulez qu'on vous admire, habillez les pauvres, et vous recevrez mille applaudissements. Alors Dieu se joindra aux hommes pour vous louer; mais si vous faites le contraire, personne ne vous louera; tous vous porteront envie et parleront mal de vous, voyant votre corps bien paré et
votre âme négligée. Ces sortes d'ornements se voient jusque sur le corps des prostituées, souvent même ce sont elles qui portent les plus beaux et les plus riches habits. Mais les gens de bien ne recherchent que la vertu et s'appliquent seulement à bien orner leur âme.
Je vous dis souvent ces choses, et je ne cesserai point de vous les dire, moins par intérêt pour les pauvres que par sollicitude pour vos âmes. Si nous-mêmes nous n'assistons pas les pauvres, il leur viendra du moins d'ailleurs quelque consolation, quelque secours; et quand même il ne leur en viendrait aucun, quand ils périraient, de faim, ce ne serait pas pour eux une grande perte. La faim et la pauvreté, quel tort ont-elles fait à Lazare? Mais vous, rien ne vous délivrera de l'enfer, si les pauvres n'accourent à votre secours : dénués, privés de toute consolation, vous direz ce que dit le riche condamné au feu éternel. Mais à Dieu ne plaise que la réponse qui lui fut faite s'adresse jamais à aucun de vous! Au contraire, fasse le ciel que vous soyiez tous reçus dans le sein d'Abraham, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui gloire soit au Père et au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.





HOMÉLIE XXVIII.
CAR DIEU N'A PAS ENVOYÉ SON FILS DANS LE MONDE POUR JUGER LE MONDE, MAIS AFIN QUE LE MONDE SOIT SAUVÉ PAR LUI. (VERS. 17, JUSQU'AU VERS. 21.)
ANALYSE.
229
1. Plus la miséricorde du Seigneur est grande, plus seront grands ses châtiments. — Dieu a ouvert les portes de la pénitence à tous les hommes. — Deux avènements de Jésus-Christ.
2. et 3. Celui nui ne croit pas en moi est déjà condamné. — Qui sont ceux gui s'éloignent de Jésus-Christ ? - Les grands pécheurs: Les homme obstinés dans leur incrédulité, attachés à leurs dérèglements et à leurs vices. — Pour être chrétien, il faut joindre la bonne vie à la pureté de la doctrine. —- Raison pourquoi les gentils ne peuvent se résoudre d'embrasser la foi. — Les philosophes païens exerçaient la vertu par vaine gloire. — Ceux qui se sont éloignés de Jésus-Christ n'ont nul moyen d'excuse — Pour se bien convertir, il faut se prescrire auparavant une règle pour bien vivre. — Nul gentil n'est exempt de tous vices. — L'amour de la vaine gloire a perdu et perd bien des hommes. — La vaine gloire est le plus dangereux de tous les vices : la fuir; elle détruit tout ce que la vertu peut opérer de bon. — Celui qui l'a en vue, perd tout le fruit de ses bonnes Œuvres. — Pour acquérir la gloire des hommes et celle qui vient de Dieu, il ne faut désirer et ne rechercher que celle-ci uniquement.
1. Beaucoup d'hommes sans vertu, abusant de la clémence de Dieu pour multiplier leurs péchés et croître en paresse, osent tenir ce langage : Il n'y a point d'enfer, il n'y a point de supplice, Dieu remet tous les péchés. Mais un sage leur ferme la bouche par ces paroles "Ne dites pas : La miséricorde du Seigneur est grande, il aura pitié du grand nombre de mes péchés. Car la miséricorde et la colère sont en sa présence, et son indignation s'allumera sur les pécheurs ". ( Eccli. V, 6, 7.) Et ailleurs : " Plus sa miséricorde est grande, et plus seront grands ses châtiments ". (Ibid. XVI, 13.) Mais que devient, direz-vous, la miséricorde , si nous devons tous recevoir le châtiment en proportion de nos péchés? Le prophète et saint Paul déclarent que nous devons tous recevoir selon nos mérites. écoutez-les; le prophète lé dit en ces termes : " Seigneur, vous rendrez à chacun selon ses oeuvres " (Ps. LXI, 11) ; l'apôtre en ceux-ci : " Dieu rendra à chacun selon ses oeuvres ". (Rom. II, 6.)
Mais néanmoins, que la clémence de Dieu soit grande, le partage qu'il a fait de notre vie en deux, l'une pour les combats, l'autre pour les couronnes, le démontre et ne permet pas d'en douter ; car en cela même il fait éclater sa grande miséricorde. Comment ? Parce que, ayant commis un nombre infini de péchés, et que n'ayant point cessé depuis l'enfance jusqu'à l'extrême vieillesse de souiller notre âme de crimes, nous ne sommes point punis de tant de fautes, et qu'il nous accorde le pardon par le baptême de la régénération, en nous donnant la justice, la pureté et la sainteté. Mais, direz-vous, si celui qui a reçu la grâce du baptême dès son enfance, tombe ensuite dans mille péchés? S'il y tombe, il est certainement plus coupable, et aussi mérite-t-il un plus grand châtiment : si, après le baptême, nous nous laissons aller à toutes sortes d'excès et de crimes, les péchés que nous commettons alors seront beaucoup plus sévèrement punis que ceux que nous avons commis auparavant, quoique les uns et les autres soient de la même espèce et de la même qualité. Saint Paul le déclare et en donne la raison. par ces paroles : " Celui ", dit-il, " qui a violé la loi de Moïse, est condamné à mort sans miséricorde, sur la déposition de deux ou trois témoins. Combien donc , croyez-vous, que méritera de plus grands supplices celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, qui [230] aura tenu pour une chose vile et profane le sang de l'alliance, par lequel il avait été sanctifié, et qui aura fait outrage à l'esprit de la grâce". (Héb. X, 28, 29.) Cet homme sera donc digne d'un plus grand supplice mais cependant Dieu lui a ouvert les portes de la pénitence, et lui a fourni plusieurs moyens de laver ses péchés, s'il veut s'en servir et en profiter.
Considérez, je vous prie, mes frères, combien le Seigneur nous a donné de témoignages et de preuves de sa clémence. Premièrement, par la grâce du baptême, il nous a remis tous nos péchés; et en second lieu, après même une si grande grâce, il ne punit pas encore le pécheur qui s'est rendu digne du supplice, mais il lui laisse le temps de se corriger et de faire pénitence. C'est pourquoi Jésus-Christ dit à Nicodème : " Dieu n'a pas envoyé son Fils " dans le monde pour juger le monde, mais pour sauver le monde ". (Jean, III, 17.) .Car il y a deux avènements de Jésus-Christ : l'un est déjà arrivé, l'autre doit arriver; mais ils ne sont pas tous les deux pour la même cause et la même fin : Jésus-Christ est venu d'abord, non pour juger nos péchés, mais pour les remettre; la seconde fois, il viendra, non pour les remettre, mais pour les juger. Voilà pourquoi le divin Sauveur dit du premier avènement : " Je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde ". Mais du second, il dit : " Quand le Fils viendra dans la gloire de son Père, il mettra les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche; et alors celles-là iront dans la vie éternelle, et ceux-ci dans le supplice éternel ". (Matth. XXV, 3,1 et suiv.)
Mais toutefois le premier avènement était aussi pour juger, quant à ce que demande la justice. Pourquoi? Parce que, avant son avènement, il y avait une loi naturelle, des prophètes, et de plus la loi, écrite, la doctrine, des instructions, des promesses, des miracles, des supplices, et plusieurs autres choses qui pouvaient corriger les hommes et les retenir dans leur devoir. Demander compte de toutes ces choses , eût été dans l'ordre. Mais comme Jésus-Christ est clément, il n'a point, jugé, il n'a pas fait rendre compte, et il a tout pardonné. S'il eût fait rendre compte, s'il eût jugé, tous les hommes auraient péri. " Car tous ont péché " , dit l'Écriture, " et ont besoin de la gloire de Dieu ". (Rom. III, 23.) Ne voyez-vous pas son immense miséricorde?
" Celui qui croit dans le Fils n'est pas con" damné; mais celui qui ne croit pas est déjà condamné (18) ". Mais si Jésus-Christ n'est pas venu alors pour juger le monde, comment celui qui ne croit pas est-il déjà condamné, puisque le temps du jugement n'est point encore arrivé? Jésus-Christ dit cela, ou parce que l'incrédulité qui n'est pas suivie de la pénitence est elle-même un supplice; car être hors de la lumière, c'est en soi un grand supplice : ou pour prédire ce qui arrivera. En effet, comme un homicide est déjà condamné par la nature de son crime , quoiqu'il ne le, soit pas encore par la sentence du juge, il en est de même pour l'incrédulité , puisqu'Adam est mort le jour qu'il a mangé du fruit de l'arbre défendu , son arrêt de mort lai ayant été ainsi prononcé : " Au même temps que vous aurez mangé du fruit de cet arbre, vous mourrez". (Gen. II, 17.) Néanmoins il vivait: comment donc était-il mort? Il était mort par la sentence même, et parla nature de son action: celui qui s'est rendu coupable d'un crime qui mérite le supplice est dès lors sous le coup du supplice, sinon réellement, du moins parla sentence qu'a prononcée la loi.
Mais, de peur qu'en entendant ces paroles: " Je ne suis pas venu pour juger le monde ", quelqu'un ne s'imaginât pouvoir impunément pécher, et ne devînt plus négligent et plus paresseux, Jésus-Christ ôte ce vain prétexte à la négligence, en disant: " Il est déjà condamné ". Comme le temps du jugement futur n'était point encore arrivé, Jésus-Christ fait intervenir l'image et la crainte du supplice. Certes, voilà un témoignage d'une grande bonté. Non-seulement Dieu donne son Fils, mais encore il diffère le temps du supplice, afin que les pécheurs et les incrédules puissent laver leurs péchés.
" Celui qui croit en Jésus-Christ n'est pas condamné ". Celui qui croit, non celui qui examine curieusement, relui qui croit, non celui qui raisonne. Mais si sa vie est impure et se oeuvres mauvaises ? D'abord , des hommes de cette espèce, saint Paul dit qu'ils ne sont pas véritablement fidèles: " Qu'ils font profession de connaître Dieu; mais qu'ils le renoncent par leurs oeuvres". (Tit. I,16.) Au reste, ce divin Sauveur déclare ici que ce n'est pas sur ce point qu'ils seront jugés; qu'ils seront condamnés et; plus sévèrement punis pour leurs [231] oeuvres ; mais, qu'ayant cru, ils ne seront pas punis comme infidèles.
2. Ne voyez-vous pas, mes frères, que Jésus-Christ, qui a commencé son discours par des choses étonnantes et terribles, y revient encore ici. Au commencement il avait dit : " Si un homme ne naît de l'eau et de l'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu " ; il dit maintenant: " Celui qui ne croit pas en moi est déjà condamné " ; c'est-à-dire, ne croyez pas que le retardement du supplice soit favorable au pécheur, s'il ne change de vie: car il n'y aura point de différence entre celui qui n'aura pas cru, et ceux qui sont déjà condamnés et punis.
" Et le sujet de cette condamnation est que la lumière est venue dans le monde, et que les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière (19) " ; c'est-à-dire, ils sont punis, parce qu'ils n'ont pas voulu sortir des ténèbres et accourir à la lumière: par ces paroles il leur ôte toute excuse. Si j'étais venu, dit-il, pour leur faire rendre compte et les punir, ils pourraient dire: c'est pour cela même que nous nous sommes éloignés de vous. Mais je suis venu pour les tirer des ténèbres et les amener vers la lumière. Qui donc aura pitié d'un homme qui refuse de passer des ténèbres à la lumière? En effet, dit-il, ils n'ont aucun reproche à nous faire, ils ont reçu de nous mille bienfaits, et ils nous fuient, et ils s'éloignent de nous. Jésus-Christ, les accusant encore de cette même conduite , disait: " Ils m'ont haï sans aucun sujet" (Ps. XXXXIV, 22); et ailleurs: " Si je n'étais pas venu, et que je ne leur eusse point parlé , ils n'auraient point le péché " (Jean, XV, 22) qu'ils ont: car celui qui, en l'absence de la lumière , reste dans les ténèbres, est en quelque sorte digne d'excuse et de pardon; mais celui qui , après que la lumière est venue, se tient dans les ténèbres, montre visiblement sa mauvaise volonté et son obstination. Et comme il devait paraître incroyable à plusieurs qu'il y eût des hommes capables de préférer lés ténèbres à la lumière; contre le sentiment général, l'évangéliste nous découvre la raison de cette méchante disposition. Quelle est-elle? C'est, dit-il, "parce que leurs oeuvres étaient mauvaises. Car quiconque fait le mal hait la lumière et ne s'approche point de la lumière, de peur que ses oeuvres ne soient condamnées (20) ". Et cependant Jésus-Christ n'est pas venu pour juger ni pour demander compte , mais pour remettre et pardonner les péchés, et pour sauver par la foi.
Pourquoi se sont-ils donc éloignés? Si Jésus-Christ s'était assis dans son tribunal pour les juger, ils auraient eu. une espèce d'excuse celui qui se sent coupable de crimes, fuit ordinairement son juge ; mais si le juge accorde le pardon, tous les criminels s'approchent de lui. Puis donc que Jésus-Christ est venu pardonner les péchés, ceux qui se sentaient le plus coupables étaient aussi ceux qui devaient accourir à lui avec le plus d'empressement; plusieurs même l'ont fait : car les publicains et les pécheurs venant trouver Jésus, mangeaient avec lui. De qui veut donc parler Jésus-Christ? De ceux qui avaient tout à fait résolu de persévérer dans, leur méchanceté. En effet, il est venu pour remettre les péchés passés et pour affermir et fortifier ceux qui prenaient la résolution dé ne plus pécher à l'avenir'; mais comme il y a des hommes assez mous et assez lâches, quand il s'agit de la vertu et des peines qu'elle exige, pour persister obstinément dans leurs péchés jusqu'au dernier soufflé de vie, ce sont ceux-là qu'il veut censurer ici.
Le christianisme demande à ses disciples qu'ils joignent la bonne vie à la pureté de la doctrine. Ces gens craignent de nous approcher, dit Jésus, parce qu'ils ne veulent pas vivre dans la pureté et dans la sainteté. Personne ne reprend', ceux qui vivent dans (erreur des gentils, à cause de leurs excès : ceux qui adorent les dieux du paganisme, et célèbrent des fêtes aussi, infâmes, aussi ridicules que le sont leurs dieux mêmes, ont une conduite digne de la doctrine qu'ils professent mais ceux qui adorent Dieu, s'ils sont des lâches, s'ils vivent mal ; il n'est personne qui ne leur adresse des réprimandes et des reproches : tant la vérité est en admiration, même parmi ses ennemis.
Considérez donc, mes frères, avec quelle exactitude et quelle précision Jésus-Christ parle : il ne dit pas : celui qui fait le mal ne s'approche point dé la lumière, mais celui qui persévère dans le mal; en d'autres termes, celui qui se plaît à se vautrer toujours dans la boue du péché, ne veut point se soumettre à mes lois : il se tient à l'écart, pour se livrer librement à la volupté et faire toutes les autre choses que je défends; S'il s'approchait de [232] moi, il serait comme un voleur que la lumière découvre aussitôt. Voilà pourquoi il fuit mon empire. Et véritablement nous entendons dire à bien des gentils, que la raison pour laquelle ils ne peuvent se résoudre à embrasser notre religion, c'est qu'ils ne sauraient s'abstenir de l'ivrognerie, de la fornication et d'autres vices semblables.
Quoi donc ! direz-vous, est-ce qu'il n'y a pas des chrétiens dont la vie n'est pas meilleure que celle des païens? est-ce qu'il n'y a pas des païens qui vivent philosophiquement? Qu'il y ait des chrétiens qui font le mal, je le sais aussi bien que vous ; mais qu'il y ait des gentils qui fassent le bien, c'est ce qui n'est pas également venu à ma connaissance. Et ne me parlez pas de ceux qui sont naturellement modérés, modestes et ornés de belles qualités; car ce n'est point là en quoi consiste la vertu mais parlez-moi de ceux qui, étant violemment agités par les passions, vivent néanmoins philosophiquement. Certes, vous ne m'en trouverez point. En effet, si la promesse d'un royaume, si la menace d'un enfer et bien d'autres semblables vérités, peuvent à peine retenir les hommes dans l'exercice de la vertu ; combien plus difficilement la pratiqueront-ils, ceux qui ne croient rien de tout cela? Que si quelques-uns contrefont la vertu, c'est par un esprit de vanité : or, ceux qui se contrefont ainsi, et qui exercent la vertu par vaine gloire, ne s'abstiendront pas, s'ils espèrent échapper aux regards, de satisfaire leurs mauvaises inclinations. Mais, toutefois, afin qu'on ne pense pas de nous que nous aimons à contester, nous vous accordons que parmi les gentils il s'en rencontre quelques-uns qui vivent bien ; car cela ne détruit nullement ce que nous avons avancé, puisque nous n'avons entendu parler que de ce qui arrive communément, et non pas de ce qui peut se rencontrer quelquefois.
3. Considérez encore que Jésus-Christ leur ôte d'ailleurs tout prétexte et toute excuse, en disant que la lumière est venue dans le monde : l'ont-ils cherchée, dit-il, cette lumière? Se sont-ils donné quelque peine, quelque mouvement pour la trouver? La lumière s'est elle-même présentée à eux, et. ils n'ont pas même fait un pas vers elle. Mais comme ils peuvent alléguer la mauvaise vie de quelques chrétiens et s'en faire une excuse, nous leur répondrons qu'il n'est pas ici question de ceux qui sont nés chrétiens et qui ont reçu de leurs pères la véritable religion, quoique le plus souvent leur mauvaise vie finisse par les écarter de la vraie foi. Néanmoins je ne crois pas que ce soit d'eux que parle maintenant Jésus-Christ, je pense au contraire qu'il a en vue ces gentils ou ces Juifs qui auraient dû se convertir et embrasser la vraie foi. Car il fait voir. qu'aucun de ceux qui vivent dans l'infidélité, ne peut approcher de la foi, qu'il ne se soit auparavant prescrit une règle de bonne vie, et que personne ne demeurera dans l'in. crédulité, si auparavant il n'a résolu de persévérer dans le mal. Ne me dites pas : cet homme est chaste, il ne vole pas le bien d'autrui, parce que ce n'est point en ces choses seulement que consiste la vertu. En effet, de quoi lui servira-t-il d'être chaste , de ne point voler, si d'ailleurs il est passionné pour la vaine gloire, ou si, par complaisance pour ses amis, il demeure dans l'infidélité? ce n'est pas là bien vivre. L'esclave de la gloire ne pèche pas moins que le fornicateur, ou plutôt il commet beaucoup plus de péchés et de beaucoup plus grands.
Mais faites-moi connaître quelqu'un qui soit exempt de tous vices et de tous péchés et qui néanmoins reste païen : je vous en défie: jamais vous ne m'en pourrez trouver un seul. Ceux d'entr'eux qui ont le plus brillé et qu'on dit avoir méprisé les richesses et la bonne chère, ont été, plus que les autres, esclaves de la gloire, qui est la source de toutes sortes de maux. Voilà par où les Juifs ont persévéré dans leur malice et dans leur méchanceté, et c'est aussi la raison pour laquelle Jésus-Christ leur fait ce reproche : "Comment pouvez-vous croire, vous qui recherchez la gloire qui vient des hommes? " (Jean, V, 44.) Mais pourquoi n'a-t-il point parlé de cela à Nathanaël, à qui il enseignait la vérité, et ne lui a-t-il pas tenu de longs discours? c'est parce que l'âme de celui-ci n'était point infectée de cette passion, et qu'il était venu le trouver avec un coeur simple, disposé à faire ce qu'il lui ordonnerait : et qu'il employait, à écouter sa doctrine et ses instructions, le temps que les autres donnent au repos et au sommeil. A la vérité il était venu trouver Jésus à la sollicitation de Philippe; cependant le divin Sauveur ne le rebuta pas; en effet, c'est à lui qu'il dit : " Vous verrez un jour les cieux ouverts, et les anges de Dieu monter et descendre", [233] (Jean, 1, 51.) Mais à Nicodème il ne dit rien de cela, il l'entretient de l'incarnation et de la vie éternelle, parlant diversement à chacun selon les dispositions de son coeur : Nathanaël, qui entendait les prophètes, et qui n'était pas si craintif, dut se tenir pour content de ce qu'il lui dit; quant à Nicodème. qui était encore timide et craintif, il ne lui révèle pas tout sur-le-champ, mais il ébranle son âme pour chasser la crainte par la crainte; il lui fait entendre que celui qui ne croit pas est déjà condamné; que ne pas croire, c'est l'effet d'une mauvaise volonté. Et comme il tenait grand compte de la gloire humaine et même plus que des supplices, car, dit l'Ecriture, " Plu" sieurs des sénateurs crurent en lui, mais à " cause des Juifs ils n'osaient le reconnaître a publiquement " (Jean, II, 42), il en tire un argument propre à le toucher, et, par ses paroles, lui fait connaître qu'on ne peut avoir d'autre raison de ne pas croire en lui que de mener une vie déréglée et impie. Il est à remarquer que dans la suite Jésus-Christ dit a Je suis la lumière du monde " (Jean, VIII, 12), et qu'ici il dit seulement : " La lumière est venue dans. le monde ". (Jean, III, 19.) La raison en est qu'au commencement il parlait d'une manière obscure, dans la suite il s'exprime plus clairement. Mais de plus la crainte de l'opinion publique retenait cet homme et l’intimidait. Voilà pourquoi Jésus-Christ ne lui parle qu'avec réserve.
Fuyons donc la vaine gloire: elle est le plus fort et le plus dangereux de tous les vices, c'est d'elle que naissent l'avarice et l'amour des richesses; c'est elle qui enfante les haines, les guerres, les différends. Car celui qui désire d'avoir plus qu'il n'a ne peut jamais se fixer ni demeurer en repos; et l'on n'ambitionne toutes les autres choses que parce qu'on aime la vaine gloire. Pourquoi, je vous prie, cette troupe d'eunuques, cette foule d'esclaves et de serviteurs; pourquoi tout cet étalage, une si grande pompe, un si grand faste? Est-ce pour autre chose que pour s'attirer plus de spectateurs et de témoins de sa folle magnificence? Si donc nous extirpons la vanité en arrachant la racine du mal, nous en emporterons aussi les branches, et rien n'empêchera que nous ne vivions sur la terre comme si déjà nous étions dans le ciel. L'amour de l'ostentation n'entraîne pas seulement au mal ceux qu'il possède; il s'insinue et se glisse encore adroitement jusque dans la vertu, et s'il n'est pas assez fort pour nous en éloigner, il nous persécute jusque dans son sein en nous imposant des labeurs que rien ne vient rémunérer. Car celui qui a en vue la vaine gloire, soit qu'il jeûne, soit qu'il prie, soit qu'il fasse l'aumône, en perd toute la récompensé. Se macérer en vain, s'exposer aux ris et à la moquerie des hommes, et perdre la gloire céleste, la récompense du ciel, est-il rien de plus misérable, est-il une perte qui soit comparable à celle-là? On ne peut acquérir ensemble et la gloire humaine et la gloire du ciel, quand on les recherche toutes deux. Car autrement nous pouvons obtenir l'une et l'autre. Ne les désirons pas toutes les deux, mais ne recherchons que la gloire du ciel; si nous les aimons l'une et l'autre, nous ne les obtiendrons pas à la fois, cela est impossible ; c'est pourquoi, si nous voulons acquérir la gloire, fuyons la gloire du monde, désirons, recherchons celle qui vient de Dieu seul ; de cette sorte nous obtiendrons et la gloire présente et la gloire future. Fasse le ciel que nous jouissions de celle-ci, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui la gloire soit au Père et au Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.




HOMÉLIE XXIX.
APRÈS CELA JÉSUS ÉTANT VENU EN JUDÉE, SUIVI DE SES DISCIPLES, IL Y DEMEURAIT AVEC EUX, ET Y BAPTISAIT. (VERS. 22, JUSQU'AU VERS. 30.)
ANALYSE
234
1. Rien n'est plus grand que la vérité, rien n'est plus bas que le mensonge. — Pourquoi Jésus-Christ ne baptisait pas , mais seulement ses disciples.
2. Les disciples de Jean portaient envie à ceux de Jésus-Christ.
3. Comment l'Eglise devient l'épouse de Jésus-Christ. — Maux et pertes que cause la vaine gloire : elle renverse les villes et les déserts. — Comment on peut se délivrer de ce vice et le vaincre. — La gloire de ce monde est vaine et fausse : la gloire du ciel est seule réelle et véritable : y élever ses yeux, vrai moyen de mépriser tout ce qui est ici-bas , et toute la gloire des hommes.
1 . Rien n'est plus illustre, rien n'est plus fort et plus puissant que la vérité, comme aussi rien n'est plus bas, rien n'est plus faible que le mensonge : il a beau se déguiser, facilement on le démasque, facilement on le dissipe. La vérité, au contraire, se montre à nu à tous ceux qui veulent contempler sa beauté; elle ne cherche pas à se cacher, elle ne craint point le péril ni les piéges, elle n'ambitionne pas les hommages de la multitude. Rien d'humain n'a d'empire sur elle; mais, supérieure à tous les piéges qu'on lui tend, elle les voit sans s'ébranler; ceux qui se réfugient dans son sein y trouvent un asile assuré, ils y sont gardés comme dans une forteresse imprenable ; telle est la grandeur de sa puissance; les coups cachés qu'on lui porte, elle les détourne; mais ses oeuvres, elle les expose aux yeux de tout le monde; c'est ce que Jésus-Christ déclare à Pilate en lui répondant: "J'ai parlé publiquement à tout le monde, et je n'ai rien dit en secret ". (Jean, XVIII, 20.)
Ce que le divin Sauveur dit alors, maintenant il le fait : " Après cela ", dit l'évangéliste, " Jésus étant venu en Judée, suivi de ses disciples, il y demeurait avec eux et y baptisait ". Aux jours de fêtes solennelles, Jésus allait à Jérusalem pour enseigner publiquement sa doctrine à ceux qui s'y assemblaient, et afin que tous profitassent de ses miracles. Mais quand la fête était passée, il s'en allait souvent auprès du Jourdain, parce qu'une multitude de peuple y accourait; car il se rendait toujours aux lieux les plus fréquentés, non par vanité ou par ambition, mais pour faire du bien à plus de monde. D'ailleurs, l'évangéliste dit dans la suite que ce n'était pas Jésus qui baptisait , mais ses disciples (Jean, IV, 2); il est donc évident qu'il faut entendre la même chose ici, à savoir que les disciples baptisaient seuls.
Mais pourquoi, direz-vous, Jésus-Christ ne baptisait-il pas? Longtemps auparavant Jean-Baptiste avait dit : " C'est lui qui vous baptisera dans le Saint-Esprit et dans le feu ", (Matth. III, 11.) Or il n'avait pas encore donné le Saint-Esprit; c'est donc pour une bonne raison qu'il ne baptisait pas, mais seulement ses disciples baptisaient parce qu'ils voulaient engager beaucoup de monde à venir écouter la prédication et la doctrine du salut. Et pourquoi les disciples de Jésus baptisant, Jean-Baptiste ne cessa-t-il point de baptiser jusqu'à ce qu'il fût mis en prison? Car quand l'évangéliste dit: "Jean baptisait à Ennon ", il y ajoute: " Alors Jean n'avait pas encore été mis en prison " (Jean, III , 23, 24) ; il montre donc que Jean-Baptiste n'avait pas encore censé de baptiser. Et encore pourquoi a-t-il baptisé jusqu'à ce temps? Cependant, il aurait fait connaître que [235] les disciples de Jésus étaient. plus dignes de baptiser que lui, si, lorsqu'ils commencèrent, il eût lui-même cessé. Pour quelle raison donc baptisait-il? Ce fut pour ne leur pas attirer plus d'envie et de plis grandes disputes. En effet, si, publiant souvent ce qu'était Jésus-Christ, lui cédant la première place et se déclarant inférieur à lui, il ne persuada pas pour cela les Juifs que c'était à lui qu'ils devaient aller; s'il eût, dis-je, cessé de baptiser, il les aurait encore plus émus et les aurait rendus plus opiniâtres. Voilà pourquoi Jésus-Christ commença principalement à prêcher après la mort de Jean-Baptiste. Au reste, je crois qu'il ne vécut pas longtemps, afin que les esprits de cette multitude se réunissent et se tournassent tous vers Jésus-Christ, et qu'ils ne fussent plus partagés entre l'un et l'autre. De plus, Jean-Baptiste , pendant qu'il baptisait, ne cessait point de les exhorter à aller trouver Jésus-Christ et de leur rendre de grands témoignages de lui. D'ailleurs il baptisait au nom de celui qui devait venir après lui, afin qu'ils crussent en lui. Si donc celui qui prêchait ainsi Jésus-Christ eût discontinué de baptiser, comment aurait-il fait connaître l'excellence et la supériorité des disciples de Jésus? N'aurait-on pas cru , au contraire, que c'était par jalousie ou par dépit qu'il ne baptisait plus? Mais en continuant il confirme et fortifie ce qu'il a dit. Car il ne cherchait pas à s'acquérir de la gloire, mais il envoyait ses auditeurs à Jésus-Christ. Et il ne le servait pas moins que les disciples, ou plutôt encore plus, attendu que son témoignage était moins suspect et que sa réputation l'emportait dans l'esprit de tout le monde sur celle des disciples. L'évangéliste voulant nous le faire entendre, disait: " Toute la Judée et tout le pays des environs du Jourdain allaient le trouver, et ils étaient baptisés par lui ". (Matth. III, 5.) Quoique les disciples de Jésus baptisassent, le peuple ne cessait pas d'accourir en foule à Jean-Baptiste.
Que si quelqu'un demande en quoi le baptême des disciples était supérieur à celui de Jean, nous répondrons en rien , car l'un et l'autre était dénué de la grâce du Saint-Esprit, et les uns et les autres n'avaient tous qu'un seul et même motif : c'était d'envoyer à Jésus-Christ ceux qu'ils baptisaient. En effet, afin de n'être pas obligés de courir de toutes parts, pour chercher et assembler ceux qui devaient croire en Jésus-Christ, comme André qui avait amené Simon, et Philippe Nathanaël , ils résolurent et convinrent de baptiser, afin que par le baptême ils pussent sans peine et sans travail les attirer à Jésus-Christ , et préparer le chemin à la foi qu'il devait prêcher; mais que ces baptêmes n'eussent aucun avantage l'un sur l'autre, les paroles qui suivent le font voir.
Quelles sont ces paroles? " Il s'excita une dispute entre les disciples de Jean, et un Juif (1), touchant la purification (2) (25) ". Et cela n'est pas surprenant, puisque les disciples de Jean portaient continuellement envie aux disciples de Jésus-Christ, ou plutôt à Jésus-Christ même : lorsqu'ils les virent baptiser , ils commencèrent dès lors à parler à ceux qu'ils baptisaient pour leur insinuer que leur baptême, à eux, avait une supériorité sur celui des disciples de Jésus-Christ, et s'étant approchés de quelqu'un de ceux qui venaient d'être baptisés , ils tâchèrent de le lui persuader et ne le purent pas : mais l'évangéliste fait clairement entendre que ce sont les disciples de Jean, et non pas ce Juif, qui ont excité cette dispute : car il ne dit pas qu'un certain Juif leur avait demandé leur avis; mais il dit que la question touchant la purification d'où vint la dispute, fut agitée par les disciples de Jean avec un Juif.
2. Faites attention, je vous prie, mes frères, à la douceur et à la retenue de l'évangéliste. Il ne prend point de parti, il ne s'emporte ni contre les uns, ni contre les autres ; mais autant qu'il le peut, il diminue la faute, disant seulement qu'il s'éleva une dispute. Toutefois, la suite fait bien voir que c'est par jalousie que ces disciples avaient excité la dispute ; mais il le rapporte encore avec bien de la modération, car il dit : " Ils vinrent trouver Jean, et lui dirent : Maître, celui-là qui était avec " vous au delà du Jourdain, auquel vous avez " rendu témoignage , baptise maintenant et tous vont à lui (26) ". C'est-à-dire celui que vous avez baptisé ; car c'est ce que signifie ce mot : a Celui auquel vous avez rendu
1. " Un Juif ", saint Chrysostome dit : meta ioudaiou, et plusieurs exemplaires lisent de même. Notre Vulgate dit : " Les Juifs ". Au reste, il est facile de concilier cette petite différence ; parce qu'il est assez vraisemblable que la contestation ayant d'abord été commencée par un Juif qui avait reçu le baptême de Jésus-Christ, passa aux autres et devint générale.
2. " La Purification ", autrement " le Baptême ", qui est appelé " Purification ", parce que les Juifs le mettent au nombre des purifications légales, On peut aussi appeler le baptême " purification "parce que le propre effet du baptême est de purifier.
236
témoignage " ; en d'autres termes: celui que vous avez illustré, et que vous avez rendu célèbre, ose imiter ce que vous faites : ils n'eurent garde de dire : celui que vous avez baptisé : ils auraient été forcés de faire mention de cette voix qui s'était fait entendre d'en-haut et aussi de la descente du Saint-Esprit : mais que disent-ils? " Celui qui était avec vous au " delà du Jourdain, auquel vous avez rendu " témoignage ". C'est-à-dire : celui qui était au nombre de vos disciples, qui n'avait rien de plus que nous, s'est séparé de nous et baptise. Mais ce n'est pas seulement par là qu'ils croyaient pouvoir l'animer contre Jésus, c'est encore en lui insinuant que son baptême serait à l'avenir moins illustre et moins célèbre car, ajoutent-ils, " tous vont à lui ". D'où il paraît visiblement qu'ils ne purent même pas amener à leur sentiment le Juif avec qui ils avaient disputé. Ils parlaient ainsi, parce qu'ils étaient incomplètement instruits et encore sensibles à l'ambition.
Que fit donc Jean-Baptiste ? il ne les reprit pas durement, de crainte qu'en le quittant ils ne se portassent à quelque mauvaise action. Mais que leur dit-il? " L'homme ne peut rien recevoir, s'il ne lui a été donné du ciel (27)". Que s'il parle de Jésus-Christ dans des termes trop bas, ne vous en étonnez pas; il ne pouvait pas tout d'un coup instruire des hommes si prévenus, et qui étaient dans de si mauvaises dispositions. Mais cependant il tâche de les effrayer, et de leur faire connaître que, de combattre contre. Jésus , c'était combattre ainsi contre Dieu même. Gamaliel fit la même réponse : " Vous ne pourrez détruire cette oeuvre , et vous seriez en danger de combattre contre Dieu même ". (Act. V, 39.) L'évangéliste établit la même vérité d'une manière un peu enveloppée. Il fait répondre à ces disciples : " L'homme ne peut rien recevoir, s'il ne lui a été donné, du ciel. " C'est-à-dire, vous tentez l'impossible, et en agissant de la sorte, vous vous mettez en danger de combattre contre Dieu même. Quoi donc? Théodas (Act. V, 36) n'agissait-il pas par lui-même? J'en conviens : il agissait véritablement par lui-même; mais à peine parut-il, qu'il fut anéanti et toute son oeuvre avec lui. Mais il n'en est pas ainsi de l'oeuvre de Jésus-Christ. Par là, Jean apaise insensiblement ses disciples, en leur faisant voir que ce Jésus, à qui. ils osaient s'opposer, n'est pas un homme, mais un Dieu qui les surpasse en dignité, et en gloire. Qu'ainsi, si ses oeuvres brillaient et éclataient, si tous allaient à lui, il ne fallait pas s'en étonner, car telles sont les oeuvres de Dieu : que celui qui faisait de si grandes choses était un Dieu, autrement ses oeuvres n'auraient pas eu tant de force ni tant de vertu. Qu'au reste, les oeuvres des hommes se découvrent et se détruisent facilement; or, il n'en est pas de mémé pour celles-ci : elles ne sont donc pas des oeuvres humaines. Et remarquez comment il tourne contre eux-mêmes ces paroles : " Celui à qui vous avez rendu témoignage ", par où ils croyaient l'exciter à perdre Jésus-Christ. Car après leur avoir montré que ce n'était pas par son témoignage que Jésus-Christ était devenu illustre, il leur ferme la bouche en disant : " L'homme ne "peut rien recevoir de soi-même, s'il ne lui a été donné du ciel ".
Que veut dire cela? Si vous admettez mon témoignage, et si vous le croyez véritable, apprenez de même , que ce n'est pas moi que vous devez mettre au-dessus de lui , mais lui que vous devez regarder comme au-dessus de moi. Quel est en effet le témoignage que j'ai porté? Je vous en prends à témoin : Voilà pourquoi il ajoute : " Vous me rendez vous-mêmes témoignage que j'ai dit : Je ne suis point le Christ, mais : J'ai été envoyé devant lui (28)". Si donc c'est à cause du témoignage que je lui ai rendu, que vous venez me dire : " Celui à qui vous avez rendu témoignage " ; qu'il vous en souvienne donc de mon témoignage, et vous reconnaîtrez que non-seulement il ne l'a point abaissé, mais encore qu'il l'a beaucoup relevé. Mais d'ailleurs ce témoignage ne venait point de moi, il vient de Dieu même, qui le lui a rendu par ma bouche. C'est pourquoi si je vous parais digne de foi , rappelez-vous qu'entre plusieurs autres choses que j'ai dites , j'ai dit aussi que " j'ai été envoyé devant lui ".
Ne voyez-vous pas que Jean-Baptiste fait insensiblement connaître que cette parole est divine? Car voici ce qu'il veut dire : Je suis un ministre, et je dis ce que n,'â ordonné de dire celui qui m'a envoyé; je ne cherche pas à plaire aux hommes, mais je remplis le ministère que m'a confié son Père en m'envoyant; ce n'est ni par faveur, ni par complaisance que j'ai rendu ce témoignage; j'ai dit ce que j'avais mission de dire. Ne croyez donc pas que je [237] sois pour cela quelque chose de grand; ma mission, mes paroles, tout ne tend qu'à faire connaître sa grandeur et son excellence. Car il est le Seigneur et le maître de toutes choses; ce qu'il déclare encore par les paroles qu'il ajoute : " L'époux est celui à qui est l'épouse; mais l'ami de l'époux qui se tient debout, et qui l'écoute, est ravi de joie d'entendre la voix de l'époux (29) ". C'est pourquoi celui qui a dit: " Je ne suis pas digne de dénouer les cordons de ses souliers ", se dit maintenant son ami, non pour s'élever et se donner des louanges, mais pour montrer combien il a à coeur les intérêts de Jésus-Christ; que ce qui se passe ne se fait point malgré lui, ni contre sa volonté, mais à son grand contentement; et qu'il n'a rien dit, qu'il n'a rien fait qui ne tendît à cette unique fin; voilà ce qu'il fait très-prudemment connaître par le nom d'ami. En effet, dans les mariages les serviteurs de l'époux n'ont ni tant de joie, ni tant de plaisir que ses amis. Jean-Baptiste ne se dit donc pas égal en dignité à l'époux, à Dieu ne plaise 1 mais il se dit son ami, pour marquer l'excès de sa joie et pour se mettre à la portée de ses disciples. Il a déjà fait entendre qu'il n'est qu'un envoyé, qu'un ministre, en se disant envoyé devant lui. C'est pourquoi il se dit l'ami de l'époux, et aussi parce qu'il voyait ses disciples souffrir de ce qu'on allait à Jésus-Christ; par là il leur fait voir que non-seulement cela ne lui fait aucune peine, mais encore qu'il s'en réjouit extrêmement.
Puis donc que je suis venu, dit-il, pour travailler et contribuer à ce grand ouvrage, bien loin de m'attrister que tous aillent à Jésus-Christ, j'aurais au contraire une douleur extrême, s'il en était autrement. Si l'épouse n'allait pas trouver son époux, c'est alors que je m'affligerais; mais non maintenant que je vois réussir nus efforts. Son oeuvre s'accomplit, c'est un sujet de gloire; pour nous ce que nous désirions avec tant d'ardeur se réalise; l'épouse connaît son époux. Et vous-mêmes, vous m'en rendez témoignage, quand vous me dites : " Tous vont à lui ". Voilà ce que je voulais, et c'est pour cela que j'ai tout fait : aussi, témoin de cet heureux succès, je m'en réjouis, je tressaille, je bondis d'allégresse.
3. Mais que signifient ces paroles : " L'ami de l'époux qui se tient debout, et l'écoute, est ravi de joie " d'entendre " la voix de l'époux? " Jean-Baptiste se sert ici d'une parabole pour arriver à son sujet. Car en parlant d'époux et d'épouse, il montre comment se font les fiançailles, à savoir: par la parole et par la doctrine; c'est ainsi que l'Église est fiancée à Dieu. C'est pourquoi saint Paul disait : " La foi vient de ce qu'on a ouï, et on a ouï parce que la parole de Jésus-Christ " (Rom. X, 17) a été prêchée. Cette parole me ravit de joie. Mais à l'égard de ce mot : " Qui se tient debout ", ce n'est pas sans intention qu'il s'exprime ainsi, mais pour montrer que son ministère est fini, qu'il faut maintenant qu'il se tienne debout et qu'il écoute après avoir remis l’épouse à son époux : qu'il est le ministre et le serviteur de l'époux, que ses bonnes espérances, que ses voeux sont comblés; voilà pourquoi il continue ainsi : " Je me vois donc dans l'accomplissement de cette joie " ; c'est-à-dire, j'ai accompli mon oeuvre, nous n'avons plus rien à faire. Ensuite, il retient, il renferme dans son coeur la vive douleur qui le presse, en considérant, non-seulement les maux présents, mais ceux aussi qui doivent arriver encore. Il en prédit quelque chose et le confirme et par ses paroles, et par ses oeuvres, en disant : " Il faut qu'il croisse et que je diminue " ; c'est-à-dire, mon ministère est fini, je dois me retirer et disparaître; mais pour lui, son temps est arrivé, il doit s'avancer et s'élever; c'est pourquoi, ce que vous craignez, non-seulement va arriver présentement, mais encore s'accroîtra de plus en plus. Et voilà même ce qui illustre le plus notre ministère, et ce qui en fait toute la gloire; c'est pour cela que j'ai été son précurseur, et je suis ravi de joie de voir que l'oeuvre de Jésus-Christ ait un si grand et si heureux succès, et que le but vers lequel ont tendu tous nos efforts, soit désormais atteint.
Ne voyez-vous pas, mes chers frères, avec quelle patience et quelle sagesse Jean-Baptiste apaise la douleur de ses disciples, étouffe leur jalousie et leur fait connaître que s'opposer à l'accroissement de Jésus-Christ, c'est tenter l'impossible? remède propre, entre tous, à guérir leurs mauvaises intentions. Car si la divine Providence a permis que toutes ces choses arrivassent du vivant de ce saint précurseur, et lorsqu'il baptisait encore, c'est afin qu'il rendît témoignage de la supériorité du Sauveur, et que ses disciples fussent sans excuse, s'ils s'obstinaient à ne pas croire en Jésus-Christ. En effet, ce ne fut pas de [238] lui-même qu'il se porta à rendre ces témoignages, ni pour satisfaire la curiosité d'autres personnes; ce fut pour répondre aux demandes de ses disciples, qui seuls l'interrogeaient et entendaient ses réponses. Car, s'il eût parlé de son propre mouvement, ils n’auraient pas cru si facilement, qu'en apprenant ce qu'il pensait, et par la réfutation de leurs objections, et par la réponse à leurs demandes. Ainsi les Juifs, qui lui avaient envoyé des gens, pour l'interroger et savoir son sentiment, ne s'y étant pas rendus, lorsqu'ils le connurent, se sont pour cela même rendus indignes de tout pardon.
Qu'est-ce donc que tout cela nous apprend ? Que la vaine gloire est la source et la cause de tous les maux : c'est elle qui a jeté les Juifs dans une furieuse jalousie; c'est elle qui les a ranimés après une courte trêve, et portés à aller trouver Jésus-Christ pour lui dire : " pourquoi vos disciples ne jeûnent-ils point? " (Matth. IX, 14.) Fuyons donc ce vice, mes bien-aimés. Si nous le fuyons, nous nous préserverons de l'enfer : car c'est principalement ce vice qui en attise le feu, tant sa domination s'étend sur tout, tant il exerce son tyrannique empire sur tout âge et sur tout rang ; c'est lui qui met le trouble dans l'Eglise, qui ruine les républiques, qui ruine les maisons, les villes, les peuples, les provinces. Pourquoi vous en étonner, quand il a bien pu pénétrer jusque dans le désert, où il a fait sentir toute la forte de son pouvoir? Ceux qui s'étaient dépouillés de leurs biens et de leurs richesses, qui avaient renoncé au luxe du monde, à toutes ses pompes et à ses maximes, qui avaient surmonté les désirs de la chair et les violentes passions de la cupidité, ont souvent tout perdu pour s'être laissé vaincre par la vaine gloire. C'est par ce vice que celui qui avait beaucoup travaillé a été vaincu par celui qui, bien loin d'avoir travaillé, avait au contraire commis beaucoup de péchés. Je parle du pharisien et du publicain. Mais prêcher contre ce vice, vous montrer les maux qu'il cause, ce serait peine perdue, car tout le monde est du même avis sur ce point; et ce dont il s'agit, c'est de réprimer en soi cette funeste passion.
Comment donc en viendrons-nous à bout? En opposant la gloire à la gloire. Comme, en effet, nous dédaignons les richesses de la terre, lorsque nous en envisageons d'autres; comme nous méprisons cette vie, lorsque nous pensons à une autre qui est bien préférable, nous pourrons de même rejeter la gloire de ce monde, lorsque nous songerons à une gloire plus belle, à ce qui est proprement la vraie gloire. Celle dont nous parlons n'est qu'une vaine et fausse gloire, un nom sans réalité; mais celle du ciel est une gloire véritable, qui a pour panégyristes, non les hommes, mais les anges, les archanges et le Seigneur des archanges, ou plutôt aussi les hommes mêmes. Si vous jetez les yeux sur ce théâtre, si vous cherchez à connaître le prix de ces couronnes, si vous vous transportez au lieu où retentissent ces applaudissements, les biens de la terre ne seront pas capables de vous toucher et de vous arrêter ; vous ne vous prévaudrez plus de leur possession, vous ne chercherez pas à les acquérir si elles vous manquent. Dans cette cour, on ne voit aucun des satellites du roi, au lieu de rechercher les bonnes grâces de celui qui siège sur le trône et porte le diadème, s'occuper de ces cris d'oiseaux, de ces bourdonnements de moucherons qui s'appellent les éloges des hommes.
Connaissant donc la bassesse des choses humaines, envoyons, plaçons tous nos biens et' toutes nos richesses dans ces inviolables trésors, et cherchons la gloire qui est stable et éternelle. Je prie Dieu de nous l'accorder à tous, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui la gloire soit au Père et au Saint-Esprit, etc.




HOMÉLIE XXX.
CELUI QUI EST VENU D'EN-HAUT, EST AU-DESSUS DE TOUS. CELUI QUI TIRE SON ORIGINE DE LA TERRE, EST DE LA TERRE, ET SES PAROLES TIENNENT DE LA TERRE. (VERS. 31, JUSQU'AU VERS. 34)
ANALYSE.
239
1. Efforts de saint Jean-Baptiste pour amener ses disciples à Jésus-Christ.
2. On ne peut rejeter Jésus-Christ sans accuser de mensonge Dieu qui l'a envoyé.
3. Il ne faut pas lire ou écouter légèrement les paroles de la sainte Ecriture : peser toutes les paroles; et observer toutes les circonstances. — Les paroles de la sainte Ecriture sont des armes , mais il faut savoir les manier et s'en servir. — Quand, on défend mal les vérités de la religion, on est la risée et la fable des païens et des hérétiques. — Pour les affaires de ce monde chacun est adroit et habile ; pour la grande affaire du salut, nous ne sommes que des lâches. — Les Livres saints n'ont pas seulement été écrits pour les anciens, mais encore pour nous.
1. L'amour de la gloire est un vice très-pernicieux; oui, dis-je, très-pernicieux, et la source de toutes sortes de maux l C'est fine épine que difficilement on arrache, une bête qu'on ne peut apprivoiser, une hydre à cent têtes armée contre ceux mêmes qui la nourrissent. Comme les vers rongent le bois qui les nourrit, comme la rouille dévore le fer d'où elle naît, et la teigne mange la laine, ainsi la vaine gloire donne la mort à l'âme sa nourrice. C'est pourquoi il nous faut être bien vigilants et attentifs pour arracher et détruire ce vice. Voyez ici encore tout ce que dit Jean-Baptiste à ses disciples, parce qu'il les voit infectés de cette maladie et qu'il a peine à les calmer. A ces premières paroles que vous avez entendues, il ajoute encore celles-ci pour les apaiser : " Celui qui est venu d'en-haut est au-dessus de tous; celui qui tire son origine de la terre est de la terre, et ses paroles tiennent de la terre". Puisque partout, dit-il, vous exaltez mon témoignage, puisque vous publiez que je suis très-digne de foi, vous devez savoir que ce n'est pas à celui qui est de la terre à rendre digne de foi celui qui est venu d'en-haut; mais ce mot : " Il est au-dessus de tous ", que signifie-t-il? Que celui qui est venu du ciel n'a besoin de personne, qu'il se suffit à lui-même, et que saris comparaison il est le plus grand de tous. Au reste, Jean-Baptiste dit de soi qu'il est de la terre et que ses paroles tiennent de la terre, non qu'il parlât de son propre mouvement, mais dans le sens auquel Jésus-Christ dit: " Si vous ne me croyez pas lorsque je vous parle des choses de la terre" (Jean, III, 12), désignant ainsi le baptême, non qu'il soit terrestre, mais parce qu'il le comparait alors à son ineffable génération ; en cet endroit de même, Jean-Baptiste dit qu'il parle en habitant de la terre, par comparaison de sa doctrine à celle de Jésus-Christ; car ces mots : "Ses paroles tiennent de la terre ", signifient seulement que ce qu'il dit est bas et grossier, et pour ainsi dire semblable aux choses de la terre, si on le compare avec la sublimité et l'excellence de la doctrine que Jésus-Christ enseigne : " Puisqu'en lui sont renfermés tous les trésors de la sagesse ". (Col. II, 3.) Mais encore ces paroles : " Celui qui tire son origine de la terre, est de la terre ", font voir évidemment elles-mêmes qu'il ne veut point parler de pensées humaines; en effet, il n'était pas tout entier de terre; la meilleure partie de son être venait du ciel, car il avait une âme et il participait à l'esprit, et ces choses ne sont pas de la terre: Comment dit-il donc qu'il est de la terre? Cette façon de parler ne signifie rien de plus, que ceci : Je suis peu de chose, puisque je [240] rampe à terre et que je suis né sur la terre. Le Christ, au contraire, nous est venu d'en-haut.
Enfin Jean-Baptiste ayant guéri, par tous ces discours, la maladie de ses disciples, parle ensuite de Jésus-Christ avec plus d'assurance; en parler auparavant, t'eût été jeter ses paroles en l'air et les prodiguer en pure perte, puisqu'elles n'auraient point trouvé d'entrée dans l'esprit de ses disciples. Mais après qu'il a arraché les épines, alors il sème avec confiance en disant : " Celui qui est venu du ciel est au-dessus de tous. Et il rend témoignage de ce qu'il a vu et de ce qu'il a entendu, et personne ne reçoit son témoignage (32) ". Jean, après avoir parlé de Jésus-Christ en termes sublimes, baisse ensuite le ton ; car ce mot : " Ce qu'il a entendu et ce qu'il a vu ", appartient au langage des hommes. Ce que Jésus-Christ savait, il ne l'avait point appris par la vue ni par l'ouïe, mais il le tenait de sa propre nature; étant sorti parfait du sein de son Père, il n'avait pas besoin de maître ainsi qu'il le dit lui-même: " Comme mon Père me connaît, je connais mon Père ". (Jean, X,15.) Que signifie donc ceci : " Il dit ce qu'il a entendu, et il rend témoignage de ce qu'il a vu? " Comme c'est par ces sens que nous apprenons parfaitement toutes choses, et qu'on nous regarde comme des maîtres dignes de foi sur les choses,que nous avons ou vues ou entendues, parce qu'alors on est persuadé que nous n'inventons point et que nous ne disons rien de faux; c'est pour se conformer à notre usage que Jean-Baptiste a dit : " Jésus-Christ rend témoignage de ce qu'il a entendu et de ce qu'il a vu ", pour faire voir qu'il n'y a point en lui de mensonge et qu'il ne dit rien que de vrai. Ainsi, souvent nous-mêmes, nous avons la curiosité d'interroger celui qui nous raconte quelque chose, et de lui dire : l'avez-vous vu, l'avez-vous entendu vous-même? S'il l'assure, nous regardons alors son témoignage comme véritable. Ainsi Jésus-Christ dit: " Je juge selon ce que j'entends " (Jean, V, 30) ; et : " Je ne dis que ce que j'ai appris de mon Père " (Jean, VIII, 26) ; et : " Nous rendons témoignage de ce que nous avons vu " (Jean, III, 11), et plusieurs autres choses semblables, non pour nous faire entendre que ce qu'il dit il l'a appris (le croire serait le comble de la démence) ; mais de peur que les Juifs n'eussent l'insolence de regarder comme suspect aucune de ses paroles; car, attendu qu'ils n'avaient pas encore de lui l'opinion qu'ils devaient avoir, il s'autorise souvent de son Père pour persuader ce qu'il dit.
2. Mais pourquoi s'étonner qu'il cite le témoignage de son Père, puisque souvent il a recours aux prophètes et aux Ecritures, comme lorsqu'il dit : " Ce sont elles qui rendent témoignage de moi? " (Jean, 10, 39.) Il emprunte le témoignage des prophètes, dirons-nous pour cela qu'il est au-dessous d'eux? A Dieu ne plaise ! Il se proportionne à la faiblesse de ses auditeurs. Il dit qu'il rapporte ce qu'il a appris de son Père, non qu'il ait besoin d'un docteur, mais afin de prouver qu'il ne dit rien de faux. Ainsi ce que dit Jean-Baptiste, vous devez l'expliquer de cette manière : j'ai besoin de ses leçons, puisqu'il est venu du ciel et qu'il nous apporte une doctrine céleste, que lui seul entend parfaitement. Car voilà ce que signifie ce mot : Il a entendu et il a vu. " Et personne ne reçoit son témoignage ". Mais il a eu des disciples, et plusieurs écoutaient assidûment sa parole; pourquoi donc dit-il : " Personne ne reçoit? " c'est-à-dire : Il y en a peu qui le reçoivent. S'il avait voulu dire : " Personne ", pourquoi aurait-il ajouté: " Celui qui a reçu son témoignage a attesté que Dieu est véritable (33)? " Ici Jean-Baptiste reproche à ses disciples leur peu de foi en Jésus-Christ : en effet, par ce qui suit on voit clairement qu'ils ne crurent pas même après ces paroles. Voilà pourquoi étant en prison, il les envoya à Jésus, afin de les lui mieux attacher. Et alors néanmoins ils ne crurent pas encore tout à fait en lui, comme Jésus-Christ le fait connaître par ces paroles: " Heureux celui qui ne prendra point de moi un sujet de scandale et de chute ! " (Matth. XI, 6.) Jean-Baptiste n'a donc point eu d'autre raison de dire: " Et personne ne reçoit son témoignage ", que dans l'intention d'instruire ses disciples; c'est comme s'il disait quoiqu'il y en ait peu qui doivent croire en lui, ne pensez pas que ce qu'il dit ne soit pas véritable, car il rend témoignage de ce qu'il a vu. Au reste, il le dit aussi pour censurer l'aveuglement des Juifs, de même qu'au commencement de son évangile, saint Jean les réprimande en disant: " Il est venu chez soi, et les siens ne l'ont point reçu " (Jean, I, 11) : par la faute, non de celui qui est venu, mais de ceux qui ne l'ont pas voulu recevoir: " Celui [241] qui a reçu son témoignage, a attesté que a Dieu est véritable (33) "; par ces paroles il les effraie et les épouvante, car il leur fait voir que celui qui rejette le Fils ne le rejette pas lui seul, mais encore son Père; c'est pourquoi il ajoute : " Celui que Dieu a envoyé ne dit a que des paroles de Dieu (34) ". Puis donc qu'il ne dit que des paroles de Dieu, celui qui croit en lui, croit en Dieu, et celui qui ne croit pas en lui, ne croit point en Dieu. Mais ce mot : " Il a scellé ", veut dire : il a fait connaître. Après quoi ayant ainsi augmenté leur crainte, il ajoute : " Que Dieu est véritable ", pour marquer qu'on ne peut rejeter Jésus-Christ, ou ne pas croire en lui, sans accuser de mensonge Dieu qui l'a envoyé. Puis donc que Jésus-Christ ne dit rien qui ne vienne de son Père, celui qui ne l'écoute point, n'écoute point son Père qui l'a envoyé.
Ne voyez-vous pas ici , mes frères, avec quelle force Jean-Baptiste frappe encore sur ses disciples? Jusque-là ils ne croyaient pas qu'il y eût du mal à ne pas croire en Jésus-Christ. Voilà pourquoi il leur représente vivement l'extrême péril auquel s'exposent les incrédules; afin qu'ils apprennent que n'écouter pas Jésus-Christ, c'est la même chose que de ne pas écouter son Père. Il poursuit, et se proportionnant à leur portée, il leur dit : " Parce que Dieu ne lui donne pas son Esprit par mesure ". Il se sert encore, comme j'ai dit, d'expressions basses et grossières, accommodant ainsi son langage à leur intelligence; autrement il n'aurait pu exciter en eux la crainte. S'il avait dit de Jésus-Christ des choses grandes et élevées, ils ne l'auraient pas cru, ils l'auraient repoussé avec mépris : voilà pourquoi il rapporte tout au Père, parlant quelquefois de Jésus-Christ comme d'un homme.
Mais que signifie ceci : " Dieu ne lui donne pas son Esprit par mesure ? " Nous, dit Jean-Baptiste, nous recevons les dons du Saint-Esprit par mesure: car, par le Saint-Esprit il entend ici les dons. En effet, ce sont les dons qui sont distribués. Mais Jésus-Christ a en lui-même tous les dons, ayant reçu toute la plénitude du Saint-Esprit sans mesure. Or, si ces dons sont immenses, à plus forte raison sa substance est-elle immense. Ne voyez-vous pas aussi que le Saint-Esprit est immense " comme le Père? " Celui donc qui a reçu toute la vertu du Saint-Esprit, qui connaît Dieu, qui dit: " Nous disons ce que nous avons entendu, et nous rendons témoignage de ce que nous avons vu ", comment nous pourrait-il paraître suspect? il ne dit rien qui ne soit de Dieu, rien qui ne soit du Saint-Esprit : mais cependant Jean-Baptiste ne parle point de Dieu le Verbe; l'autorité qu'il donne à sa doctrine, il la tire toute du Père et du Saint-Esprit. Ses disciples connaissaient un Dieu, ils savaient qu'il y a un Saint-Esprit, quoiqu'ils n'en eussent pas une juste idée : mais qu'il y eût un Fils, ils l'ignoraient. C'est pour cela que, voulant donner de l'autorité à ce qu'il dit, et le persuader, il a toujours recours au Père et au Saint-Esprit. Car séparer cette raison " qui oblige Jean-Baptiste d'en user ainsi ", et recevoir la doctrine en soi, comme elle se présente, ce serait se tromper beaucoup et s'écarter extrêmement de l'idée qu'on doit avoir de la dignité de Jésus-Christ. En effet, le motif de leur foi en Jésus-Christ ne devait pas être qu'il avait la vertu du Saint-Esprit, puisqu'il n'a nullement besoin du secours du Saint-Esprit, et qu'il se suffit à lui-même : Jean-Baptiste se conforme donc ainsi à l'opinion des simples, pour les élever peu à peu à de plus hauts et de plus grands sentiments.
Au reste, je dis ceci, mes chers frères, pour vous faire connaître que nous ne devons pas légèrement passer sur les paroles de la sainte Ecriture, qu'il faut faire attention au but et à l'intention de celui qui parle, à l'esprit et à la faiblesse de ses auditeurs, et examiner bien d'autres choses. Car les docteurs ne découvrent et n'expliquent pas clairement tout, comme ils le voudraient, mais ils tempèrent beaucoup de choses, selon la portée de leurs disciples. C'est pourquoi saint Paul dit : " Je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels , mais comme à des personnes encore charnelles : je ne vous ai nourris que de lait, et non de viandes solides "(I Cor. III, 1, 2.) Je voudrais, dit-il, vous parler comme à des hommes spirituels, et je ne l'ai pu, pourquoi? Ce n'est pas qu'il en fût lui-même incapable, c'est qu'ils n'auraient pu l'entendre, s'il leur avait parlé comme à des hommes spirituels. De même Jean-Baptiste voulait enseigner de grandes choses à ses disciples, mais ils ne pouvaient encore les comprendre; voilà pourquoi il s'attache si fort aux expressions les plus simples et les plus basses.
3. Il faut donc observer toutes choses avec [242] soin; car les paroles de l'Ecriture sont des armes spirituelles. Mais si nous n'avons pas l'adresse de les bien manier, ni d'en équiper nos disciples comme il faut, elles ne perdent rien, à la vérité, de leur vertu propre, mais elles nous deviennent inutiles. Supposons qu'il y ait ici une forte cuirasse, un casque, un bouclier, une pique: qu'ensuite quelqu'un les prenne, et qu'il se mette la cuirasse aux pieds, le casque non sur la tête, mais sur les yeux, le. bouclier, non sur la poitrine, mais sur les jambes: pourra-t-il s'en aider? ou plutôt n'en sera-t-il pas embarrassé? Sans aucun doute. Mais ce n'est pas la faute des armes; c'est la sienne, celle de son ignorance, puisqu'il ne sait ni s'en revêtir ni s'en servir. Il en est de même. des saintes Ecritures : si nous en confondons l'ordre , elles n'en auront pas moins en soi leur force et leur vertu, mais elles ne nous serviront de rien. J'ai beau vous répéter ces vérités, et en public et en particulier; c'est peine perdue : toujours je vous vois attachés aux affaires du siècle, toujours je vous vois mépriser les choses spirituelles : voilà pourquoi nous nous mettons peu en peine de bien vivre, et, lorsque nous combattons pour la vérité, nous sommes sans force et nous devenons la fable et la risée des gentils, des Juifs et des hérétiques. Quand bien même vous seriez aussi négligents dans les autres choses, on ne devrait même pas vous le pardonner. Mais dans les affaires séculières chacun de vous est plus subtil et plus perçant qu'une épée, tant l'artisan que le magistrat mais dans les choses nécessaires et spirituelles nous sommes d'une extrême négligence, traitant les bagatelles comme des affaires sérieuses, et n'attachant pas même une importance secondaire aux plus pressants de nos intérêts. Ignorez-vous que ce qui est écrit dans les livres saints ne l'est pas pour les anciens, , pour nos pères seulement, mais aussi pour nous? La voix de saint Paul qui dit : " Tout ce qui est écrit a été écrit pour nous servir d'instruction, à mous autres qui nous trouvons à la fin des temps, afin que nous concevions une espérance ferme par la patience et par la consolation que les Ecritures nous donnent " (Rom. XV, 4; 1 Cor. X, 11); cette voix, dis-je, n'est-elle pas venue jusqu'à vous?
Je parle inutilement, je le sais bien; mais je ne cesserai point de parler. En le faisant, je me justifierai devant Dieu, quand bien même personne ne m'écouterait. Prêcher devant des gens dociles et attentifs, c'est une peine allégée : mais prêcher souvent sans être écouté, et néanmoins, sans se rebuter, prêcher toujours, c'est se rendre digne d'une plus grande récompense; parce que, quelque dégoût qu'il y ait à n'être point. écouté, on ne laisse pas de remplir son ministère selon la volonté de Dieu. Toutefois , quoique votre négligence doive nous procurer une plus grande récompense, nous aimons mieux l'avoir moindre et être plus sûrs de votre salut : car votre avancement et votre profit est une grande récompense à nos yeux. Au reste, si nous vous représentons maintenant ces choses , mes chers frères, ce n'est pas pour vous chagriner ni pour vous faire de la peine, mais pour vous exposer la vive douleur que votre tiédeur nous cause. Puisse le ciel nous guérir tous de ce vice, afin que nos coeurs étant embrasés de l'amour des choses spirituelles, nous acquérions les biens célestes, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soit la gloire au Père et au Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

PARTIE DE L’HOMELIE XXXI
1. L'expérience nous apprend, mes frères, qu'en toutes choses l'esprit de ménagement procure de grands biens et de grands avantages : ainsi l'on devient habile dans les arts, dont on a reçu d'un maître à peine les premiers éléments. Ainsi l'on bâtit les villes, mettant insensiblement et peu à peu une pierre l'une sur l'autre; ainsi nous entretenons, nous conservons notre vie. Et ne vous étonnez pas que cette sage conduite ait tant de vertu et d'efficacité dans tout ce qui concerne . cette vie, lorsqu'elle en a tant dans les choses spirituelles. C'est ainsi qu'on a pu arracher, les Juifs de- leur idolâtrie, en les ramenant et les persuadant peu à peu, eux qui au commencement n'avaient entendu rien de grand, rien de sublime, ni quant à la doctrine, ni quant aux moeurs. C'est ainsi encore, qu'après l'avènement de Jésus-Christ, lorsque le temps d'annoncer la sublime doctrine fut arrivé, les apôtres attiraient à eux tous les hommes, évitant de leur parler tout d'abord des choses grandes et élevées. C'est ainsi qu'en usait au commencement Jésus-Christ à l'égard de plusieurs. C'est ainsi qu'en use maintenant Jean-Baptiste : il parle de Jésus-Christ comme d'un homme admirable, et jette un voile sur ce qui dépasse la portée humaine. Au commencement il disait : " L'homme ne peut rien recevoir de soi-même " ; ensuite, après avoir ajouté quelque chose de grand, et dit : " Celui qui est venu du ciel est au-dessus de tous ", il baisse encore le ton, et dit entre autres choses : " Car Dieu ne lui donne pas son Esprit par mesure " ; et ensuite : " Le Père aime le Fils, et il lui amis toutes choses entre les mains ". De là il arrive aux peines, sachant que la crainte du supplice est d'une grande utilité, et que plusieurs ne sont pas tant touchés dos promesses que des menaces; et c'est enfin par où il finit, disant : " Celui qui croit au Fils, a la vie éternelle ; celui qui ne croit pas au Fils, ne verra point la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui ". Ici encore ce qu'il dit des peines, il le rapporte au Père, car il n'a pas dit la colère du Fils, quoique le Fils soit le juge ; mais il a nommé le Père pour effrayer davantage.
Ne suffit-il pas, direz-vous, de croire au Fils, pour avoir la vie éternelle? Non. Ecoutez ce que dit Jésus-Christ, qui le déclare par ces paroles : " Tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, n'entreront pas dans le royaume des cieux ". (Matth. VII, 21.) Et le blasphème , contre le Saint-Esprit suffit pour nous faire jeter dans l'enfer. Et pourquoi parler d'un [244]
article de doctrine? Quand bien même on croirait parfaitement au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit, si l'on ne vit bien, la foi seule ne servira de rien pour le salut. Lors donc que Jésus-Christ dit : " La vie éternelle consiste à " vous connaître, vous qui êtes le seul Dieu " véritable " (Jean, XVIII, 3) ; ne pensons pas que cette créance nous suffise pour le salut, mais nous avons besoin encore d'une bonne vie et d'une conduite bien réglée. Quoique Jean-Baptiste ait dit ici : " Celui qui croit au Fils, a la vie éternelle ", il insiste davantage sur ce qui suit. Car dans son discours il joint et lie ensemble le bien et le mal, et voyez comment, à sa première proposition, il ajoute celle-ci : " Celui qui ne croit pas au Fils, ne verra point la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui ". Mais néanmoins nous ne concluons pas de là que la foi suffise seule pour le salut; ce qui se prouve par une infinité d'autres endroits de l'Évangile, où il est parlé de la bonne vie. Voilà pourquoi Jésus-Christ n'a point dit : La vie éternelle consiste seulement à vous connaître; ni : Celui qui croit seulement au Fils, a la vie éternelle; mais il marque, à propos de ces deux choses, que la vie y est attachée : certes, si la bonne vie n'accompagne pas la foi, la foi ne nous sauvera pas d'un grand supplice. Car il n'a pas dit
La colère l'attend; mais la colère demeure sur lui; par où il déclare que la colère ne se retirera jamais de lui.
Mais de peur que ce mot : " Il ne verra point la vie ", ne vous induisît en erreur, et ne vous donnât lieu de penser qu'il ne s'agit que de cette vie présente ; et afin que d'autre part vous soyiez persuadé que le supplice est éternel, il a dit : " La colère demeure ", pour montrer qu'elle demeure éternellement, et qu'elle séjourne sur l'incrédule. Au reste, l'intention de Jean-Baptiste est d'exciter ses disciples par toutes ces paroles, et de les pousser vers Jésus-Christ. C'est pourquoi il ne leur adresse pas la parole à eux seuls et en particulier; mais il l'adresse à tous en général, et de la manière qui pouvait mieux les attirer et les gagner. Car il n'a point dit : Si vous croyez, si vous ne croyez pas; mais il parle en général, pour ne leur pas donner de la défiance, et il le fait avec plus de force que Jésus-Christ. Le Sauveur dit : " Celui qui ne croit pas est déjà condamné " ; mais Jean-Baptiste s'exprime ainsi " Il ne verra point la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui ". Et certes il a raison. Jésus-Christ ne pouvait parler de soi comme un autre en pouvait parler. S'il avait parlé de même, on aurait cru que souvent il revenait sur ce sujet par amour-propre et par vanité; mais Jean n'était pas exposé à ce soupçon. Que si, dans la suite, Jésus-Christ s'est lui-même servi d'expressions plus fortes, c'est lorsque sa réputation s'étant établie, on avait de lui une grande opinion.

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